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Med Sci (Paris). 2009 May; 25(5): 473–482.
Published online 2009 May 15. doi: 10.1051/medsci/2009255473.

Glycannes pariétaux de levures et anticorps spécifiques
Biomarqueurs et outils d’analyse physiopathologique des candidoses et de la maladie de Crohn

Boualem Sendid,1 Thierry Jouault,1 Annie Vitse,1 Chantal Fradin,1 Jean Frédéri Colombel,1 and Daniel Poulain1*

1Inserm U795, Université Lille 2, CHRU de Lille, 1, place Verdun, 59037 Lille Cedex, France
Corresponding author.
 

Une des spécificités « historiques » de la mycologie médicale est d’utiliser les anticorps expérimentaux et humains produits contre les molécules fongiques afin de mieux comprendre la biologie des champignons et les processus pathologiques qu’ils induisent, et d’en faciliter le diagnostic [ 46]. Chez les champignons, les « glycannes »1 représentent jusqu’à 80 % de la paroi [ 13] et il n’est donc pas étonnant que pour les espèces impliquées en pathologie humaine, ils soient la cible privilégiée de la réponse immune. Nous proposons dans cette revue une synthèse des données expérimentales et cliniques démontrant tout l’intérêt des anticorps anti-glycannes pour l’exploration des mécanismes physiopathologiques et pour le diagnostic, et nous l’illustrerons dans deux entités cliniques distinctes, les candidoses et la maladie de Crohn.

C. albicans, candidoses et maladie de Crohn
Candida et Candidoses
C. albicans est un hôte naturel du tube digestif et du vagin humain. Si on ne connaît pas le bénéfice de ce portage, on en connaît en revanche les effets néfastes : les candidoses vaginales affectent 75 % des femmes au moins une fois dans leur existence et les candidoses oro-pharyngées 90 % des patients infectés par le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) parvenus au stade SIDA. Ces chiffres attestent l’omniprésence de C. albicans sur les muqueuses humaines. Cette colonisation est également à l’origine d’infections profondes survenant en milieu hospitalier chez des patients affaiblis par leur pathologie primaire et les actes médico-chirurgicaux mis en œuvre pour la traiter [ 7]. L’importance et la gravité des candidoses nosocomiales ont été sous estimées jusqu’à ce que les grandes études épidémiologiques réalisées dans les années 1990 révèlent que les levures du genre Candida occupaient le quatrième rang des agents infectieux en milieu hospitalier pour la fréquence, et le premier pour la mortalité [ 8]. Malgré le coût sans cesse croissant des traitements antifongiques, qui dépasse celui des antibiotiques antibactériens dans la plupart des hôpitaux universitaires, la maîtrise de ces infections n’est pas acquise. Cela s’explique par les difficultés du diagnostic clinique et biologique dans un contexte physiopathologique complexe, souvent celui d’infections opportunistes provoquées dans la majorité des cas par la souche de levure hébergée par le patient [8].
La maladie de Crohn

La maladie de Crohn (MC) est une pathologie inflammatoire chronique du tractus gastro-intestinal qui touche plus d’un million de personnes aux Etats-Unis et en Europe. Son incidence s’est accrue fortement après la seconde guerre mondiale dans les pays occidentaux où elle est maintenant stabilisée. Ce n’est pas le cas en Europe de l’Est, en Asie et dans les pays en voie de développement où elle est en nette augmentation [ 9]. Ces variations épidémiologiques observées dans le temps et dans l’espace suggèrent l’intervention de facteurs de risques environnementaux, mais seul le rôle du tabac est bien établi. La MC se caractérise par une réponse immunitaire de la muqueuse intestinale non contrôlée dont le déclenchement et/ou la chronicité reposent sur une susceptibilité génétique à divers stimulus environnementaux dont la flore intestinale [ 10]. Sans que l’on sache s’il s’agit d’une cause ou d’une conséquence, le développement de la MC est associé à l’apparition séquentielle d’anticorps dirigés contre divers antigènes microbiens intestinaux [ 11].

Bien que le tube digestif soit la niche naturelle de C. albicans, les relations entre C. albicans, les candidoses et la maladie de Crohn n’avaient paradoxalement jamais été explorées. Nous décrivons ici comment les données cliniques et expérimentales collectées sur les anticorps anti-glycannes de levures permettent de suggérer un lien entre les deux pathologies.

Distribution des glycannes et de leurs épitopes majeurs dans la paroi des levures
Distribution des glycannes dans la paroi de S. cerevisiae et de C. albicans
La paroi des levures est une structure stratifiée complexe [3]. La Figure 1 en fournit une représentation schématique mais statique. Or cette structure est en perpétuelle évolution : un changement mineur de pH, de température, de sel, d’acide aminé du milieu environnant engendre des modifications de plusieurs centaines de transcrits impliqués dans la biogenèse de la paroi [ 12] induisant des changements radicaux de forme et à fortiori de molécules exprimées.

Ce schéma est dérivé des études sur S. cerevisiae, levure sexuée, cellule eucaryote modèle et premier organisme séquencé. C. albicans, levure diploïde, volontiers polyploïde, dont on ne connaît pas le cycle sexué, fut le second modèle, ce qui lui permit de devenir également un modèle de recherche fondamentale.

Dans ces deux organismes, ce sont des polysaccharides compacts et fibrillaires, les glucanes et la chitine, qui sont responsables de la résistance de la paroi aux actions mécaniques et aux agents chimiques. Des mannoprotéines insérées dans les mailles de ce réseau contribuent elles aussi à la résistance tout en participant aux relations avec l’environnement. Elles sont liées soit aux β-1,3 soit aux β-1,6 glucanes. Dans ce dernier cas, un mode d’association sophistiqué fait intervenir les glycosylphosphatidylinositols (GPI) qui ancrent les protéines dans la membrane plasmique. Chez les levures, certaines mannoprotéines migrent dans la paroi avec une partie de cette ancre qui est alors associée aux glucanes par des transglucosidases [3].

Le phosphopeptidomannane (PPM) (Figure 2), plus communément dénommé mannane, est associé de manière non covalente à la surface de la paroi (Figure 1). Ce haut polymère de mannose (D-mannopyrannose) est l’antigène quantitativement et qualitativement majeur des levures [ 5]. Les résidus mannose sont branchés sur une chaîne protéique soit par liaison N-glycosidique sur une asparagine, soit par liaison O-glycosidique sur une sérine ou une thréonine. L’analyse structurale de ce polymère complexe chez S. cerevisiae (Figure 2A) a fourni beaucoup de clefs pour comprendre la glycosylation dans les cellules eucaryotes. Le PPM de C. albicans (Figure 2B) diffère de celui de S. cerevisiae, par l’existence de chaînes latérales d’a mannosides plus longues ainsi que par la présence de β-mannosides, résidus mannose ayant un mode de liaison relativement rare dans le monde vivant [ 13].

Distribution des épitopes oligosaccharidiques sur les molécules pariétales de levures

Ce sont les anticorps anti-mannane qui ont été les plus étudiés, notamment par les auteurs japonais qui ont produit des IgG polyclonales de lapin anti-levures, rendues spécifiques de souche ou d’espèce par des adsorptions hétérologues. Les épitopes potentiels reconnus par ces immunoglobulines (Ig) ont été identifiés par des études en RMN [13]. Ces Ig spécifiques dénommées « facteurs sériques », numérotées au décours d’innombrables travaux, constituent toujours autant de repères pour les glycobiologistes même si leur commercialisation ne semble plus assurée (Tableau I, colonne 3). Bien que ces règles souffrent de quelques exceptions, on peut considérer que la spécificité des anticorps repose sur la position du carbone sur lequel s’effectue le branchement (2,3,6), l’anomérie de liaison (α ou β) et les longueurs des chaînes oligomannosidiques. Pour les homopolymères, il existe une notion d’épitope minimal (longueur du résidu) au-delà duquel toutes les structures plus longues sont reconnues, mais il existe aussi quelques exceptions. Ces règles, établies avec des Ig polyclonales, se sont avérées exactes pour déterminer les épitopes des nombreuses Ig monoclonales anti-mannane produites à ce jour (Tableau I, colonne 3).

La diversité des oligomannosides fournit à l’arrivée un répertoire extrêmement important de combinaisons [13]. Lorsqu’un épitope d’Ig a pu être déterminé, il est possible d’établir la cartographie de sa distribution sur les différentes molécules de C. albicans. Comme le montre la Figure 3, ce type d’approche permet de révéler une caractéristique importante des séquences oligomannosidiques de levures : elles peuvent être portées par de très nombreuses molécules différentes et non apparentées.

L’exemple actuellement le plus représentatif est celui d’un glycolipide pariétal de C. albicans, dénommé phospholipomannane - PLM - (Figure 1 et Figure 2c) dont la structure, suspectée à partir d’analyses immunochimiques, a été confirmée par de nombreuses analyses structurales. Le PLM de C. albicans est une molécule unique de la famille des mannoseinositolphosphocéramides membranaires dont la b-mannosylation permet la présence à la surface de la paroi [ 14] où elle oriente la réponse immunitaire de type innée [ 15]. Un second exemple récent, concernant également les β-mannosides, suggère que contrairement à une idée établie, toutes les familles de MPP peuvent être β-mannosylées [ 16] (Figure 1). Ainsi, chez C. albicans, les β-mannosyl-transférases codées par 9 gènes différents agissent de manière séquentielle et coordonnée pour associer différents β-mannanes au PPM, au PLM et à la vaste majorité des mannoprotéines de paroi. Les raisons pour lesquelles ce système est aussi complexe restent inconnues, mais son existence suggère une certaine importance biologique pour C. albicans [ 17], d’autant que, selon des mécanismes qui restent obscurs, les anticorps anti-β-mannosides protègent des candidoses expérimentales vaginales et systémiques.

Applications médicales de la détection des anticorps anti-mannane
Détection des anticorps anti-mannane et utilisation pour le diagnostic des candidoses
Dans le domaine des candidoses la réponse anticorps dirigée contre le mannane total (Figure 3B) a été très étudiée [1, 5]. Une question importante est de rechercher si le taux d’anticorps pourrait discriminer chez le patient une simple colonisation (dont on sait qu’elle augmente en cas d’hospitalisation) d’une invasion [ 18]. Sa mesure devrait donc se faire en cinétique, au même titre que celle de l’index de colonisation de sites corporels qui est un facteur de risque reconnu [ 19], mais c’est rarement le cas. La détection d’antigènes mannane circulants dans le sérum de patients atteints de candidose systémique a été proposée dès le début des années 1970 à des fins diagnostiques, mais il a fallu attendre l’avènement d’anticorps monoclonaux anti-mannane pour disposer de tests spécifiques [ 20, 21]. Ceux-ci sont peu sensibles notamment en raison de la nature transitoire de l’antigènémie, la présence d’anticorps accélèrant la clairance des immuncomplexes. Ainsi, lors de candidoses avérées, la présence d’anticorps à des taux élevés coïncide généralement avec un taux indétectable des antigènes et vice-versa (Figure 4A). Ces données justifient la réalisation conjointe d’un test de détection d’anticorps et d’un test de détection d’antigène sur un même sérum, ce qui permet d’accroître la sensibilité, la spécificité et la précocité du sérodiagnostic [ 22].

La sensibilité de la détection de mannanes circulants peut être améliorée par le suivi du taux des β-mannosides parallèlement à celui des α-mannosides dans la mesure où la cinétique de leur clairance peut être différente [20]. De la même façon on peut envisager de raffiner les analyses concernant les anticorps anti-mannane. La diversité du répertoire des épitopes du mannane engendre une diversité d’anticorps ayant des significations diagnostiques voire pronostiques différentes. Par exemple, les anticorps anti-β-Man sont protecteurs, les anti-α-Man ne le sont pas [1]. Dans ce cadre, l’utilisation d’une banque d’oligomannosides de synthèse mimant les principaux oligomannosides du mannane et couplés à la biotine sulfone permet, au moins en théorie, une véritable « dissection » de la spécificité épitopique (Tableau 1, colonne 2). Ces outils sont adaptés au format luminex et permettent la reconnaissance et la quantification simultanée d’immunoglobulines fixées sur différentes classes de microsphères sensibilisées individuellement par un oligomannoside [ 23]. Nos résultats récents suggèrent qu’en établissant le rapport des spécificités vis à vis d’oligomannosides d’anomérie a et β, il est possible de distinguer la réponse sérologique de patients infectés par C. albicans de celle de patients fortement colonisés (Poulain et al. Manuscrit en préparation).

Détection des anticorps anti-mannane et utilisation pour le diagnostic des MICI

Un second exemple de la diversité de réponse immunopathologique humaine envers les oligomannosides de levures est illustré par la MC, où des anticorps anti-S. cerevisiae avaient été décrits [ 24]. En appliquant une démarche similaire à celle suivie pour le diagnostic des candidoses, nous avons développé un test ELISA standardisé dans lequel le mannane d’une souche sélectionnée de S. cerevisiae est utilisé comme appât pour les anticorps associés à la MC que nous avons dénommés ASCA (Anti-S. cerevisiae antibodies), par analogie avec les ANCA (anti-neutrophil cytoplasmic antibodies) décrits antérieurement comme marqueurs sérologiques de la rectocolite hémorragique (RCH) [ 25, 26]. Le test ASCA a permis d’établir la prévalence de ces anticorps à 50-60 % des cas de MC, et de distinguer les formes coliques de la MC et de la RCH lorsqu’il est couplé avec le test ANCA. L’étude des familles des patients MC a révélé de manière surprenante la présence d’ASCA chez 20-30 % de leurs parents sains au premier degré alors que la prévalence des ASCA dans la population générale n’est que de 0-6 % [ 27, 28]. Des études complémentaires ont montré que les ASCA étaient associés préférentiellement à des formes iléales sévères de la maladie - nécessitant une intervention chirurgicale -, à des patients jeunes lors de la déclaration de la maladie, et que leur taux restait stable quel que soit le traitement médical ou chirurgical mis en œuvre [11, 25]. Plus récemment il a été montré que les ASCA préexistaient à la symptomatologie clinique de la MC [ 29]. Nous avons pu identifier précocement l’épitope majeur du mannane de S. cerevisiae supportant la réponse ASCA, il s’agit de la séquence Man α1,3 (Man α-1,2 Man)n (Tableau 1, colonne 1) [26], puis en construire des analogues de synthèse. La détection d’anticorps envers ces néoantigènes a permis d’accroître la sensibilité du diagnostic sérologique en révélant la présence d’anticorps chez des patients MC, avec des localisations coliques, et qui, paradoxalement, ne présentaient pas d’anticorps envers les antigènes naturels. Un second intérêt de l’utilisation de ces antigènes de synthèse est leur meilleur pouvoir prédictif de l’évolution d’une colite indéterminée vers une MC [ 30].

Établissement de relations sérologiques
Présence d’ASCA chez les patients atteints de MC et leurs parents
Les oligomannosides ont également permis d’explorer l’hypothèse selon laquelle C. albicans pouvait être à l’origine des ASCA. Cette hypothèse se fonde, d’une part, sur la présence de l’équipement enzymatique permettant à C. albicans de synthétiser les épitopes ASCA et, d’autre part, sur les nombreuses données liant la régulation de la biosynthèse des oligomannosides aux conditions environnementales. On pouvait dès lors supposer que la forme de C. albicans présente dans l’« environnement mammifère » synthétise l’épitope ASCA en plus grande quantité que dans les cultures in vitro où c’est au contraire S. cerevisiae qui les exprime de manière plus abondante. En d’autres termes, S. cerevisae ne serait que le révélateur d’anticorps induits par C. albicans. L’avantage de cette hypothèse est que C. albicans, levure endoluminale naturelle extrêmement fréquente (et pathogène opportuniste) est un candidat immunogène plus plausible que S. cerevisiae, levure inoffensive présente à des degrés variables dans l’alimentation ou les boissons, ce qui contraste avec la prévalence remarquablement stable selon les pays et les coutumes alimentaires des ASCA chez les patients atteints de MC [ 31]. De fait, nous avons pu montrer qu’une candidose systémique humaine ou expérimentale (modèle lapin) entraînait la production d’ASCA, puis, en utilisant des sucres de synthèse pour immunopurifier les anticorps expérimentaux ou humains, que les épitopes spécifiques reconnus étaient effectivement surexprimés par les formes tissulaires de C. albicans [ 32]. Ces données suggérant une relation entre C. albicans et inflammation intestinale ont été confirmées dans un modèle murin original ; alors que la souris n’est pas spontanément colonisée par C. albicans, l’induction d’une inflammation permettait cette colonisation, qui, en retour, exacerbait les scores cliniques, histologiques et cytokiniques de l’inflammation et entraînait la synthèse des ASCA [ 33].

Le lien sérologique entre C. albicans et maladie de Crohn a pu être exploré dans le cadre d’une large étude familiale conduite dans le nord de la France et en Belgique. Cette étude a montré pour la première fois une colonisation par C. albicans supérieure chez les membres des familles dans lesquelles de multiples cas de MC n’avaient été diagnostiqués que chez les membres des familles témoin, et qu’il existait chez les parents sains une relation entre le portage de C. albicans et la présence d’ASCA. Cette observation suggère une possible relation de cause à effet entre C. albicans et ASCA et offre en outre une explication partielle à la forte prévalence des ASCA chez les parents sains du premier degré. Ainsi, il semble que dans ces familles, un premier niveau de dérégulation de la « perception de C. albicans » chez les parents sains se traduise par la synthèse d’ASCA. Un second niveau, observé chez les malades, se traduit par l’existence de taux stables d’ASCA indépendants de l’intensité du portage de C. albicans au moment du prélèvement [ 34].

Établissement de relations sérologiques entre MC et Candidose

Parallèlement à nos travaux, une étude a rapporté de nouveaux marqueurs sérologiques de la MC sélectionnés à partir d’un criblage de glycannes de synthèse. Il s’agit de fragments disaccharidiques de β-1,3 glucanes et de β-1-4 glucosamine acétylée. Les anticorps reconnaissant ces épitopes, ALCA et ACCA2, sont utilisés en complément des ASCA dans le diagnostic sérologique de la MC (Figure 1) [ 35]. Il était dès lors logique d’explorer, si, au même titre que les ASCA, la synthèse des ALCA et les ACCA pouvait être induite lors d’une infection par C. albicans. De fait, une étude récente vient de démontrer que ces marqueurs sérologiques de la MC s’ajoutaient aux autres tests de détection des candidoses invasives décrits ci-dessus (Figure 4b) [ 36].

En ce qui concerne les anticorps anti-glucanes dont on a longtemps ignoré l’existence selon le précepte que ce sont des haptènes, certains auraient un rôle protecteur vis-à-vis de ces résidus lors de candidoses expérimentales [ 37]. C’est le cas d’un anticorps monoclonal qui reconnaît aussi l’antigène ALCA sans que l’on puisse au stade actuel de nos connaissances définir une signification à la présence d’ALCA chez l’homme [36].

Au même titre que les mannanes, les glucanes pariétaux de C. albicans circulent dans le sérum de patients atteints de candidoses systémiques et les tests de détection de glucanes sont de plus en plus utilisés pour le diagnostic des candidoses [ 38]. Une étude utilisant ce test chez des patients atteints de MC a démontré que 30 % d’entre eux présentaient des taux de glucanes sériques identiques à ceux retrouvés lors d’infections profondes à C. albicans [ 39].

Synthèse et perspectives fondamentales et cliniques concernant les candidoses et la MC

L’ensemble de ces observations expérimentales et cliniques suggère fortement une relation entre candidoses et MC, chacune étant caractérisée par une évolution sérologique particulière. Dans les candidoses, les taux de glycannes circulants de C. albicans et de leurs anticorps spécifiques croissent durant la transition saprophyte-pathogène et le développement des processus pathologiques engendrés. Les taux redeviennent identiques à ceux qui sont observés chez les sujets sains en cas d’évolution favorable de l’infection. Dans la MC, ces mêmes anticorps sont stables et, comme dans beaucoup d’affections chroniques ou auto-immunes, sont d’autant plus élevés et nombreux que la pathologie est sévère [11]. Une interprétation possible de ces observations pourrait résider en l’existence d’une « inégalité immunogénétique » vis-à-vis des glycannes de C. albicans chez les patients déclenchant une MC, hypothèse compatible avec l’observation de la forte prévalence d’ASCA chez leurs parents sains.

Les pistes génétiques sont explorées aussi bien pour les candidoses que pour la MC. Dans les deux cas, les recherches s’orientent vers les mutations des récepteurs de l’immunité innée susceptibles d’induire des orientations de réponses que l’immunité adaptative ne serait pas à même de compenser. Il est intéressant de constater que les recherches récentes sur les candidoses et la MC convergent sur l’importance de la voie inflammatoire interleukine-23(IL-23)/Th17 [ 4042, 52] alors que la conception de la pathogénie des candidoses, jusqu’ici restreinte à des processus purement invasifs, s’oriente vers une réponse inflammatoire excessive pouvant être délétère pour l’hôte [ 43].

La question est donc d’établir pourquoi tous les individus ne sont pas égaux en termes d’invasion et d’inflammation vis-à-vis de C. albicans. Cela repose sur l’exploration de gènes contrôlant à la fois la susceptibilité aux candidoses et la réponse anti-glycannes notamment au cours de la MC. Des candidats possibles seraient ceux qui codent pour les lectines de l’immunité innée ou les TLR (Toll like receptors) qui ont pour ligands tous les glycannes de C. albicans décrits dans cet article comme cibles des réponses humorales (Tableau I). Il convient sans doute d’y ajouter les gènes des défensines (peptides antimicrobiens) et notamment DEFB1 (defensin beta 1) dont les mutations affectent la colonisation par C. albicans [ 47] et la réponse humorale anti-glycannes associée à la MC [11].

En termes d’applications cliniques immédiates, la sérologie est déjà utilisée pour la stratification des patients atteints de candidose ou de MC. Cette stratification sera d’autant plus précise que le nombre de cibles antigéniques sera élevé. Les développements actuels reposant sur l’utilisation d’analyseurs multiparamétriques de banques d’épitopes glycanniques de synthèse permettront en un seul passage la définition de profils sérologiques dont les valeurs diagnostiques et pronostiques seront déterminées au moyen d’algorithmes [ 48].

Les relations actuellement établies entre C. albicans et MC ne permettent pas de conclure en termes de cause ou de conséquence. Il est en particulier prématuré d’affirmer que C. albicans puisse jouer un rôle dans le déclenchement de la MC. En revanche, les données expérimentales suggérant qu’un processus inflammatoire augmente la colonisation par C. albicans et que cette dernière accroît l’inflammation méritent d’être considérées [33]. Il semble rationnel d’explorer si la réduction de la colonisation par des moyens de lutte traditionnels peut améliorer l’état clinique de certains patients atteints de MC. Ces moyens reposent sur les antifongiques (dont l’efficacité a été prouvée au niveau systémique, mais jamais intestinal), les souches probiotiques de S. cerevisiae dont il est intéressant de noter, à l’inverse, que leur effet a été rapporté à la fois sur la colonisation par C. albicans, sa dissémination et sur l’inflammation. À plus long terme on peut évoquer les vaccins anti-C. albicans dont deux au moins ciblent les glycannes que nous avons décrits [37, 49] et arrivent à un stade de développement qui justifiera d’ici peu des études cliniques, tout au moins pour lutter contre les candidoses invasives. Enfin, les résultats négatifs de toutes les études menées à ce jour à la recherche d’autres immunogènes microbiens ou auto-(néo) antigènes à l’origine des anticorps anti-glycannes au cours de la MC n’excluent pas leur existence.

 
Footnotes
1 Les glycannes comprennent les polysaccharides, les oligosaccharides et les parties saccharidiques des glycoconjugués (où ils sont associés à des protéines ou à des lipides).
2 ALCA : anti-laminarinabioside carbohydrate antibodies - la laminarine, extraite des algues laminaires étant un polymère de b-1,3 glucanes ; ACCA : anti-chitobioside carbohydrate antibodies - le chitobiose étant une unité constitutive de la chitine et un constituant de la liaison des protéines (y compris humaines) à leur copule polysaccharidique. Ces unités saccharidiques composent les constituants majeurs de la paroi des levures que sont les glucanes et la chitine (voir Figure 1).
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