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Med Sci (Paris). 2007 May; 23(5): 548–549.
Published online 2007 May 15. doi: 10.1051/medsci/2007235548.

L’énigme de la mort de Napoléon est-elle nfin résolue ?

Roland Jeandel1* and Jacques Bastien2

1Service d’anatomie pathologique, Centre Hospitalier, 6-8, rue Saint-Fiacre, BP 218, 77104 Meaux Cedex, France
211, rue du Château, 77470 Monceaux-les-Meaux, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Mort, Personnes célèbres, France, Histoire du 19ème siècle, Humains, Mâle

 

C’est ce que suggère la lecture d’un article paru en janvier 2007 dans la revue Nature Clinical Practice Gastroenterology and Hepatology [ 1]. Des pathologistes ont comparé les signes cliniques présentés par Napoléon à Sainte-Hélène durant les cinq années de son exil et les constatations macroscopiques consignées dans les rapports d’autopsie du corps de l’Empereur aux données anatomo-cliniques de 135 cancers gastriques histologiquement prouvés - colligés entre 1986 et 2003 dans les archives de l’Institut de Pathologie de l’Université de Bâle. Rappelons que ces rapports d’autopsie sont au nombre de cinq : trois ont été rédigés en 1821 par Antonmarchi1, Sir Thomas Reade et le docteur Shortt, un quatrième en 1823 par le docteur Henry, et un cinquième en 1825 par Antonmarchi.

La conclusion de ce travail est que Napoléon est vraisemblablement mort des suites d’un carcinome gastrique, peut-être précédé d’un ulcère chronique pré-pylorique ayant compliqué une gastrite chronique à Helicobacter pylori.

Les auteurs précisent s’être appuyés sur tous les rapports d’autopsie, mais c’est incontestablement celui publié par Antonmarchi en 1825 qui a été privilégié. Or, il a été montré récemment dans Médecine/Sciences [ 2] et dans un ouvrage consacré au décès de Napoléon [ 3] que des paragraphes entiers de ce rapport concernant les lésions intra-abdominales sont identiques aux descriptions faites deux ans plus tôt par le Dr Rullier dans un article intitulé « Note sur un petit engorgement cancéreux de l’estomac, extrêmement circonscrit, perforé à son centre, et suivi de l’épanchement des aliments dans l’abdomen » publié en mai 1823 dans Archives Générales de Médecine. Cette note concernait un patient décédé d’une péritonite généralisée avec choc septique par perforation gastrique, pathologie différente de celle de l’Empereur.

Plagiaire, Antommarchi était aussi un faussaire, décrivant entre autres des « glandes lymphatiques […] le long des courbures de l’estomac […] en partie tuméfiées, squirrheuses, quelques-unes même en suppuration » [curieusement traduit dans Nature Clinical Practice Gastroenterology and Hepatology par«the peri-gastric lymp nodes were hardened and enlarged and some of them were necrotic»] ainsi qu’un «lobe supérieur [pulmonaire] parsemé de tubercules et de quelques petites excavations tuberculeuses», ce qu’aucun des 16 autres témoins présents à l’autopsie ne rapporta.

Dans les comptes rendus de 1821 et 1823, il n’est pas fait mention d’adénomégalies intra-abdominales et de métastases viscérales intra- ou extra-abdominales, ce qui est d’ailleurs inhabituel pour un cancer étendu aux 4/5 de l’estomac. Il est vrai qu’au début du XIXe siècle, le génie évolutif des cancers était mal connu et si aucune adénomégalie péri-gastrique n’a été décrite, c’est peut-être parce que ces ganglions n’ont pas été recherchés.

De même, les poumons sont décrits comme normaux par Henry [« les poumons étaient très sains »], par les médecins anglais [« les poumons étaient parfaitement normaux »] et par Antonmarchi en 1821 [« les poumons sont dans un état normal »]. En 1825, ce dernier nous apprend qu’il aurait finement disséqué le lobe pulmonaire supérieur et le médiastin découvrant des lésions typiques de tuberculose pulmonaire et la présence « de ganglions bronchiques et du médiastin un peu grossis, presque dégénérés et en suppuration ». Comment aurait-il pu cacher à 16 témoins la dissection de l’appareil respiratoire et la découverte de telles lésions ?

En 1970, le docteur Hillemand [ 4], qui avait étudié tous les comptes rendus s’était d’ailleurs étonné de ce supplément inattendu et avait conclu à la possibilité d’une tuberculose ancienne guérie depuis 1803. La promiscuité à Longwood2 était telle que si Napoléon avait été porteur d’une tuberculose pulmonaire excavée, il est probable que des compagnons d’exil auraient été contaminés, ce qui n’a pas été le cas.

Nous pensons que ceux que les pathologies de Napoléon à Sainte-Hélène intéressent ne doivent plus se référer au compte rendu d’Antonmarchi de 1825. Il travestit la vérité et tout ce qui y figure sans être dans au moins un des autres comptes-rendus d’autopsie est suspect de mensonges.

Même si notre intime conviction est que Napoléon est vraisemblablement mort des suites d’un ulcère géant ou d’un cancer gastrique perforé-bouché par le lobe gauche du foie, la présomption de cancer ne saurait être transformée en certitude sans examen histologique de l’estomac qui, sauf erreur de notre part, est conservé dans un récipient d’argent scellé, rempli d’« esprit de vin », déposé dans le cercueil de l’Empereur.

 
Footnotes
1 Francesco Antonmarchi : médecin personnel de Napoléon à Sainte-Hélène ayant pratiqué la nécropsie.
2 Résidence de Napoléon et de ses compagnons à Sainte-Hélène.
References
1.
Lugli A, Zlobec I, Singer G, et al. Napoleon Bonaparte’s gastric cancer: a clinicopathologic approach to staging, pathogenesis, and etiology. Nat Clin Pract Gastroenterol Hepatol 2007; 4 : 52–7.
2.
Jeandel R, Bastien B. Antonmarchi, dernier médecin de Napoléon : requiem pour un faussaire. Le compte rendu d’autopsie publié en 1825 est un plagiat ! Med Sci (Paris) 2006; 22 : 434–6.
3.
Bastien J, Jeandel R. Napoléon à Sainte-Hélène. Étude critique de ses pathologies et des causes de son décès. Paris : Le Publieur, 2005 : 220 p.
4.
Hillemand P. Pathologie de Napoléon, ses maladies, leurs conséquences. Paris: Éditions La Palatine, 1970 : 250 p.