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Med Sci (Paris). 2008 October; 24(10): 794–796.
Published online 2008 October 15. doi: 10.1051/medsci/20082410794.

L’ostéocrine, une nouvelle molécule de signalisation osseuse

Pierre Moffatt*

Hôpital Shriners pour enfants, 1529, avenue Cedar, Montréal (Québec), H3G 1A6 Canada
Corresponding author.

MeSH keywords: Séquence d'acides aminés, Animaux, Séquence conservée, Lame épiphysaire, Humains, Souris, Souris transgéniques, Données de séquences moléculaires, Cellules musculaires, Protéines du muscle, Peptide natriurétique de type C, Ostéoblastes, Ostéogenèse, Récepteurs de surface cellulaire, Alignement de séquences, Similitude de séquences d'acides aminés, Facteurs de transcription

L’identification d’une nouvelle molécule osseuse

Le développement du squelette et en particulier la croissance des os longs dépend de l’action orchestrée d’une multitude de facteurs. Parmi ceux-ci, on compte plusieurs protéines sécrétées et leurs récepteurs respectifs dont les plus notables sont l’indian hedgehog/patched, hormone parathyroïdienne (PTH)-peptide apparenté à la PTH/récepteur de la PTH, le facteur de croissance fibroblastique (FGF)/récepteur FGFR3 et le peptide natriurétique de type C (CNP)/récepteur à activité guanylyl cyclase de type B (GC-B). D’autres encore continuent d’être décelés, notamment l’ostéocrine, une protéine que notre groupe a découverte lors d’un criblage visant l’identification du sécrétome des cellules de l’os [ 1]. Le gène de l’ostéocrine a également été cloné à partir du muscle, et nommée muscline [ 2]. Le gène codant l’ostéocrine est exprimé presque exclusivement par les ostéoblastes [1] et les cellules musculaires [24]. L’ostéocrine est une protéine hautement conservée entre les espèces (Figure 1) et l’examen de sa structure primaire met en évidence des motifs rappelant ceux entrant dans la composition de plusieurs prohormones [ 5]. En effet, nous avons démontré par immunobuvardage Western (Western blot) qu’il est possible que des fragments d’ostéocrine soient produits sous l’action de protéases qui reconnaissent des motifs à caractères dibasiques. Par contre, l’existence de ces fragments in vivo reste encore à établir, ainsi que la nature exacte de la protéase ou des protéases qui participent à ce processus. Il est intéressant de penser que les clivages qui en résultent puissent libérer les parties actives de la molécule. Deux motifs ayant une similarité avec la famille des peptides natriurétiques (PN) sont bordés par ces sites de coupures potentiels (Figure 1). À l’instar des autres PN, l’absence de résidus cystéine dans l’ostéocrine indique que les fragments agiraient comme peptides linéaires. Les PN et, particulièrement l’ANP (atrial natriuretic peptide) et le BNP (brain natriuretic peptide), constituent d’importants régulateurs de l’homéostasie du tonus vasculaire par leur action natriurétique et cardiaque [ 6].

Il a été établi, en revanche, que le CNP exerce un rôle de régulateur local important particulièrement pour la croissance longitudinale des os longs [ 7, 8]. Ainsi chez la souris l’inactivation du gène CNP ou l’inactivation de son récepteur GC-B, doté d’une activité guanylyl cylase, conduit à un phénotype de nanisme. À l’inverse, l’inactivation du récepteur de clairance des PN (NPR-C) ou la surexpression du CNP entraînent une croissance exagérée des os longs chez la souris. Chez les mammifères, les trois composantes du système CNP/GC-B/NPR-C sont non seulement exprimées au niveau de la plaque de croissance, mais aussi dans les ostéoblastes. Cependant, les phénotypes observés dans les modèles animaux affectés de perturbations dans l’une ou l’autre des composantes CNP/GC-B/NPR-C ont principalement été associés à un effet sur la plaque de croissance et non pas sur les ostéoblastes, où les trois composantes sont aussi présentes. Le système CNP/GC-B/NPR-C est aussi fonctionnel chez l’homme comme en témoignent des mutations décelées dans le gène du récepteur GC-B qui causent une forme de nanisme rare (type Maroteaux) dans laquelle la longueur des avant-bras, des mains et des jambes est principalement affectée [ 9]. Ces données illustrent l’importance fondamentale du système CNP/GC-B/NPR-C dans la physiologie osseuse et soulève la possibilité qu’il puisse être modulé par l’ostéocrine, étant donné ses caractéristiques structurales ressemblant aux PN.

L’ostéocrine, un nouveau ligand naturel du NPR-C

Jusqu’à tout récemment, le rôle joué par l’ostéocrine in vivo est demeuré largement inexploré. Pour mieux comprendre ce rôle, notre groupe a mis au point une souris transgénique chez laquelle l’ostéocrine est surexprimée dans les ostéoblastes [4]. Le phénotype observé, qui rappelle celui des modèles génétiquement modifiés du couple CNP/GC-B/NPR-C, manifeste un accroissement significatif de la croissance des os longs, associé avec une légère augmentation de la prolifération des chondrocytes, ainsi qu’une gibbosité vertébrale. Pour éclaircir le mécanisme moléculaire d’action de l’ostéocrine et l’éventualité de son interaction avec le CNP/GC-B/NPR-C dans l’os, nous avons réalisé une série d’études in vitro démontrant que l’ostéocrine se lie de manière spécifique avec le NPR-C mais pas avec le GC-A ni le GC-B. Cette liaison qui a été observée aussi bien avec la protéine entière qu’avec des peptides synthétiques, a une constante de liaison estimée à 5 nM. Le NPR-C étant considéré principalement comme un récepteur de clairance pour les PN, le mécanisme le plus plausible envisagé consiste à considérer que l’ostéocrine empêche la dégradation du CNP et, indirectement, entraîne une activation de son récepteur GC-B (Figure 2). Nous avons validé cette possibilité en intensifiant la signalisation du CNP via son récepteur GC-B en présence d’ostéocrine dans des cellules chondrocytaires et ostéoblastiques qui expriment le GC-B et le NPR-C. En accord avec nos études in vitro, les niveaux mesurés du second messager GMP cyclique suscité par le GC-B, sont doublés dans les os longs des souris transgéniques qui surexpriment l’ostéocrine. L’ostéocrine sécrétée par les ostéoblastes adjacents aux plaques de croissance pourrait vraisemblablement se diffuser dans ces plaques et agir au niveau du NPR-C situé sur les chondrocytes hypertrophiés (Figure 2). Bien que la déficience en ostéocrine n’ait pas encore été clairement reliée à une maladie osseuse particulière, une approche génomique a établi une association significative entre un locus comprenant le gène ostéocrine et la longueur des os chez le poulet [ 10].

Utilisation thérapeutique et perspectives futures

Il est tentant de spéculer sur les applications thérapeutiques potentielles de l’ostéocrine dans le traitement du nanisme. Il a en effet été démontré qu’il existe une interaction entre les voies de signalisation du CNP/GC-B et du FGF/FGFR3 dans la plaque de croissance [ 11]. Ainsi, la surexpression de CNP dans les chondrocytes permet de normaliser la croissance des souris ayant une mutation activatrice du récepteur FGFR3. Il est conceptuellement possible que l’ostéocrine puisse également corriger indirectement les anomalies de croissance chez ces mêmes souris, en empêchant la dégradation du CNP. Le croisement de souris transgéniques surexprimant l’ostéocrine avec de tels modèles de chondrodysplasie pourrait permettre de vérifier cette hypothèse. Plusieurs questions cependant demeurent encore sans réponse. Par exemple, quel est le rôle de l’ostéocrine dans le muscle et le mécanisme identifié dans l’os y est-il également opérationnel ? S’il existe des voies de communication entre les muscles, les tendons, les ligaments et l’os, l’ostéocrine y joue-t-elle un rôle de médiateur ? Étant donné sa nature soluble, l’ostéocrine se retrouve-t-elle dans la circulation et pourrait-elle agir sur d’autres organes à distance, se qualifiant ainsi comme hormone ? À l’aide d’autres modèles animaux, tels des knock-out spécifiques de l’ostéocrine dans l’os ou le muscle, il sera peut-être possible de répondre à certaines de ces interrogations.

References
1.
Thomas G, Moffatt P, Salois P, et al. Osteocrin, a novel bone-specific secreted protein that modulates the osteoblast phenotype. J Biol Chem 2003; 278 : 50563–71.
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Yasoda A, Komatsu Y, Chusho H, et al. Overexpression of CNP in chondrocytes rescues achondroplasia through a MAPK-dependent pathway. Nat Med 2004; 10 : 80–6.