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Med Sci (Paris). 2007 June; 23(6-7): 663–666.
Published online 2007 June 15. doi: 10.1051/medsci/20072367663.

Symbiose rhizobium/ légumineuse  : un nouveau sésame

Eric Giraud*

Laboratoire des Symbioses Tropicales et Méditerranéennes, UMR113, IRD, CIRAD, AGRO-M, INRA, UM2, TA A-82/J, Campus de Baillarguet, 34398 Montpellier Cedex 5, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Bradyrhizobium, Fabaceae, Rhizobium, Symbiose

 

Les légumineuses présentent l’énorme avantage par rapport aux autres plantes de pouvoir s’associer à des bactéries du sol communément appelées rhizobiums. Cette association aboutit à la formation d’un petit organe particulier au niveau des racines, le nodule, au sein duquel les bactéries, grâce à leur activité nitrogénase, fixent l’azote atmosphérique et transfèrent celui-ci à la plante sous une forme combinée assimilable. En contrepartie, la plante fournit les éléments nutritifs assurant le développement de la bactérie. C’est donc une véritable symbiose avec un échange bénéfique pour les 2 partenaires. Grâce à cette association symbiotique, les légumineuses participent à la revégétalisation des écosystèmes pauvres en azote, en s’établissant comme flore pionnière, initiatrice d’une succession écologique. Elles constituent par ailleurs une source d’alimentation extrêmement importante aussi bien pour l’homme (soja, pois, haricot…) que pour l’animal (trèfle, luzerne…). Si les légumineuses ont été utilisées empiriquement depuis l’Antiquité pour améliorer ou entretenir la fertilité des sols, il n’y a qu’une quinzaine d’année que le mécanisme moléculaire régissant la mise en place de cette symbiose a été découvert [ 1]. Il s’agit d’un véritable dialogue moléculaire permettant la reconnaissance entre les deux partenaires [ 2]. La plante sécrète dans le sol des flavonoïdes qui sont perçus par le rhizobium via une protéine régulatrice (NodD). Celle-ci déclenche l’expression des gènes nod (nod pour nodulation) aboutissant à la synthèse d’une molécule signal : le facteur Nod (FN). Les gènes nodA, nodB et nodC sont requis pour la synthèse du squelette de base du FN, consistant en un dérivé lipochito-oligosaccharidique. Selon la bactérie, des décorations variées sont greffées sur ce squelette (sulfate, acétate, méthyle…). La perception du FN par la plante va déclencher un enchaînement d’événements aboutissant à la formation du nodule [ 3] : (1) déformation des poils absorbants de la racine permettant d’englober la bactérie située à proximité ; (2) formation d’un cordon d’infection conduisant la bactérie jusqu’à un primordium nodulaire ; et (3) libération des bactéries par endocytose dans les cellules du primordium nodulaire. Au sein de ce primordium nodulaire, les bactéries se différencient en bactéroïdes, alors capables de convertir le N2 en NH3. Le facteur Nod agit ainsi comme un véritable sésame. Sans celui-ci, la plante maintient un système de défense lui permettant de se protéger de l’intrusion des mille et une bactéries pathogènes qui rôdent autour de ses racines.

Jusqu’à ce jour, les gènes nodABC avaient été identifiés chez l’ensemble des rhizobiums étudiés, soit plusieurs centaines de souches réparties sur le globe, ce qui suggérait un mécanisme unique de reconnaissance entre rhizobiums et légumineuses. Nos travaux, réunissant des équipes françaises (IRD, Génoscope, CEA, CIRAD, CNRS) et américaines (Universités du Minnesota et du Missouri, DOE Joint Genome Institute) montrant que certaines souches de Bradyrhizobium sont dépourvues des gènes canoniques nodABC, remettent en question l’universalité de ce mécanisme [ 4].

Plusieurs études avaient déjà souligné le caractère exceptionnel de ces bactéries, à plusieurs titres. Elles sont tout d’abord photosynthétiques, ce qui est une propriété unique chez les rhizobiums [ 5]. Elles sont par ailleurs capables d’induire la formation de nodules aussi bien sur les racines que sur les tiges de certaines légumineuses aquatiques tropicales, les Aeschynomene, conférant à ces plantes une capacité fixatrice d’azote exceptionnelle (Figure 1). Contrairement aux autres légumineuses, l’infection par la bactérie ne se fait pas par une déformation des poils absorbants mais directement au niveau des zones de blessures provoquées par l’émergence des racines secondaires ou des racines adventives présentes tout le long de la tige. Elles sont aussi retrouvées naturellement associées à une espèce de riz sauvage (Oryza breviligulata) qui cohabite dans certaines mares temporaires du Sénégal avec des espèces d’Aeschynomene [ 6]. Les bactéries qui prolifèrent à la surface du système racinaire, sans aboutir dans ce dernier cas à la formation d’un nodule, permettent cependant une augmentation de la croissance de la plante et de la production de riz.

L’analyse de la séquence complète du génome de deux de ces Bradyrhizobium photosynthétiques (ORS278 et BTAi1), publiée dans la revue Science, a révélé l’absence d’îlots ou de plasmide symbiotique contenant les gènes nod [4]. Curieusement d’autres souches de Bradyrhizobium photosynthétiques, telle que la souche ORS285, présentent quant à elles les gènes nodABC [ 7]. Ces bactéries possèdent un spectre d’hôtes plus large. En plus des espèces (Aeschynomene indica ou A. sensitiva) nodulées par ORS278 et BTAi1, elles sont capables de noduler d’autres espèces telle que A. afraspera. L’analyse des propriétés symbiotiques d’un mutant nod de la souche ORS285 montre que ce mutant a perdu sa capacité à noduler A. afraspera, mais conserve celle de noduler A. indica ou A. sensitiva. Ce dernier résultat, en accord avec l’analyse génomique, est une preuve supplémentaire indiquant que la nodulation de certaines espèces de légumineuses peut se faire selon un processus Nod-indépendant.

Comment ces Bradyrhizobium rentrent-ils en symbiose avec la légumineuse en l’absence de facteur Nod ? Pour répondre à cette question, nous avons criblé une banque de 9 500 mutants de la souche ORS278 obtenus par insertion aléatoire d’un transposon, en recherchant les clones n’induisant plus la formation de nodule. Une grande proportion des mutants ainsi sélectionnés (14 sur 27) sont affectés dans différents gènes intervenant dans la voie de biosynthèse des purines. Comme les cytokinines sont des dérivés de purine et qu’il a été montré très récemment qu’un récepteur de ces phytohormones jouait un rôle essentiel dans la nodulation chez les autres légumineuses [ 8], il est proposé qu’une cytokinine produite par la souche ORS278 déclencherait l’organogenèse du nodule chez certaines Aeschynomene.

Des études complémentaires demeurent nécessaires pour confirmer que les cytokinines constituent bien le nouveau sésame de cette symbiose. Cependant, cette découverte, démontrant une fois de plus qu’il existe toujours dans la nature une exception pour confirmer la règle, ouvre déjà de nouvelles pistes pour l’étude des interactions plante-bactérie.

References
1.
Lerouge P, Roche , Faucher C, et al. Symbiotic host-specificity of Rhizobium meliloti is determined by a sulphated and acylated glucosamine oligosaccharide signal. Nature 1990; 344 : 781–4.
2.
Parniske M, Downie JA. Locks, Keys and symbioses. Nature 2003; 245 : 569–70.
3.
Perret X, Staehelin C, Broughton WJ. Molecular basis of symbiotic promiscuity. Microbiol Mol Biol Rev 2000; 64 : 180–201.
4.
Giraud E, Moulin L, Vallenet D, et al. Legumes symbioses: absence of Nod genes in photosynthetic bradyrhizobia. Science 2007; 316 : 1307–12.
5.
Giraud E, Hannibal L, Fardoux J, et al. Effect of Bradyrhizobium photosynthesis on stem nodulation of Aeschynomene sensitiva. Proc Natl Acad Sci USA 2000; 26 : 14795–800.
6.
Chaintreuil C, Giraud E, Prin Y, et al. Photosynthetic bradyrhizobia are natural endophytes of the African wild rice Oryza breviligulata. Appl Environ Microbiol 2000; 66 : 5437–47.
7.
Giraud E, Fleischman D. Nitrogen-fixing symbiosis between photosynthetic bacteria and legumes. Photosynthesis Res 2004; 82 : 115–30.
8.
Tirichine L, Sandal N, Madsen LH, et al. A gain-of-function mutation in a cytokinin receptor triggers spontaneous root nodule organogenesis. Science 2007; 315 : 104–7.