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Med Sci (Paris). 2009 April; 25(4): 349–351.
Published online 2009 April 15. doi: 10.1051/medsci/2009254349.

Altération de l’autophagie chez les patients atteints de maladie de Crohn
Une porte ouverte pour des bactéries invasives ?

Anne-Lise Glasser,* Pierre Lapaquette,* and Arlette Darfeuille-Michaud*

Pathogénie Bactérienne Intestinale, JE2526 Université d’Auvergne, USC-INRA 2018, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Autophagie, Maladie de Crohn, Endosomes, Interactions hôte-pathogène, Humains, Intestins, Souris, Souris knockout, Mycobacterium, Salmonella typhimurium, Streptococcus, Vacuoles

 

L’autophagie, du Grec « autos » (de soimême) et « phagos » (manger), est un processus biologique d’autocannibalisme qui conduit à la dégradation par le lysosome de constituants cellulaires (agrégats protéiques, organites endommagés ou surnuméraires). L’autophagie participe au maintien de l’homéostasie cellulaire et joue un rôle dans la différenciation, la survie et la mort cellulaires, dans la réponse à des stress environnementaux, et dans l’immunité innée et adaptative. Certains cancers, des maladies neurodégénératives (maladie de Huntington), des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (maladie de Crohn) ou certaines pathologies infectieuses pourraient avoir comme origine une altération de l’autophagie (→) [ 17, 18].

(→) Voir les articles de P. Codogno et J. Puyal et al. p. 323 et p. 383 de ce numéro

Mécanisme de l’autophagie

L’autophagie est un processus faisant intervenir trois étapes : l’induction, l’élongation, et la maturation (Figure 1). L’induction permet la mise en place d’une structure membranaire dite pré-autophagosomale. Elle est sous la dépendance de la GTPase IRGM (immunity-related GTPase family, M) et de deux complexes protéiques, un premier qui fait intervenir la protéine mTor (mammalian target of rapamycin) et un second associant la protéine adaptatrice Beclin 1 [ 14] avec une PI3-kinase de classe III. L’élongation de cette structure conduit à la formation d’une membrane d’isolement, appelée phagophore, qui piège une portion de cytoplasme et capture les éléments à ingérer. Cet événement dépend de deux systèmes de conjugaison similaires à l’ubiquitinylation des protéines et dont les acteurs majeurs sont LC3 et le complexe trimérique Atg5, Atg12 et Atg16 L1 (autophagy-related 16-like1) [ 15]. La localisation de ces complexes au niveau de la membrane d’isolement est indispensable pour la formation d’une vacuole à double membrane, appelée autophagosome. Enfin, cet autophagosome fusionne avec des lysosomes pour constituer un autophagolysosome mature capable de dégrader son contenu (pour revue voir [ 1])

Rôle de l’autophagie dans l’élimination de bactéries intracellulaires

L’autophagie est une voie de dégradation de bactéries intracellulaires parallèle au trafic endocytaire classique. Elle permet de prendre en charge soit des bactéries libres dans le cytoplasme, soit des bactéries internalisées dans des vacuoles immatures ou endommagées.

Les streptocoques du groupe A, grâce à la synthèse de streptolysine O, lysent la vacuole de phagocytose et se répliquent dans le cytoplasme de la cellule hôte. À ce stade, le processus d’autophagie séquestre ces bactéries et les élimine dans un autophagolysosome, comme l’ont montré des expériences réalisées avec des fibroblastes murins atg5−/− incapables de réaliser un processus autophagique, dans lesquels les bactéries se multiplient beaucoup plus fortement que dans des cellules dont le gène atg5 est intact [ 2].

L’autophagie permet également la prise en charge de bactéries internalisées, comme Mycobacterium tuberculosis, qui sont capables de créer une niche de réplication dans une vacuole en bloquant la maturation du phagosome. Seule l’autophagie, induite en réponse à la privation des cellules en nutriments ou à une stimulation par l’interféron-γ, permet d’éliminer les mycobactéries internalisées [ 3]. La protéine IRGM joue un rôle clé dans cette défense antibactérienne qu’exerce l’autophagie comme cela a été montré dans des macrophages murins et humains dans lesquels la traduction de cette protéine était bloquée à l’aide d’ARN interférents [ 4].

Salmonella Typhimurium illustre une autre modalité de ciblage de bactéries intracellulaires par l’autophagie : cette bactérie pathogène à tropisme intestinal est capable également de modifier la maturation de son phagosome afin d’établir une niche de réplication. Cependant, une fraction des bactéries ainsi internalisées altère l’intégrité de la vacuole grâce à des effecteurs bactériens sécrétés via un système de sécrétion de type III, et se retrouvent libres dans le cytoplasme où elles sont alors prises en charge par la machinerie de l’autophagie. La protéine IRGM est à nouveau directement impliquée puisque son niveau d’expression est directement corrélé à la capacité des cellules épithéliales à contrôler la multiplication des bactéries intracellulaires [ 5]. La protéine ATG16L1 intervient également, car si l’on diminue son expression dans des cellules épithéliales intestinales par l’utilisation d’ARN interférents, Salmonella typhimurium n’est plus contrôlée par l’autophagie [ 6].

Ces différents exemples montrent l’importance du rôle qu’exerce l’autophagie dans l’immunité innée de l’hôte vis-à-vis d’une infection bactérienne. De plus, la dégradation des pathogènes dans l’autophagolysosome permet d’alerter l’immunité adaptative, via la présentation d’antigènes par les molécules du CMH (complexe majeur d’histocompatibilité) de classe II.

Mise en évidence de polymorphismes dans des gènes clés de l’autophagie chez les patients atteints de maladie de Crohn

La maladie de Crohn (MC) est une maladie inflammatoire chronique du tube digestif qui affecte environ 1 personne sur 1 000 dans les pays occidentaux, soit environ 1 million de personnes dans le monde [ 16]. Un certain nombre d’arguments épidémiologiques, cliniques et expérimentaux plaident en faveur du rôle de la flore digestive dans l’étiologie de la MC : la dérivation du contenu luminal entraîne une rémission de la maladie tant que la muqueuse n’est pas au contact du flux fécal, et l’administration d’antibiotiques permet d’améliorer les signes cliniques de la maladie.

Les avancées en génétique humaine ont mis en évidence l’importance de l’immunité innée et la relation d’équilibre entre microbiome intestinal et muqueuse intestinale de l’hôte dans la pathogenèse de la MC. Des mutations dans un premier gène de susceptibilité avaient été mises en évidence en 2001 chez des patients présentant une atteinte iléale de la MC [ 7]. Il s’agit du gène nod2 codant un récepteur intracytoplasmique capable de reconnaître le muramyl dipeptide bactérien et d’enclencher une réponse innée dans la cellule hôte. L’identification d’un tel gène indiquait déjà une piste infectieuse, via des bactéries invasives, dans la pathogénie de la MC. Récemment, des études indépendantes d’association à l’échelle du génome ont identifié des variants du gène ATG16L1 et d’une délétion en amont du gène IRGM (interferon-inducible guanosine triphosphatase), comme marqueurs de prédisposition génétique [6, 810]. Les protéines ATG16L1 et IRGM étant indispensables à l’induction de l’autophagie, cela renforce l’hypothèse du rôle de bactéries invasives et de l’absence du contrôle de leur persistance et/ou de leur multiplication intracellulaires dans la MC.

Implications de bactéries invasives dans la maladie de Crohn

Dès les premières études bactériologiques, les similitudes entre MC et certaines formes d’entérocolites infectieuses de type shigellose, salmonellose ou yersiniose ont permis d’évoquer l’implication de bactéries invasives à tropisme intestinal dans l’étiologie de la MC. Les bactéries suspectées sont Mycobacterium avium subspecies paratuberculosis (MAP) et des souches de Escherichia coli adhérentes et invasives (AIEC), deux bactéries à tropisme intracellulaire et capables de survivre et de se multiplier dans les cellules épithéliales et/ou les macrophages de l’hôte. Si les résultats des analyses recherchant la présence de MAP chez les patients atteints de MC sont très contradictoires, les arguments s’accumulent en faveur de l’implication des AIEC [ 11]. La prévalence de souches AIEC au niveau iléal est de 36,4 % chez les patients atteints de MC contre seulement 6,2 % chez les sujets qui ne sont pas atteints de pathologies inflammatoires intestinales [ 12]. La forte colonisation par des bactéries AIEC est due à l’expression anormale de molécules CEACAM6 (human carcino-embryonic antigen cell adhesion molecule) au niveau iléal chez les patients [ 13]. L’expression accrue de CEACAM6, récepteur impliqué dans l’adhésion des AIEC, serait consécutive à l’infection, ces bactéries étant capables d’induire leur propre colonisation.

Les connaissances actuelles ne permettant pas d’établir si les bactéries AIEC peuvent moduler le processus d’autophagie, mais il est probable qu’une altération de ce mécanisme chez des patients atteints de MC contribuerait à la mise en place de conditions facilitant la persistance et la multiplication de ces bactéries pathogènes invasives (Figure 2).

 
Acknowledgments

Nous remercions pour leur soutien l’Association François Aupetit dédiée à l’amélioration des connaissances sur les maladies inflammatoires chroniques intestinales (maladie de Crohn et rectocolite hémorragique), l’Institut de Recherche des Maladies de l’Appareil Digestif (Laboratoire AstraZeneca), l’institut National de la Recherche Agronomique et le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

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