On se souvient sans doute de l’affaire du « test de l’autisme », survenue il y a bientôt deux ans. Rappelons-en les éléments principaux : le 19 juillet, un communiqué de presse de l’entreprise française Integragen annonçait la commercialisation début 2006 du « premier test génétique de diagnostic de l’autisme », en s’appuyant sur une publication de son équipe de recherches [ 1], dont la conclusion était d’ailleurs assez prudente : « Nos données suggèrent que le gène PRKCB1 pourrait être impliqué dans l’étiologie de l’autisme ». Cette déclaration était critiquable à deux niveaux. Tout d’abord, elle anticipait fortement par rapport à l’article publié : quatre gènes au lieu d’un, quantification d’un risque relatif égal à 15… Et surtout, selon les chiffres même d’Integragen, ce test aurait donné 90 % de faux positifs, c’est-à-dire que sur dix enfants ayant un résultat positif à ce test, un seul serait « destiné » à être autiste1,… Il était aisé d’imaginer les problèmes causés à ceux qui seraient étiquetés à tort « pré-autistes » et les dégâts ainsi provoqués2…
Après une information assez neutre parue dans Le Monde le 20 juillet [ 2], plusieurs analyses (dont l’une parue dans Médecine/Sciences [ 3]) mettaient en cause la stratégie commerciale et médiatique d’Integragen. Il ne semble pas y avoir eu, à l’époque, de réaction publique de l’entreprise. Mais l’on apprend maintenant qu’elle attaque en diffamation Déclic, magazine associatif destiné aux parents d’enfants handicapés et édité par Handicap International. L’objet de cette action en justice est un éditorial paru dans le numéro de septembre-octobre 2006 [ 4] et intitulé « À qui profite le crime ? ». Il dénonce en termes très vifs la politique de l’entreprise et n’en donne vraiment pas une image positive, mais de là à intenter un procès et à réclamer 100 000 euros de dommages et intérêts…
Il faut certes avoir conscience de la situation des start up en biotech : petites firmes de création récente, financées par des « capitaux-risqueurs » qui (surtout en France) n’ont guère le goût du risque, elles sont souvent sur la corde raide. Elles perdent de l’argent, beaucoup d’argent, durant plusieurs années : c’est normal, cela correspond à la période de mise au point d’un procédé, d’une molécule ou d’un instrument qui, à terme, pourra rapporter gros. Mais au bout de deux ou trois ans, les investisseurs s’impatientent, exigent des résultats, et la tentation est forte d’anticiper un peu pour les satisfaire. C’est ainsi qu’aux États-Unis nombre d’essais cliniques en thérapie génique ont été lancés de façon trop hâtive - parce que c’était un milestone 3 requis pour débloquer des fonds et non en raison d’une réelle avancée des travaux. Il est probable que l’annonce d’un prochain test de l’autisme découlait, au moins en partie, d’une telle situation. Reste que ces déclarations étaient en effet prématurées : aucun nouveau résultat n’a été publié depuis (alors que la mise en évidence de quatre gènes semblait imminente), et le site Internet de l’entreprise (sur lequel les communiqués de 2005 ont opportunément disparu) indique aujourd’hui que le diagnostic de l’autisme est « en développement » et que des essais auront lieu en 2007…
Quoi qu’il en soit, la procédure judiciaire enclenchée par Integragen appelle une réaction vigoureuse. Même si l’on peut estimer que certains termes parus dans Déclic sont un peu forts, la liberté de commenter l’actualité médicale et industrielle, y compris en mettant en cause certains de ses acteurs, doit impérativement être préservée. La puissance de l’industrie est telle - on l’a vu à une autre échelle avec la propagande déployée durant des décennies par l’industrie du tabac - que tous les contrepouvoirs doivent être protégés. Si Integragen poursuit sa démarche4, il faudra que notre milieu se mobilise pour défendre la liberté de critiquer les stratégies commerciales des entreprises, parfois trop enclines à négliger les retombées sociétales de leurs actions.