Dossier réalisé avec le concours de Jean-François DelfraissyJean-François Delfraissy Directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS), directeur de l’Institut thématique multiorganisme Microbiologie et maladies infectieuses de l’Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan)
Dans ses dernières statistiques, l’Onusida estimait à plus de 33 millions le nombre de personnes infectées par le VIH à travers le monde. En l’absence de vaccin, la protection physique, avec le port du préservatif lors de rapports sexuels et la circoncision dans les pays de forte endémie, ainsi que le dépistage restent le meilleur moyen de prévention. En France, pourtant, 7 000 personnes contractent encore le virus chaque année, un chiffre qui nécessite un ajustement des politiques de prévention. Et si l’on ne meurt quasiment plus du sida dans les pays occidentaux, les traitements antirétroviraux restent lourds et échouent à venir à bout de l’infection. Une raison suffisante pour chercher encore, et toujours, à contrecarrer le virus, grâce à des études pointues sur les mécanismes les plus intimes de l’infection, la mise au point de nouvelles thérapies et celle, très attendue, d’un vaccin préventif. Dès le début de l’épidémie, la communauté scientifique française s’est illustrée avec la découverte du virus responsable du sida par Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier, ce qui leur a valu de recevoir le Prix Nobel de physiologie et de médecine en 2008. Depuis, l’implication de la France ne s’est jamais démentie. Notre pays occupe ainsi une des premières positions mondiales en termes de production scientifique sur le VIH/sida. Au moment où l’on s’apprête à célébrer, le 1erdécembre, la journée mondiale de lutte contre le sida,Science&Santé se devait de faire un état des lieux.
Emmanuelle Chollet
Nouvelle démarche : La prévention combinée
Le préservatif, principal instrument préventif de la transmission sexuelle, ne suffit pas à contrôler l’épidémie. De nouvelles pistes, additionnelles, sont explorées, comme l’association du port de cette protection avec la prise d’antirétroviraux.
Le constat est clair : le préservatif a largement contribué à réduire la transmission sexuelle du VIH, mais il ne suffit plus. Bruno SpireBruno Spire Unité 1018 Inserm/Université Paris 11, Hôpital Paul-Brousse, Villejuif. (voir interview p. 26), chercheur à l’Inserm et président de l’association Aides, en convient. « Son utilisation reste le socle de la prévention contre la transmission sexuelle. Mais elle a ses limites : un préservatif n’est pas un outil magique, efficace à 100 % ! Il peut être mal utilisé, glisser, se déchirer. Et visiblement, il ne convient pas à tout le monde. » Près de 80 % des personnes l’utiliseraient lors d’une relation avec un nouveau partenaire, et son abandon dans une relation de couple intervient souvent après un dépistage sérologique.
La communauté homosexuelle, très tôt et très fortement frappée par le sida, a rapidement réagi en transformant de façon drastique ses comportements. Cependant, depuis plus de quinze ans, un nombre croissant d’hommes déclarent des relations non protégées avec des partenaires, stables ou occasionnels, de statut sérologique inconnu ou différent. Qu’il s’agisse d’une attitude délibérée (pratique revendiquée du barebacking), d’un oubli ou du désir de partager une expérience plus intime, les rapports sexuels non protégés expliquent en partie qu’au sein d’une population où plus d’un homme sur 7 est atteint, l’incidence de l’infection soit 200 fois plus élevée que dans la population générale hétérosexuelle. Les hommes ayant des relations avec des hommes ont plus de partenaires que les hétérosexuels, et donc un risque statistique plus élevé de rencontrer une personne touchée, et sont souvent déjà atteints par une autre infection sexuellement transmissible, qui favorise la transmission du VIH. De plus, le rapport anal transmet cinq à dix fois plus le virus que le rapport vaginal. Contre l’image moralisante et fausse d’un préservatif totalement efficace s’il était mieux et toujours utilisé, Bruno Spire appelle à une prévention « combinée » : « Il faut élargir la conception de la prévention, et promouvoir un arsenal de moyens permettant à chacun de réduire le risque et de se réapproprier la prévention. »
Un traitement précoce
Si la circoncision (voir encadré) est une démarche efficace dans d’autres contextes épidémiologiques que ceux des pays occidentaux, la thérapeutique antirétrovirale représente un moyen de réduction des risques en France. Ainsi, comme cela a été démontré il y a quinze ans, la transmission mère-enfant du VIH peut être évitée. Et aujourd’hui, elle l’est dans plus de 99 % des cas, grâce au traitement antirétroviral de la mère, puis de son nouveau-né. En avril 2009, le Conseil national du sida soulignait que les traitements antirétroviraux réduisent nettement le risque de transmettre le VIH, y compris par voie sexuelle, et notait l’intérêt d’instaurer un traitement précoce. « Les traitements actuels sont mieux tolérés que par le passé, explique France LertFrance Lert Unité 1018 Inserm/Université Paris 11, Hôpital Paul-Brousse, Villejuif. Présidente du groupe de travailDépistage et préventionde l’ANRS, chercheur à l’Inserm. Un patient peut être traité très tôt, dès que son nombre de lymphocytes CD4 passe sous la barre des 500 cellules/mm3. Le traitement lui garantit une meilleure santé et réduit la transmissibilité du virus de façon très forte. Toutefois, « il ne permet pas d’abandonner le préservatif, car il n’annule pas le risque de transmission ! »
Une partie importante des contaminations serait le fait de personnes qui ne connaissent pas leur séropositivité. En France, on admet que 25 % des séropositifs, ignorent leur statut. De plus, 20 % des contaminations homosexuelles ont lieu dès la primo-infection, un stade où la transmissibilité est particulièrement importante. Le nouveau plan gouvernemental recommande donc de proposer un dépistage régulier et fréquent aux groupes à risque et un au moins une fois dans sa vie à la population générale, indépendamment de toute prise de risque récente. Selon France Lert, « le diagnostic tardif nourrit le sida et la mortalité par le VIH. Le traitement précoce est nécessaire au plan individuel et pourrait renverser le cours de l’épidémie là où elle est la plus forte. » Il permettrait aussi d’enrôler les personnes atteintes dans ce qu’elle nomme une « prévention positive » : « Ces dernières, dont beaucoup vivent des situations difficiles, ont des besoins multiples parmi lesquels figure la protection de leur partenaire : prise en charge de leurs troubles sexuels, contraception et projet parental, bien-être sexuel… il est indispensable de les aider à y répondre. »
Microbicides : enfin un succès
Comme c’est le cas au cours de la grossesse, un traitement peut-il protéger une personne avant son exposition au VIH ? L’espoir est permis, puisque le premier succès de prophylaxie pré-exposition (PreP) a été présenté en 2010, lors de la 18econférence internationale sur le sida : l’étude CAPRISA004, réalisée dans une zone d’Afrique du Sud de forte prévalence, a montré l’efficacité d’un gel antirétroviral à application vaginale. Pour Jean-Michel MolinaJean-Michel Molina Président de l’action coordonnéeThérapeutiquesde l’ANRS, chef du service des maladies tropicales à l’hôpital Saint-Louis, à Paris, « Ce taux d’efficacité est encore faible, mais la démonstration est faite : un traitement local de pré-exposition permet de réduire l’infection ! » Une avancée, alors que plusieurs gels microbicides, dénués de toute molécule antirétrovirale, avaient préalablement échoué, ou même montré une efficacité négative en irritant les muqueuses, ce qui augmente le risque d’infection. Un gel vaginal efficace permettrait aux femmes de prendre le contrôle de leur protection sans devoir négocier. Des projets américains des Centers for Disease Control and Prevention, des National Institutes of Health et de la Fondation Bill Gates étudient l’intérêt préventif d’autres molécules antirétrovirales sous forme de gel vaginal ou anal, ou de comprimés pris quotidiennement. « L’ANRS devrait lancer un essai différent, utilisant un comprimé antirétroviral à prendre quelques heures avant l’exposition à un risque, annonce Jean-Michel Molina. Il faudra mesurer l’efficacité, les bénéfices secondaires et les inconvénients de cette stratégie. Et surtout, martèle-t-il, éviter que les résultats, s’ils sont positifs, n’inspirent un relâchement des stratégies validées de prévention... Si ce champ de la prévention s’ouvrait, nous pourrions enfin réussir à contenir la maladie. »
Nicolas Rigaud
Trois question à : Bruno Spire
La recherche sur le VIH/sida peut aussi s’accompagner d’un engagement personnel. Un regard sur un militantisme auprès des malades qui crée des liens tout à fait particuliers entre la recherche et la clinique.
Très concerné par le VIH, Bruno Spire commence sa carrière de chercheur auprès de Françoise Barré-Sinoussi, co-découvreuse du virus du sida. C’est ainsi qu’en 1987, il rencontre Daniel Defert, président-fondateur de l’association Aides. Son engagement donnera un éclairage plus sociétal à ses recherches. Fin 1998, sa carrière prend un virage vers les sciences sociales, il rejoint alors l’unité de Jean-Paul MoattiJean-Paul Moatti Unité 938 Inserm/Université Pierre-et-Marie-Curie, Paris.. Ainsi, une connexion naturelle se fait entre ses projets de recherche et son militantisme. Il est président d’Aides depuis 3 ans, et membre actif de plusieurs commissions de l’ANRS dans le domaine des sciences humaines et sociales.
Interactions virus-hôte : Une relation ambiguë
Le VIH n’a que neuf gènes, explique Clarisse Berlioz-TorrentClarisse Berlioz-Torrent Institut Cochin, unité 1016 Inserm/Univ. Paris-Descartes. Pour se propager, il s’intègre au génome de la cellule hôte grâce à ses enzymes, mais aussi au soutien de la cellule elle-même. » Ainsi, des protéines cellulaires collaborent à chaque étape du cycle viral, et le virus sait aussi détourner à son profit des mécanismes intercellulaires.
Une collaboration serrée
La protéine TNP03 participe au transport du virus dans le noyau cellulaire ; LEDGF/p75 interagit avec l’intégraseIntégrase Enzyme qui transporte le virus dans le noyau et intègre le génome viral dans celui de la cellule. virale pour déterminer le meilleur site d’intégration dans l’ADN ; p-TEFb s’associe à la protéine virale Tat pour augmenter l’élongation de la transcription et rendre explosive la transcription virale ; le précurseur viral Gag utilise la protéine TSG101 et la machinerie cellulaire ESCRT pour former les nouveaux virus ; la protéine TIP47 favorise l’association de la glycoprotéine virale Env au précurseur Gag pour rendre le virion infectieux. Pour Stéphane Emiliani chercheur à l'institut Cochinl'institut Cochin Unité Virus et immunité, Département de virologie, Institut Pasteur, Paris, « Ces interactions intracellulaires ouvrent des perspectives thérapeutiques. Nous tentons de développer avec la biopharma CellVirCellVir Société de biotechnologie des antirétroviraux de nouvelle génération qui ciblent l’interaction entre l’intégrase et LEDGF/p75. »
Embarqué dans des lymphocytes mobiles qui échangent par contact des messagers chimiques (les cytokines), le virus parvient aussi à manipuler ces réseaux de communication. La protéine virale Nef modifie la forme, la sensibilité et la mobilité des cellules infectées, qui propagent alors le virus par simple contact avec une cellule saine. « Le virus prend le volant de la cellule jusqu’au transfert du passager à une autre voiture, résume par cette image Olivier SchwartzOlivier Schwartz Unité 941 Inserm/Université Paris-Diderot. Président de la commission scientifique spécialisée 1 Recherche fondamentale de l’ANRS. Par ce détournement, il échappe en partie à la réponse immunitaire innée. »
Le domaine de la lutte
Quatre protéines virales ne sont pas indispensables à la réplication du virus en laboratoire : Vif, Vpu, Nef et Vpr. Selon François ClavelFrançois Clavel Unité 941 Inserm/Université Paris-Diderot. Président de la commission scientifique spécialisée 1 recherche fondamentale de l’ANRS, « Toutes les quatre répondent, terme à terme, aux facteurs de restrictionFacteurs de restriction Protéines cellulaires impliquées dans la défense de l’organisme contre les virus, sélectionnées au cours de l’évolution. produits par les cellules infectées pour combattre le virus. » Vif, par exemple, empêche la protéine cellulaire Apobec3 de brouiller l’ADN viral de mutations illisibles. Quant à Vpu, elle contrecarre la Tetherine, un facteur cellulaire qui agglutine les virions sur la membrane et les empêche de se détacher. « D’autres facteurs de restriction peuvent contraindre le virus à des contorsions fortes qui ralentissent son développement, poursuit le chercheur. Nous étudions ainsi la protéine cellulaire TRIM5 α, qui défend partiellement l’homme contre le VIH : nous cherchons dans quelle mesure ce facteur d’hôte, qui appartient à l’immunité innée, pourrait contribuer à une résistance naturelle à l’infection par le VIH. »
Nicolas Rigaud
REPORTAGE : Vivre avec le VIH, mais vivre…
C’est là, dans l’un des centres parisiens de dépistage et de suivi des malades, que Science & Santé est allé à la rencontre des médecins et de leurs patients qui, au jour le jour, vivent en côtoyant le VIH. Des praticiens chaleureux, pédagogues et pleins d’empathie. Visite guidée avec Golriz Pahlavan, médecin dans le service de Patrick Yeni.
Hôpital Bichat-Claude-Bernard, 18earrondissement de Paris. Un mardi après-midi ensoleillé… à la recherche du service des maladies infectieuses et tropicales. Passé le portail d’entrée, il faut suivre une rue sur la droite, longer la crèche, puis tourner à gauche. Un préfabriqué trône dans la cour. Une double porte, plutôt austère. C’est ici. Un panneau annonce l’entrée du Service des maladies infectieuses et tropicales. Les bâtiments sont gris. Difficile de se mettre à la place des personnes qui attendent, anxieuses, le résultat de leurs examens ou de leur première consultation, et de celles qui viennent pour leur suivi médical.
Une fois la porte poussée, un peu de chaleur et de lumière. Les murs, couverts d’une mosaïque aux couleurs chatoyantes, souhaitent dans différentes langues la bienvenue aux arrivants. « Sur l’ensemble des personnes qui consultent, remarque Golriz Pahlavan, 60 % sont des migrants. Nous devons nous adapter à leur culture, les rassurer, les mettre le plus à l’aise possible. C’est un travail de longue haleine, difficile, mais heureusement gratifiant. Cet été, trois de mes patientes ont eu des enfants, tous séronégatifs »
Peu de gens dans la salle d’attente, certains se cachent par peur d’être reconnus... « La plupart profite du fait que l’hôpital dispose d’un centre de dépistage anonyme et gratuit ; d’autres viennent pour un suivi, après un dépistage réalisé en ville. » Être séropositif reste pour la plupart d’entre eux une tare. « On ne peut pas le nier, insiste-t-elle, c’est la dernière maladie honteuse de notre époque. Si vous avez un cancer, les gens autour de vous seront compatissants. En revanche, si vous annoncez que vous avez le sida, les portes se ferment. Pas de complaisance, on vous regarde de travers. Et ce regard est bien difficile à gérer. »
La première rencontre avec le médecin est essentielle. « Annoncer ou confirmer à un patient sa séropositivité est délicat, tient à souligner Golriz Pahlavan. Une de mes règles d’or est de lui montrer que ce n’est plus une fatalité, qu’il va vivre, certes avec un virus, mais qu’il va vivre. Il sera séropositif, mais n’aura pas le sida. Les dernières études le prouvent : les séropositifs qui sont suivis très régulièrement (un rendez-vous tous les 3 mois), qui prennent quotidiennement leur traitement et sont « indétectables » (charge virale nulle) depuis cinq ans ont une espérance de vie très proche de celle des séronégatifs. Souvent, je montre au patient par un schéma ce qui se passe en lui, comment agit le virus et comment réagit son corps face à cet envahisseur. Et je lui explique qu’il faut faire un bilan médical complet pour savoir à quel stade de l’infection il en est. »
Commence ensuite une nouvelle vie, finalement guère différente de la précédente. Malgré quelques contraintes, le patient mène une existence pratiquement normale, le plus dur étant de s’accepter avec la maladie. Afin d’améliorer cette vision du VIH/sida, l’association Aides s’est installée depuis quelques mois au cœur du service, en prise directe avec les malades, les familles et les médecins. « Malgré une organisation qui peut différer d’un centre à l’autre, une fois passée l’annonce, nous essayons d’orienter le patient vers une assistante sociale ou des membres d’associations, qui lui diront ce qu’est la maladie et en quoi consiste le traitement. C’est parfois compliqué, et c’est le médecin qui s’en charge, endossant alors plusieurs casquettes. Notre rôle est de convaincre la personne que le sida est devenu une maladie chronique et que les nouveaux traitements n’ont quasiment plus d’effets secondaires lourds. Les recommandations ont changé : la trithérapie est administrée le plus tôt possible, dès que le patient est prêt. Le traitement est plus facilement accepté, entraîne moins de complications, et aujourd’hui nous savons que lorsque le virus est « indétectable », les sujets sont moins contagieux. En conclusion, un bénéfice à la fois individuel et collectif. »
Dans l’autre aile du bâtiment se trouve l’hôpital de jour. Même si le lieu demeure impersonnel, un climat humain s’en dégage. Chacun peut s’isoler et sauvegarder son intimité. « Pour le patient comme pour nous, cela permet de concentrer, en une journée, l’ensemble des examens permettant d’évaluer le stade de la maladie et l’état de santé de la personne. En partant, le patient a en poche un premier bilan et un rendez-vous avec le médecin qui le prendra en charge. » Golriz Pahlavan discute souvent une dizaine de minutes avec ses patients avant d’aborder leur maladie. « J’essaie de les mettre en confiance. Un rapport autre que médical s’établit. C’est important, je les vois souvent plus régulièrement que mes amis ! »
Quitter l’hôpital, ne plus être stigmatisé, c’est un peu le souhait de tout séropositif. « La mise en place de consultations dites « de ville » dans des centres de santé, sous l’impulsion gouvernementale, souligne le praticien, tend de plus en plus à libérer la maladie de son carcan hospitalier et de son étiquette. Toutefois, il faut que cela soit fait dans un cadre spécifique, avec des médecins spécialisés et un accès rapide à l’hospitalisation, « au cas où »... C’est cependant une véritable avancée pour les malades qui, du coup, n’ont plus les lettres V.I.H. gravées sur le front. »
Olivier Frégaville-Arcas
Eliminer le VIH : Une traque de longue haleine
L’efficacité des antirétroviraux progresse, mais aucune des molécules actuellement disponibles ne permet d’éliminer le virus, ni d’empêcher l’infection de réapparaître à l’arrêt des traitements. Peut-on faire disparaître les réservoirs du virus ? Peut-on rendre les patients résistants à l’infection ?
Avec la découverte et l’utilisation des trithérapies, la séropositivité est désormais bien plus une affection de longue durée qu’un arrêt de mort. « Des molécules efficaces couvrent une grande partie du champ thérapeutique, souligne Patrick Yeni, chef du Service des maladies infectieuses à l’hôpital Bichat-Claude-Bernard, à Paris. Les recherches actuelles soulèvent donc moins d’attente qu’il y a 10 ans. » Restent pour autant de réels problèmes de toxicité, d’échec thérapeutique, de résistance virale et de lourdeur de traitement. Pour y répondre, cinq médicaments sont à l’étude. Actuellement en phase III de recherche, deux inhibiteurs de l’intégrase pourraient être utilisés en cas de résistance à la seule molécule aujourd’hui disponible, avec un plus : une seule prise par jour suffirait pour l’un d’eux. Par ailleurs, deux inhibiteurs de l’enzyme virale transcriptase inverse sont en phase II et III. Enfin, face à la résistance aux analogues compétitifs du substratSubstrat Molécule sur laquelle agit une enzyme. de cette même enzyme, comme l’AZT, un nouveau médicament est à l’étude. Pour le praticien, ce sont des améliorations importantes, même s’il regrette que l’industrie pharmaceutique porte dorénavant son innovation vers d’autres pathologies, comme l’hépatite C.
Les réservoirs de virus : une armée embusquée
Les médicaments antirétroviraux sont incapables d’éradiquer le VIH. Ils suspendent donc l’infection, peuvent restaurer l’immunité, mais le virus ressurgit dès l’arrêt du traitement. « Chez les patients traités, explique Monsef BenkiraneMonsef Benkirane Institut de génétique humaine de Montpellier (unité 1142 du CNRS), l’ADN viral reste intégré dans le génome de cellules CD4 non activées. Elles sont très rares : une sur 100 000 ou sur un million, et rien ne les distingue ! » Ce sont principalement des lymphocytes T mémoires, des cellules endormies, présentes dans tout l’organisme, qui « se souviennent » des infections afin de répondre plus rapidement à toute nouvelle agression. Leur durée de vie est très grande et, à la moindre activation de ces cellules, l’infection par le VIH repart. Contre l’effet du réservoir viral, deux voies sont explorées. « L’expression de l’ADN du VIH est réprimée par une pluralité de facteurs cellulaires, remarque Monsef Benkirane. Notre démarche a pour objectif d’identifier leur mécanisme commun et de l’inactiver, afin de réveiller le réservoir et de purger l’organisme, par traitement antirétroviral, des virus nouvellement fabriqués. » Autre possibilité, l’action directe sur la taille du réservoir. Christine RouziouxChristine Rouzioux Équipe associée 3620 de l’Université Paris-Descartes. Présidente de l’action coordonnée Réservoirs de l’ANRS., chef du laboratoire de virologie de l’hôpital Necker-Enfants malades, à Paris, explique : « Quand le traitement antirétroviral est administré tôt dans l’infection, voire en primo-infection, le réservoir diminue. Nous avons ainsi observé chez certains patients un niveau de réservoir très bas, sans production virale décelable, alors que le traitement est arrêté depuis 7 à 10 ans. C’est une rémission, non une éradication de l’infection. Quels en sont les mécanismes ? Nous cherchons à le savoir. »
Revenir au départ
Plus radicalement, peut-on transformer les cellules d’un patient pour les rendre résistantes au VIH ? Certaines personnes contrôlent mieux que d’autres l’infection. Un état de fait dont cherche à s’inspirer la médecine régénératrice. Un laboratoire américain a ainsi publié, en juillet dernier, les premiers résultats d’un essai réussi de thérapie génique par autogreffe de moelle osseuse, effectuée chez quatre patients séropositifs traités pour un lymphome. Trois gènes ont été insérés dans leurs cellules hématopoïétiquesCellules hématopoïétiques Cellules à l’origine de toutes les lignées sanguines, dont les lymphocytes, qui inhibent l’action des protéines virales Tat et Rev et invalident la protéine cellulaire CCR5, corécepteur du VIH. Ces cellules modifiées, injectées aux patients guéris de leur lymphome après une chimiothérapie, expriment les trois gènes, et aucun effet secondaire n’a été enregistré. L’efficacité et les risques de ces recherches naissantes font toutefois l’objet d’une évaluation.
Ces travaux s’inspirent des résultats d’une équipe de l’Hôpital de la Charité, à Berlin, parvenue en 2008 à éradiquer le VIH, grâce à une greffe de moelle osseuse, chez un patient séropositif depuis 10 ans. Atteint d’une leucémie aiguë, celui-ci avait reçu une allogreffe d’un donneur porteur d’une mutation génétique entraînant l’absence de la protéine CCR5, corécepteur du virus à la surface des lymphocytes. « C’est le seul cas d’éradication connu, note Christine Rouzioux, et ce n’est pas une solution thérapeutique envisageable. » En effet, seul 1 % de la population caucasiennePopulation caucasienne Terme épidémiologique désignant la population blanche porte cette mutation pour CCR5, et si la thérapie génique soulève de nombreuses interrogations éthiques sur fond d’incertitude scientifique, l’allogreffe est une opération de dernier recours, aux risques et aux complications souvent sérieuses.
Nicolas Rigaud
Immunité retrouvée : L’espoir d’un vaccin
« Le sida ? Il ne passera pas par moi : je suis immunisé ! » Ce slogan a des airs de science-fiction. Et pourtant, après des années de déceptions, des résultats encourageants semblent prouver qu’un vaccin est possible. Il permettrait d’enrayer une pandémie qui contamine encore plus de 300 personnes par heure dans le monde.
La recherche d’un vaccin préventif contre le VIH est une histoire de longue haleine. Le premier essai de phase III d’envergure se solda en 2003 par un échec, puisque le vaccin AidsVax n’a conféré aucune protection aux 5 000 volontairesEssai RV 144 Appelé aussi « essai Thaï », mené par l’armée américaine chez 16 000 volontaires séronégatifs, en collaboration avec le gouvernement thaïlandais, Sanofi Pasteur et l’organisation Global Solutions for Infectious Diseases.. D’autres ont suivi, le dernier en date étant l’essai STEP, de l’entreprise Merck, interrompu en 2007 en raison de son efficacité nulle, voire négative. Un dernier coup fatal, d’autant qu’en réaction, les NIH abandonnent un projet de grande ampleur. Pourtant, fin 2009, les résultats d’un essai clinique mené en Thaïlande montrent que la combinaison de deux vaccins enprime-boostPrime-Boost Vaccination par un premier vaccin (Prime), puis rappel par un autre vaccin (Boost) afin d’accroître la réponse immunitaire.diminue le risque d’infection de 31 % par rapport à un placebo. C’est enfin la preuve que la mise au point d’un vaccin préventif contre le VIH est possible. Pour Yves LévyYves Lévy Unité 955 Inserm/Université Paris-Est-Créteil, chercheur à l’Inserm et directeur scientifique du programme Vaccins de l’ANRS, « Cet essai est unique : il démontre une protection contre l’infection par le VIH. Mais chez les personnes infectées, le candidat vaccin n’a pas empêché le développement du virus ou la chute de l’immunité. » Paradoxalement, Aidsvax était l’un des deux vaccins de l’essai thaïlandais, et c’est son association à l’autre vaccin, Alvac, qui lui a conféré une nouvelle efficacité.
Retour des anticorps
En 25 ans, la recherche d’anticorps contre le VIH s’est révélée décourageante, notamment en raison de l’extrême variabilité du virus. Elle avait poussé l’ANRS à privilégier les études sur la stimulation d’une réponse cellulaire. Pourtant, en juillet 2010, des chercheurs américains des NIH isolent chez des patients des anticorps capables de neutraliser le VIH, jusqu’à 91 % des souches virales testées pour l’un d’entre eux. En se fixant sur la glycoprotéine virale gp120, par laquelle le virus s’arrime aux cellules pour les infecter, ces anticorps l’empêcheraient d’interagir avec les récepteurs CD4 présents sur les cellules de l’hôte. Cibler cette protéine virale, qui ne varie presque jamais, pourrait permettre de s’affranchir de la mutabilité du virus.
Toutes les pistes immunitaires
En France, « Le programme vaccinal de l’ANRS est à la fois étendu et ambitieux, résume Yves Lévy. Nous menons de front des recherches cliniques, le développement de nouveaux vaccins et des travaux fondamentaux. » L’agence étudie toutes les pistes immunitaires : « Outre la recherche d’anticorps, notamment au niveau des muqueuses, nos essais cliniques de phase II ont des résultats prometteurs. Ils démontrent de fortes réponses des lymphocytes T. » Car devant la difficulté de trouver des anticorps capables de neutraliser le virus, une solution pourrait être d’aider les lymphocytes T à combattre les cellules infectées, afin de contenir l’infection en cours. Des candidats vaccins ont démontré cette capacité : le candidat historique LIPO-5, constitué de lipopeptides virauxLipopeptides viraux Fragments synthétiques de protéines virales associés à des lipides pour faciliter leur pénétration dans la cellule. Ici, il s’agit des protéines Gag, Pol et Nef., mais aussi, en partenariat avec le consortium européen Eurovacc, la combinaison d’un vaccin à ADN nu avec un vaccin à virus recombinant, qui tous deux contiennent les gènes de ces protéines virales. Les cellules dendritiques, enfin, sont une cible nouvelle pour l’activation des lymphocytes T : aux avant-postes de l’immunité, ces cellules savent, de manière innée, identifier un antigène étranger, l’absorber et le présenter aux cellules T pour orienter leur réponse. Yves Lévy confie : « Avec l’Inserm et l’Institut Baylor de Dallas, aux Etats-Unis, nous essayons de délivrer des antigènes du vaccin directement aux cellules dendritiques, par le biais d’anticorps qui peuvent les cibler. »
Des situations naturelles, enfin, inspirent aussi les recherches qui ont comme objectif la mise au point d’un vaccin. C’est le cas des HIV controllers (voir encadré), mais aussi des personnes exposées dont l’infection est nulle. Pour ces « exposés non infectés », les cellules natural killers(NK)Cellules NK Lymphocytes capables de détruire une cellule étrangère sans reconnaissance de l’antigène ni activation préalables (immunité innée) de l’immunité innée jouent un rôle crucial, en détruisant efficacement les cellules étrangères. « Nous avons démontré en 2003, au Vietnam, qu’une forte activité des cellules NK rendait un groupe d’individus résistants à l’infection par le VIH, raconte Daniel Scott-AlgaraDaniel Scott-Algara Unité régulation des infections rétrovirales dirigée par Françoise Barré-sinoussi,Institut pasteur, Paris. C’est une grande avancée, car le VIH sait généralement inhiber l’activité NK. Avec l’ANRS, nous cherchons à mettre au point un vaccin pour la renforcer. » La quête d’un vaccin préventif n’est pas terminée, loin de là. Si l’incertitude est totale, le champ complet du système immunitaire offre des pistes encourageantes.