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Med Sci (Paris). 2006 October; 22(10): 811–814.
Published online 2006 October 15. doi: 10.1051/medsci/20062210811.

Des senseurs pour contrôler le style de vie bactérien : le choix entre infection chronique ou aiguë

Alain Filloux* and Isabelle Ventre

CNRS-IBSM-UPR9027, Laboratoire d’Ingénierie des Systèmes Macromoléculaires, 31, chemin Joseph Aiguier, 13402 Marseille Cedex 20, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Maladie aigüe, Protéines bactériennes, Maladie chronique, Infections à Pseudomonas, Pseudomonas aeruginosa, Facteurs de virulence

Deux senseurs qui déterminent le choix du style de vie bactérien

Les bactéries sont largement répandues dans des niches environnementales ou infectieuses. Elles s’y développent essentiellement selon deux modes de vie que l’on appelle planctonique ou biofilm. Alors qu’en mode planctonique elles se déplacent librement sous forme de bactérie isolée, en mode biofilm elles se rassemblent pour former une communauté microbienne englobée dans une matrice d’exopolysaccharides et adhérente à une surface [ 1].

Parmi les raisons qui poussent les scientifiques à porter un intérêt croissant aux mécanismes moléculaires qui sous-tendent la formation de ces biofilms, il faut mentionner le rôle de ces populations bactériennes dans le développement des infections chroniques chez l’homme [ 2].

Pseudomonas aeruginosa est une bactérie pathogène très fréquemment associée aux infections nosocomiales. Chaque année en France, environ 4 000 personnes dont le pronostic vital n’est pas menacé meurent d’une infection contractée à l’hôpital [ 3]. P. aeruginosa est impliquée dans nombre de ces infections, en particulier des pneumonies sévères. Dans ce contexte, la bactérie peut franchir la barrière du poumon, disséminer dans le flux sanguin et entraîner la mort du patient en quelques jours. Cette même bactérie est également l’agent responsable d’infections chroniques dans les poumons des patients souffrants de mucoviscidose. Ces patients sont tous colonisés dès l’âge de 3 ans par P. aeruginosa, et dans 80 % des cas, la mort du patient est attribuée à une perte de la fonction pulmonaire due à l’infection chronique par P. aeruginosa des voies respiratoires. Dans ce cas, l’infection peut donc durer de nombreuses années et la bactérie n’atteint que très rarement le flux sanguin. Des évidences croissantes suggèrent que les infections chroniques soient associées au développement de biofilms très résistants au traitement antibiotique [2].

Si un même organisme est capable dans un contexte différent de prendre une décision vis-à-vis du style de vie qu’il doit adopter, c’est-a-dire croissance en biofilm versus croissance planctonique ou infection chronique versus infection aiguë, on doit de se demander ce qui dirige ce choix. Le processus pourrait être contrôlé par un réseau de régulation qui coordonne l’expression dans le temps et dans l’espace d’un ensemble de déterminants associés à la mobilité, l’adhérence ou la production d’exopolysaccharides, tous impliqués dans la formation du biofilm, ou bien, dans le cadre d’infections aiguës, de déterminants qui sont essentiels aux mécanismes associés à la cytotoxicité comme le système de sécrétion de type III (T3SS) [ 4].

Les bactéries possèdent des systèmes de détection qui permettent de percevoir les variations de conditions dans leur environnement afin de pouvoir en tenir compte pour changer l’expression de leur génome, et permettre ainsi l’induction ou la répression des gènes requis pour la meilleure adaptation au nouvel environnement détecté. Un système de régulation clé dans la mise en place de ce processus est le système de régulation à 2 composants [ 5]. Le senseur est une histidine kinase, qui possède un domaine de détection variable et spécifique pour un signal, et un domaine qui s’autophosphoryle suite à la détection du signal correspondant (Figure 1). L’information est ensuite transmise sur un régulateur de réponse par transfert du groupement phosphate depuis le senseur vers le domaine receveur du régulateur de réponse. La majorité des régulateurs de réponse ainsi activés vont se lier à des régions d’ADN pour contrôler l’expression d’un panel de gènes appropriés.

Nos travaux ont récemment mis en évidence l’importance d’un senseur, LadS (lost adherence sensor) dans le contrôle de l’expression de gènes, comme les gènes pel, qui sont impliqués dans la production d’exopolysaccharides et le développement du biofilm [ 6, 7]. Une souche de P. aeruginosa dont le gène ladS a été muté, se voit très sévèrement affectée dans sa capacité à former un biofilm (Figure 2A). De façon encore plus remarquable, ce même mutant ladS a un niveau de cytotoxicité augmenté (Figure 2B), corroboré par une forte augmentation de l’expression des gènes qui sont impliqués dans la mise en place de la machinerie de sécrétion de type III et ceux codant les toxines injectées dans la cellule hôte par le T3SS [6]. LadS peut donc être présenté ici comme un switch moléculaire qui dirige la transition entre biofilm et cytotoxicité, et donc infection chronique versus infection aiguë. De façon très remarquable, une étude publiée un peu plus tôt par le groupe du professeur Stephen Lory (Harvard Medical School, Boston, États-Unis) démontrait le rôle d’un autre senseur, RetS, dont l’influence sur les gènes pel et les gènes du T3SS est strictement opposée à celle de LadS [ 8]. Ainsi un mutant affecté dans le gène retS, voit sa capacité à former des biofilms augmentée (Figure 2A), à tel point que la souche est difficilement cultivable sous sa forme planctonique avec une forte tendance à s’agréger sur les parois du tube ou dans le milieu de culture. Cette tendance à former des biofilms est corroborée par la forte expression des gènes pel et psl, tous deux impliqués dans la production d’exopolysaccharides [8]. À l’inverse, la cytotoxicité du mutant retS est fortement diminuée (Figure 2B), comme l’indique également la faible expression des gènes du T3SS [6, 8].

Ces études nous révèlent donc l’existence de 2 senseurs qui gouvernent l’expression de gènes impliqués dans le biofilm et la cytotoxicité, mais qui le font d’une manière strictement opposée. On doit donc imaginer que si RetS contrôle l’expression de gènes en réponse à un signal présent dans les tissus de l’hôte lors d’une infection aiguë, maintenant ainsi l’activité du T3SS, la transition vers la formation du biofilm devrait faire suite à la disparition du signal perçu par RetS conjointement à l’apparition d’un autre signal perçu par LadS. La nature de ces signaux n’est pas encore connue, mais l’analyse des domaines détecteurs portés par ces 2 senseurs laisse penser qu’il pourrait s’agir de sucres [ 9].

Ce mécanisme de switch moléculaire et d’adaptation entre 2 modes de vie bactériens différents, gouverné ici par 2 senseurs indépendants, semble converger vers l’expression d’un gène codant pour un petit ARN régulateur non codant appelé RsmZ [ 10]. En effet, l’expression du gène rsmZ est contrôlée de manière strictement opposée par LadS et RetS. Ainsi, la surproduction de RsmZ dans le mutant retS aboutit à la titration de la protéine régulatrice RsmA, qui a un impact important sur de nombreuses activités cellulaires liées à la virulence et la mobilité. Dans le mutant ladS, RsmZ est peu abondant laissant ainsi RsmA exercer son influence.

Le mécanisme de switch ainsi présenté (Figure 1) est certes simplifié, mais donne une bonne idée de l’intrication moléculaire des différents partenaires. Il faut toutefois mentionner que d’autres systèmes à 2 composants devraient être associés à cette cascade de régulation. Le système GacA/GacS, par exemple, a été montré comme intervenant dans le contrôle de l’expression de rsmZ. De plus, le système RocARS, également connu comme SadARS [ 11], contrôle positivement la formation de biofilms, en particulier par l’expression de gènes codant des structures adhésives de type pilus (cup), mais dans le même temps contrôle négativement l’expression des gènes du T3SS chez des bactéries qui se développent en mode biofilm [ 12, 13].

Conclusions et perspectives

Nous faisons des choix chaque jour sur la base d’information dont nous disposons. Les bactéries font de même. Dans le contexte d’une infection, le pathogène doit prendre une décision lorsqu’il colonise son hôte. Doit-il se propager rapidement, provoquer une infection aiguë et éventuellement la mort de l’hôte, ou doit-il persister au sein de l’hôte en s’établissant sous forme de biofilm et tenter d’échapper au système immunitaire. Ce petit jeu du Dr Jekyll and Mr Hyde, et la transition entre un état et l’autre, sont en grande partie dépendants des conditions environnementales. La disponibilité de certains sucres comme source de carbone, ou d’autres nutriments comme le fer, peuvent influencer la bactérie à persister sous forme de biofilms. La découverte de senseurs comme LadS et RetS, suggèrent qu’ils sont des éléments clés dans le processus de décision, et sont impliqués dans l’échantillonnage constant du milieu environnant. Les signaux que ces senseurs perçoivent sont encore mal connus, et nous devrons continuer à essayer de mieux comprendre tous les mécanismes moléculaires qui commandent le switch entre maladie aiguë ou chronique. Ces connaissances sont indispensables pour favoriser le développement de nouveaux anti-microbiens et améliorer le traitement des maladies infectieuses.

References
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