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Med Sci (Paris). 2007 April; 23(4): 342–344.
Published online 2007 April 15. doi: 10.1051/medsci/2007234342.

Plaidoyer pro domo vaccino

Philippe Sansonetti1*

Unité de Pathogénie Microbienne Moléculaire, Institut Pasteur, Inserm U786, 28, rue du Docteur Roux, 75724 Paris Cedex 15, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Allergie et immunologie, Attitude, Maladies transmissibles émergentes, France, Humains, Communication interdisciplinaire, Médecine, Recherche, Personnel de recherche, Spécialisation, Vaccination

 

La vaccination sauve chaque année trois millions de vies humaines. Ce fut sans doute le succès de santé publique le plus notoire du XXe siècle. L’éradication à venir de la poliomyélite devrait économiser chaque année 1,5 milliards d’Euros utilisables pour d’autres campagnes d’un impact tout aussi spectaculaire, comme l’éradication de la rougeole qui, malgré l’existence d’un vaccin efficace, tue encore chaque année environ 500 000 jeunes enfants vivant dans des zones défavorisées. Le champ actuel de la vaccinologie est dominé par ce paradigme de la nécessité de progresser dans la mise au point et le développement de nouveaux vaccins, tout en s’assurant que l’ensemble de la population de la planète bénéficie des vaccins existants [ 1]. Ce paradigme est lisible dans l’« organigramme » de la vaccinologie à l’échelle mondiale, qui s’est constitué ces dix dernières années. On y voit d’une part une forte incitation par les organismes nationaux et internationaux à une recherche d’amont, assez ciblée sur les trois grandes maladies (Sida, tuberculose et paludisme), et d’autre part un soutien croissant à l’implémentation globale des vaccins disponibles. Des structures comme Global Alliance for Vaccine Initiative (GAVI), la Fondation Bill et Melinda Gates, les programmes « vaccins » des National Institutes of Health (NIH) et de l’Union Européenne se sont structurés autour de cette logique, nécessairement divergente, tentant de ménager innovation et implémentation de l’existant. Cela fait de la vaccinologie un champ complexe où se mêlent recherche fondamentale et ses applications, épidémiologie et surveillance des infections, en particulier émergentes, santé publique et économie, éthique et sciences humaines, en un mot une science multidisciplinaire moderne par la dimension humaine, voire humanitaire, qui en côtoie en permanence les autres composantes, même les plus fondamentales.

La vaccinologie n’est pas une science déclinante

J’insiste sur ce dernier point car pour une nouvelle génération de jeunes scientifiques plus que jamais en quête de la dimension humaine et du sens profond de sa recherche, la vaccinologie apporte cette plénitude d’un travail d’amont sans cesse confronté aux conditions et exigences de l’aval. Il est en fait peu de disciplines scientifiques où les composantes soient si évidemment intriquées et les participants, de facto, si nécessairement solidaires. Malgré cela, il me semble qu’en France le domaine du vaccin est perçu par les jeunes chercheurs comme un domaine réservé à la recherche pharmaceutique ayant seule les moyens de générer de nouveaux produits et de les mener jusqu’aux phases cliniques et de mise sur le marché, ainsi qu’à quelques chercheurs académiques se livrant avec héroïsme, voire inconscience, à un exercice consistant à produire des candidats vaccins, souvent très innovants, mais dont les chances d’aboutir sont aléatoires. Il convient aussi de dire qu’un projet académique de recherche vaccinale ne donne sans doute pas toujours lieu à des publications dans les journaux à fort impact et que cette situation n’est pas nécessairement prise en considération par les évaluations institutionnelles. D’où un manque certain d’enthousiasme, pour ne pas dire parfois un certain cynisme sur la thématique et sur la capacité d’innovation actuelle en matière vaccinale.

Et pourtant…, la vaccinologie n’est pas une science déclinante marquée par une faible créativité et la mise à disposition de peu de vaccins réellement nouveaux, comme on l’entend souvent dire dans un concert de critiques qui met d’ailleurs « dans le même panier », sans plus de réflexion, nouveaux vaccins et nouveaux anti-infectieux. Si l’on considère les quinze années écoulées, malgré certes une diminution du nombre d’industriels impliqués, une quinzaine de nouveaux vaccins a été mise à disposition, soit un nouveau vaccin par an, un rythme à comparer à celui de un nouveau vaccin tous les quatre ans pour la période 1925-1990 ! Je ne parle pas ici de modifications de vaccins existants, de variations sur un même thème, mais de véritables nouveaux vaccins contre des pathogènes pour lesquels aucun vaccin n’existait jusqu’alors [ 2].

Quelques exemples, excusez du peu

Quatre vaccins conjugués polyosidiques mono- ou multivalents : Haemophilus influenzae b, Neisseria meningitidis (conjugué méningo C et conjugué méningo ACYW), Streptococcus pneumoniae, Salmonella typhi. Élimination de la méningite à Haemophilus et de la méningite à méningocoque C, voire du portage de ces pathogènes dans la population des pays ayant systématiquement utilisé les deux vaccins correspondants, mais plus que cela, une interruption de la transmission par diminution majeure du portage, donc des outils idéaux de santé publique assurant à la fois protection individuelle et collective. Des vaccins contre l’hépatite B (recombinant), l’hépatite A, la varicelle, le rotavirus, le zona. Un vaccin récent contre HPV (human papillomavirus) qui, avec le vaccin contre l’hépatite B, représente une chance d’éradiquer deux des principaux cancers, ceux du col utérin et du foie.

Ces vaccins ont tous nécessité, à un moment clé de leur conception ou de leur développement, une intervention de la recherche fondamentale, en particulier académique. Ce fut le cas pour la conceptualisation des polyosides conjugués, en particulier la nécessité d’une protéine porteuse pour assurer l’immunogénicité chez le nourrisson et pour la biologie moléculaire dans la réalisation du vaccin contre l’hépatite B.

Pour l’avenir, des projets majeurs sont en cours [ 3], bénéficiant d’une connaissance accrue du monde microbien grâce à la génomique et à de nouvelles approches comme la « vaccinologie inverse » et l’« antigénomique » [ 4]. De nouvelles techniques vaccinales apparaissent, vaccins ADN, sans doute décevants chez l’homme, mais aussi vaccination transcutanée très prometteuse [ 5]. De nouvelles « niches » de vaccination se dégagent avec leurs logiques propres : vaccination du nourrisson, de la femme enceinte, du vieillard, des sujets immunodéprimés, des patients hospitalisés (infections nosocomiales), de ceux qui sont atteints d’infections chroniques, où se côtoient vaccination préventive et vaccination thérapeutique, bioterrorisme, sans oublier bien sûr les promesses des stratégies de vaccination et d’immunothérapie dans certains cancers.

Pour celles ou ceux qui sont intéressés, les nouveaux challenges ne manquent pas  en effet! VIH, Mycobacterium tuberculosis, Plasmodium falciparum, les « Big Three » sont l’illustration du fait maintenant accepté que les vaccins à venir devront comporter une valeur ajoutée sans précédent de science fondamentale dans trois domaines principaux : (1) la microbiologie et la physiopathologie moléculaire des infections ; (2) la réponse immunitaire, en particulier chez l’homme ; et (3) la connaissance approfondie de la réponse innée afin d’améliorer la performance des immunoadjuvants, particulièrement ceux qui stimulent la réponse T. L’importance d’autres vaccins émerge actuellement ciblant les infections entériques, les infections respiratoires aiguës de l’enfant, les infections à méningocoque de type B, à streptocoque de type B, aux arbovirus, et les fièvres hémorragiques [ 6].

Le défi des infections émergentes, et celui des infections négligées

Que dire par ailleurs du défi que va représenter dans le futur la mise au point, le développement et la distribution globale, quasiment en temps réel, d’un vaccin contre une infection émergente. SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), grippe aviaire sont des exemples actuels de situations où le besoin peut à tout instant se concrétiser, voire réellement se poser comme pour l’infection par le virus Chikungunya dans les territoires de l’Océan Indien. Au-delà de la seule problématique de la mise au point rapide d’un vaccin efficace se profile la nécessité de la réalisation télescopée d’essais cliniques adaptés permettant de définir au plus tôt des corrélats de protection et de détecter tout aussi rapidement d’éventuels effets secondaires.

Que dire enfin de la nécessité de plus en plus clairement perçue d’un engagement dans la prévention de ce qu’il est convenu maintenant d’appeler les « maladies infectieuses négligées », qui englobent, pour résumer, les infections parasitaires du tiers-monde (leishmaniose, bilharziose, trypanosomiase, filarioses, amibiase, etc.). Comment ignorer que ces pathologies participent largement, du fait de leur coût humain, au retard économique et de développement de nombreux pays, en particulier africains. Un vaccin contre la cécité sera-t-il plus « visible » qu’un vaccin contre Onchocerca volvulus ou Chlamydia trachomatis ? Ici se trouvent aussi les limites du « tout vaccin » et la nécessité de discuter, maladie par maladie, les avantages respectifs d’un vaccin s’il existait et d’une campagne de dépistage et de traitement systématique par un médicament, quand ce dernier existe. Là encore, la vaccinologie se trouve au cœur d’un extraordinaire débat de santé publique pour lequel une solide compétence est requise afin de faire les bons choix.

Un concept global multidisciplinaire de la vaccinologie

Il est clair, je l’espère, que de ce qui précède émerge un concept global de la vaccinologie qui embrasse non seulement la science fondamentale (microbiologie, immunologie, biochimie, biologie moléculaire) nécessaire à la mise au point de nouveaux vaccins, mais aussi des domaines aussi divers que : (1) l’épidémiologie dans ses aspects fondamentaux de modélisation de la dynamique des épidémies, de prévention de leur diffusion, et dans ses aspects de terrain. N’oublions pas, par exemple, qu’un vaccin dirigé contre une infection prévalente dans les pays en voie de développement nécessitera à un moment la réalisation d’essais de phase II et III dans ces pays, d’où la nécessité de la mise en place précoce d’enquêtes de terrain utilisant des outils diagnostiques sensibles, spécifiques, simples et robustes ; (2) la surveillance de l’émergence des maladies infectieuses qui fait tout autant partie de ce concept. Plus tôt une émergence sera dépistée et contenue, plus long sera le temps ménagé pour développer un vaccin dans de bonnes conditions ; (3) les essais cliniques, en particulier les phases I et II qui offrent une opportunité d’étudier chez l’homme la maladie, le vaccin, de développer des outils performants et innovants d’immunomonitorage, et d’établir des corrélats de protection et de toxicité [ 7]. Les approches classiques doivent en être revues afin d’y introduire des paramètres de suivi reposant de plus en plus sur les méthodes de la post-génomique en complément des approches immunologiques classiques ; (4) les sciences humaines, visant à mieux cerner les critères d’acceptabilité des vaccins fondés sur la perception du risque et de la gravité de la maladie, mais aussi des risques d’effets secondaires.

Visibilité de la vaccinologie en France

Il me semble que la France, malgré la présence d’un fort pôle industriel de développement de vaccins humains et vétérinaires et l’existence d’une forte tradition de recherche académique en matière de développements vaccinaux dans des institutions comme l’Institut Pasteur, n’a pas encore organisé une approche globale du concept de vaccinologie fondamentale et clinique telle qu’elle est décrite ci-dessus. La cause en est essentiellement la faible visibilité de la discipline alors qu’elle s’est récemment construite et théorisée, en particulier dans les grandes écoles de santé publique nord-américaines qui sont capables de conjuguer sur un même campus : recherche en épidémiologie, sciences humaines, microbiologie, immunologie et maladies infectieuses, développements des vaccins candidats en l’attente de partenariats industriels, y compris essais cliniques de phase I/II, voire III dans des stations-relais en régions d’endémie. Cela permet, entre autres, d’organiser autour d’une stratégie vaccinale donnée un véritable programme intégré multidisciplinaire. Il existe peu de sites en France répondant à ce concept, pas assez de collaborations inter-institutionnelles et certainement pas assez de centres d’études de vaccins à l’instar du partenariat récemment établi entre l’Institut Pasteur, l’Inserm, l’AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris) et l’Université Paris Descartes, sous la forme d’un Centre de Vaccinologie établi à l’Hôpital Cochin. Qui dit absence de visibilité dit sans doute insuffisance de l’enseignement. Il est clair que ce concept intégré doit être enseigné à nos étudiants mais que doivent à terme aussi être ménagées des capacités de formation pratique tant dans le monde de la recherche académique qu’industrielle. C’est à ce prix que nous serons capables dans le futur de former les acteurs de la « nouvelle vaccinologie ». Ce numéro thématique de Médecine/Sciences présente par touches successives et complémentaires le visage de cette « nouvelle vaccinologie ». Il illustre parfaitement la diversité et la complexité d’une discipline qui a su passer d’un empirisme éclairé à une rationalité scientifique moderne et créative.

References
1.
Nossal GIV. A healthier climate for the funding of vaccine research. Nat Immunol 2004; 5 : 457–9.
2.
Plotkin S. Vaccines: past, present and future. Nat Rev Microbiol 2005; 11 : S5–11.
3.
Palese P, Garcia-Sastre A. New directions in vaccine research. J Clin Invest 2002; 109 : 1517–8.
4.
Fraser CM, Rappuoli R. Application of microbial genomic science to advance therapeutics. Ann Rev Med 2005; 56 : 459–74.
5.
Moingeon P, de Taine C, Almond J. Delivery technologies for human vaccines. Br Med Bull 2002; 42 : 29–44.
6.
Garin N. History of vaccinations: from empiricism to recombinant vaccines. Rev Med Interne 2007; 28 : 3–8.
7.
Wralth DC, Goldman M, Lambert PH. Vaccination and auto-immune disease: what is the evidence ? Lancet 2003; 362 : 1659–66.