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Med Sci (Paris). 2007 August; 23(8-9): 773–774.
Published online 2007 August 15. doi: 10.1051/medsci/20072389773.

Des économistes et des sociologues sur notre terrain…

Bertrand Jordan**

Marseille-Nice Génopole, case 901, Parc Scientifique de Luminy, 13288 Marseille Cedex 9, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Économie, France, Humains, Sciences sociales

 

Un séminaire sur « l’économie des systèmes de recherche et d’innovation dans le domaine des sciences du vivant et des biotechnologies » a récemment eu lieu au Ministère de la Recherche à Paris1,. Il s’agissait en fait du compte rendu commenté d’une douzaine de projets de recherche, financés par un programme spécifique et réalisés par des groupes d’économistes, de juristes et de sociologues. Pour un biologiste, un tel ensemble de travaux apporte un éclairage intéressant et un peu inhabituel sur les pratiques de la recherche et de l’industrie dans notre domaine, et il m’a semblé utile d’en rapporter certains aspects. Les études présentées émanaient de laboratoires comme le Centre de Gestion Scientifique de l’École des Mines de Paris, le Laboratoire d’Economie et de Sociologie du Travail (CNRS, Aix-Marseille), le Centre de Sociologie des Organisations (Sciences-Po) ou encore le Laboratoire d’Economie Appliquée de Grenoble (Inra et Université Pierre Mendès France, Grenoble), pour ne donner que quelques exemples. Elles étaient exposées par un membre de l’équipe impliquée, puis discutées de manière approfondie (et souvent critique) par un rapporteur2. Les échanges, à propos de ces thèmes qui suscitent souvent la constitution d’écoles aux conceptions tranchées, étaient nettement plus vifs que dans nos colloques de biologie où les faits parlent généralement d’eux-mêmes.

Une première session a traité des plates-formes technologiques, mode d’organisation relativement récent qui représente une part importante de l’activité des Génopoles3 et des Cancéropoles, et qui a été formalisé dans le cadre RIO (Réunion Inter-Organismes). Il m’a semblé que nos collègues sociologues et économistes avaient du mal à appréhender ces structures et à voir ce qu’elles ont apporté à nos laboratoires en termes d’accès à des techniques nouvelles nécessitant des investissements importants. Ils m’ont paru surtout sensibles à certains problèmes comme la difficulté à définir un modèle d’activité viable à la frontière entre public et privé, entre recherche et service de routine. Ils ont aussi été frappés par le faible taux d’utilisation de certaines plates-formes (sans voir que cela est souvent lié à l’insuffisance des moyens en personnel) et par le risque d’obsolescence rapide - qui est tout à fait réel. Au total, une vision partielle et un peu schématique mais qui ouvre des pistes de réflexion tout à fait pertinentes.

La session suivante traitait des trajectoires d’entreprises et du modèle start-up. Une comparaison France/États-Unis avait le mérite d’apporter un certain nombre de données chiffrées mais m’a semblé assez superficielle. En revanche, une étude fouillée du développement de la biotechnologie en Allemagne depuis 1980 et des modèles d’entreprise correspondants était très intéressante. Elle mettait notamment en évidence les changements de rythme en 1995 (augmentation très rapide du nombre d’entreprises créées) puis en 2001 (stagnation ou même décroissance, après l’éclatement de la « bulle »), et postulait une modification du modèle d’entreprise en réponse aux conditions extérieures. La table ronde sur ce sujet terminant la session s’avérait (comme souvent) une succession d’interventions certes informatives mais sans cohérence évidente.

La troisième session était consacrée aux relations science/industrie dans l’innovation biotechnologique. Elle débutait par une excellente étude portant sur le tout nouveau laboratoire I-Stem (Évry), modèle original de « biotech à but non lucratif » tentant de faire un lien direct entre recherche fondamentale et technologie industrielle dans le domaine des cellules souches. Un travail sur le rôle des brevets dans les vaccins géniques, présenté ensuite, était lui aussi tout à fait passionnant et montrait comment les brevets, à côté de leur rôle d’exclusion, peuvent aussi être des instruments de négociation et aider à la coordination de « modules » dans des secteurs composites comme celui qui était examiné4. Cette vision positive des brevets allait naturellement déclencher un débat animé… Enfin, une présentation sur les signatures d’expression en cancérologie permettait d’examiner les stratégies industrielles et les enjeux de régulation en oncogénomique.

La session finale abordait la question des banques d’échantillons, avec une analyse un peu trop descriptive du système des Centres de Ressources Biologiques et une très intéressante discussion sur le rôle des associations de patients. Celles-ci prennent souvent en charge la constitution de collections de cellules, d’ADN, de tumeurs… mais semblent assez mal armées pour gérer les droits d’accès et surtout pour maîtriser les futurs résultats des recherches menées grâce à ces collections. Dans le paysage français, l’AFM (Association Française contre les Myopathies) appréhende plutôt bien ces questions, mais nombre d’autres structures n’en ont pas les moyens ou font preuve d’une certaine ingénuité. Enfin, un travail portant principalement sur les essais cliniques étudiait le jeu complexe entre entreprises et pouvoirs publics dans ce secteur, mêlant incitations, sanctions et récompenses. La table ronde finale, mieux intégrée que la précédente, partait d’une vision industrielle de l’innovation en biotechnologie (illustrée par une intervenante de la firme Amgen et un représentant du syndicat des entreprises pharmaceutiques, le LEEM [Les Entreprises du Médicament]) pour intégrer ensuite une rapide présentation des aspect éthiques et de la stratégie gouvernementale.

Ces deux journées montrent tout l’intérêt d’une réflexion sur la nature, le fonctionnement et l’efficacité des structures que nous construisons de manière assez empirique afin de répondre aux nouveaux défis de la biologie. Il est souhaitable que plus de biologistes participent à ces travaux, d’abord pour éviter à nos collègues quelques erreurs d’interprétation, mais aussi et surtout afin de tirer parti de réflexions souvent pertinentes et qui pourraient notablement améliorer l’efficacité de nos actions.

 
Footnotes
1 « Recherche et Innovation dans le domaine des sciences du vivant : spécificités et enjeux économiques », séminaire organisé les 14 et 15 juin 2007 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Ministères de l’Emploi et de la Santé).
2 Tous les travaux présentés feront l’objet d’un numéro spécial de la Revue d’Economie Industrielle (http://revel.unice.fr/reco/) qui sera publié à l’automne 2007.
3 Dont la disparition semble programmée avec la récente dissolution du Réseau National des Génopoles…
4 Pour un vaccin génique, on peut distinguer trois modules assez indépendants : l’antigène, le vecteur et l’adjuvant.