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Med Sci (Paris). 2008 December; 24(12): 1023–1025.
Published online 2008 December 15. doi: 10.1051/medsci/200824121023.

Hépatite E
De la transmission zoonotique du virus à l’évolution chronique de l’infection chez l’immunodéprimé

Jacques Izopet1,2* and Nassim Kamar3

1Inserm, U563, Centre de Physiopathologie de Toulouse Purpan, 31024 Toulouse, France
2CHU de Toulouse, Hôpital Purpan, Laboratoire de virologie, Institut fédératif de biologie de Purpan, 31059 Toulouse, France
3CHU de Toulouse, Hôpital Rangueil, Service de Néphrologie-Hypertension artérielle-Dialyse-Transplantation, 31059 Toulouse, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Enfant, Maladie chronique, Cervidae, Flambées de maladies, Réservoirs d'agents pathogènes, Maladies endémiques, Femelle, Contamination des aliments, Hépatite E, Virus de l'hépatite E, Humains, Sujet immunodéprimé, Mâle, Viande, Complications postopératoires, Grossesse, Complications de la grossesse et maladies infectieuses, Sus scrofa, Pollution de l'eau, Jeune adulte, Zoonoses

 

Pendant longtemps considérée comme une hépatite virale aiguë d’origine hydrique évoluant selon un mode épidémique dans les régions tropicales et subtropicales, l’hépatite E est de plus en plus fréquemment identifiée dans les pays industrialisés sous la forme de cas sporadiques survenant chez des sujets n’ayant jamais séjourné en région endémique. Le dépistage génomique et la caractérisation des génotypes viraux ont permis de documenter deux particularités de cette infection : la transmission zoonotique du virus à partir d’un réservoir porcin et l’évolution chronique de l’infection chez les personnes immunodéprimées.

Le virus de l’hépatite E (HEV) et sa variabilité génétique

HEV est un petit virus non enveloppé d’environ 30 nm de diamètre, possédant une capside de symétrie icosaédrique et un génome à ARN simple brin de polarité positive. L’ARN de 7,2 kilobases, coiffé en 5’ (7 méthyl guanine) et polyadénylé en 3’, comporte trois phases ouvertes de lectures : ORF1, ORF2 et ORF3 (Figure 1).

Quatre génotypes (1-4) permettent la classification des souches humaines et animales. Des souches aviaires pourraient constituer un cinquième génotype. Ces génotypes diffèrent selon leur répartition géographique et leur spectre d’hôte. Pour chaque génotype (72 à 77 % d’homologie en nucléotides), différents sous-types ont été identifiés. On distingue à ce jour 5 sous-types 1 (1a à 1e), 2 sous-types 2 (2a, 2b), 10 sous-types 3 (3a à 3j) et 7 sous-types 4 (4a à 4g) [ 1].

Les génotypes 1 et 2 ont été isolés uniquement chez l’homme dans des pays non industrialisés. Le génotype 1 est présent en Asie et en Afrique, et le génotype 2 au Mexique et en Afrique. Les génotypes 3 et 4 ont été isolés à la fois chez l’homme et chez l’animal (porc, sanglier, cerf). Si la répartition géographique du génotype 4 est limitée à l’Asie, le génotype 3 présente une large distribution sur l’ensemble des continents.

Les analyses phylogénétiques réalisées à partir des souches humaines et animales de génotype 3 et 4 suggèrent que HEV pourrait être un agent zoonotique [ 2, 3, 16]. La proximité génétique des souches humaines et porcines d’un même génotype peut aller jusqu’à 94 % d’homologie en nucléotides et 98 % en acides aminés. Une étude fondée sur l’analyse phylogénétique de souches humaines et porcines isolées à différentes périodes dans les mêmes régions géographiques suggère une chronologie de circulation des souches d’un réservoir porcin à l’homme [ 4]. Un franchissement de la barrière d’espèce entre le sanglier et le cerf dans leur habitat naturel a également été évoqué. Enfin, des co-infections impliquant les génotypes 3 et 4 ont été identifiées et l’analyse de séquences complètes de génotype 3 a laissé supposer que certains génomes pouvaient être issus d’un événement de recombinaison entre une souche humaine et une souche porcine [ 5]. Ce phénomène pourrait ainsi conduire à l’émergence de souches plus virulentes et/ou mieux adaptées à l’homme.

Une transmission féco-orale mais aussi parentérale

L’hépatite E est une hépatite à transmission principalement entérique. L’infection par HEV comporte 2 formes épidémiologiques : de grandes épidémies survenant exclusivement dans les régions endémiques (Asie, Afrique, Amérique Centrale) dans des situations où l’hygiène collective est insuffisante, et des cas sporadiques observés aussi bien dans les régions endémiques que dans les régions non endémiques.

Les grandes épidémies se caractérisent par le nombre spectaculaire de sujets infectés (29 000 cas ictériques pour la première épidémie décrite en Inde en 1955). La contamination résulte de l’ingestion d’eau ou d’aliments souillés. Une recrudescence pendant la saison des pluies a été notée. Une autre caractéristique est que la transmission interhumaine est rare comparativement à l’hépatite A, ce qui est compatible avec l’aspect unimodal des courbes épidémiques.

Les cas sporadiques survenant en région endémique concernent plutôt l’enfant et l’adulte jeune. Dans les pays non endémiques, les cas d’hépatite E ont longtemps été considérés comme une infection contractée au cours d’un voyage en région d’endémie. Les données actuelles indiquent en fait que la grande majorité des cas sporadiques dans les pays industrialisés est d’origine autochtone et que toutes les tranches d’âge sont concernées. Cette transmission autochtone du HEV a été décrite dans de nombreux pays d’Europe, aux États-Unis et au Japon.

L’origine des contaminations dans les pays industrialisés reste à préciser. En France, la prévalence des anticorps anti-HEV chez les donneurs de sang est variable selon les régions : 3,2 % pour la région parisienne et l’ouest de la France [ 6], mais 16,6 % pour la région toulousaine où des cas autochtones sont fréquemment rapportés [ 7]. L’ingestion d’eau contaminée par HEV est possible. En effet, le virus a pu être identifié dans les eaux usées mais cela ne prouve pas que le vecteur hydrique soit la cause des contaminations. Une autre possibilité réside dans la consommation de denrées alimentaires contaminées. Le virus a été récemment identifié dans des fruits de mer et dans du foie de porc commercialisé aux États-Unis. De nombreux élevages porcins dans les pays industrialisés sont contaminés. La consommation de viande de porc insuffisamment cuite ou de produits non cuits sous la forme de salaisons constitue donc un facteur de risque. Un contact direct avec des animaux infectés peut enfin être à l’origine d’infections comme cela a été récemment décrit à partir d’un petit cochon de compagnie [ 8]. La contamination directe de l’homme par l’animal est également étayée par une prévalence plus élevée d’anticorps anti-HEV chez les vétérinaires et les personnels d’élevages porcins que dans la population générale.

La transmission parentérale du HEV est également possible en raison d’une phase de virémie pendant la phase prodromique. Une prévalence élevée chez des hémodialysés a été rapportée en Europe ainsi qu’une transmission par transfusion de produits sanguins labiles [ 9]. En Inde, la transmission de la mère à l’enfant a été décrite dans environ un tiers des cas d’hépatite aiguë survenant chez la mère au troisième trimestre de la grossesse.

Une infection habituellement résolutive mais pouvant aussi évoluer vers la chronicité chez l’immunodéprimé

La période d’incubation varie entre 15 et 45 jours. Le tableau classique est similaire à celui des autres hépatites virales aiguës associant asthénie, hépatomégalie et ictère cutanéo-muqueux. Les formes asymptomatiques représentent probablement plus de la moitié des cas. Les formes fulminantes sont plus fréquentes que pour l’hépatite A. Le taux de mortalité est très élevé (20 %) chez la femme enceinte pour des raisons encore inexpliquées. La sévérité de l’infection chez le fÅ“tus semble liée à la sévérité de l’infection chez la mère. Des formes fulminantes ont également été rapportées chez des sujets présentant une hépatopathie sous-jacente.

À l’instar de l’infection par HAV (virus de l’hépatite A), on considérait jusqu’à présent que l’infection par HEV était constamment résolutive. Des travaux récents ont cependant montré qu’une évolution vers la chronicité, définie par la persistance d’une virémie pendant plus de 6 mois, était possible en cas d’immunodépression thérapeutique dans le cadre d’une chimiothérapie [ 10, 11] ou d’une transplantation [ 12, 13]. Dans une série de 14 cas d’hépatite E survenant chez des transplantés hépatiques et rénaux, 8 patients (57 %) ont présenté une infection chronique caractérisée par la persistance du génome viral dans le sang, une élévation des aminotransférases et des lésions d’hépatite chronique sur la biopsie hépatique [12]. Le développement d’une infection chronique était associé à une contamination survenant peu de temps après la transplantation et à des valeurs faibles de lymphocytes T CD3 et CD4. Chez certains patients chroniquement infectés, une évolution rapide vers la cirrhose en moins de 3 ans a été décrite [ 14, 15] (Figure 2). L’évolution vers la chronicité pourrait être liée à une faible réponse T CD4 anti-HEV responsable d’une faible réponse T CD8, celle-ci assurant habi-tuellement l’élimination des hépatocytes infectés. En conséquence, une modulation de l’immunosuppression pourrait faciliter l’élimination du virus.

Conclusion

L’hépatite E est donc devenue aujourd’hui une préoccupation importante dans les pays industrialisés. Le potentiel zoonotique de ce virus dans les pays industrialisés pourrait être à l’origine d’un nouvel exemple d’émergence virale. Les approches expérimentales couplées aux données d’épidémiologie moléculaire permettront d’évaluer les risques de transmission et les conséquences liées à l’exposition au virus afin d’en limiter la diffusion. La description de formes chroniques chez l’immunodéprimé constitue également un modèle inattendu pour étudier les mécanismes de persistance virale.

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