Médecine de demain, biologie synthétique
Le boom de l’ingénierie du vivant

20 mai 2010, Craig Venter annonce en fanfare la création de la première bactérie au génome artificiel. Les médias s’emparent alors de la biologique synthétique et prédisent que cette jeune discipline scientifique changera nos vies. A l’Inserm, elle est également en plein essor, à l'image des travaux d'Ariel Lindner.

Des bactéries qui produisent des biocarburants, des biomatériaux ou encore des médicaments, des microorganismes qui dépolluent, d'autres qui administrent des thérapies géniques ou métaboliques, des biosenseurs capables de détecter la moindre molécule ou variation de l'environnement.
Les progrès de la biologie moléculaire et de la technologie, ont permis aux chercheurs de développer une ingénierie capable de disséquer, comprendre et concevoir des systèmes vivants inédits. « La facilité et la rapidité avec laquelle on peut séquencer et synthétiser de l'ADN donnent des possibilités qui n'existaient pas jusqu'à maintenant », illustre Ariel LindnerAriel Lindner
Centre de recherche interdisciplinaire, unité 1001 Inserm/université Paris-Descartes, Faculté de médecine Cochin
. Avec la biologie synthétique, l'Homme franchit un cap supplémentaire dans la manipulation du vivant.

Les Lego® du vivant

Cette nouvelle discipline qui considère le vivant comme une boite à outils, une réserve de composants standardisés pouvant être assemblés à la manière de Lego®. « Cette approche vise à concevoir des systèmes biologiques simplifiés, des sortes de châssis avec un génome de base, sur lesquels on peut greffer des fonctions particulières qui n'existent pas dans la nature, mais qui ont potentiellement un bénéfice pour le secteur médical ou le développement durable par exemple » explique Ariel Lindner. Un des buts premiers reste néanmoins d'essayer de mieux comprendre le fonctionnement du vivant.
Au Centre de recherche interdisciplinaire (CRI) à Paris, Ariel Lindner, François TaddeiFrançois Taddei
Centre de recherche interdisciplinaire, unité 1001 Inserm/université Paris-Descartes, Faculté de médecine Cochin
et leur équipe mènent des travaux selon cet objectif. « Nous avons conçu une sorte de petit thermomètre intracellulaire, capable de donner des informations sur la cellule. Nous pouvons ainsi voir ce qui se passe à l’intérieur. » Avec Miroslav RadmanMiroslav Radman
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, ils ont réussi à visualiser les mécanismes de conjugaison bactérienne chez Escherichia coli, autrement dit le transfert de gènes entre bactéries, en utilisant une séquence d'ADN codant pour une protéine fluorescente.
Dans un autre projet, les chercheurs ont étudié le système de l'opéron lactoseUn opéron
est un groupement de gènes et de séquences régulatrices du génome des procaryotes, comme Escherichia coli. Les gènes d’un opéron concourent à la réalisation d’une même fonction physiologique et sont transcrits ensemble.
. « Une bactérie utilise diverses sources carboniques pour avoir de l'énergie, en premier lieu le glucose. Quand une ressource est épuisée, elle change pour une autre, comme le lactose. L'opéron lactose permet ce switch, décrit Ariel Lindner. En introduisant un petit réseau synthétique très sensible à la production de protéines cellulaires, nous avons montré chez Escherichia coli l'existence de facteurs de prédispositions héréditaires et épigénétiques dans ce processus de switching. »
Par ailleurs, depuis 4 ans, les étudiants du CRI participent au concours iGEMiGEM
Concours organisé depuis 2004 par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) dans lequel des équipes d’étudiants venues d’universités du monde entier sont invitées à mener un projet de recherche en biologie synthétique de A à Z. ung.igem.org
avec un certain succès, puisqu’en 2007 et en 2010 ils remportent le Prix Meilleure recherche fondamentale successivement pour la création d’un organisme multicellulaire à partir de bactéries et la mise au point d'un compteur cellulaire. En 2009, l’équipe reçoit une médaille d’or pour son projet Message in a bubble sur un système de communication intercellulaire. Mais surtout, ils obtiennent un prix spécial du jury pour la démarche de réflexion éthique menée tout au long du projet, avec l’appui d’une étudiante en sciences sociales.

L’éthique, c’est automatique !

Ariel Lindner est fier de ce prix. « Du fait des extraordinaires possibilités de la biologie synthétique, il est important de conduire cette réflexion en parallèle, souligne le chercheur.Nous avons des réunions hebdomadaires réservées à ces questions. » À l'image de cette initiative, les spécialistes de cette discipline semblent par ailleurs avoir tiré les leçons des polémiques passées, comme celles sur les OGM, en affichant une volonté de recherche responsable et d'ouverture, que ce soit par l'organisation en amont de débats publics ou encore par la participation de bioéthiciens et de chercheurs en sciences sociales aux programmes de recherche. Toutefois, « beaucoup de travaux sont parfaitement réalisables sur le principe, mais la plupart sont loin encore d'accéder au stade de la production », nuance Ariel Lindner. Il faudra attendre certainement quelques décennies avant de voir toute une faune d'organismes créés en laboratoire.

Yann Cornillier