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Med Sci (Paris). 2007 January; 23(1): 15–17.
Published online 2007 January 15. doi: 10.1051/medsci/200723115.

Calcium et olfaction chez un insecte modèle : du marqueur d’activité à l’acteur de plasticité

Jean-Christophe Sandoz,* Valérie Raymond-Delpech, Nina Deisig, Monique Gauthier, and Martin Giurfa

GDR 2688, Centre de Recherches sur la Cognition Animale, CNRS UMR 5169, Université Paul Sabatier, 118, route de Narbonne, 31062 Toulouse Cedex 04, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Calcium, Insectes, Modèles animaux, Modèles biologiques, Plasticité neuronale, Odorat

 

Jusqu’à ces dernières années, le fonctionnement du système nerveux olfactif était mal connu. Les données anatomiques montraient une remarquable conservation des circuits nerveux olfactifs des invertébrés aux vertébrés. Ainsi, le premier relais nerveux olfactif, le bulbe olfactif des vertébrés ou le lobe antennaire des insectes, présente une organisation très semblable en sous-unités anatomiques, les glomérules [ 1]. Leur nombre, allant d’une quarantaine chez la drosophile à plusieurs milliers chez les mammifères, correspond à peu près au nombre de récepteurs membranaires aux odeurs potentiellement exprimés dans chaque espèce. Enfin, il avait été montré, chez le rat en particulier, que les neurones sensoriels olfactifs exprimant un type donné de récepteur membranaire aux odeurs se projettent dans le même glomérule [ 2]. On suspectait donc que les glomérules sont à la base de la représentation nerveuse des odeurs mais encore fallait-il le démontrer. Le développement des techniques d’imagerie fonctionnelle a fourni les moyens de le faire [ 3], bien que nombre de ces techniques (2 désoxyglucose radioactif, c-fos) ne permettaient pas de marquages chez l’animal vivant. C’est donc grâce à l’imagerie calcique, et aux sondes fluorescentes permettant de révéler des variations fines de concentration du Ca2+ intracellulaire dans le cerveau in vivo, que ce champ de la neurobiologie a véritablement pu se développer. C’est aussi, de manière inattendue, chez un invertébré, l’abeille domestique, que cet exploit a été réalisé pour la première fois [ 4]. Cette espèce au cerveau simple (Figure 1A-B, 10−3 cm3 et 106 neurones contre 1 400 cm3 et 1011 neurones pour l´homme) mais néanmoins capable d’exploits cognitifs étonnants, est un modèle phare dans l’étude des bases nerveuses de la perception et de l’apprentissage olfactifs [ 5].

Ca2+ marqueur d’activité

Au cours d’une expérience d’imagerie calcique in vivo, l’abeille entière est placée dans une chambre d’enregistrement. La cuticule (non innervée) de sa tête est découpée et le cerveau est découvert. Une sonde fluorescente calcique qui a la propriété de pénétrer dans les cellules (Ca2+ Green-2AM) est déposée en bain sur le cerveau. Après marquage, la présentation d’une odeur induit une augmentation topique de fluorescence dans le lobe antennaire, au niveau de zones sphériques de 30-50 μm de diamètre (Figure 1C). Des marquages anatomiques montrent que l’activité nerveuse ainsi révélée est localisée au sein des glomérules. Cette technique a permis de démontrer que les odeurs induisent des motifs d´activation glomérulaire spécifiques : à chaque odeur correspond une combinaison particulière de glomérules [4]. Ces motifs d’activité sont reproductibles non seulement chez un même individu, mais aussi d’un individu à l’autre. La morphologie du lobe antennaire étant particulièrement bien conservée, on peut reconnaître chaque glomérule par sa localisation, sa taille ou sa forme chez des individus différents. Il a donc été possible de cartographier systématiquement les réponses des glomérules à de nombreuses odeurs classées en fonction de leur formule chimique (fonction aldéhyde, alcool ou cétone, longueur de la chaîne aliphatique) [ 6]. Ainsi, une similitude de structure chimique entre odeurs se traduit par une superposition des motifs d’activité glomérulaire. Il semble donc qu’on ait réussi à décrypter une partie du «code olfactif» dans le cerveau de l’abeille. Il subsistait cependant une question importante : à quel point les phénomènes physiologiques enregistrés grâce à l’imagerie calcique correspondent-ils aux «sensations» olfactives de l’abeille ? Pour répondre à cette question, nous avons réalisé une expérience d’apprentissage olfactif dont le but était d’établir les critères de similarité entre odeurs au niveau perceptuel [ 7]. Au laboratoire (Figure 1A), les abeilles peuvent apprendre à associer une odeur à un renforcement alimentaire, au cours du conditionnement de l´extension du proboscis (trompe). Cette réponse réflexe est déclenchée normalement par la stimulation des antennes avec de l’eau sucrée. Pour conditionner cette réponse, on présente une odeur (stimulus conditionnel) juste avant le renforcement sucré (stimulus inconditionnel). Après apprentissage, l’odeur apprise, présentée seule, déclenchera l´extension du proboscis. De même, une autre odeur perçue par l’abeille comme similaire à l’odeur apprise, pourra déclencher une réponse, dite de généralisation. Nous avons ainsi mesuré les réponses de généralisation de plus de 2 000 abeilles mesurant ainsi la similitude perceptuelle parmi 120 paires d’odeurs. La forte corrélation obtenue entre les données comportementales et les données d’imagerie calcique a ainsi prouvé que deux odeurs induisant des motifs d’activation glomérulaire similaires dans le cerveau sont traitées comme similaires par les abeilles dans leur comportement. On a donc bien accès, grâce à l’imagerie calcique in vivo, à une partie du « code olfactif ».

Ca2+ acteur de plasticité

Le lobe antennaire est une des structures cérébrales impliquées dans la formation de la mémoire olfactive. Des travaux d’imagerie calcique ont montré une plasticité des signaux glomérulaires [ 8, 9]. Une de ces études a ainsi comparé les signaux calciques obtenus avant et après un apprentissage olfactif dans lequel une odeur A est récompensée et une odeur B ne l’est pas [8]. Quelques minutes après l’apprentissage, les signaux calciques induits par l’odeur A étaient significativement augmentés, ce qui n’était pas le cas pour l’odeur B. L’importance du Ca2+ comme acteur précoce dans les phénomènes de plasticité synaptique est bien admise. Il peut agir aussi bien au niveau pré- que post-synaptique, et provenir du milieu extracellulaire ou des réserves intracellulaires [ 10]. Chez les insectes, la formation d’une mémoire olfactive à long terme, dépendante comme chez les vertébrés de la synthèse de nouvelles protéines, peut être induite par une stimulation calcique. Ainsi, chez le grillon, un traitement induisant une augmentation intracellulaire de Ca2+, associé à une seule association odeur-récompense (qui ne produit normalement qu’une mémoire à court terme) est suffisant pour produire une mémoire à long terme [ 11].

La connaissance de l’origine des flux calciques révélés par l’imagerie in vivo dans le lobe antennaire [4, 6, 8, 9] est déterminante pour comprendre les phénomènes de perception et d’apprentissage olfactifs. Au sein des glomérules, différents types neuronaux s’associent en réseau. Les neurones sensoriels olfactifs (~60 000) se connectent avec des neurones de deuxième ordre, les neurones de projection (~800), qui transmettent l´information traitée dans le lobe antennaire vers les centres nerveux supérieurs (Figure 1B). Dans les glomérules, des neurones inhibiteurs locaux (~4 000) se connectent avec les deux autres types cellulaires. De nombreux éléments indiquent que les neurones sensoriels et neurones de projection sont cholinergiques. C’est pourquoi l’acétylcholine (ACh) est présentée comme le neurotransmetteur de la voie nerveuse olfactive. De plus, si l’on bloque la transmission liée à l’ACh à l’aide d’agents pharmacologiques, on observe des troubles de l’apprentissage et de la mémoire olfactive qui indiquent que des récepteurs nicotiniques et muscariniques sont présents, et sont impliqués dans des processus mnésiques différents [ 12]. Les récepteurs ionotropes nicotiniques (AChRn) sont perméables aux cations et induisent une entrée de Ca2+, soit par le canal ionique, soit du fait de la dépolarisation. Les récepteurs métabotropes muscariniques (AChRm) entraînent l’activation de cascades intracellulaires pouvant conduire à la mobilisation des stocks calciques intracellulaires. On pense que les deux types de récepteurs sont présents dans le lobe antennaire. En particulier, des ARN messagers codant pour des sous-unités entrant dans la composition de différents types de récepteurs nicotiniques ont été révélés par hybridation in situ dans les cellules du lobe antennaire [ 13]. Lors de la formation de la mémoire à long terme, le Ca2+ libéré par les deux voies citées plus haut, peut agir soit directement sur les facteurs de transcription (par exemple, facteurs DREAM), soit de manière indirecte (par exemple, facteurs CREB), par l’intermédiaire des protéines liant le Ca2+ (calmodulines) et d’autres acteurs intermédiaires. Chez l’abeille, le monoxyde d’azote (NO), l’AMPc et la PKA sont tous impliqués dans la formation de la mémoire olfactive à long terme [ 14]. Les travaux ultérieurs devront expliquer comment la signalisation calcique au sein des glomérules donne lieu à une mémoire stable et spécifique de l’odeur apprise (donc liée au motif d’activité glomérulaire) et quels sont les gènes dépendant du Ca2+ qui sont alors exprimés. Le développement de méthodes permettant d’imager sélectivement les différentes populations neuronales du lobe, ou de révéler in vivo les flux des autres acteurs de la plasticité (NO, AMPc, etc.) seront des étapes importantes. Enfin, la relation existant entre les processus mnésiques ayant lieu dans le lobe antennaire et ceux impliquant les centres cérébraux supérieurs, sera aussi analysée.

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