Conduites addictives chez les adolescents :
Usages, prévention et accompagnement

2014


Introduction

Si l’adolescence s’accompagne de nombreux changements physiologiques et physiques, c’est aussi une période de maturation et d’évolution psychologique complexe, en lien avec la rupture avec l’enfance et les nombreuses interrogations vis-à-vis de la future vie d’adulte, et avec une forte signature sociale. Débutant vers l’âge de 10-11 ans chez les filles et plutôt 12-13 ans chez les garçons, l’adolescence s’achève autour de 18 ans, voire au-delà dans certaines sociétés. C’est une période au cours de laquelle l’adolescent s’affranchit progressivement du lien de dépendance à ses parents, en affirmant ses propres désirs, par la recherche de nouvelles figures d’identification, mais aussi par la recherche de nouvelles expériences associant souvent une certaine résistance aux règles établies. Dans le désir d’émancipation vis-à-vis des parents et d’intégration dans un nouveau groupe, celui des pairs, avec la recherche de leur reconnaissance, l’adolescence constitue également une phase de curiosité, de prises de risque et de défi.
Dans ce contexte, et au gré des opportunités, l’adolescence est propice à l’expérimentation de l’usage de substances psychoactives et de comportements particuliers, dont la répétition est susceptible d’entraîner un abus, voire une dépendance.
Ainsi les niveaux de consommation de certains produits chez les jeunes de 10-18 ans, tels que l’alcool, le tabac ou encore le cannabis, sont élevés, et leurs conséquences sanitaires et sociales constituent une préoccupation de premier plan en santé publique, portée notamment par les Plans gouvernementaux de lutte contre les drogues et les toxicomanies dont le Plan gouvernemental de lutte contre la drogue et les conduites addictives 2013-2017, ainsi que par le Plan Santé des jeunes. Même si, au regard de la toxicité des substances psychoactives, le positionnement des addictions comportementales fait encore débat, la pratique problématique des jeux vidéo/Internet et des jeux de hasard et d’argent constitue une préoccupation de santé publique plus récente, en particulier concernant les adolescents.
Enfin, il est important de souligner que chez les adolescents, l’ensemble des conduites addictives peuvent avoir un impact sur leur développement. Dans une période clé d’apprentissage scolaire et de découverte émotionnelle, la prise de substances psychoactives, comme la pratique problématique de jeux, peuvent entraver le parcours de vie et constituer un handicap ou une « perte de chance » pour l’avenir.

Définitions des termes caractérisant les niveaux de consommations et les pratiques

En préambule à la présentation des données de consommation de substances psychoactives et de pratique des jeux (jeux vidéo/Internet, jeux de hasard et d’argent), il paraît utile de rappeler les termes qui, en référence aux critères des classifications internationales, sont habituellement utilisés en France pour caractériser les consommations selon leurs conséquences avérées ou supposées. Cependant, ces définitions ne sont pas toujours parfaitement adaptées à la conduite des adolescents vis-à-vis des différentes substances. Par ailleurs, il faut souligner le manque de connaissances et, de ce fait, de consensus actuel sur l’addiction aux jeux vidéo/Internet. De plus, la pratique des jeux de hasard et d’argent, interdite aux mineurs en France, est encore trop peu documentée pour aboutir à des définitions pérennes.

Substances psychoactives

Concernant les substances psychoactives, les termes utilisés pour caractériser les niveaux de consommations sont les suivants :
• usage à risque (mise en danger) : dans certaines circonstances ou situations, une consommation est susceptible d’entraîner des dommages. L’usage à risque peut être une première étape vers l’abus et la dépendance. On peut répartir ces usages à risque en deux catégories : 1) le risque situationnel (grossesse ; conduite automobile, de deux-roues, ou de machines) ; 2) le risque quantitatif associé à une consommation au-delà de certaines quantités ;
• abus (DSM-IV) ou usage nocif (CIM-10) (cf. annexe 2)
- abus : mode d’utilisation d’une substance conduisant à une altération du fonctionnement ou à une souffrance cliniquement significative, caractérisée par la présence d’au moins une manifestation parmi les quatre proposées1 , au cours d’une période de 12 mois. Les symptômes n’atteignent pas les critères de la dépendance ;
- usage nocif : mode de consommation d’une substance psychoactive qui est préjudiciable à la santé. Les complications peuvent être physiques, psychiques et sociales. Cet état est réversible ;
• dépendance : ce terme correspond au terme anglais « dependence » tel qu’il est défini selon les critères des classifications internationales ;
• addiction : selon les mêmes classifications, ce terme recouvre généralement celui de dépendance, mais ce point demeure discuté, certains utilisant le terme « addiction » pour recouvrir abus/usage nocif et dépendance2 . Pour certains auteurs, l’addiction se caractérise par l’impossibilité répétée de contrôler un comportement et la poursuite de ce comportement en dépit de la connaissance de ses conséquences.
La CIM et le DSM sont les deux références nosographiques dans le domaine mais malgré une convergence des concepts lors des dernières révisions, il reste des écarts entre les deux et le choix de l’un ou l’autre modèle reste un enjeu. Le DSM, qui n’est pas exempt de critiques (indifférence au genre des usagers, absence de fréquence d’usage…), reste sans doute le plus utilisé dans le domaine des addictions. Le DSM-5 a renoncé aux diagnostics d’abus et de dépendance pour ne plus considérer qu’un continuum de sévérité des troubles et a substitué un critère de craving3 à celui de « problèmes avec la justice » ; cette évolution reflète en partie les limites de la version précédente. Rappelons également qu’il est nécessaire de convertir les critères de la CIM et du DSM en questions pour les rendre utilisables dans les enquêtes, notamment pour dénombrer les usagers.
La nature des effets induits par l’usage ou l’abus de substances psychoactives est d’une telle variété qu’il est difficile d’en proposer une typologie. De nombreuses substances psychoactives sont susceptibles de procurer du plaisir, d’entraîner une dépendance psychique, et toutes sont potentiellement dangereuses. Toutefois, il est bien établi que les différentes substances psychoactives n’ont pas le même pouvoir addictogène. Certains auteurs distinguent ainsi trois groupes de substances : l’héroïne (et les opiacés), la cocaïne, le tabac (en particulier la nicotine) et l’alcool dans un groupe à fort potentiel addictif ; les psychostimulants (amphétamines et dérivés), les hallucinogènes et les benzodiazépines avec un potentiel addictif faible à moyen terme ; et le cannabis avec un potentiel addictif réel mais plus faible en fréquence.

Jeux vidéo/Internet et jeux de hasard et d’argent

Concernant les addictions comportementales, différents stades se succèdent dans le parcours addictif :
• en matière de pratique des jeux de hasard et d’argent, on parle de pratique sociale ou récréative (c’est-à-dire d’usage simple), de pratique à risque ou problématique (c’est-à-dire d’abus) et de jeu pathologique ou excessif (c’est-à-dire de dépendance) ;
• le DSM-IV propose une définition du jeu pathologique reposant sur une liste de 10 critères diagnostiques. On parle de jeu à risque si 3-4 critères sont présents et de jeu pathologique si 5 critères sont présents. La 5e version du DSM a rangé ce trouble dans la nouvelle catégorie « Addictions et troubles associés », au même titre que les troubles liés à l’usage de substances psychoactives ;
• concernant les jeux vidéo/Internet, les critères d’addiction sont en discussion mais un consensus semble émerger sur l’usage problématique avec des critères qui intègrent l’isolement, la perte de contrôle et les conflits avec l’entourage. L’adolescent ressent rarement de la souffrance, à l’inverse de son entourage.

Points communs et différences entre les conduites addictives avec ou sans substance

Si les addictions aux substances psychoactives et les addictions comportementales partagent de nombreux points communs, de telle sorte que les professionnels de santé les envisagent de plus en plus de façon globale et transversale, elles se différencient aussi notablement.
Parmi les points communs, figurent :
• l’apparition et le maintien du trouble en raison de l’interaction de nombreux facteurs de risque communs, propres tant à l’individu qu’à son environnement ;
• la fréquence des polyconsommations ou la présence de plusieurs conduites addictives ;
• la perte de contrôle après une période plus ou moins longue d’usage répété de la substance psychoactive ou de pratique des jeux ou d’Internet ;
• la poursuite de l’usage (ou de la pratique) malgré l’apparition des dommages qui s’additionnent, avec des conséquences néfastes sur les plans personnel, familial, social et professionnel ;
• les parentés en termes de réponse, tant préventive que thérapeutique.
S’agissant des différences, il faut souligner que :
• la dangerosité n’est pas la même : la simple expérimentation de certaines substances peut être dangereuse, voire mortelle dans certaines situations. L’intoxication aiguë à certaines substances est liée à davantage de comportements de prise de risque (conduite sous l’emprise de substances et accidents de la voie publique, rixes, agressions physiques, rapports sexuels non protégés…). Les dommages somatiques ou neuro-cognitifs peuvent être redoutables avec les addictions aux substances psychoactives alors qu’ils sont très rares avec les addictions comportementales ;
• les représentations sociales sont à géométrie variable selon les types de comportement.

→ Aller vers ANALYSE→ Aller vers SYNTHESE
Copyright © 2014 Inserm