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Med Sci (Paris). 2007 January; 23(1): 99–101.
Published online 2007 January 15. doi: 10.1051/medsci/200723199.

Les maladies émergentes en Birmanie

Dominique Labie*

Département de génétique, développement et pathologie moléculaire, Institut Cochin, 24, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Syndrome d'immunodéficience acquise, Animaux, Oiseaux, Humains, Incidence, Infection, Grippe chez les oiseaux, Paludisme, Myanmar, Tuberculose

 

La tuberculose, le Sida et le paludisme sont, on le sait, des causes majeures de mortalité dans le monde. Les proportions les plus élevées s’observent en Afrique subsaharienne, mais, en valeur absolue, la démographie de l’Asie du Sud-Est est telle qu’on en voit encore davantage dans cette partie du monde. Des progrès, quoique inégaux, ont cependant été constatés ces dernières années dans plusieurs pays. Ils sont incontestables au Sri Lanka, mais aussi au Cambodge, au Vietnam, et même au Pakistan, ainsi que dans le pays le plus pauvre du monde qu’est le Bangladesh. En Inde, dont la population dépasse le milliard d’habitants, et où existe une très grande inégalité socio-économique, une structure a été créée (India’s National Rural Health Mission, NRHM) dont la finalité est de faire accéder des masses rurales déshéritées à un système de santé qui peut être performant [ 1]. La Birmanie (Myanmar) avait été englobée en 2004 dans les projets du Global Fund, et avait reçu, à l’effet de combattre les trois pandémies, près de 100 millions de dollars US sur cinq ans [ 2]. Qu’en est-il deux ans plus tard ? Un enquête de la John Hopkins School of Public Health financée par différentes sources (dont la Fondation Bill Gates), fournit quelques données impressionnantes [ 3].

En cette même année 2004, le régime militaire (SPDG, State Peace and Development Council) a été accusé de violation des droits de l’homme et un rapporteur désigné par le secrétaire général de l’ONU. Dans ces conditions, le Global Fund a demandé une surveillance particulière et des rapports écrits. En août 2005, les crédits ont été interrompus car des contraintes supplémentaires imposées par le SPDC nuisaient à leur utilisation. Une libéralisation a également été demandée par le Programme alimentaire mondial après constatation qu’un enfant sur trois était en état de malnutrition. En décembre 2005, Médecins sans Frontières était amené à quitter le pays par impossibilité d’exercice. Il en a été de même de La Croix Rouge dont la junte veut superviser toute activité. Les raisons invoquées sont toujours les mêmes : délais interminables, nécessité de permissions réitérées, limitation du temps concédé. Le SPDC a formulé en février 2006 un règlement pour les ONG et les organisations internationales, qui comporte des exigences de formalisation et de contrôle à tous les niveaux. Ces exigences, responsables de tous les retraits signalés, posent à la communauté internationale un difficile dilemme : comment répondre aux problèmes de santé qui affectent le peuple birman ? Cette réponse est d’autant plus nécessaire que les problèmes de santé en Birmanie ont des conséquences dans toute l’Asie du Sud et du Sud Est (Figure 1). Malgré une information qui reste limitée, la confrontation de différentes sources a permis d’établir certaines données concernant les trois pathologies majeures que sont la tuberculose, le VIH/Sida et le paludisme, ainsi que celles concernant le virus H5N1 dans une perspective de santé régionale. Les dépenses de santé et d’éducation sont parmi les plus faibles du monde, de l’ordre de 1 dollar US par personne et par an, et en 2000, l’OMS classait le pays 190e sur 191. À cela s’ajoutent une corruption très répandue, le désinvestissement, l’émigration des enseignants, la carence en formation de nouveaux cadres. Les mêmes raisons expliquent l’insuffisance des laboratoires.

VIH/Sida

Une estimation approximative, faite en 2003, donnait, dans la population1 adulte en âge de procréer, 3,40 % (2,72 % - 4,19 %) de sujets atteints. Il y aurait eu, en 2000, 46 000 décès par Sida. La surveillance sentinelle a été interrompue, puis rétablie en 2005. Les foyers principaux se situent à Rangoon et Mandalay. La prévalence serait de l’ordre de 6 %, la plus élevée d’Asie, mais très variable d’un site à l’autre. Elle est marquée par une grande diversité virale et la fréquence des co infections par le virus de l’hépatite C.

Tuberculose

La concentration en Birmanie est la plus élevée au monde (un cas sur trois de ceux qui sont diagnostiqués dans la région). Les 97 000 cas signalés à l’OMS sont certainement une sous-estimation, et 40 % de la population serait infectée. L’épidémiologie est étroitement liée à celle du Sida, pour lequel la tuberculose représente la pathologie opportuniste la plus fréquente. L’introduction des programmes de l’OMS (DOTS, Directly Observed Therapy, Short-Course) aurait amélioré diagnostic et prise en charge. Mais le personnel reste insuffisant, et les examens microbiologiques mettent en évidence un développement de la résistance des germes aux antibiotiques : en 2000, 33,3 % de résistance à un traitement de première ligne et 2 % de multirésistance (MDR) ; 4,2 % de MDR en 2005, qu’on retrouve de l’autre côté de la frontière avec la Thaïlande.

Paludisme

La mortalité par le paludisme en Birmanie est plus élevée que dans tous les autres pays du Sud-Est asiatique. Parmi plus de 700 000 cas signalés, environ 80 % étaient dus au Plasmodium falciparum. Dans un recensement en valeur absolue des morts par paludisme établi par l’OMS dans cette partie du monde, on a établi que 53,6 % des décès ont lieu en Birmanie, majoritairement chez des enfants de moins de 5 ans (Figure 2). Les études faites en 2003 montrent également que le risque est maximal dans les forêts des zones frontalières (50 % des cas pour une population inférieure à 25 % de la population totale en Birmanie). Les régions Chin et Karenni sont aux frontières indienne et thaï, la région Kachin est à la frontière chinoise ; c’est là que le taux de mortalité est le plus élevé. La Birmanie est devenue l’épicentre de la résistance aux médicaments usuels utilisés contre P. falciparum, surtout le long de ces frontières, les cas traités demandent actuellement des traitements combinés. Là aussi, il y a des paludismes MDR pour lesquels l’artémisine reste le dernier recours. Cette résistance s’étend rapidement du fait de traitements insuffisants ou de l’usage de produits périmés ou falsifiés.

Autres pathologies : la grippe aviaire

La préoccupation est ici régionale, et même générale. Ces difficultés d’accès, la rareté de l’infrastructure en laboratoires incitent à la prudence. Un premier épisode a été signalé en mars 2006 dans la région de Mandalay qui a entraîné la mort de 112 oiseaux. Bien que les vétérinaires aient appelé à une aide internationale, la population n’a été avertie que plusieurs jours plus tard. Puis ce sont 10 000 volatiles qui sont morts et 41 000 autres qui ont été sacrifiés. L’absence d’information du public reste un gros sujet de préoccupation.

Un problème régional, un risque sécuritaire

Dans quelle mesure la situation des grandes endémies en Birmanie influe-t-elle sur les pays voisins ? On sait, par exemple le lien qui existe entre la diffusion du VIH et l’usage, ou l’exportation, de narcotiques. Or, la Birmanie est le deuxième producteur mondial d’opium et d’héroïne, et elle accroît sa production de méthamphétamine [ 4]. Le passage transfrontalier vers la Chine (province du Yunnan), vers l’Inde (Manipur, Nagaland), et maintenant vers le Bangladesh a été documenté. Il s’accompagne d’une augmentation de la prévalence du Sida et de la consommation d’héroïne. L’exode de la population de Birmanie est aussi un élément de diffusion régionale des tuberculoses MDR. En Thaïlande, la moitié des tuberculeux ne sont pas des Thaïs, et cela compromet les capacités du pays à lutter contre l’épidémie. Il en est de même pour le paludisme : en Chine, en Inde, en Thaïlande, la diffusion des parasites MDR sape tous les efforts locaux de contrôle. Et, si les problèmes frontaliers avec la Chine, l’Inde ou la Thaïlande sont connus, ils existent certainement aussi au niveau de frontières plus poreuses avec le Bangladesh ou le Laos.

Différentes options peuvent être envisagées pour agir en Birmanie : (1) un abord par les frontières ; (2) une action éducative et informative par les médias ; (3) un effort accru des organisations internationales et des ONG. On sait que, parmi les populations déplacées aux régions frontalières, il existe un réseau mobile de travailleurs de santé indigènes (Backpack Health Workers Teams) qui procurent des soins de base. Des consultations mobiles existent également dans le pays parmi des groupes ethniques isolés, souvent à proximité des frontières, là où la prévalence des maladies est la plus élevée et le risque de contagion maximal. Une aide internationale pourrait s’appuyer sur ces structures. Malgré les restrictions apportées par les plans nationaux qui ont détérioré la situation en 2006, nombre d’organisations désirent continuer à aider la population et à répondre à la menace régionale que représente ce foyer des grandes pathologies pour toute l’Asie du Sud et du Sud-Est.

 
Acknowledgments

Toutes les valeurs chiffrées de cet article proviennent des rapports d’organisations internationales, principalement l’OMS, ou des ministères de Birmanie. Il est impossible d’en donner toutes les références. Les lecteurs intéressés les trouveront dans [3].

 
Footnotes
1 La Birmanie compte 46,9 millions d’habitants.
References
1.
Chatterjee P. India’s government aims to improve rural health. Lancet 2006; 368 : 1483–4.
2.
The Global Fund Termination of grants to Myanar. Geneva : The Global Fund, 2005. http//www.theglobalfund.org/en/media_center/press/pr_050819_factsheet.pdf (29 août 2006).
3.
Beyrer C, Suwanvanichkij V, Mullany LC, et al. Responding to AIDS, tuberculosis, malaria, and emerging infectious diseases in Burma: dilemmas of policy and practice. PloS Med 2006; 3 : 1733–40.
4.
Beyrer C, Razak MH, Jittiwutikaru J, et al. Methamphetamlne users in Northern Thailand. Changing demographics and risks for HIV and STD among treatment-seaking substance abusers. Int J STD AIDS 2004; 15 : 697–704.