Grossesses et naissances chez des femmes ayant une déficience intellectuelle

2016


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Communications

La parentalité chez des personnes avec une déficience intellectuelle (DI) est en général accompagnée d’un besoin de soutien tant pour les enfants que pour les parents. Des données épidémiologiques valides constituent une base essentielle afin de pouvoir répondre à ce besoin particulier avec une mesure adéquate. La présente contribution a pour objectif de présenter l’état des connaissances actuel dans la matière sur la base d’une analyse systématique de publications scientifiques internationales. Plus particulièrement, la prévalence et l’incidence de grossesses et naissances chez des femmes ayant une déficience intellectuelle, leur évolution dans le temps, puis des caractéristiques sélectionnées du groupe de personnes ainsi que des caractéristiques particulières de la gestation chez des femmes ayant une DI par rapport à des femmes sans DI seront étudiées.

Prévalence et incidence de grossesses et naissances chez des femmes ayant une déficience intellectuelle

Au niveau international, il n’y a que peu d’études sur l’incidence (fréquence d’occurrence par an) et la prévalence (part en termes de pourcentage par rapport à une population) de grossesses et naissances chez des femmes avec une DI. Pour la France, toute information à ce sujet fait défaut jusqu’à présent.
Morch et coll. (1997renvoi vers) ont réalisé une enquête par questionnaire au niveau national en Norvège. Ils ont interrogé des infirmières des services de santé publique sur le nombre d’enfants nés de parents avec une déficience intellectuelle dans leurs communes. Le degré de la déficience intellectuelle des parents a été évalué par les infirmières sur la base d’une check-list de différents comportements. Les auteurs indiquent une incidence de 27 enfants par an ainsi qu’une prévalence estimée de 430 enfants de moins de 16 ans dans une population de 4 millions de Norvégiens. Le taux d’incidence calculé est de 0,5 sur 1 000 naissances. Aux Pays-Bas, Willems et coll. (2007renvoi vers) ont interrogé des institutions du système de soutien pour des personnes ayant une DI au sujet du nombre de parents connus avec une DI. En ce qui concerne la définition de la DI, on s’est basé sur les critères de l’AAMR (American Association on Mental Retardation) (précurseur de l’AAIDD, American Association on Intellectual and Developmental Disabilitiesrenvoi vers). Cependant, le fonctionnement intellectuel n’était pas mesuré mais seulement estimé et les données sur les compétences adaptatives faisaient défaut. Les auteurs identifiaient 1 549 personnes avec une DI qui avaient des enfants. Ils en calculaient un taux de prévalence de 1,5 % par rapport à la population de personnes avec une DI aux Pays-Bas.
En Allemagne, Pixa-Kettner et coll. (1996renvoi vers) ont réalisé pour la première fois une enquête écrite à l’échelon national en 1993. Elle s’adressait à des institutions pour personnes avec une DI pour recenser les parentalités éventuellement connues dans leur entourage. Dans cette étude, les personnes qui vivent, travaillent ou sont encadrées dans des institutions pour personnes avec une déficience intellectuelle ont été définies comme personnes présentant une déficience intellectuelle. Les institutions rapportaient 969 parents avec 1 366 enfants au total. Dans une étude de suivi (Pixa-Kettner, 2007renvoi vers) qui a été menée selon une méthode similaire en 2005, 1 584 parents avec une DI ont été identifiés et ils avaient 2 199 enfants. Cette étude portait sur la période 1990 à 2005. Sur la base de données des statistiques démographiques, l’auteure estime le taux de prévalence de parentalités à 1,4 % par rapport aux femmes avec une DI en Allemagne.
Dans une petite circonscription en Suède, Weiber et coll. (2011renvoi vers) ont recherché les femmes qui avaient fréquenté des écoles spécialisées (cette forme d’école constitue le critère pour la définition de la DI) et qui avaient accouché entretemps par le biais du numéro d’identification personnelle. Sur la base de ce résultat, les auteurs ont calculé une incidence de 225 enfants par an (valeur estimée) de mères ayant une déficience intellectuelle pour toute la Suède (taux d’incidence de 2,1 sur 1 000 naissances). Pour la Suède, la prévalence d’enfants de 0-18 ans dont la mère a une déficience intellectuelle est d’environ 4 050.
Trois autres études se basent sur des données épidémiologiques d’origines médicales pour déterminer la fréquence de grossesses et naissances chez des femmes avec une DI.
Goldacre et coll. (2014renvoi vers) ont effectué une analyse secondaire d’un jeu de données statistiques (collecte de routine) sur les soins hospitaliers dans une région précise du sud-est de l’Angleterre pour la période de 1970 à 1989. Parmi les 245 007 naissances au total, les auteurs ont détecté 217 accouchements de femmes avec une DI. Cela correspond à un taux d’incidence de 0,88 sur 1 000 naissances. Dans ce contexte, la DI a été définie selon les critères de la CIM (catégories F70-F79).
Höglund et coll. (2012renvoi vers) ont étudié les grossesses et naissances chez des femmes ayant une DI en Suède pendant la période de 1999 à 2007 en se basant sur les registres nationaux des patients et des naissances. Pendant la période considérée, 326 accouchements de femmes avec une DI avaient été enregistrés. La définition de la DI se rapportait à la CIM 8-10. Par rapport à la totalité de 340 990 naissances dans la période considérée, le taux d’incidence est donc de 0,96 sur 1 000 naissances.
Orthmann Bless (2012renvoi vers, 2013renvoi vers) a déterminé la fréquence de grossesses et accouchements de femmes avec une DI en Suisse à l’aide d’une analyse de la statistique médicale des hôpitaux. Cette statistique obligatoire depuis 1997 documente tous les traitements hospitaliers dans les hôpitaux suisses selon les critères de la CIM. Dans la période considérée de 1998 à 2009, 176 grossesses ont été identifiées chez des femmes avec une déficience intellectuelle, 93 grossesses se sont terminées par la naissance d’au moins 98 enfants au total, 83 grossesses se sont terminées par un avortement. Compte tenu des informations du registre de l’état civil suisse (BEVNAT), les 98 accouchements de femmes avec une DI correspondent à un taux d’incidence de 0,11 sur 1 000 naissances.
Dans l’ensemble, il faut supposer que les données internationales sur la prévalence et l’incidence de grossesses et naissances chez des femmes avec une DI varient. Les taux de prévalence pour la parentalité se situent pour la plupart dans une plage de 1,5-3 % par rapport à la population des personnes avec une déficience intellectuelle. Selon les estimations actuelles, cela signifie qu’environ 2 à 3 sur 100 femmes avec une déficience intellectuelle deviennent mères. Les taux d’incidence dans des études plus récentes varient entre 0,1 sur 1 000 et environ 2 sur 1 000. Cela signifie qu’environ 1 naissance sur 10 000 jusqu’à environ 2 naissances sur 1 000 concernent une femme enceinte avec une DI. Les grandes différences entre les taux d’incidence sont probablement d’ordre méthodologique même si des différences réelles entre les différents pays ne peuvent pas être exclues. Des critères mesurables pour déterminer la présence d’une DI manquent dans les études où la fréquence de parentalité avec DI est établie par des professionnels impliqués dans les systèmes d’assistance (Pixa-Kettner et coll., 1996renvoi vers ; Morch et coll., 1997renvoi vers ; Willems et coll., 2007renvoi vers). La comparabilité des groupes de personnes identifiées ne peut pas être vérifiée. Ainsi, on arrive probablement à une surestimation de la fréquence de parentalité en présence d’une DI en raison de l’inclusion de femmes avec des limitations du fonctionnement intellectuel plus légères comme les difficultés d’apprentissage. Dans les études fondées sur des données épidémiologiques (Höglund et coll., 2012renvoi vers ; Orthmann Bless, 2012renvoi vers et 2013renvoi vers ; Goldacre et coll., 2014renvoi vers), des critères précis et comparables de la CIM sont employés pour la définition de la DI. Dans les contextes médicaux, il y a plutôt un risque d’une sous-estimation de la fréquence de parentalité en cas d’une DI. On peut en effet présumer que dans de nombreux cas, aucun code de DI (F7*) n’est attribué aux formes plus légères de la DI (sans syndrome) parce que ce diagnostic en relation avec une naissance ne paraît pas utile pour le traitement ou bien parce que la DI n’est pas dépistée par des médecins qui ne sont pas spécialisés dans la matière (cf. détails approfondis chez Orthmann Bless, 2013renvoi vers). Dans l’ensemble, les données actuellement disponibles sur la prévalence et l’incidence de grossesses et de naissances chez des femmes avec une DI sont à considérer comme des estimations dont la fiabilité est restreinte.

Évolution des grossesses et naissances chez des femmes avec une déficience intellectuelle dans le temps

Au niveau international, on suppose que l’incidence de grossesses et naissances chez des femmes avec une déficience intellectuelle était en augmentation pendant les dernières années voire décennies. Des données longitudinales n’existent que dans une mesure très réduite.
Dans leur étude citée ci-dessus, Goldacre et coll. (2014) renvoi versont considéré la période de 1970 à 1989 et ont détecté un nombre de naissances plus élevé chez les femmes avec une DI dans les deux dernières périodes de 5 ans (années 1980) par rapport aux deux premières périodes de 5 ans (années 1970).
Orthmann Bless (2012renvoi vers, 2013renvoi vers) a mené une étude longitudinale en Suisse qui porte sur la période de 1998 à 2009. Pendant ces 12 ans, l’incidence de grossesses chez des femmes avec une DI montrait une augmentation significative. L’incidence de naissances dans ce groupe de personnes augmentait également de manière significative. En ce qui concerne l’incidence d’avortements chez des femmes ayant une DI, aucun changement important n’a pu être constaté pendant la période considérée.

Caractéristiques sélectionnées du groupe de personnes

Dans le groupe des personnes avec une déficience intellectuelle, ce sont surtout des personnes avec des déficiences les plus légères qui deviennent parents tandis que la parentalité est très rare chez des personnes avec des déficiences sévères. Les données internationales coïncident à ce sujet. Les raisons de ce phénomène n’ont pas été suffisamment clarifiées jusqu’à présent. Les raisons pourraient être imputables aux qualités physiologiques comme la fertilité restreinte en cas de syndromes sévères ainsi qu’à des activités sexuelles réduites chez des personnes sévèrement atteintes par rapport aux autres personnes avec une DI (par exemple Conod et Servais, 2008renvoi vers).
Des informations plus exactes au sujet du type et du degré de sévérité de la déficience intellectuelle de mères avec une DI n’existent guère. Dans l’étude suisse (Orthmann Bless, 2012renvoi vers et 2013renvoi vers) avec 176 grossesses, il s’agissait dans 92 cas, de femmes avec le syndrome de Down et dans 84 cas, de femmes où le diagnostic d’un retard mental (F70-79) avait été établi. Le retard mental était en grande partie codé comme léger. Chez les femmes avec un retard mental moyen à profond, il n’y avait que 5 grossesses au total. Les grossesses de femmes avec le syndrome de Rett, le syndrome de Prader-Willi, le syndrome X fragile, le syndrome de Cornelia de Lange, le syndrome de Klinefelter ou le syndrome de Williams-Beuren n’ont pas été enregistrées dans la statistique médicale de la Suisse pendant les 12 ans considérés.

Particularités de la gestation chez des femmes avec une déficience intellectuelle par rapport à la population générale

Selon l’état des connaissances actuelles, la plupart des grossesses et accouchements restent sans complications chez les femmes avec une déficience intellectuelle. Différentes études fournissent des indices en faveur d’une augmentation de risques dans ce groupe par rapport à la population générale. Ces risques concernent tant les femmes enceintes que les enfants. Des taux de pré-éclampsie plus élevés sont par exemple décrits chez les femmes enceintes avec une DI. Les crises d’épilepsie et l’obésité sont plus fréquentes tout comme le stress et le tabagisme pendant la grossesse. Chez les enfants de mères avec une DI, les naissances prématurées, un faible poids à la naissance et les besoins d’un encadrement néonatal spécial sont plus fréquents (Llewellyn et coll., 2003renvoi vers ; McConnell et coll., 2008arenvoi vers et brenvoi vers ; Höglund et coll., 2012renvoi vers). En somme, les données empiriques à ce sujet restent insuffisantes.
En ce qui concerne la source de ces risques chez des femmes avec une DI par rapport à la population totale, il faut considérer différents aspects. Les connaissances insuffisantes des personnes avec une déficience intellectuelle au sujet de la reproduction pourraient être une cause pour des soins insuffisants pendant la grossesse, par exemple lorsque les femmes avec une DI constatent la grossesse uniquement à un état avancé ou lorsqu’elles sont incapables d’estimer les risques spécifiques qui émanent de maladies sous-jacentes préexistantes. Les connaissances insuffisantes des professionnels médicaux peuvent également entraver les soins optimaux pendant la grossesse, par exemple les informations ne sont pas transférées de manière adaptée aux personnes avec une DI ou bien les possibilités de compliance de ces personnes sont mal estimées. Un mauvais état de santé général peut constituer un autre risque. Il faut également prendre en considération une prévalence plus élevée de certaines maladies qui peuvent compliquer une grossesse comme par exemple les crises d’épilepsie (Servais, 2006renvoi vers ; McConnell et coll., 2008arenvoi vers ; Dukes et McGuire, 2009renvoi vers ; McCarthy, 2009renvoi vers).
En conclusion, l’analyse internationale de l’état de recherche montre qu’une grossesse en situation de DI est un phénomène relativement rare. Toutefois, il y a régulièrement des enfants qui naissent de femmes avec une déficience intellectuelle et le nombre de naissances est probablement en augmentation ces dernières années. La parentalité en cas d’une DI va souvent de pair avec un besoin de soutien important chez les parents et les enfants. Ces soutiens portent tant sur les soins médicaux prénatals, périnatals et post-natals adaptés aux besoins de ce groupe de personnes que sur un encadrement socio-éducatif à long terme pour les parents et les enfants. Idéalement, ces soutiens devraient démarrer pendant la grossesse.
Dagmar Orthmann Bless
Département de pédagogie spécialisée,
Université de Fribourg, Suisse

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