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Med Sci (Paris). 2008 November; 24(11): 918–920.
Published online 2008 November 15. doi: 10.1051/medsci/20082411918.

Le génome de l’ornithorynque
À la croisée des chemins

Simone Gilgenkrantz*

Médecine/Sciences, 9, rue Basse, 54330 Clérey-sur-Brénon, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Évolution biologique, Oiseaux, Climat, Génome, Mammifères, Phylogénie, Platypus

 

L’ornithorynque (Ornithonryncus anatinus) qui – comme son nom l’indique – a pour nez un bec de canard, est un animal si improbable qu’à la fin du XVIIIe siècle, les zoologistes anglais hésitèrent à croire à son existence [ 1]. En effet, admettre qu’un mammifère à fourrure de castor puisse avoir un bec et des pattes de canard, qu’il ponde des œufs, mais qu’une fois éclos, la femelle les allaite et que le mâle adulte soit venimeux grâce à un ergot situé sur les pattes postérieures nécessitait une certaine crédulité. Mais les observations faites en Australie confirmèrent qu’il s’agissait bien d’un monotrème (pourvu d’un cloaque comme les oiseaux et les reptiles) et qu’il était le seul survivant de la famille des Ornithorynchidae, pourtant jadis importante si l’on en juge par les espèces fossiles retrouvées.

Biologie des monotrèmes

Animal semi-aquatique, nocturne et très craintif, il vit dans les cours d’eau des régions froides d’Australie et de Tasmanie. Il peut rester des heures entières à des températures basses (autour de 5 °C) car bien qu’il soit homéotherme, sa fourrure doublée de tissu adipeux lui permet de maintenir sa température à 31 °C. On le trouve aussi dans la réserve d’Healesville (État du Victoria) où il est plus facile de l’observer, mais il se reproduit mal en captivité. Situés à l’embranchement entre mammifères et reptiles, l’ornithorynque et les échinidés (à l’aspect de gros hérissons, dont il ne reste plus que quelques espèces) forment le petit groupe des monotrèmes. Ceux-ci se sont séparés des thériens (marsupiaux et euthériens) il y a environ 166 millions d’années (Figure 1).

Ainsi, bien qu’il soit un mammifère, cet animal possède des caractères reptiliens ancestraux tels que l’oviparité et l’aspect des spermatozoïdes.

La femelle pond un à trois œufs par an. Plus sphériques que les œufs d’oiseaux, ils sont incubés pendant une dizaine de jours. Il est possible que, dans l’évolution, la sécrétion lactée ait précédé l’apparition des mammifères et qu’elle ait exercé sur les œufs parcheminés des synapsides pendant l’incubation un rôle protecteur, empêchant la dessiccation et les infections microbiennes [ 2]. Une fois éclos, les petits, aveugles et dépourvus de poils, recueillent le lait (très riche en sucres, lipides et protéines) qui s’écoule à travers des pores de la peau car il n’y a pas de mamelons. Bien qu’il existe chez les jeunes des molaires, celles-ci disparaissent à l’âge adulte.

Les spermatozoïdes, ainsi que la spermiogenèse ont été bien étudiés [ 3]. Cette dernière se fait en 16 étapes et ressemble à celle des reptiles. Les spermatozoïdes ont une maturation post testiculaire, avec acquisition d’une mobilité progressive pendant le passage à travers l’épididyme. Ils sont filiformes et spiralés ; l’acrosome est réduit ainsi que la pièce intermédiaire avec quelques rares fibres supportant la pièce principale.

L’ornithorynque est doté, comme les autres monotrèmes, mais d’une façon plus développée, du sens de l’électrolocalisation grâce à des récepteurs situés dans la partie caudale de la peau du bec. Il peut ainsi détecter le champ électrique produit par les proies environnantes. Carnivore, il se nourrit de larves d’insectes et de crevettes d’eau douce qu’il stocke dans ses bajoues avant de les déguster sur le rivage. D’autres types de récepteurs qui semblent uniformément répartis devront être étudiés à la lumière des nouvelles données fournies par l’étude du génome.

Le génome de l’ornithorynque

La situation intermédiaire de ce mammifère dans l’évolution justifiait pleinement le séquençage et l’analyse comparative de son génome. C’est chose faite. Une centaine de chercheurs de nombreux pays (dont l’UMR INRA-CNRS 6073 de Touraine) viennent de rechercher, en fonction de leur spécialité, ce que les monotrèmes possèdent en propre et surtout ce qu’ils ont en commun avec les reptiles et les mammifères [ 4].

En 2004, une équipe australienne avait analysé les chromosomes sexuels : ils sont au nombre de 10, tous identiques chez la femelle et en alternance, un petit et un grand chez le mâle [ 5]. Le plus grand chromosome ressemble plutôt au chromosome Z des oiseaux et possède le gène DMRT1 (doublesex- and mab3-related transcription factor 1) impliqué dans les réversions sexuelles chez l’homme [ 6]. Mais sur son chromosome 6, l’ornithorynque est doté d’une région très conservée de l’X (y compris SOX3, ancêtre de SRY). Celle-ci reflète donc une séquence importante du chromosome ancestral d’où sont issus les chromosomes sexuels des thériens.

Des trois gènes de la vitellogénine (jaune d’œuf dont les petits se nourrissent jusqu’à l’éclosion chez les oiseaux), il n’en reste plus qu’un seul. En revanche, l’ornithorynque possède tous les gènes codant la caséine, protéine importante du lait des mammifères. Ainsi, selon une étude suisse, la lactation serait à l’origine de la perte progressive de la vitellogénine et elle aurait précédé la placentation [ 7].

Les gènes codant les protéines de l’émail sont conservés, ce qui explique la présence de dents chez les jeunes. Concernant les gènes de la vision, alors que les mammifères sont pour la plupart dichromates (avec LWS et SWS1, long and short wave sensitive classes), les monotrèmes ont conservé SWS2, tandis que les primates, ultérieurement, ont acquis une vision trichrome grâce à la duplication du gène LWS [ 8].

Quant au venin, qui provoque des douleurs très vives et prolongées (dues sans doute à la production d’un courant calcium-dépendant [ 9]), il est composé d’un cocktail d’au moins 19 substances, comprenant des peptides proches des défensines (substances antimicrobiennes) ou OvDLP (ornithorynchus venom defensin-like) ; des peptides analogues (comme les crotamines) sont aussi observés dans les venins de serpents.

Bien que le système immunitaire des monotrèmes soit semblable à celui des autres mammifères, les chercheurs ont eu la surprise de trouver 214 gènes de NKR (natural killer receptor), nombre bien plus élevé que chez l’homme (15 gènes) ou le rat (45 gènes). Comme l’opossum, l’ornithorynque possède une expansion de la famille des gènes codant des cathélicidines. L’homme et les rongeurs n’en possèdent qu’un (CAMP pour cathelicidin antimicrobial peptide). Il est possible que chez les mammifères, l’augmentation du temps de la gestation et du développement in utero rendent moins utiles ces peptides antimicrobiens que pour les jeunes de monotrèmes qui ont besoin d’un arsenal étendu de réponses immunes innées.

Mais, la plus grande surprise de cette étude génomique vient certainement de la découverte des très nombreux gènes codant des récepteurs olfactifs et de type voméronasal V1R et V2R. Il semble que ceux-ci, répartis sur le bec, reflètent une adaptation sensorielle pour des composés odorants solubles dans l’eau dans laquelle l’ornithorynque passe le plus clair de son temps. Le grand répertoire (environ 700) des gènes – et pseudogènes – des récepteurs odorants rapproche l’ornithorynque des mammifères plutôt que des sauropsidés qui en possèdent beaucoup moins.

Cette étude, dont nous ne mentionnons ici que les points principaux, et dont nous ne saurions trop recommander la lecture, apporte des notions extrêmement intéressantes sur le processus de l’évolution entre oiseaux et mammifères et confère à l’ornithorynque un génome unique parmi les êtres vivants.

References
1.
Hall BK. The paradoxical platypus. BioScience 1999; 49 : 211–8.
2.
Oftedal OT. The origin of lactation as a water source for parchment-shelled eggs. Mammary Gland Biol Neoplasia 2002; 7 : 253–66.
3.
Lin M, Jones RC. Spermiogenesis and spermiation in a monotreme mammal, the platypus, Ornitoryncus anatinus. J Anat 2000; 196 : 217–32.
4.
International Platypus Genome Sequencing Consortium. Genome analysis of the platypus reveals unique signatures of evolution. Nature 2008; 453 : 175–83.
5.
Grützner F, Rens W, Tsend-Ayush E, et al. In the platypus a meioic chain of ten sex chomosomes shares genes with the bird Z and mammal X chromosomes. Nature 2004; 432 ; 913–7.
6.
Veyrunes F, Waters PD, Miethke P, et al. Bird-like sex chromosomes of platypus imply recent origin of mammal sex chromosomes. Genome Res 2008 : 18 : 965–73.
7.
Brawand D, Wahli W, Kaessmann H. Loss of egg yolk genes in mammals and the origin of lactation and placentation. Plos Biol 2008; 6 : e63.
8.
Davies WL, Carvalho LS, Cowing JA, et al. Visual pigments of the platypus : a novel route to mammalian colour vision. Curr Biol 2007; 17 : R161–3.
9.
De Plater GM, Milburn PJ, Martin RL. Venom from platypus, Ornithorynchus anatinus, induces a calcium-dependent current in cultured dorsal root ganglion cells. J Neurophysiol 2001; 85 : 1340–5.