La loi sur la santé publique d’août 2004 a créé une protection du titre de psychothérapeute1. La question d’une réglementation légale de la psychothérapie était sur l’agenda politique depuis la fin des années 90. À l’initiative de la mobilisation de divers acteurs - parlementaires, pouvoirs publics, professionnels divers - autour de cette question, on trouve des associations regroupant des psychothérapeutes qui, pour la plupart, ne sont ni psychiatres, ni psychologues. Depuis le milieu des années 90, ces associations militaient activement pour la reconnaissance légale d’une profession de psychothérapeute. Cette revendication était intervenue environ 15 ans après la création de la première de ces associations, le Syndicat national des praticiens en psychothérapie (SNPPsy), en 1981. Celui-ci a joint à sa fonction proprement syndicale une fonction ordinale en « agréant », ou non, des psychothérapeutes sur la base de divers critères de compétence. Exactement la même année où se créait le SNPPsy, se créaient également les premières écoles de formation à la psychothérapie. Les années 80 et 90 ont donc vu la constitution d’un groupe professionnel de psychothérapeutes, argumentant pour s’autoqualifier comme tels de tout le travail de qualification collective qu’ils avaient opéré, en priorité de leur formation spécifique à la pratique de la psychothérapie. C’est là l’argument majeur qui fonde leur demande de reconnaissance professionnelle. Ils soulignent en revanche que la formation universitaire des psychiatres et des psychologues ne peut leur conférer une compétence en psychothérapie.
Ces « psychothérapeutes illégitimes en recherche de reconnaissance professionnelle »2, relèvent aujourd’hui de quatre associations qui, à l’instar du SNPpsy, « accréditent » ou « certifient » des psychothérapeutes comme des instituts de formation ; ils constituent un sous-ensemble de l’ensemble de tous ceux qui se disent psychothérapeutes sans être ni psychiatres, ni psychologues, sous-ensemble qui ne dépasse pas, a priori, le nombre de 4 000. Ce groupe, très mal connu, suscite un certain nombre de craintes, notamment que s’y dissimulent des sectes ou qu’il joue la carte d’un lobbying forcené au niveau européen3,, opposé aux pratiques nationales françaises. Cet article a pour objectif de combler le vide des connaissances sur ce groupe en présentant quelques uns des résultats d’une enquête sociologique, qualitative aussi bien que quantitative4.
Dans tous les pays européens où il existe sinon une profession spécifique de psychothérapeute, au moins un statut spécifique des professionnels de la psychothérapie, ces derniers ont émergé par une différenciation opérée au sein du groupe des psychiatres ou/et de celui des psychologues. Le groupe des « psychothérapeutes » français émerge, quant à lui, d’un mouvement social, le mouvement du Potentiel humain, lui-même partie prenante du vaste et multiforme mouvement de « libération » et de contestation sociales tous azimuts des années 70 : le SNPPsy émane des « thérapeutes » du Potentiel humain qui voulaient se professionnaliser.
Ces derniers disaient pratiquer des « thérapies pour normaux ». On parlait aussi de « développement personnel », quand eux-mêmes parlaient plutôt de « croissance ». En se professionnalisant, ces « psychothérapeutes » se sont progressivement considérés, toujours un peu plus, comme des professionnels à part entière de la santé mentale. Plusieurs raisons ont présidé à ce positionnement. La plus évidente est, bien sûr, leur travail de qualification collective à l’exercice de la psychothérapie. Mais la raison principale tient plutôt à des transformations sociétales : au développement rapide des références à la « souffrance psychique » et à la « santé mentale ». Ces deux références renvoient d’une part à la transformation de la médecine, d’une médecine de la maladie - la psychiatrie - à une médecine de la santé - la santé mentale, donc - et, d’autre part, à l’intrication du champ sanitaire et du champ social. Il s’agit de privilégier la prévention, l’intégration sociale et la responsabilité de chacun dans la bonne gestion de sa santé comme de sa maladie. Or, sur ce terrain, les « psychothérapeutes » ont pu se retrouver de plain-pied, et affirmer qu’il ne s’agissait pas là d’un domaine strictement médical : ils se sont définis comme des professionnels de la « santé hors médecine ». Travaillant en libéral, ils s’adressent à des personnes capables de se prendre en charge sur le plan financier - notamment pour payer leur psychothérapie - et sur celui de leur vie quotidienne. Cette autonomie peut être autorisée par le recours à des psychotropes (bien entendu prescris par des médecins). En ce sens, leur domaine d’intervention apparaît semblable à celui des autres professionnels libéraux non psychiatres qui pratiquent des psychothérapies, c’est-à-dire les psychologues et les psychanalystes.
Leur spécificité repose sur deux « non » : un « non » à l’université et un « non » à la psychanalyse, ou du moins à son hégémonie. Ainsi considèrent-ils celle-ci comme une méthode parmi d’autres, comme une ressource pouvant être intégrée dans une composition psychothérapeutique orientée à la « croissance », bien loin donc des conceptions freudiennes orthodoxes. Cette conception optimiste valorisant les ressources personnelles s’enracine dans la psychologie humaniste dont le Potentiel humain représentait une spécification attachée aux années de contestation culturelle des années 70. La création du SNPPsy a d’ailleurs, de fait, constitué l’institutionnalisation d’un segment des praticiens de la psychothérapie fondé sur l’orientation psychothérapeutique, celle de la psychologie humaniste. Les principales méthodes étaient alors la bio-énergie et l’analyse psycho-organique, ainsi que la gestalthérapie. Cette segmentation s’est continuée après 1981. Les « psychothérapeutes » pratiquant des méthodes humanistes antérieures au mouvement du Potentiel humain, méthodes qui avaient d’ailleurs été une composante du creuset duquel avait émergé le Potentiel humain, ont rejoint ce segment des psychothérapeutes regroupé dans le SNPpsy : il en est ainsi des praticiens de « l’approche centrée sur la personne » (de Rogers), courant psychologique et psychothérapeutique resté toujours très vivant. Ultérieurement, ont également rejoint ces associations, et plus précisément la plus importante d’entre elles, la Fédération française de psychothérapie5, des praticiens de méthodes variées, des écoles de PNL (programmation neurolinguistique) ou d’hypnose. Très divers, ils partagent généralement l’idée qu’une psychothérapie a une dimension spirituelle plus ou moins marquée.
Cette configuration de la psychothérapie est l’une des deux motivations essentielles qui incitent les candidats au métier de psychothérapeute à choisir de se former dans les instituts privés fondés par les « psychothérapeutes », plutôt qu’à l’Université où les méthodes humanistes ne sont pas enseignées. La seconde raison, sans doute plus décisive, qui a amené les futurs « psychothérapeutes » à contourner le cursus de psychologie dispensé par l’Université est que celui-ci n’offre pas de formation spécifique à l’exercice de la psychothérapie. Les aspirants psychothérapeutes veulent d’autant plus faire l’économie de la formation universitaire en psychologie qu’ils ne sont pas de jeunes étudiants, mais des adultes opérant une reconversion professionnelle après une maturation professionnelle souvent longue, s’étant précisée le plus souvent vers l’âge de 40 ans. C’est ainsi que seulement environ 5 % des « psychothérapeutes » ont moins de 40 ans, alors qu’environ les deux tiers ont plus de 50 ans.
L’exercice de la psychothérapie correspond donc pour ces « psychothérapeutes » à un second métier, le premier relevant du secteur paramédical (infirmière, kinésithérapeute), du travail social et de l’éducation spécialisée, de l’éducation et du socioculturel, ou encore de la formation en relations humaines. Dans l’exercice de leur premier métier, beaucoup d’entre eux avaient des responsabilités : devenir psychothérapeute s’inscrit le plus souvent dans la continuité d’un parcours de mobilité. Parcours de mobilité plus précisément féminin, puisque les premiers métiers des « psychothérapeutes » sont, pour la plupart, des métiers de femmes et que l’exercice de la psychothérapie l’est aussi : les femmes représentent ainsi entre 2/3 et 3/4 des « psychothérapeutes ».
De ce point de vue, les « psychothérapeutes » ne se distinguent guère des psychologues. Ils/elles s’en distinguent, en revanche, par l’âge - il y a de jeunes psychologues - et par le niveau et surtout le type de formation générale : celle-ci correspond le plus fréquemment à un niveau bac + 2 ou + 3, mais ces études post-bac ont généralement été effectuées, partiellement au moins, hors de l’Université, dans des écoles professionnelles (d’infirmières, d’éducateurs/trices). Cette formation de base est jugée insuffisante par les détracteurs des « psychothérapeutes », mais ceux-ci rétorquent que l’expérience professionnelle acquise dans un premier métier est d’une qualité au moins égale à une formation générale de type académique.
Au début des années 2000, il avait pu sembler que les « psychothérapeutes » avaient réussi à ouvrir un vrai débat sur la question de la formation à l’exercice de la psychothérapie : formation générale de base, formation en psychopathologie et formation spécifique à la psychothérapie. Or, encore dans l’amendement visant à réglementer l’exercice de la psychothérapie voté en première lecture à l’Assemblée nationale en octobre 2003, « l’Amendement Accoyer », il n’est aucunement question de la formation. La loi promulguée évoque, elle, une formation en « psychopathologie clinique », sans que les longs et vifs débats qui ont précédé cette loi aient vraiment débattu de ce que devrait être la formation des psychothérapeutes, notamment sans envisager une quelconque formation spécifique à la psychothérapie ; on peut en outre noter, que la loi dispense6 de la formation en psychopathologie clinique non seulement les psychiatres, les psychologues et les psychanalystes, mais également les médecins. Au cours des presque trois années de débats depuis l’Amendement Accoyer - car tant que le décret d’application de la loi n’est pas promulgué ceux-ci se poursuivent - les « psychothérapeutes » ont gagné une certaine reconnaissance sociale, étant par exemple, eux aussi, invités par le Ministère de la Santé aux discussions sur les avant-projets de décret. Mais au final, à considérer la dernière version du projet de décret sortie le 2 octobre 2006, ils ne pourront plus utiliser le titre de psychothérapeute, titre que, parmi les divers professionnels pratiquant des psychothérapies, ils étaient les seuls à revendiquer.