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Med Sci (Paris). 2009 March; 25(3): 273–280.
Published online 2009 March 15. doi: 10.1051/medsci/2009253273.

Diversification des immunorécepteurs au cours de l’évolution des métazoaires

Louis Du Pasquier*

Université de Bâle, Institut de Zoologie et de Biologie évolutive, Vesalgasse 1 CH-4051 Basel, Suisse
Corresponding author.
 

Les premiers métazoaires1 furent probablement très tôt menacés dans leur intégrité : menaces venant du monde extérieur, virus, bactéries, individus de la même espèce, mais aussi menaces venant du monde intérieur comme les variants du « soi » associés par exemple au développement de tumeurs. À ces multiples menaces, ils durent obligatoirement répondre précocement par la sélection de mécanismes de protection tout aussi multiples. On observe néanmoins que cette diversité initiale n’était pas suffisante et l’une des caractéristiques des systèmes immunitaires est d’exploiter de vastes répertoires de récepteurs (que nous appellerons immunorécepteurs), diversifiés par différents mécanismes intervenant soit au niveau de la lignée germinale soit dans les cellules somatiques. Les mécanismes permettant cette diversification ont pu s’élaborer à partir de molécules et de cascades de signalisation capables de reconnaître et d’évaluer le monde extérieur d’une part, mais aussi capables de réguler les interactions entre les éléments internes des systèmes immunitaires. Chaque année, de nouveaux systèmes immunitaires sont élucidés grâce à l’analyse de nouveaux génomes et à l’étude des réponses immunitaires d’organismes appartenant aux embranchements-clés des métazoaires. On reste frappé par la variété des solutions sélectionnées au cours de l’évolution pour parvenir à la diversification des immunorécepteurs. Contrairement aux idées unificatrices des années 1960-1970 qui voyaient partout des systèmes immunitaires homologues de ceux des Gnathostomes (Vertébrés à mâchoires), on découvre des systèmes qui répondent à cette nécessité par analogies et convergences et non par la conservation de mécanismes globalement homologues [ 1].

Les différentes familles d’immuno-récepteurs

La Figure 1 montre plusieurs domaines moléculaires non apparentés génétiquement, dont les structures tridimensionnelles très différentes ont été recrutées comme récepteurs cellulaires ou humoraux par les systèmes immunitaires des métazoaires. Ils doivent ce recrutement à plusieurs de leurs propriétés : leur stabilité, leur adaptation aux contraintes liées à l’expression à la surface d’une cellule et leur capacité de liaison à différents ligands. Ils ne sont pas pourtant l’apanage des systèmes immunitaires et peuvent être utilisés dans d’autres systèmes, dont le système nerveux, où l’adhésion cellulaire et ses modulations jouent un rôle important. Ces quelques familles, anciennes, représentaient déjà chez les métazoaires primitifs un arsenal diversifié de molécules permettant sans doute une couverture essentielle, mais peu redondante, des épitopes de pathogènes. Chaque organisme peut utiliser un assortiment de molécules pris dans cet arsenal de base et amplifier l’une ou l’autre catégorie selon des circonstances qui ne sont pas forcément connues. Une fois recruté par le système immunitaire, un récepteur peut donner naissance à une famille de récepteurs soumise à un nouveau train de sélections. C’est ce que l’on observe indépendamment dans de nombreux phyla et que l’on explique par la pression de l’environnement (pathogènes). De la diversité initiale, on passe à la multiplicité et à la création de familles multigéniques par duplication et conversion. Les duplications peuvent se produire en tandem, en bloc ou par polyploïdisation, et elles constituent un trait caractéristique des familles impliquées dans l’immunité.

Deux familles ont eu beaucoup de succès au cours de l’évolution :

  • Les molécules contenant des séquences répétées riches en leucine (LRR pour leucine rich repeats), qui ont été recrutées par les systèmes immunitaires des plantes comme par ceux des métazoaires [ 2, 3].
  • Les molécules de la superfamille des immunoglobulines (IgSF pour immunoglobulin superfamily), qui représentent 30 % des récepteurs lymphocytaires chez les Vertébrés. Elles sont restreintes au règne animal au sein duquel elles se sont considérablement diversifiées [ 4].

Nous nous limiterons à ces deux familles qui incluent à la fois récepteurs et effecteurs et pour lesquelles les questions évolutives et les adaptations somatiques sont à la fois les plus complexes et les mieux comprises.

Diversification par duplication des récepteurs LRR et IgSF

Les LRR peuvent être utilisés comme récepteurs ; ils sont localisés soit à l’intérieur (plantes et métazoaires : NLR, NOD-like receptors) soit à l’extérieur des cellules (métazoaires : VLR des agnathes, variable lymphocyte receptor ; TLR, Toll-like receptors). Tout en conservant au sein des métazoaires un rôle dans le déclenchement de réponses immunitaires innées d’un phylum à l’autre, grâce à une cascade de signalisation conservée, les TLR n’ont cependant pas subi la même diversification. Le Toll de Drosophila ne sert de récepteur qu’à un seul ligand, la molécule Spätzle, fonctionnant comme une cytokine. Toll ne reconnaît pas l’antigène (terme pris ici dans un sens immunologique, molécule du non-soi) et n’est donc pas soumis à une pression de diversification [ 5]. Au contraire, les TLR de deutérostomes constitués de domaines LRR homologues reconnaissent différents épitopes de pathogènes et forment des familles multigéniques contenant d’une dizaine (mammifères) [ 6] à des centaines (oursin) [7] de récepteurs de spécificités différentes.

Molécules appartenant à la superfamille des immunoglobulines (IgSF)

Les IgSF forment la majorité des récepteurs à la surface des lymphocytes de Vertébrés. Ces molécules existent sous des dizaines de formes différentes, en termes de domaines et d’organisation de domaines, ce qui représente un premier niveau de diversité. Beaucoup ne sont pas diversifiées en grandes familles multigéniques. Elles ne reconnaissent pas l’antigène et sont engagées dans des actions de régulation, d’adhésion et de contrôle de la prolifération (familles CD282, et B7 par exemple). Dans plusieurs cas, récepteurs et ligands appartiennent à la même superfamille. Parmi les récepteurs IgSf qui reconnaissent directement ou indirectement l’antigène, certains ne seront pas soumis à un processus de diversification somatique, par exemple les KIR (killing inhibitory receptors) exprimés par les cellules natural killer (NK), qui reconnaissent les molécules de classe I du CMH (complexe majeur d’histocompatibilité) de primates3, contrairement à d’autres (voir ci-dessous) qui engendrent les récepteurs TCR (T cell receptor) et BCR (B cell receptor), mais tous peuvent faire l’objet de duplications des éléments codant la partie variable (famille des domaines V, D, J des TCR et BCR, domaines extérieurs des KIR) et la partie constante (isotypes).

Le répertoire des KIR
Ainsi, pour prendre un seul exemple, le répertoire des KIR est influencé par les pathogènes car les cellules NK tuent les cellules infectées par un pathogène spécifique, mais il est aussi influencé par le polymorphisme du CMH. En effet, le pathogène, pour échapper au système immunitaire adaptif qui intervient via la présentation de l’antigène par le CMH de classe I, réprime l’expression de l’une ou l’autre des molécules de CMH I de la cellule hôte, la rendant ainsi typiquement vulnérable à l’action des NK qui, précisément, tuent les cellules n’exprimant pas de molécules CMH I. Les KIR se sont donc rapidement diversifiés en familles multigéniques (contenant des dizaines de gènes) sous la pression des pathogènes [ 8]. Polygénisme et polymorphisme facilitent ainsi la couverture du spectre des pathogènes et sont favorisés au cours de l’évolution.
Récepteurs du fragment Fc
On rencontre des familles multigéniques d’un type structural voisin, comme les récepteurs du fragment Fc des immunoglobulines (FcR) et leurs homologues chez tous les Vertébrés étudiés un peu en détail par exemple :
  • Les poissons osseux avec des dizaines de membres de cette famille, comportant un ou plusieurs domaines Ig et s’associant avec des motifs ITAM (immunoreceptor tyrosine-based activation motif) et ITIM (immunoreceptor tyrosine-based inhibition motif) [ 9, 10].
  • Les amphibiens avec, chez Xenopus, des molécules homologues des FcR et des molécules à motifs ITIM liées au CMH [ 11, 12].
  • Les oiseaux avec des dizaines de membres de récepteurs CHIR (chicken Ig-like receptor) de type FcR ou KIR [ 13].
  • Les mammifères avec des dizaines de membres dans le LRC (leukocyte receptor complex du chromosome 19q) et une partie du chromosome 1 [ 14].

De façon générale, les ligands et le rôle de ces familles sont mal connus en dehors des mammifères.

Familles IgSF multigéniques chez les Invertébrés protostomes
Les FREP (fibrinogen related proteins) en sont un exemple chez les mollusques : dotées de deux domaines IgSF et d’un domaine fibrinogène, ces molécules jouent un rôle dans l’immunité anti-helminthique [ 15]. Chez les Invertébrés deutérostomes, l’Amphioxus, un céphalochordé, exprime les VCBP (variable region-containing chitin-binding protein), une catégorie de molécules formant une famille multigénique probablement impliquée dans l’immunité innée. FREP de mollusques et VCBP sont analogues dans leur structure (dans les deux cas, il ne s’agit pas de récepteurs de membrane), si ce n’est que le domaine carboxy-terminal des VCBP est une partie liant la chitine et non un domaine fibrinogène ; ces molécules sont hautement polymorphiques au point que, parmi 12 individus capturés dans la même région géographique en Floride, aucun ne montre le même assortiment [ 16].
Une économie de la diversification
Le nombre total de gènes dévolus à l’immunité a ses limites : trop grand, il pourrait finalement surcharger le génome et poser des problèmes de contrôle d’expression. En fait, bien que l’observation des génomes suggère que les régions génétiques des immuno-récepteurs sont en duplication perpétuelle, il s’avère qu’elles ne retiennent qu’un certain nombre de gènes, sélectionnant les nouvelles spécificités, grâce à un processus de « naissance et mort » [ 17] qui maintient le nombre de gènes utiles dans des limites raisonnables.

En outre, sans accroître davantage le nombre de gènes, la diversité des récepteurs peut être augmentée d’une façon économique par la combinaison des chaînes polypeptidiques dans le cas où ces récepteurs sont hétéromériques, le nombre de récepteurs finaux étant égal au produit du nombre des sous-unités. C’est le cas par exemple des chaînes lourde et légère d’anticorps, chaînes α, β, γ, d des TCR, des dimères de DSCAM (Down syndrome cell adhesion molecule, voir plus loin)44, etc. (revue dans [ 18]).

Finalement, dans plusieurs phyla se sont développé indépendamment et par convergence des moyens supplémentaires de diversification somatique. Généralement spécifiques des immunocytes (hémocytes des insectes et des mollusques, cœlomocytes des annelides, mollusques et arthropodes, lymphocytes), ils permettent une diversification souple et économique conduisant à un nombre de récepteurs largement supérieur au nombre de gènes codant leurs éléments structuraux et couvrant vraisemblablement l’ensemble des épitopes des pathogènes.

Diversification somatique
Réarrangements de l’ADN
Divers mécanismes somatiques assurent une variabilité à la partie du récepteur réagissant avec son ligand extérieur (dont les pathogènes). Les mécanismes les plus connus sont les réarrangements somatiques combinatoires des segments V D J55, permettant l’édification de la partie variable du récepteur IgSF des lymphocytes B (BCR) et T (TCR) des systèmes immunitaires adaptatifs de Vertébrés (revue dans un contexte évolutif [1]). Il peut s’y ajouter selon les espèces un mécanisme de conversion génique6, et des mutations somatiques7,. Ces processus sont dus, dans la lignée lymphoïde, à l’action des enzymes RAG1 (recombination activating enzyme) et RAG2 pour la recombinaison, AID (activation induced deamidase) pour la conversion et les mutations et à la TdT (terminal desoxyribonucleotidyl transferase) pour une éventuelle diversité de jonction entre les segments V, D et J. Ils permettent l’établissement de répertoires très étendus. RAG 1 et 2 présents chez les échinodermes ne semblent pas avoir été recrutés par le système immunitaire de ces organismes [7]. Un bel exemple d’analogie est celui que l’on rencontre chez les Agnathes [ 19] (Figure 2) où une conversion génique somatique, faisant intervenir AID comme chez les Gnathostomes [20, 21], modifie les gènes de la lignée germinale et crée une population de lymphocytes unipotentiels exprimant un répertoire potentiellement de l’ordre de 1014 spécificités, mais dans la famille des LRR et non dans celle des IgSF. Ces molécules jouent le rôle d’anticorps spécifiques [ 22].

Un autre exemple intéressant de convergence est la façon dont les oiseaux et certains mammifères diversifient leur répertoire lorsque l’organisation des éléments contribuant à sa formation n’y est apparemment pas favorable. Dans ces espèces, le locus ne peut pas engendrer plus d’un réarrangement fonctionnel, ce qui limite la diversité car il n’y a pas de possibilité d’utilisation combinatoire des éléments V (Figure 2). Après le réarrangement, un autre mécanisme entre en jeu, qui va copier, par « conversion génique », de courts segments de séquences prises dans les pseudo-gènes avoisinants, pour les incorporer au seul gène réarrangé fonctionnel. L’accumulation des conversions dans la descendance des lymphocytes originaux ayant tous effectué le même réarrangement entraîne finalement une grande diversification [23].

Les mutations somatiques enfin, qui s’accumulent aussi dans les cellules issues des clones originaux, permettent une maturation des réponses (revue dans [1]). Elles ne sont peut-être pas l’apanage des Vertébrés, puisqu’une diversité de ce type semble avoir été observée dans les domaines Ig de molécules FREP de mollusques, indépendamment de tout mécanisme de réarrangement [15].

Diversifications somatiques indépendantes d’un réarrangement de l’ADN
Les mécanismes de diversification somatique de la partie variable d’un récepteur ne concernent pas toujours l’ADN. Il existe chez les arthropodes un récepteur DSCAM (homologue du Down syndrome cell adhesion molecule de l’homme) jouant un rôle dans l’établissement des connexions du système nerveux et dans la phagocytose dans le système immunitaire. Son site de reconnaissance est constitué d’une série de domaines Ig extracellulaires diversifiés. La diversification de ces domaines est due à l’épissage alternatif mutuellement exclusif et combinatoire de près d’une centaine d’exons appartenant à 3 cassettes permettant la synthèse de dizaines de milliers d’isoformes [ 24, 25]. Le répertoire de DSCAM semble être modulable par l’antigène [ 26], mais il n’y a pas de possibilité de sélection clonale, puisque l’ADN des cellules n’est pas modifié : en outre, les hémocytes de ces deux espèces ne prolifèrent pas en réponse à l’antigène.

Hormis la partie variable, la commutation de classe (Figure 2) observée dans le locus des Ig des tétrapodes [ 27] est un autre exemple d’un processus de modification somatique de l’ADN aboutissant à la diversification d’un récepteur dans ses propriétés effectrices et non plus de reconnaissance.

La genèse de formes transmembranaires ou solubles d’un même récepteur peut être due à un épissage alternatif. Ce mécanisme permet aussi de moduler finement les capacités de signalisation des récepteurs, en substituant ou en éliminant un motif de type ITIM (inhibiteur) ou ITAM (activateur) par exemple chez les protostomes (molécule DSCAM de crustacés), ou en modulant les ITIM chez les deutérostomes (Vertébrés) [25, 28].

Cet article insiste sur les systèmes les mieux connus, mais il existe vraisemblablement d’autres cas de diversification d’immunorécepteurs par épissage alternatif : citons la diversification d’un récepteur d’histocompatibilité chez le prochordé Botryllus, qui affecte des domaines du type Sushi des CCP (complement control proteins) (Figure 1) [29]. De même, chez l’oursin, un locus encore mystérieux semble donner naissance à un nombre très élevé de formes différentes d’immuno-effecteurs sans que l’on comprenne encore bien le mécanisme. Le processus de diversification revêt donc un grand nombre de formes, qui dépasse les quelques exemples traités dans le cadre de cet article (revue dans [7]).

Diversité utile ou dangereuse ?
Paramètres utiles à la diversification
On peut se poser la question de l’utilité et des conséquences d’une telle diversité, créée dans les cellules somatiques au hasard, et dont l’ordre de grandeur est 102 à 1010 fois supérieur à celui de la plus grande des diversités de type germinal. Tout d’abord, peut-elle être utilisée et comment ? Dans le contexte cellulaire des différents organismes, ces molécules auront-elles toujours une chance d’être présentes à une concentration utile ? Et combien d’entre elles réagiront aussi avec les molécules du soi, créant des réactions d’auto-immunité ? Ces contraintes ont donné lieu à des adaptations dans les systèmes immunitaires. L’immunocyte spécialisé que représente le lymphocyte de Vertébré en est le meilleur exemple.

Il faut permettre à la cellule (hémocyte ou lymphocyte) produisant la molécule dotée de la spécificité utile d’être sélectionnée et produite en plus grande quantité dans le cas qui nous occupe, celui où le récepteur et l’effecteur sont de même nature. Le problème de la densité utile de récepteurs par cellule semble avoir été résolu de manière convergente par la réduction du nombre de variétés moléculaires exprimées par une cellule ; c’est vrai des hémocytes d’arthropode aux lymphocytes d’agnathes comme de Gnathostomes. Parmi les dizaines de milliers d’isoformes DSCAM possibles, seules 20-30 sont expérimentées par les hémocytes d’arthropode. Des 1012-14 VLR, TCR ou Ig de Vertébrés, une seule spécificité est exprimée par cellule (sauf rares exceptions) des agnathes aux Gnathostomes. La pression est telle que même le deuxième allèle codant un récepteur n’est pas exprimé (processus appelé exclusion allélique).

Cellules porteuses du répertoire de diversité
Quelles sont ces cellules ? Quel environnement les sélectionne au cours de l’établissement des répertoires et d’où viennent-elles chez les métazoaires ?

La Figure 3 illustre l’histoire évolutive des lymphocytes, indissociable de celle du mésoderme dont elles sont issues, de leurs facteurs de transcription et de leurs marqueurs de surface. Certains facteurs de transcription responsables de la diversification des lignées hématopoïétiques sont conservés chez les protostomes (Insectes) et les deutérostomes (Vertébrés) [ 31]. L’acquisition de récepteurs spécifiques engendrés dans les cellules somatiques est probablement un phénomène tardif, mais la base de la fonction hémocytaire ou lymphocytaire avec ses circuits de régulation est ancienne, comme le montre la conservation d’un certain nombre de récepteurs de régulation (apparentés au LRC) et de facteurs de transcription au sein des lignées hématopoïétiques des chordés phylogénétiquement éloignés les uns des autres [ 32]. De la même manière, les lymphocytes des agnathes et de Gnathostomes possèdent en commun certains récepteurs de régulation, alors que nous savons qu’ils diffèrent profondément au niveau de leurs récepteurs spécifiques de l’antigène. Les régions génétiques codant ces récepteurs de régulation sont aussi relativement bien conservées, au moins chez les deutérostomes [28, 32].

Dans le cas d’une diversité germinale plus faible, la probabilité de rencontrer un déterminant auto-réactif est relativement faible. Éventuellement, un individu produisant un tel variant risque d’être éliminé sans dommage pour la population. En revanche, les répertoires de 1012-14 récepteurs différents produits par les cellules somatiques contiennent certainement des déterminants capables de reconnaître « le soi », entraînant donc un risque d’auto-immunité, conduisant à l’élimination de tous les individus. Une sélection somatique est nécessaire. La sélection du répertoire, autrement dit le maintien de l’utile et l’élimination du dangereux, se fait en fonction de l’affinité des récepteurs pour les épitopes du soi et tire parti de la spécialisation, autrement dit de l’unipotentialité (clonalité) des cellules. Chez les Vertébrés, au cours des sélections somatiques intra-individuelles qui ont lieu dans le thymus pour les cellules T et dans la moelle osseuse ou son équivalent pour les cellules B [ 33], seules les cellules produisant le variant dangereux seront éliminées. La vie de l’individu n’est donc plus en jeu et chaque cellule sélectionnée, et donc survivante, peut donner naissance à un clone exprimant la même spécificité « utile » (sélection clonale) qui pourra plus tard être sélectionnée par un antigène. Chez les Vertébrés, les mécanismes de présentation de l’antigène par les molécules du CMH de classe I et II et le thymus jouent un rôle crucial dans cette étape, en permettant aux cellules T en cours de différenciation d’évaluer le soi peptide par peptide [ 34]. Ce mécanisme crucial est parfaitement conservé des premiers Gnathostomes aux mammifères [1]. La sélection du répertoire peut ne pas être parfaite et d’autres mécanismes de régulation impliquant des cellules spécialisées existent [ 35], par exemple les lymphocytes T suppresseurs. On n’a en revanche aucune idée sur les modes de sélection et de contrôle d’expression de la diversité acquise par épissage alternatif (cas de DSCAM chez les arthropodes, donc chez des millions d’espèces). On ne sait pas non plus comment sont sélectionnés les VLR chez les Agnathes, mais on sait que lamproies et myxines ne possèdent pas de complexe majeur d’histocompatibilité.

Conclusion

Pour comprendre l’évolution des systèmes immunitaires, il faudrait dépasser l’aspect comparatif et essayer de reconstruire l’histoire qui conduit aux différents états présents dans les espèces actuelles. Mais, outre que nous ne disposons pas du matériel pour faire une vraie étude phylogénétique, l’étude comparative est utile et aboutit à des conclusions concernant la diversification des récepteurs qui, sans pour autant prouver dans chaque cas l’utilité de la diversité évoquée ci-dessus, obéissent à une certaine logique. Les différents systèmes innés, impliquant des récepteurs dont la diversification est de type germinal, ont un avantage fondamental : la rapidité d’intervention. Comme la phase d’adaptation somatique qui obligatoirement prend du temps n’est pas nécessaire, ces récepteurs sont prêts à intervenir dès l’infection. Chaque organisme, au sein des Protostomes et des Deutérostomes, en possède une panoplie et plusieurs récepteurs cellulaires ou humoraux font usage de familles multigéniques. Nous avons insisté sur les familles LRR et IgSF, mais il peut aussi s’agir de lectines, de protéines reconnaissant les peptidoglycanes, de TEP (thioester forming protein)8,, de membres de la famille du complément [1, 38].

Pourtant lorsque des adaptations somatiques (Figure 4) de toutes sortes se présentent, elles sont souvent exploitées en raison d’avantages importants : économie de matériel génétique, possibilité d’individualiser les réponses, vastes répertoires et, selon les cas, possibilité de mémoire immunologique. Elles cohabitent dès lors avec les mécanismes assurant l’immunité innée, les modifiant parfois au gré des contextes zoologique, structural et écologique et conduisant à des équilibres très différents selon les espèces. On peut imaginer (par exemple) qu’une capacité à engendrer somatiquement des répertoires puisse avoir une influence négative sur l’évolution des familles multigéniques et sur celle du polymorphisme qui toutes deux créent une diversité germinale d’autant moins nécessaire que la diversification somatique est importante. Il n’y a de vraie unité dans l’évolution des systèmes immunitaires, envisagée du point de vue des métazoaires en général, qu’au niveau du résultat final : tous ont sélectionné des moyens pour disposer d’un répertoire flexible d’immunorécepteurs au niveau des populations et/ou des individus leur permettant de faire face aux changements de l’environnement.

 
Footnotes
1 Le lecteur trouvera dans les figures la position relative des différents embranchements de métazoaires, ainsi que les abréviations concernant les différentes molécules.
2 La molécule CD28 est un costimulateur majeur de l’activation T en réponse à la stimulation du récepteur T (le complexe TCR/CD3). Elle interagit avec les molécules B7.1 et B7.2, exprimées par les cellules présentatrices d’antigène, et est nécessaire à la production de cytokines et à l’induction d’une prolifération cellulaire optimale.
3 Il est intéressant de remarquer que chez les mammifères les récepteurs de type Igsf KIR n’existent que chez les primates, mais que des analogues sous forme de lectines fonctionnent selon le même principe chez les autres espèces [14].
4 La partie extracellulaire de Dscam comprend 10 domaines immunoglobulines (Ig) et 6 domaines fibronectine de type III et sa région carboxy-terminale contient un domaine transmembranaire et une queue cytoplasmique. Cette protéine est codée par un gène contenant 24 exons, dont beaucoup produisent des pré-ARNm susceptibles d’épissage alternatif, pouvant potentiellement générer 38 016 isoformes protéiques. Elle est exprimée dans les neurones du système nerveux central et périphérique et est associée au retard mental des trisomiques 21 (syndrome de Down).
5 V pour variable, D pour diversité, et J pour jonction.
6 La conversion génique est la transformation d’un gène en un autre gène par appariement de parties d’ADN différentes, mais ayant une grande homologie.
7 Ces mutations apparaissent au cours de la différenciation du lymphocyte B dans les ganglions lymphatiques et contribuent à augmenter la diversité des Ig.
8 « En effet, chez les vertébrés, anophèle et drosophile, les membres de cette famille TEP sont impliqués dans la reconnaissance des pathogènes et dans l’activation des effecteurs de la réponse immunitaire. On y trouve, entre autres, les facteurs C3, C4 et C5 du complément, qui se lient à la surface des pathogènes et favorisent ainsi leur élimination par phagocytose ou par lyse cellulaire ». [20, 39].
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