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Med Sci (Paris). 2008 June; 24(6-7): 567–569.
Published online 2008 June 15. doi: 10.1051/medsci/20082467567.

Origine veineuse des vaisseaux lymphatiques chez les mammifères : L’hypothèse de Sabin vérifiée

Thierry Jaffredo*

CNRS UMR7622, UPMC, Bâtiment C, 6e étage, Case 24, 75252 Paris Cedex 05 France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Système lymphatique, Mammifères, Modèles biologiques, Veines

L’hypothèse de Florence Sabin sur l’origine du réseau lymphatique

Bien que la première description des vaisseaux lymphatiques remonte à 1627 [ 1], la plupart des données anatomiques datent des années 1880-1920. Le système vasculaire lymphatique est composé d’un réseau de capillaires fins non-fenestrés qui drainent la lymphe, liquide riche en protéines. Cette lymphe est collectée des tissus interstitiels de la plupart des organes et déversée dans des vaisseaux lymphatiques de gros calibre (le canal thoracique et le canal lymphatique droit) connectés à la circulation veineuse à la base du cou.

Les vaisseaux lymphatiques se développent selon un processus dénommé angiogenèse lymphatique. Bien qu’il lui soit similaire, ce processus est relativement tardif par rapport à l’angiogenèse vasculaire sanguine. Les premiers signes d’angiogenèse lymphatique sont observés dans la région jugulaire au jour embryonnaire (E) 10 chez la souris alors que le système sanguin se développe à partir de E7,5. Initialement formulée par Florence Sabin, la vision la plus communément adoptée propose une origine endothéliale vasculaire pour le réseau lymphatique [ 2, 3]. Une hypothèse alternative suggère un assemblage à partir de cellules mésenchymateuses, suivi d’une connexion avec le système veineux [ 4]. L’état des connaissances sur le sujet a évolué très lentement jusqu’à l’identification récente de marqueurs moléculaires spécifiques des vaisseaux lymphatiques qui, couplée à des approches de transgenèse, a permis de lever une partie du voile sur l’origine des vaisseaux lymphatiques.

Marqueurs moléculaires spécifiques du système lymphatique

Les étapes initiales d’établissement de la compétence lymphatique sont encore inconnues, mais plusieurs molécules ont été identifiées comme jouant un rôle majeur dans la mise en place du système lymphatique. Parmi elles, on distingue deux marqueurs précoces notables. Lyve1 (lymphatic vessel hyaluronan receptor), un homologue de CD44, est considéré comme le marqueur le plus précoce de la compétence lymphatique [ 5]. Il est présent dans quelques cellules endothéliales (CE) de la veine cardinale antérieure à E 9,0-9,5 chez la souris. Son inactivation ne provoque cependant aucun défaut notable d’angiogenèse lymphatique, suggérant qu’il n’est pas requis directement pour la différenciation lymphatique. Peu de temps après Lyve1, un autre gène, Prox1, facteur de transcription à homéoboîte homologue du gène Prospero de drosophile, est observé dans les CE du vaisseau et constitue un marqueur fiable et permanent des CE lymphatiques. À la différence de Lyve1, Prox1 est exprimé par les CE du côté latéro-dorsal de la veine cardinale ainsi que par des cellules qui semblent issues du vaisseau et qui vont fusionner pour former les sacs lymphatiques primitifs. Cette proximité entre CE lymphatiques et CE vasculaires, couplée à l’expression de Prox1, a contribué à privilégier l’hypothèse de Sabin [2, 3]. L’inactivation de Prox1 provoque l’absence de système lymphatique et la mort des embryons à E 14,5 résultant d’un blocage dans la spécification des CE lymphatiques [ 6]. La production de cellules à partir de la veine cardinale est bien induite, mais les cellules conservent une identité veineuse sanguine et le processus avorte [ 7]. De plus, la surexpression de Prox1 dans un contexte de CE vasculaires conduit à l’activation de marqueurs lymphatiques et la répression de marqueurs veineux [ 8, 9]. L’ensemble de ces données contribue à considérer Prox1 comme un gène maître de la différenciation lymphatique.

Origine veineuse du système lymphatique de la souris

Bien qu’un grand nombre de données étaient en faveur d’une origine endothéliale vasculaire pour le système lymphatique, la question n’était pas définitivement tranchée. Un article récent utilisant un système de traçage génétique complété par des knock-in spécifiques plaide en faveur de cette origine [ 10]. Les auteurs ont créé une souche de souris portant le gène codant pour la recombinase CRE fusionnée au domaine de liaison muté du récepteur des œstrogènes (CRE-ERT2), le tout inséré en phase dans le locus Prox1. Cette construction répond à un analogue naturel des œstrogènes, le 4-hydroxytamoxifène (OHT) mais pas aux ligands endogènes. Cette souris a été croisée avec la souris ROSA26R, dans laquelle le gène lacz n’est exprimé qu’après excision d’une cassette « stop » flanquée de sites LoxP. La stimulation par l’OHT induit l’expression permanente de la ß-galactosidase dans les cellules qui expriment Prox1. Cette activation prend environ 12h ce qui correspond à la disparition complète du composé actif. En effectuant des activations entre E8,5 et E9,5 puis en laissant les embryons se développer pendant des temps variés, les auteurs ont pu établir plusieurs règles pour la formation du système lymphatique chez la souris.

  • Les premières cellules Prox1+ sont issues de la veine cardinale et forment des sacs primitifs.
  • Ces sacs génèrent en continu des cellules Prox1+ qui participent à l’élaboration du réseau lymphatique superficiel et profond.
  • En utilisant deux autres souches de souris codant pour la recombinase CRE, les auteurs ont confirmé l’origine vasculaire des cellules Prox1+. La délétion de Prox1 sous contrôle du promoteur Tie2, spécifique du système vasculaire, conduit à une absence presque totale de développement lymphatique. La délétion de CoupTFII, récepteur nucléaire orphelin spécifiquement exprimé dans les CE veineuses, sous contrôle du promoteur Tie2, produit un changement d’identité des CE veineuses qui deviennent artérielles et l’absence de système lymphatique, confirmant ainsi son origine veineuse.
  • Le système lymphatique ne se met pas en place à partir de cellules hématopoïétiques, comme suggéré, car les embryons délétés de Runx1, gène majeur pour l’émergence des cellules souches hématopoïétiques de type adulte, expriment Prox1 et ont un système lymphatique normal.

En conclusion

Chez la souris, le système vasculaire lymphatique semble entièrement s’édifier à partir du système veineux (Figure 1). Cette situation est différente de celle décrite chez le poulet chez lequel les vaisseaux lymphatiques ont une double origine, veineuse pour les profonds, mésenchymateuse pour les superficiels. Les cellules mésenchymateuses ont cependant une identité d’angioblaste (progéniteurs des cellules endothéliales) ce qui nous rapproche de l’origine vasculaire. Quoi qu’il en soit, veines ou angioblastes superficiels partagent une origine commune, le somite [ 11, 12], qui a été montré abriter un progéniteur endo-lymphangiogénique exprimant à la fois Prox1 et des marqueurs d’angioblastes.

Il est donc possible qu’en fonction des groupes de vertébrés des modalités particulières puissent apparaître sans pour autant changer fondamentalement la règle en vigueur.

 
Acknowledgments

L’auteur remercie Cécile Drevon et Charlotte Richard pour leurs critiques et suggestions ainsi que Sophie Gournet pour son aide précieuse dans l’illustration.

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