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Med Sci (Paris). 2009 August; 25(8-9): 659–660.
Published online 2009 August 15. doi: 10.1051/medsci/2009258-9659.

iPS : toutes les démonstrations scientifiques sont-elles absolument nécessaires ?

Hervé Chneiweiss*

Inserm U894-Paris Descartes/CHSA, Centre de Psychiatrie et de Neurosciences, 2ter, rue d’Alésia, 75014 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Encéphalopathie ischémique, Éthique médicale, Humains, Cellule souche pluripotente, Accident vasculaire cérébral

 

La science est une des dimensions les plus actives de la culture humaine. Elle est le fruit de la créativité individuelle et d’une intelligence collective. Elle exige rigueur et précision. Mais comme toute activité humaine, elle n’échappe pas au contexte social, économique et politique, au sein duquel elle se développe. La prise en considération de la « demande sociale » conduit par exemple à intégrer dans les programmes européens les dimensions éthiques de la recherche, en particulier dans le domaine biomédical [ 1]. Le lecteur trouvera également dans ce numéro les deux premiers articles [ 2, 3] d’une série consacrée aux accidents vasculaires cérébraux (AVC), la seconde cause de mortalité et, plus encore, l’une des principales causes de handicap. Cette série se poursuivra dans le numéro d’octobre par deux autres articles [ 4, 5]. Du plus fondamental, la biogenèse des vaisseaux cérébraux, jusqu’au plus translationnel, les essais cliniques comparatifs de traitements et l’épidémiologie des AVC, Médecine/Sciences donne à lire une recherche biomédicale directement en prise avec le quotidien de nos concitoyens. Le scientifique, pour le dire autrement, n’évolue pas dans un monde idéal et neutre où seule la connaissance, valeur universelle et bien commun de l’humanité, compterait. Pourquoi introduire un éditorial de Médecine/Sciences avec de telles évidences ?

Nous accumulons tous des articles en retard, à lire dès que la noria des appels d’offres et des évaluations nous laissera le temps de nous ouvrir à des domaines dont nous ne sommes pas obligatoirement spécialistes, et réfléchir enfin dans un champ plus large que celui de notre compétence trop limitée. Sur l’une des piles de mon bureau reposait ainsi un article de Nature d’avril 2009 sur les iPS (induced pluripotent stem cells) au titre accrocheur « Fast and Furious » [ 6], avec en exergue une citation de Rudolf Jaenisch « It’s not healthy. It’s overheated. Every day in the lab people are worried about getting scooped ». Et voici, en juillet, la publication d’un scoop annoncé, la production de souris entièrement dérivées de cellules iPS, achevant ainsi la démonstration, rigoureuse à souhait maintenant, du caractère pluripotent de ces cellules [ 79]. Rien qui ne mérite vraiment publication dans des revues prestigieuses. D’un côté, un blastocyste composé de cellules tétraploïdes, résultat de l’électrofusion d’embryons au stade « deux blastomères », capables de former les annexes extra-embryonnaires (placenta, liquide amniotique…), mais incapable de former les tissus embryonnaires. Démontrer le caractère pluripotent d’une cellule diploïde revient à démontrer qu’une fois agrégée à ce blastocyste, donc réinscrite dans un environnement lui permettant d’exprimer toutes ses potentialités, celle-ci peut le « complémenter », en assurant à elle seule la formation de l’ensemble des tissus embryonnaires si tel doit être le cas. C’est ainsi que le caractère pluripotent des cellules ES murines, dérivées de la masse cellulaire interne du blastocyste pré-implantatoire a été démontré, il y a plus de vingt ans [ 10], ou, plus récemment, celui de cellules ES obtenues après transfert nucléaire. De l’autre, la production de cellules iPS par la technique maintenant classique et « ancienne » de Shinya Yamanaka [ 11], consistant en l’expression transitoire de quatre facteurs de transcription Oct4/Sox2/Klf4/cMyc à l’aide d’un vecteur viral, les cellules cibles étant, dans les trois articles évoqués ici, des fibroblastes murins embryonnaires [79]. On sait que ces iPS contribuent à la formation d’animaux chimères viables et fertiles ; restait à démontrer qu’elles avaient strictement les mêmes propriétés que les ES, et donc pouvaient « complémenter » un « embryon tétraploïde ». C’est donc chose maintenant publiée et nos lecteurs excuseront ma prudence, héritée du précédent créé par la fraude du Pr Hwang [ 12], le seul argument des auteurs pour expliquer leur succès là où de nombreuses équipes avaient échoué étant le très grand nombre d’essais réalisés (plus de 1 500 blastocystes tétraploïdes injectés pour un taux de succès maximal de 3,5 % dans l’un des articles).

Nous reviendrons précisément sur cette série d’articles dans nos prochains numéros, non tant pour en démontrer l’intérêt que pour expliquer l’importance de la question scientifique que sous-tend la démonstration d’une reprogrammation d’un état différencié vers un (ou des) état(s) de pluripotence variée et les débats conceptuels en cours sur les mécanismes de la différenciation, leur induction et leur stabilité, le tout nécessitant semble-t-il une panoplie de systèmes expérimentaux n’apportant chacun que des arguments partiels et parfois discutables. De plus, la question de la sécurité des iPS appliquées à l’homme et la démonstration pour les iPS humaines de leur pluripotence restent entières. Évidemment, la technique par complémentation ne sera jamais appliquée chez l’homme, la création d’embryon pour la recherche étant de fait interdite par les lois de presque tous les pays ayant adopté une réglementation en la matière, et la réimplantation d’embryons modifiés bannie. Le « standard de référence » humain de la propriété de pluripotence reste donc à définir. Cette discussion est d’importance face à l’enthousiasme dont jouit à juste titre la recherche sur les processus de reprogrammation et les iPS, ces dernières étant sensées pouvoir faire tout ce que permettraient les cellules souches embryonnaires, de la thérapie cellulaire au criblage de molécules thérapeutiques en passant par la modélisation de maladies. Mais la démonstration du caractère pluripotent des iPS par cette technique de complémentation, entre autres résultats, annule l’idée, probablement naïve, qu’elles ne soulèveraient pas de problèmes éthiques. Les voici entrées à leur tour dans le champ nécessaire de la bioéthique pour prévenir toute dérive lors d’applications chez l’homme. Car la technique permet maintenant le développement d’une nouvelle méthode de clonage animal, peut-être plus simple à mettre en Ĺ“uvre que celle qui permit la naissance de Dolly, l’une des équipes indiquant avoir déjà des souris viables et fertiles de troisième génération.

Puisque cette démonstration « définitive » était annoncée depuis longtemps, il eut été judicieux dans les nombreux colloques consacrés aux cellules souches que la réflexion sur le degré souhaitable de la preuve de pluripotence ne se limite pas à des considérations techniques entre experts, mais prenne en compte l’impact symbolique de cette démonstration extrapolée aux iPS humaines, ce qui n’est pas rien aujourd’hui dans le débat public. Tout ce qui est possible est loin d’être souhaitable, même en matière de connaissance. La course à la « première » technique conduit à des publications dont il convient de s’interroger sur l’opportunité, l’impact social potentiel, moral ou de santé publique : séquençage systématiquement publié de virus hautement pathogènes, réactivation de virus anciens, caractérisation à fins d’utilisation industrielle de peptides antibiotiques naturels produits au niveau des testicules,… Il ne s’agit pas d’appeler à la censure, mais de mesurer qu’au sein même de la preuve scientifique, il peut exister des choix assumés par la communauté de ne pas faire certaines expériences, même si elles s’avèrent justifiables dans l’absolu technique. Comment organiser un débat serein entre science et société si l’appétit du spectacle et de la rentabilité financière conduit les journaux scientifiques les plus respectés à accepter, voire même encourager, des exploits techniques d’impact modeste sur l’avancée des connaissances (mais pas sur le facteur d’impact de la revue), mais aux conséquences redoutables en termes de représentation de la Science ? Comment mettre en garde de façon crédible nos concitoyens contre les nouveaux marchands du temple qui proposent sur internet à des coûts exorbitants, des traitements totalement fantaisistes à base des « cellules de l’espoir » [ 13] ? Comment justifier un soutien financier croissant à la recherche scientifique si la communauté elle-même n’anticipe pas les répercussions sociales de certaines de ses avancées ? Pour obtenir ce soutien, nous savons souvent bien présenter les avantages futurs des découvertes potentielles. Mais, il est également de notre responsabilité d’anticiper les questions de société que ces avancées soulèveront.

Médecine/Sciences doit aussi pouvoir permettre cette réflexion d’anticipation, et il va de soi que nos colonnes sont ouvertes à ceux de nos lecteurs qui voudraient réagir, en accord comme en désaccord, avec ces positions.

 
Acknowledgments

Je tiens à exprimer ma gratitude à Laure Coulombel pour les discussions passionnées que nous avons eues sur la question scientifique de la pluripotence, sur les éléments nécessaires à sa démonstration et ses suggestions sur l’ensemble du texte.

References
1.
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2.
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3.
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5.
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