Néonaticides
Une réalité bien sombre

Chaque année en France, infanticides et néonaticides font la Une des médias. Peut-on chiffrer leur nombre ? Les mères qui en sont responsables ont-elles un profil psychologique ou social particulier ? Pour la première fois, Anne Tursz et Jon M. CookAnne Tursz et Jon M. Cook
Centre de recherche Médecine, sciences, santé, santé mentale et société, Unité 988 Inserm / École des hautes études en sciences sociales, Paris.
, chercheurs à l’Inserm, offrent un début de réponse.

Aucune étude épidémiologique française n’avait encore été menée sur les infanticides, cette toute petite partie de la maltraitance qui touche les enfants de moins d’un an, souligne la chercheuse. Jusqu’à présent, on avait seulement comme base documentaire les statistiques officielles de mortalité reposant sur le codage réalisé par le CépiDc 1 , à partir de certificats de décès souvent imparfaitement, voire non remplis par les médecins (en cas d’obstacle médico-légal). »
Quant aux néonaticides, définis comme l’homicide au cours des 24 premières heures de vie, qui constituent environ le tiers des infanticides, les données sur le nombre de cas réels n’avaient jamais été recueillies.« Nous avons décidé de nous fonder sur le recoupement de trois sources d’informations pour les estimer au mieux 2  : les hôpitaux accueillant les enfants décédés (notamment les centres de référence de la mort subite du nourrisson), les tribunaux saisis pour le décès d’enfants de moins d’un an et, enfin, les statistiques du CépiDc. Il ne nous a malheureusement pas été possible d’inclure les transports d’urgence, car la tentative de recueillir des données auprès d’eux s’est soldée par un échec. » Les dossiers judiciaires des années 1996-2000 de 26 tribunaux de Bretagne, d’Ile-de-France et du Nord-Pas-de-Calais ont été étudiés, ces trois régions ayant comptabilisé plus d’un tiers des naissances sur le territoire métropolitain durant cette période.
« En comparant nos données avec celles provenant des statistiques officielles de mortalité, révèle Anne Tursz,nous avons découvert qu’il existait une sous-estimation globale des infanticides et des néonaticides. Nous avons ainsi évalué à au moins 250 le nombre annuel d’infanticides au niveau national, contre 17 selon les statistiques officielles. Pour ce qui est du taux de néonaticides, nous l’avons estimé à 2,1 décès pour 100 000 naissances, contre 0,39 dans les statistiques officielles, soit un écart d’un facteur 5,4 ! Et il ne s’agit là que d’une approche, de nombreux cas restant probablement dissimulés. »
Anne Tursz et Jon M. Cook sont aussi allés plus loin, en étudiant le dossier judiciaire de 27 cas de néonaticides dont 9 pour lesquels les parents n’ont jamais été trouvés. « Nous avons pu établir les principales caractéristiques sociales et psychologiques de ces femmes, rapporte la chercheuse, et en dresser une sorte de « portrait-robot » :  souvent en détresse affective et dans la peur de perdre leur conjoint, la plupart d’entre elles sont incapables d’adopter un moyen contraceptif. » Intégrées socialement, ces femmes sont souvent déjà mères et vivent en couple pour la moitié d’entre elles. Elles connaissent leur état de grossesse, mais le cachent à leur entourage et aux structures sociales. Sans parler de troubles mentaux avérés, on peut noter chez elles une grande fragilité affective (immaturité, manque de confiance, peur de l’abandon). Des résultats de première importance, pour deux raisons au moins : car ils dessinent des caractéristiques maternelles à l’encontre du profil souvent mis en avant par les médias, puisqu’aucune des femmes étudiées ne souffrait d’un « déni complet » de grossesse. Et parce que ces travaux, uniques en leur genre, devraient permettre de mieux cibler les femmes vulnérables et de chercher des stratégies pour leur proposer une contraception adaptée (ce qui passe, entre autres, par la formation des médecins généralistes). Pour autant, la petite taille de l’échantillon incite à la prudence quant aux conclusions et rend nécessaire la poursuite des études.

Olivier Frégaville-Arcas

Anne Tursz
Anne Tursz. Anne Tursz, chercheur et pédiatre
© François Guénet/Inserm