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Med Sci (Paris). 2009 February; 25(2): 117–120.
Published online 2009 February 15. doi: 10.1051/medsci/2009252117.

La cellule ciliée externe de la cochlée des mammifères
Un amplificateur aux propriétés exceptionnelles

Kirian Legendre, Christine Petit, and Aziz El-Amraoui*

Institut Pasteur, Unité de Génétique et Physiologie de l’Audition, 25, rue du Docteur Roux, 75015 Paris, France.
Inserm UMRS587, 75015 Paris, France. UPMC Paris 06, 75015 Paris, France
Corresponding author.
 

La cochlée, organe auditif des mammifères, tire sa sensibilité et sa sélectivité en fréquence de la présence des cellules ciliées externes (CCE). Ces cellules, qui n’existent que chez les mammifères, sont dotées d’électromotilité, c’est-à-dire que leur membrane plasmique latérale se contracte ou s’allonge en réponse à des modifications du champ électrique. C’est la prestine, une protéine intégrale de la membrane, qui confère aux CCE cette propriété. Le long de la paroi latérale, un treillis cortical hautement organisé, constitué d’actine et de spectrine, contribue également à ce processus. Nous venons de montrer que la sous-unité βV (et non l’isoforme βII) constitue, avec la sous-unité aII, la spectrine de la paroi des CCE, et qu’elle interagirait indirectement avec la prestine. La nature moléculaire du lien qui unit ces deux protéines reste à déterminer.

La surdité est le déficit sensoriel le plus fréquent chez l’homme. Un individu sur 500 environ souffre d’une perte auditive importante avant l’âge adulte (voir [1]). La surdité, quelle qu’en soit l’origine - hérédité, traumatisme acoustique, médicaments, ou vieillissement -, est souvent liée à une atteinte irréversible des cellules sensorielles de la cochlée, les cellules ciliées.

Les différents compartiments de l’oreille interne et la transmission du son

Chez les mammifères, l’oreille est constituée de trois compartiments : l’oreille externe, l’oreille moyenne et l’oreille interne. L’oreille interne comprend deux organes sensoriels distincts (Figure 1A) : (1) la cochlée, organe de l’audition, et (2) le vestibule, impliqué dans l’équilibration. La cochlée humaine est capable de percevoir des fréquences sonores allant de 20 Hz à 20 kHz1. Les cinq régions sensorielles du vestibule (Figure 1A), quant à elles, réagissent aux accélérations linéaires ou angulaires. Après avoir traversé l’oreille externe et l’oreille moyenne, l’onde sonore est transmise à l’oreille interne, où elle est convertie en une onde liquidienne, qui se propage de la base à l’apex de la cochlée. Cette onde fait vibrer la membrane basilaire, une structure paucicellulaire sur laquelle repose l’épithélium sensoriel auditif, l’organe de Corti (Figure 1A, B). La première étape de l’analyse fréquentielle du son résulte de la distribution spatiale des mouvements de la membrane basilaire. Les différentes fréquences qui composent les sons complexes sont analysées séparément par la cochlée, de telle sorte que pour une fréquence donnée, la vibration de la membrane basilaire a une amplitude maximale en un point précis, caractéristique de cette fréquence. Un changement graduel des propriétés physico-chimiques de la membrane basilaire de la base à l’apex de la cochlée (Figure 1C) rend compte de sa capacité à décomposer ainsi le son en ses fréquences élémentaires, selon un principe tonotopique qui assigne à la base l’analyse des sons de fréquence élevée (sons aigus), et à l’apex l’analyse des sons de fréquence faible (sons graves). À cette tonotopie passive, assez grossière, vient s’ajouter une amplification locale du mouvement de la membrane basilaire grâce à l’action des CCE, qui sont sensibles aux vibrations de cette membrane, ce qui permet une discrimination (filtration) plus fine des fréquences sonores.

Les cellules ciliées externes, une spécificité des mammifères au service de l’amplification de la vibration de l’organe de Corti

Dans la cochlée des mammifères, deux types distincts de cellules ciliées répondent à la stimulation sonore, les cellules ciliées internes (CCI) et les CCE. Les CCI sont au nombre de 3 000 à 3 500 chez l’homme. Ce sont d’authentiques cellules sensorielles qui transmettent le message sensoriel au cerveau (Figure 1B). Les CCE, quant à elles, sont au nombre d’environ 9 000 à 12 000. Elles sont responsables de l’amplification locale de la vibration de la membrane basilaire (Figure 1B). Sous l’effet conjugué du déplacement de la membrane basilaire et de celui de la membrane tectoriale, la touffe ciliaire des CCE (voir Figure 1B) est défléchie. La déflexion des stéréocils entraîne l’ouverture de canaux de la transduction mécano-électrique, perméables aux cations, qui sont localisés au sommet des stéréocils. Les ions potassium, dont la concentration dans le liquide qui baigne les stéréocils (l’endolymphe) est élevée (environ 160 mM), pénètrent alors dans la cellule, ce qui provoque son excitation électrique (dépolarisation) (Figure 1B), qui déclenche à son tour le processus d’amplification.

Chez l’homme, un dysfonctionnement des CCE, quelle qu’en soit origine (hérédité, traumatisme, médicaments ototoxiques, ou vieillissement, etc.), entraîne une perte de la sensibilité et de la sélectivité en fréquence de l’organe auditif (pour revues, voir [24]). Les CCE réagissent mécaniquement à la dépolarisation-repolarisation électrique induite par la stimulation sonore, par un cycle de contraction-élongation de leur paroi latérale entraînant un changement de leur taille (Figure 2A). C’est ce phénomène, connu sous le nom d’électromotilité [5], qui permettrait aux CCE de jouer le rôle d’amplificateur de la stimulation sonore de l’organe de Corti, et de contribuer à la sélectivité fréquentielle cochléaire (tonotopie active). L’électromotilité est aussi impliquée dans la production des otoémissions acoustiques, sons émis par la cochlée, et qui peuvent êtres aisément enregistrés en plaçant un microphone dans le conduit auditif externe. En clinique, la présence de ces otoémissions est le signe d’un bon fonctionnement des CCE. Leur absence indique au contraire que ces cellules sont endommagées (voir [6]).

La paroi latérale des cellules ciliées externes, siège de l’électromotilité

Les caractéristiques de la contraction des CCE sont très surprenantes. En effet, les changements de taille de ces cellules peuvent être très rapides, et atteindre jusqu’à 4 % de leur longueur. L’émergence de l’électromotilité chez les mammifères s’est accompagnée de l’acquisition des CCE, aux propriétés uniques et hautement spécialisées [7]. La paroi latérale des CCE se caractérise en effet par une structure trilaminaire (100 nm d’épaisseur) comprenant de l’extérieur vers l’intérieur : (1) la membrane plasmique, possédant un maillage très serré de « particules électromotrices » ; (2) un réseau de cytosquelette souscortical dense et hautement organisé, et (3) une couche de citernes membranaires, dont la fonction reste mal comprise (Figure 2B).

Seules des variations du potentiel de membrane des CCE semblent efficaces pour déclencher, de manière très rapide, l’action du « moteur » et la contraction ou l’élongation de ces cellules [8]. La contraction des CCE est indépendante de l’ATP et des ions Ca2+, excluant de fait l’implication de moteurs classiques comme les myosines. La persistance de ce phénomène, après digestion du cytosquelette souscortical par dialyse intracellulaire de trypsine, laissait soupçonner que les éléments moteurs résideraient dans la membrane plasmique elle-même [8]. L’hypothèse s’est trouvée confortée par l’analyse de cette membrane par cryofracture, qui a révélé un ensemble de particules d’environ 10 nm de diamètre, ordonnées et de densité très élevée (estimation allant jusqu’à 7 000 particules/µm2) (voir [9]).

C’est en soustrayant une banque d’ADNc de CCE par celle de CCI, que l’équipe de Peter Dallos a pu identifier la nature du moteur moléculaire. Il s’agit d’une protéine intégrale de membrane, membre de la famille des SLC26 (pour Solute Carrier), transporteurs de sulfate et d’autres anions (Figure 3A). La protéine, SLC26A5, a été nommée prestine (du mot italien « presto », rapide) [10]. La prestine est détectée uniquement dans la membrane plasmique de la paroi latérale des CCE (Figure 3A, C). La prestine réagit aux changements du potentiel de membrane en changeant de conformation, provoquant ainsi l’allongement ou la contraction du corps cellulaire. Des souris mutantes, déficientes en prestine, présentent une perte auditive d’environ 60 décibels (dB), et une perte de la sélectivité en fréquence de l’organe auditif [11, 12]. Chez l’homme, des mutations dans le gène de la prestine ont été détectées dans quelques familles atteintes de surdité légère à modérée, de transmission autosomique dominante [13].

Un cytosquelette hautement spécialisé qui se dévoile

La prestine, aussi indispensable soit-elle à l’électromotilité des CCE, requiert d’autres partenaires et le cytosquelette sous-jacent afin de garantir un contrôle précis de la forme et des changements de taille de ces cellules. Cependant, la composition moléculaire du cytosquelette cortical des CCE reste inconnue.

Morphologiquement, des piliers de 25 nm de longueur et 10 nm de diamètre, mais de composition moléculaire inconnue à ce jour, connectent la membrane plasmique au cytosquelette sous-cortical (Figure 2B). Le cytosquelette forme un treillis bi-dimensionnel très organisé, composé de filaments épais (8 nm), distants de 30 à 80 nm et orientés de manière circonférentielle, solidarisés entre eux par des filaments plus courts (2-4 nm) orientés dans l’axe longitudinal, l’axe de contraction de la cellule [14]. Compte tenu du rôle déjà connu du cytosquelette d’actine-spectrine dans la résistance et l’élasticité exceptionnelles de la paroi des globules rouges, il a été montré que les filaments circonférentiels et longitudinaux qui composent le cytosquelette des CCE sont constitués respectivement d’actine et de spectrine [15].

La spectrine, dans la structure de base, se présente sous forme de tétramères résultant de l’association de deux hétérodimères α-β. Ainsi, pendant près de 20 ans, il a été admis que la spectrine βII formait, avec la spectrine aII et l’actine, le réseau du cytosquelette sous-membranaire qui sous-tend l’élasticité des CCE. Étonnamment, cependant, la seule sous-unité b de la spectrine qui est concentrée au niveau du treillis cortical est la sous-unité βV, dont la longueur est presque deux fois celle des sous-unités β conventionnelles (Figure 3B). L’isoforme βII est aussi présente dans les cellules ciliées, mais uniquement au niveau de la plaque cuticulaire (Figure 3C) [16]. Il a été aussi montré que la spectrine βV interagit directement avec d’autres composants du treillis cortical, et son recrutement post-natal progressif au treillis est concomitant à celui de la prestine [16]. Grâce au nombre élevé et à l’élasticité de ses répétitions de type spectrine, la spectrine βV permettrait les changements de la longueur des CCE tout en empêchant la déformation de ces cellules. Par l’intermédiaire de ses partenaires de liaison, elle peut également servir de lien entre la membrane et le cytosquelette sous-cortical (Figure 3D). La nature et le rôle du couplage mécanique entre les différentes couches de la paroi latérale des CCE restent à élucider. En particulier, quel est l’apport fonctionnel, au sein de la paroi latérale des CCE, de la longueur exceptionnelle de la spectrine βV ?

 
Acknowledgments

Les auteurs remercient Jean-Pierre Hardelin et Saaid Safieddine pour leurs commentaires sur ce manuscrit, les Fonds Danet-Mazet (Fondation de France) et l’ANR-07-MRARE-009-01 pour leur soutien, le PFID-Imagopole de l’Institut Pasteur pour les images de la Figure 3. K.L. bénéficie d’une bourse de la Fondation pour la Recherche Médicale (France).

 
Footnotes
1 « Promenade autour de la cochlée », www.iurc.montp.inserm.fr/cric51/audition/start.htm
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