Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2009 December; 25(12): 1193–1196.
Published online 2009 December 15. doi: 10.1051/medsci/200925121193.

Les anticorps monoclonaux thérapeutiques
Valorisation des recherches issues de l’Inserm et enjeux industriels

Mallory Perrin-Wolff* and Christophe Cans*

Inserm Transfert, Paris Biopark, 7 rue Watt, 75013 Paris, France
Partenariats industriels Affaires scientifiques
Corresponding author.
 

Les anticorps monoclonaux (Acm) occupent une place privilégiée au sein des recherches menées à l’Inserm, qu’ils soient utilisés comme outils ou qu’ils fassent eux-mêmes l’objet direct des recherches. Inserm Transfert a mis en place des actions de détection et d’identification des innovations et savoir-faire à fort potentiel focalisées sur ces molécules ; elle s’emploie à accompagner les chercheurs et le développement de ces technologies en se concentrant sur quelques points stratégiques, au plus près des besoins industriels et de ceux des patients.

« Surprenez-nous ! »

Les Acm, initialement des produits biologiques issus de la recherche académique et des biotechs, sont aujourd’hui des enjeux thérapeutiques majeurs pour les industries du médicament. Les fusions, les partenariats stratégiques et l’investissement dans la biotechnologie ont permis aux sociétés pharmaceutiques de dimension mondiale de devenir des acteurs importants de la mise sur le marché de ces nouvelles thérapies. À ce jour, le marché des anticorps thérapeutiques (26 commercialisés) est en pleine croissance, même s’il a déjà atteint un stade important de maturité (21,5 milliards d’euros en 2008). Il devrait approcher 38,5 milliards d’euros en 2014 (avec un taux de croissance cumulé annuel de 10,3 % entre 2008 et 2014)1.

inline-graphic medsci20092512p1193-img1.jpg

Plus que jamais, les industriels sont donc à la recherche de nouvelles cibles thérapeutiques, de nouvelles technologies de modélisation ou de production, ou de nouveaux modes de délivrance des anticorps monoclonaux. Ainsi, tous les Acm thérapeutiques ciblent actuellement des protéines extracellulaires ou solubles. La recherche de cibles innovantes validées est un enjeu majeur. L’une des pistes est le ciblage des protéines intracellulaires, qui commence à être exploré grâce à la combinaison de différentes techniques de vectorisation.

Le développement des Acm n’échappera pas par ailleurs aux défis posés par la médecine personnalisée. L’Inserm assure la coordination et le suivi de plusieurs cohortes de patients et a commencé la labellisation de collections biologiques uniques permettant de valider les approches par thérapie ciblée.

Enfin, concernant les produits eux-mêmes et leurs procédés de production, les technologies de bioingénierie, alliées à des études structurales de cristallographie et de modélisation, permettent aujourd’hui d’envisager de nouveaux formats d’anticorps, d’efficacité et de spécificité accrues ; la maîtrise des nouveaux procédés de production, des techniques enzymatiques portant sur des modifications post-traductionnelles, de la chimie et des nouvelles formes galéniques sont autant de voies de recherche dont l’exploitation renforcera cet arsenal thérapeutique.

Afin de catalyser la rencontre adéquate entre la demande industrielle (thématiques industrielles fortes) et l’offre des savoir-faire et de l’expertise des chercheurs académiques dans le domaine des Acm thérapeutiques, Inserm Transfert s’est lancée, par un travail renforcé de veille et de détection, dans la cartographie des expertises, savoir-faire, plates-formes technologiques et travaux de recherche conduits à l’Inserm ou en collaboration avec des équipes Inserm, sur les Acm. Cette action permet d’acquérir une vision actualisée de la recherche menée à l’Inserm dans ce domaine. Elle s’accompagne toujours, pour les chercheurs, d’une analyse en termes de stratégie de propriété intellectuelle et de transfert de technologie. Il s’agit en effet de définir le plus tôt possible la meilleure stratégie de valorisation.

Du brevet à la thérapie
Anticiper la brevetabilité
Les technologies de rupture représentent une force en termes de propriété intellectuelle. Cependant comme pour toute découverte innovante, au-delà de l’avancée scientifique, il est très important d’envisager une étude de brevetabilité, qui doit être menée simultanément à la rédaction de l’article dans une revue scientifique. Une analyse approfondie de la propriété intellectuelle doit être entreprise très en amont afin de décider s’il faut protéger ou non l’invention par le dépôt d’une demande de brevet, qu’il s’agisse d’un nouveau produit thérapeutique, d’une nouvelle indication, d’un nouveau procédé de production ou d’une méthode permettant d’augmenter l’efficacité du produit. En effet, la cession de licence sur le brevet va octroyer au futur partenaire industriel le droit potentiellement exclusif d’utiliser cette découverte et par conséquent lui donner un avantage certain dans un environnement hautement concurrentiel. Le dépôt d’une telle demande, au stade précoce de la découverte, est un pari coûteux qui implique une prise de risque. Ce risque est évalué sur des critères scientifiques, de brevetabilité et de marché, sur le besoin médical ou d’amélioration de service rendu en termes de santé publique. Il est à ce stade généralement très difficile de fournir une analyse de marché fiable sur les nouvelles technologies, car les relais industriels ne sont pas identifiés ou ne sont pas présents. Ce pari pris en concertation entre les « inventeurs » et les équipes d’Inserm Transfert conduit à une collaboration de longue durée entre le chercheur impliqué et sa structure de valorisation.

inline-graphic medsci20092512p1193-img2.jpg

inline-graphic medsci20092512p1193-img3.jpg

Incontournable : la « preuve de concept »
Un enjeu-clé de cette collaboration est l’apport d’une « preuve de concept » innovante sur des standards industriels. Ainsi, au cours de cette étape dite de maturation, Inserm Transfert aide le chercheur à anticiper les questions ou les problèmes qui se poseront au cours de la poursuite du projet de recherche et de développement : quels tests et quel choix de modèles pertinents pour valider ces nouveaux anticorps ? Quel développement de nouveaux modèles prédictifs d’immunogénicité et d’efficacité faut-il prévoir ? Est-il nécessaire d’identifier des facteurs précoces de toxicité rénale ou hépatique dans des modèles prédictifs in vitro, in vivo ou in silico pour les nouveaux formats d’Acm ? Qu’en est-il de la production industrielle et des questions réglementaires ? Ainsi le projet initial peut-il s’enrichir de l’expertise de partenaires (y compris industriels) qui le renforceront au fur et à mesure de sa progression. Le projet ainsi mieux défini servira de base pour la recherche de financements, publics ou privés. Au sein de l’Inserm, un soutien direct via une enveloppe de maturation peut être apporté ; des aides régionales, des appels d’offres concernant des projets à fort potentiel de valorisation, les pôles de compétitivité ou encore les appels d’offres européens et internationaux peuvent aussi être sollicités.

La collaboration avec l’industrie est également une bonne option pour financer la preuve de concept. Les grandes sociétés pharmaceutiques sont aujourd’hui à la recherche d’innovations et modifient leur organisation pour développer de nouveaux partenariats avec la recherche académique. Cette stratégie d’« open innovation » porte sur des technologies naissantes, sélectionnées pour leur excellence scientifique, et dont la validation fait l’objet même de partenariats précoces (voir encadré ci-dessus). Pour répondre à la nécessaire diversité de ces partenariats, Inserm Transfert propose une palette de contrats adaptés à chaque cas, depuis la simple étude de faisabilité à la licence sur brevets, en passant par le contrat de recherche et développement (R&D), le cas échéant avec option de licence.

Dans certains cas, le projet de recherche collaborative peut se transformer en projet entrepreneurial, au travers de la création d’une jeune société innovante. C’est une voie de valorisation privilégiée pour les innovations de rupture reposant sur une propriété industrielle forte et associées à une expertise ou un savoir-faire d’exception. Depuis plusieurs années, la loi sur l’innovation encourage les chercheurs qui le souhaitent à fonder leur société en promouvant la mise en Ĺ“uvre de passerelles entre laboratoires et start-up. Dans ce cadre, un accompagnement spécifique par le pôle « création d’entreprise » d’Inserm Transfert, dans certains cas, un financement par sa filiale d’amorçage Inserm Transfert Initiative peuvent soutenir l’éclosion de projets industriels « anticorps » de rupture, en s’appuyant sur le réseau des incubateurs régionaux.

inline-graphic medsci20092512p1193-img4.jpg

Conclusion

Le marché des anticorps monoclonaux thérapeutiques connaît aujourd’hui la croissance commerciale la plus forte de l’industrie tant pharmaceutique que biotechnologique. Cette réussite est principalement fondée sur des « blockbusters » d’anticorps à architecture traditionnelle. Cependant, de nouveaux formats d’anticorps « sur mesure » à très fort potentiel sont d’ores et déjà en phase de développement. Ces découvertes reposent pour bon nombre d’entre elles sur des travaux issus de laboratoires de recherche académique, impliquant tout naturellement l’Inserm. Une vision approfondie et synthétique de ce nouvel arsenal thérapeutique et technologique, associée à une solide connaissance du réseau industriel, représentent un véritable défi positionnant la valorisation et le transfert de technologie comme des enjeux économiques majeurs de l’innovation.

Conflit D’Intérêts

Les auteurs déclarent avoir des liens durables ou permanents avec l’entreprise Inserm Transfert.

 
Footnotes

Source : Datamonitor, octobre 2009.