La biologie synthétique n’est apparue que récemment, au début du XXIe siècle, du moins avec l’acception que nous donnons aujourd’hui à ce terme. Selon la définition qu’en donne De Vriend [
3], elle « consiste dans la conception et la réalisation de nouveaux dispositifs et systèmes biologiques, ou dans la modification de systèmes biologiques naturels pour des usages pratiques utiles ».
Comme le souligne Antoine Danchin dans ce numéro de M/S [
4] (→) l’essor de la biologie synthétique s’inscrit donc clairement dans l’histoire récente de la biologie. Elle est l’héritière de la description moléculaire du vivant qui s’est élaborée dans les années 1940-1960, et des technologies du génie génétique mises au point dans les années 1970. Un des freins au développement rapide de la biologie synthétique demeure la synthèse de longues molécules d’ADN, ce qui montre bien l’ancrage de cette nouvelle approche dans les disciplines qui l’ont précédée. D’une certaine manière, elle accomplit le « rêve » des premiers biologistes moléculaires de « naturaliser » le monde vivant, de chasser le mystère qui pendant tant de siècles a entouré le fonctionnement des organismes. La meilleure manière de montrer que l’on y est parvenu est de reconstruire, partiellement ou totalement, un être vivant. L’essor de la biologie synthétique correspond donc à un moment particulier dans la longue histoire de la question « Qu’est-ce que la vie ? ». Les principes de la vie sont aujourd’hui considérés comme connus, et sa reproduction devenue possible. Seule demeure la question de son origine.
(→) Voir l’article de A. Danchin, page 533 de ce numéro)
La biologie synthétique est un domaine de recherche hétérogène. Le degré d’« artificialité » de ses projets est très variable, de la simple production de molécules organiques à l’introduction de fonctions logiques chez les organismes vivants. La distance est grande entre des projets appliqués visant par exemple à introduire une voie métabolique dans une bactérie et l’ambition de Craig Venter de créer une nouvelle bactérie. Quelles que soient les réserves que l’on peut avoir vis-à-vis de l’intense médiatisation de ces derniers travaux, leur intérêt est évident.
La biologie synthétique se distingue cependant des disciplines qui l’ont précédée ; d’abord par un certain état d’esprit. Elle fait appel aux jeunes chercheurs pour faire « bouger le système », comme dans la compétition iGEM. Les spécialistes de biologie synthétique visent souvent à réaliser des expériences spectaculaires - telle la création de bactéries capables de « photographier » -, qui servent ultérieurement d’icônes à la jeune discipline [
5]. Ses projets sont plus intégrés que ceux du génie génétique : ils concernent des processus entiers, et impliquent l’introduction de modules fonctionnels. Ils sont par nature pluridisciplinaires : leur élaboration est faite avec un esprit d’ingénieur ; les procédures et les outils sont standardisés au maximum - on parle de biobriques -, de manière à enclencher une facilitation exponentielle de la réalisation de nouveaux projets, et les systèmes que l’on veut développer sont modélisés avant d’être construits. Les procédures utilisées en électronique et en informatique servent de modèles. La biologie synthétique représente ainsi un certain retour au premier plan d’une biologie théorique, très présente dans la première moitié du XXe siècle, mais chassée par l’essor de la biologie moléculaire. Le projet de l’équipe iGEM française était d’ailleurs remarquable par la palette des méthodes de modélisation utilisées.
La biologie synthétique va probablement transformer la biologie plus que d’autres disciplines récemment apparues comme la biologie des systèmes, car elle change les critères de ce qu’est une bonne explication scientifique. En biologie, traditionnellement, expliquer était proposer un schéma capable de rendre compte du processus étudié. Que l’on soit incapable de reconstruire un système équivalent à partir des connaissances acquises n’était pas un critère suffisant pour rejeter l’explication proposée. Cette conviction s’est rapidement estompée ces dernières années, car les schémas explicatifs proposés se sont révélés insuffisants, non pour interpréter les phénomènes observés, mais pour anticiper le fonctionnement, et les dysfonctionnements, des systèmes biologiques. Que l’on pense par exemple aux nombreuses surprises réservées par les expériences d’inactivation gènique. Connaître un système, c’est aujourd’hui être capable de le mimer, de le reconstruire. Analyse et synthèse doivent aller de pair, comme en chimie. C’est là un changement épistémologique révolutionnaire pour la biologie, et un enrichissement de cette dernière.