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Med Sci (Paris). 2007 January; 23(1): 64–66.
Published online 2007 January 15. doi: 10.1051/medsci/200723164.

Rôle du Ca2+ dans la propriété de type pacemaker des motoneurones spinaux

Magali Grob and Pierre A. Guertin*

Département d’anatomie et de physiologie, Université Laval, Centre Hospitalier de l’Université Laval, Unité de Neuroscience RC-98002705, boulevard Laurier, Québec G1V 4G2, Canada
Corresponding author.
 

De façon générale, les divers modes de locomotion chez le vertébré (marche, nage, vol) résultent de signaux qui sont codés dans la moelle épinière et transmis aux muscles de façon rythmique et séquentielle. Plus précisément chez le mammifère, ce codage d’informations effectué en majeure partie à hauteur des segments lombaires de la moelle épinière, est normalement influencé par des informations synaptiques d’origine supraspinale et sensorielle. Toutefois, il a été clairement montré qu’en l’absence de ces informations (animal spinalisé et dé-afférenté), ce réseau spinal nommé « centre générateur de rythmes locomoteurs » ou CPG, est capable de soutenir l’émergence d’une activité locomotrice de base [ 1]. Cette observation a permis de démontrer que le CPG constitue un « centre de contrôle » déterminant puisqu’il est générateur des patrons et des rythmes fondamentaux sous-jacents à la locomotion.

La plupart des détails de l’aspect rythmique de la locomotion sont encore inconnus, sans doute parce que l’identification et l’enregistrement de neurones du CPG à l’échelle cellulaire demeurent difficiles. En revanche, l’enregistrement de certains neurones de la région lombaire, tels que les motoneurones qui, eux, sont facilement identifiables, a permis de caractériser l’existence d’une propriété cellulaire rythmique de type pacemaker, similaire à celle retrouvée, par exemple, tant au sein des cellules cardiaques que des neurones cortico-thalamiques (pour revues, voir [ 2, 3]). En effet, en réponse à certains neurotransmetteurs et ligands, les motoneurones innervant les muscles des membres postérieurs, peuvent produire une certaine activité rythmique. Celle-ci est intrinsèque car elle est soutenue par des oscillations continues du voltage membranaire persistant même en l’absence de signaux synaptiques (en présence de tétrodotoxine ou TTX, bloqueur sélectif des canaux sodique, lors d’études in vitro). Il a été postulé que cette propriété cellulaire rythmique, au caractère conditionnel, participerait à l’ajustement final du codage de la durée et de l’intensité des signaux envoyés par les motoneurones jusqu’aux muscles pendant la locomotion [3].

Cet article porte sur les mécanismes ioniques qui sont en jeu dans l’expression de la propriété de type pacemaker que l’on retrouve dans les motoneurones spinaux des segments lombaires. Il convient de remarquer tout d’abord que plusieurs des mécanismes et courants ioniques (Mg2+, INaP, IKCa, Ih…) associés à cette propriété ont été identifiés chez différentes espèces [3, 4], mais ceux faisant état du rôle du Ca2+ ont reçu moins d’attention, malgré l’importance de cet ion pourtant largement démontrée dans l’origine de la rythmicité des neurones corticaux et thalamique [2]. Ainsi, cet article constitue l’occasion de rassembler des données, dont certaines sont récentes, qui permettent de mieux comprendre le rôle complexe et déterminant des ions Ca2+ dans l’expression de cette propriété neuronale singulière qui a pour siège la moelle épinière. Toutefois, nous ne ferons référence qu’aux oscillations membranaires, ainsi l’intervention des plateaux calciques, autre propriété cellulaire conditionnelle et intrinsèque importante des motoneurones spinaux, ne sera pas discutée ici, tout d’abord par souci de concision et puis parce qu’ils interviennent de façon primordiale dans l’activité tonique plutôt que rythmique [3].

Récepteurs et canaux transmembranaires

De nombreuses équipes de recherche ont observé dans plusieurs classes de vertébrés (lamproie, tortue, grenouille, rat, etc.), que des oscillations intrinsèques du voltage membranaire surviennent en présence, par exemple, de muscarine, de N-méthyl-D-aspartate (NMDA) et/ou de sérotonine (5-HT) [48]. Grâce à des préparations in vitro issues de ces vertébrés, on a établi que ces oscillations du voltage membranaire exigent l’activation du récepteur-canal NMDA (ionophore) et exploitent tout particulièrement les aspects non-linéaires et la dépendance au voltage de ce canal [48]. L’entrée de Ca2+ via cet ionophore a longtemps été perçue comme nécessaire dans le déclenchement subséquent d’autres courants comme celui provoqué par des ions potassiques dépendants du Ca2+ (KCa), sensibles à l’apamine, en action durant la phase de repolarisation des oscillations [ 5]. Toutefois, un rôle plus complexe du Ca2+ dans l’expression de ces oscillations a été révélé par un blocage partiel ou complet de celles-ci, en substituant le Ca2+ par des ions barium (Ba2+) dans la solution extracellulaire du bain d’enregistrement [ 9]. Dans le même sens, l’ajout d’ions cobalt (Co2+) bloquant plusieurs conductances calciques s’est révélé comme affectant grandement l’expression des oscillations induites par le NMDA [ 6].

Ce n’est qu’en 1995 que fut clairement démontré le rôle du Ca2+ dans l’expression des oscillations. En effet, l’utilisation de la microscopie confocale à fluorescence a permis de révéler l’existence de fluctuations des concentrations de Ca2+ intracellulaire ([Ca2+]i) coïncidant avec la phase dépolarisante des oscillations induites par le NMDA [ 10]. Des études in vitro réalisées chez la tortue ont les premières démontré clairement la fonction d’autres sous-types de canaux calciques comme voies d’entrée du Ca2+. Par suite de l’application de TTX afin d’isoler des réponses intracellulaires intrinsèques des motoneurones, il a été montré que pour des concentrations de NMDA se situant entre 15 μM et 60 μM, les oscillations intrinsèques enregistrées dépendent non seulement d’une activation de l’ionophore NMDA [ 11] mais aussi du canal calcique de type L (CaV1.3) [ 12]. En effet, l’ajout de nifédipine, un antagoniste particulier au canal CaV1.3, au bain d’enregistrement permet l’abolition complète des oscillations de la même façon que l’ajout d’aminophosphonovalerate (APV) ou de Mg2+, qui respectivement bloquent le récepteur et l’ionophore NMDA [12]. Un rôle déterminant du canal CaV1.3 fut remarqué également en étudiant les oscillations induites par d’autres ligands que le NMDA. En effet, lors d’oscillations induites en présence de muscarine, le blocage sélectif du canal CaV1.3 permet l’abolition complète des oscillations tandis que le blocage de l’ionophore NMDA reste, quant à lui, sans conséquence sur la propriété autorythmique [ 13]. À l’inverse, étudiées en culture, les oscillations motoneuronales se sont avérées dépendantes du complexe NMDA mais insensibles à une activation ou à un blocage de récepteurs métabotropiques et du canal CaV1.3. En effet, grâce à une préparation organotypique maintenue plusieurs semaines en culture, on a montré que des oscillations de hautes fréquences peuvent être induites par le NMDA et non par la muscarine ou la 5-HT, agissant alors par l’intermédiaire de récepteurs métabotropiques [ 14]. Contrairement aux oscillations induites normalement, les oscillations motoneuronales en culture sont restées insensibles à la nifédipine ou au BayK-8644 (agoniste sélectif du canal CaV1.3), mais disparaissent en présence d’APV ou devant de fortes concentration de Mg2+ : cette situation suggère une certaine « régulation fonctionnelle à la baisse » du canal CaV1.3 en culture, compensée par une « régulation à la hausse » de l’ionophore NMDA [14]. Dans d’autres modèles expérimentaux en culture, il a d’ailleurs été postulé que de tels changements pourraient résulter d’une augmentation soit du nombre de récepteurs-canaux NMDA, soit de la conductance de l’ionophore [ 15].

Implications de mécanismes intracellulaires

On ne dispose guère de détails au sujet des mécanismes où entre en jeu le [Ca2+], ni l’origine du Ca2+, ni ce qui touche l’amorce des oscillations motoneuronales. L’application de ryanodine et de caféine qui, par suite d’une interactions avec les récepteurs de la ryanodine (RyR), inhibe ou favorise la libération de Ca2+ depuis les réserves du réticulum endoplasmique (RE), mène à un dérèglement ou à une disparition de l’activité rythmique induite par la muscarine en présence de TTX [6]. Ces expériences ont fourni les premières preuves d’un rôle potentiel du [Ca2+]i provenant des réserves intracellulaires dans l’expression d’oscillations motoneuronales. Par ailleurs, des expériences récentes réalisées chez le chat ont démontré qu’une très faible dose de ryanodine agissant alors exceptionnellement comme agoniste des RyR et favorisant une libération de Ca2+ depuis les réserves intracellulaires, était grandement en cause dans l’activité rythmique de neurones bulbaires nécessaires à la respiration [ 16]. Il est également intéressant de noter que des observations récentes attestent que les RyR, de même que les récepteurs de l’inositol triphosphate (IP3R), participent à la formation de potentiels de plateaux (avec le concours du canal CaV1.3) dans les motoneurones spinaux [ 17]. En outre, il a été établi qu’il existe un lien entre l’activation des récepteurs mGluR1 ou muscariniques et la genèse de plateaux de potentiel dans les motoneurones de moelle épinière de tortue ; genèse qui dépend de la [Ca2+]i et de la calmoduline, puisqu’elle est réduite ou bloquée par l’addition de BAPTA ou d’un bloqueur de la calmoduline [ 18]. Enfin, un couplage entre les récepteurs mGluR1 et les RyR a été révélé dans les cellules granulaires où l’activation des récepteurs mGluR1 induisant un courant Ba2+ de type L, indépendamment de la voie IP3, peut être mimé par la caféine mais bloqué par la ryanodine (pour revue, voir [ 19]). Ainsi, tous ces résultats révèlent la grande diversité des voies de signalisations intracellulaires liées au Ca2+ et susceptibles d’être utilisées par divers protagonistes (mGluR1, ionophore NMDA, RyR, IP3R, CaV1.3, calmoduline, etc.) dans l’instauration de la rythmicité. Cela suggère que plusieurs autres voies de signalisation sont encore à découvrir et que l’étude en profondeur de ces mécanismes intracellulaires liés au Ca2+ présente un intérêt et un défi tout particulier pour les recherches à venir portant sur la propriété pacemaker des neurones de la moelle épinière. Ces recherches pourraient mener au développement de nouvelles approches thérapeutique visant l’induction de mouvements locomoteurs chez des patients victimes d’une lésion de la moelle épinière [ 20].

 
Footnotes

Article reçu le 11 août 2006, accepté le 18 octobre 2006.

References
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