Radioactivité
Le double visage de l’atome

Dossier élaboré avec la collaboration d’Ethel Moustacchi et Jean-Marc Cosset

D’un côté elle risque de tuer, de l’autre elle guérit. La radioactivité, cette qualité particulière de certains atomes, a bel et bien deux visages. Le 11 mars dernier, un terrible tremblement de terre, suivi d’un tsunami exceptionnel et d’accidents majeurs à la centrale de Fukushima au Japon, ont réveillé les peurs face aux émissions radioactives. Mais que sont-elles exactement ? Ce sont des rayons qui provoquent des ionisations lorsqu’ils pénètrent la matière : grâce à leur énergie, ils peuvent en effet arracher des électrons aux atomes. Ce, qu’en général, ils n’apprécient pas vraiment. Ces rayonnements invisibles, inodores, impalpables nourrissent l’imaginaire : ils endommagent toute la matière vivante, contaminent la chaîne alimentaire et peuvent tuer. On se souvient de l’accident de la centrale de Tchernobyl, des bombes lâchées sur Hiroshima et Nagasaki. Mais quelles sont les conséquences réelles de ces rayonnements ionisants issus d’évènements dramatiques ? Comment les cellules réagissent-elles aux fortes doses d’irradiation ? Et que sait-on de l’impact des faibles doses sur le vivant ? Quelles sont les parades mises au point pour contrer ce côté sombre de la radioactivité, sorte de Mister Hyde de la physique nucléaire ? Pourtant la découverte de la radioactivité naturelle par Henri Becquerel en 1896, puis celle du radium et du polonium radioactifs par Marie Curie - ce qui leur valut de partager le prix Nobel en 1903 -, montre aussi la face Dr Jekyll de la radioactivité. Et alors que l’on célèbre le centenaire du second prix Nobel de l’immense scientifique, un autre regard sur la radioactivité s’imposait. Arrêt sur le côté lumineux de la radioactivité et les travaux qui permettent de visualiser l’organisme humain, sauver des vies en ciblant avec précision les tumeurs et qui ont rendu possible la mise au point de tout un éventail de thérapies pour diminuer les risques de récidive. Instantanés sur les méfaits et les bienfaits d’un phénomène aux conséquences complexes.

radioactivité
S'il faut s'en protéger quand elle échappe à tout contrôle, la radioactivité est aussi une arme décisive de l'arsenal médical, notamment pour le traitement des cancers
© François Guénet/Inserm

Des risques à maîtriser

L’accident grave de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon vient nous rappeler que l’exposition à la radioactivité est rarement anodine. En étudiant ses effets sur l’homme, les scientifiques cernent de mieux en mieux les dangers potentiels et s’attachent à mettre au point des parades efficaces. Revue de détails de l’impact des fortes et faibles doses des rayonnements ionisants.

Dans les années à venir, la vaste zone autour de la centrale de Fukushima va être scrutée à la loupe par les chercheurs, les médecins et les épidémiologistes. Les « liquidateurs » japonais qui se sont attelés au contrôle des quatre réacteurs endommagés, les populations avoisinantes, la faune, la flore qui ont été et sont encore exposés aux éléments radioactifs vont être suivis durant des dizaines d’années pour prévenir et mieux connaître les impacts de la radioactivité. Pourquoi, lorsque le vivant est ainsi exposé aux radiations nucléaires, ce suivi est-il indispensable ? Parce que les noyaux des atomes radioactifs, qu’ils soient naturels ou créés par l’homme (voir encadré), émettent spontanément des rayonnements très énergétiques. Certains sont constitués de particules. D’autres de photons, donc d’ondes électromagnétiques. Dans la première catégorie se rangent les noyaux d’hélium (rayons alpha) et les électrons (rayons bêta). Dans la seconde, se trouvent les rayons gamma ou X (voir infographie p. 29). Tous induisent des dommages aux cellules vivantes. Ils résultent d’altérations directes ou indirectes, dues dans ce dernier cas à la formation de radicaux, fortement réactifs. Les lésions peuvent toucher les lipides, les glucides, les protéines et surtout les acides nucléiques. Au niveau de l’ADN, cela se traduit par des modifications des bases, des cassures d’un simple brin ou du double brin. En permanence, il se produit en moyenne 10 000 cassures simple brin, 8 ruptures double brin et 3 000 modifications de bases par jour, dans une cellule. Or, celle-ci répare continuellement ces lésions. Une mauvaise réparation provoque sa mort, immédiate ou différée, mais aussi l’apparition de mutations, susceptibles d’entraîner, à plus ou moins long terme, des cancers. L’irradiation augmente tous ces types de lésions : une dose de 1 Gy provoque 1 000 cassures simple brin supplémentaires, et surtout, 40 ruptures double brin qui sont les plus dangereuses. Bien sûr, les dégâts administrés aux cellules et donc à tous les êtres vivants, dont l’homme, varient en fonction d’un ensemble de facteurs : la durée de l’exposition, l’intensité et la nature du rayonnement, l’âge des personnes touchées, l’importance de la surface corporelle exposée, le mode de contamination interne (inhalation de particules radioactives, ingestion d’eau ou de nourriture irradiée) ou externe, ainsi que la nature des organes touchés puisqu’ils réagissent différemment à l’irradiation.

Mesurer la radioactivité et ses effets

Pour y voir plus clair et tenter de quantifier les risques encourus par des personnes exposées, les spécialistes utilisent des unités de mesures qui tiennent compte de la spécificité de la matière vivante. Au fil des ans, ils ont défini, en se fondant, entre autres, sur le suivi des personnes irradiées lors des bombardements nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki en août 1945, des seuils de doses radio- actives reçues à partir desquels tels ou tels effets se font sentir. Un exemple : si les doses reçues sont supérieures à 500 millisieverts (mSv) par an ou 100 mSv d’un coup, tous les chercheurs s’accordent pour dire que la probabilité de développer une leucémie est bien présente. On parle alors de « fortes doses ». En dessous, c’est le domaine des faibles doses et les incertitudes sur leurs effets sont plus grandes.
Parfois, lors d’accidents dramatiques comme à Fukushima ou Tchernobyl, les travailleurs du nucléaire reçoivent des doses importantes en l’espace de quelques minutes. Quels en sont alors les effets ? Ils sont de deux types : les premiers sont « déterministes », les seconds sont dits « aléatoires ou probabilistes ». Les « déterministes » apparaissent à coup sûr à partir d’un seuil variable selon l’individu et l’organe affectés. Ainsi, le seuil d’apparition de l’hypoplasie médullaire (défaut du développement de la moelle osseuse) est de l’ordre de 1 Gy. « La moelle osseuse est en effet la cible la plus sensible », souligne Patrick Gourmelon, directeur de la radioprotection de l’homme, à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). C’est aussi à ce niveau d’irradiation qu’apparaissent les premières manifestations cliniques comme les nausées et les vomissements qui durent 24 heures. Puis plus rien. « Le patient se sent bien, confirme Patrick Gourmelon. C’est dans les semaines qui suivent, qu’apparaissent infections et hémorragies. »
Les seconds, les « aléatoires », induisent des cancers de façon probabiliste dans l’ensemble d’une population et l’augmentation de leur fréquence dépend de la dose reçue. D’après l’IRSN, « la dose au-delà de laquelle un excès significatif de cancers a pu être mis en évidence dans les études épidémiologiques est de l’ordre de 100 mSv. Ce qui ne signifie pas que l’on doit considérer qu’il n’y a aucun risque en dessous. »

La restauration par les cellules souches ?

Face à une atteinte de la moelle osseuse, aux alentours de 1 Gy, comment peut réagir le médecin pour parer aux effets les plus néfastes ? « En cas d’exposition accidentelle, en général, le corps n’est pas touché de façon homogène. Certaines cellules souches de la moelle osseuse peuvent être intactes. Pour augmenter leur vitesse de prolifération, on les «booste» en injectant au patient un facteur de croissance. Au Japon, il a été proposé aux travailleurs de la centrale de leur prélever des cellules souches, afin de pouvoir les conserver et leur réinjecter en cas de nécessité », fait remarquer Patrick Gourmelon. Mais dès que les doses grimpent, les effets sont létaux. Comprises entre 4 et 4,5 Gy, elles entraînent la mort de la moitié des personnes touchées. Sans traitement, le décès est certain après une exposition à 6 Gy sur le corps entier : les organes vont connaître des défaillances multiples les uns après les autres. Lorsque l’on atteint la zone de 13-15 Gy, le syndrome gastro-intestinal débute, avec diarrhées et septicémie, entre autres. La mort survient entre 7 et 15 jours après l’irradiation. Si les 30 Gy sont atteints, la victime meurt en deux-trois jours par atteinte du système nerveux central.
« L'essentiel, pour les ouvriers qui travaillent sur le site de Fukushima, est qu’ils puissent contrôler leur dose, grâce à un dosimètre individuel, en temps-réel. Ils ont les moyens de ne pas dépasser 1 Gy », insiste Patrick Gourmelon. Mais le font-ils ? Bien que le rôle de la radioprotection soit d’empêcher les comportements irresponsables, on ne peut pas non plus empêcher les actes héroïques : certains choisiront peut-être de dépasser les doses maximales préconisées.
Parfois, les fortes doses d’irradiation sont très localisées et elles entraînent des brûlures radiologiques. Elles arrivent accidentellement lorsque quelqu’un ramasse un échantillon radioactif abandonné de façon inappropriée et le met dans sa poche. Une situation heureusement fort rare. « La dose locale est dans ce cas de l’ordre de 20 à 50 Gy. Il y a alors des radionécroses des tissus, accompagnées de douleurs intolérables, résistantes aux opiacés », souligne Patrick Gourmelon. L’hôpital d’Instruction des Armées-Percy, le centre de transfusion sanguine des armées et l’IRSN ont mis au point des techniques perfectionnées de soins. Problème principal de ces lésions radiologiques : elles ne cicatrisent pas correctement et aboutissent à la formation de fibroses tissulaires. En combinant chirurgie et injection de cellules souches mésenchymateuses autologues, des cellules qui donnent naissance au tissu conjonctif, on parvient à améliorer la situation. « Tout se passe comme si ces cellules souches mobilisaient les cellules basales résiduelles, situées au niveau de la couche extérieure de la peau. Elles s’opposent aux réactions en chaîne de l’inflammation, en migrant spontanément vers les tissus lésés. Elles peuvent être obtenues en une quinzaine de jours par prélèvement de la moelle osseuse dans l’os iliaque et sa mise en culture. Ceci impose donc un délai entre l’indication et l’utilisation, d’une part, et une moelle prélevable, donc riche, d’autre part. »
Actuellement, le domaine des fortes doses est mieux compris que celui des faibles doses. Ce qui n’empêche pas les recherches de se poursuivre. Michèle Martin, chercheuse au Laboratoire de génomique et radiobiologie de la kératinopoïèse - la formation des cellules de l’épiderme - du CEA, étudie ainsi la réponse des cellules souches de la peau à une dose moyenne d’irradiation locale, de l’ordre de 2 Gy, dose délivrée lors d’une séance de radiothérapie. « Les cellules souches de l’épiderme répondent d’une manière très particulière : on observe très peu de mortalité et les lésions de l’ADN sont rapidement réparées. Plusieurs mécanismes expliquent cette réponse particulière, notamment l’action de facteurs de croissance endogènes, comme FGF2. » Si l’on arrive à bien connaître les mécanismes de la réponse des cellules souches, les chercheurs pourront mettre au point de nouvelles stratégies d’intervention après irradiation accidentelle ou un traitement en radiothérapie.

Les « faibles doses » en débat…

Si les effets des fortes doses fait consensus, il en va tout autrement de ceux attribués aux radiations « faibles doses ». On parle ainsi de faibles doses de radiations quand les effets biologiques immédiats de toxicité et le risque de cancers radio-induits sont négligeables. Toutefois, particulièrement en ce qui concerne le risque de cancers, la définition exacte d’une faible dose de radiation pose problème : les recherches pour en évaluer l’impact conduisent à des résultats difficiles à interpréter. Ethel MoustacchiEthel Moustacchi
Radiobiologiste, directeur de recherche émérite CNRS/Institut Curie.
souligne ainsi que « les effets à long terme des faibles doses demeurent mal connus ».
Comment déceler statistiquement une augmentation faible des cancers radio-induits alors que la fréquence spontanée des cancers, en l’absence d’exposition chimique ou radioactive, est de l’ordre de 30 % ? De plus il existe une radioactivité naturelle, à laquelle nous sommes tous exposés. Due aux émissions d’uranium et de thorium naturels, ainsi que de leurs descendants (radon, thoron), son intensité varie aux quatre coins du monde. Par exemple, si le Japon présente une radioactivité naturelle aux alentours de 0,5 mSv par an, les habitants du Kérala, en Inde, peuvent être exposés, eux, à 70 mSv/an. En France, la radioactivité moyenne est de 2,4 mSv/an. « Il y a donc 140 fois plus de radioactivité ambiante en Inde qu’au Japon, et pourtant le pourcentage de cancers n’y est pas 140 fois plus élevé », pointe Nicolas ForayNicolas Foray
Unité 1052 Inserm/Université Lyon 1
, radiobiologiste au Centre de recherche en cancérologie de Lyon.
Actuellement deux modèles principaux concernant ces faibles doses s’affrontent. Le premier, appelé « relation linéaire sans seuil », considère que toute dose, si minime soit-elle, comporte un risque proportionnel à la dose. Le second, baptisé « relation non linéaire avec seuil », assure qu’il faut atteindre un certain niveau pour voir apparaître les premiers effets biologiques des rayonnements. Pour Ethel Moustacchi, les autorités internationales de sûreté ont raison, par application du principe de précaution, de considérer qu’aucune dose n ’ est sans risque. Pourtant les autorités japonaises ont relevé le seuil d’exposition limite pour la population à 20 mSv/an. « Elles n’ont peut-être pas complètement tort. Il est très probable qu’en dessous de 20 mSv, il ne se passe rien en termes de santé publique », confie Ethel Moustacchi.
De son côté, Nicolas Foray souhaite « que l'on reconnaisse l'existence d’une sensibilité individuelle. Les autorités de sûreté, lorsqu’elles établissent les normes, considèrent que tous les individus ont des réactions identiques. Or, il n'en est rien. Ainsi, deux patients, traités avec les mêmes doses, les mêmes techniques, pour une tumeur du même type, ne vont pas réagir de la même façon. Si l’on considère la population autour de Fukushima, il est nécessaire de savoir à quelles doses les individus ont été exposés. Car parmi eux, se trouve sûrement un certain pourcentage de gens (de l’ordre de 10 %) plus sensibles aux radiations que les autres. Leur suivi devrait donc être plus intense. De plus, ajoute le chercheur, les effets des faibles doses sont estimés en fonction des conséquences des explosions nucléaires à Hiroshima et Nagasaki. Or, dans ces deux cas, l’exposition s’est faite en une seule fois, avec des radiations qui sont différentes de celles de Fukushima. On ne peut donc pas en faire les seules références. »

… Leur rôle inattendu

Malgré le flou qui entoure l’impact biologique des faibles doses, quelques certitudes commencent à émerger. Un exemple : pour une exposition à quelques mSv, les scientifiques sont parvenus à mesurer la modification des histones (gH2AX), ces protéines qui servent de signaux d’alerte pour les protéines de réparation en indiquant la présence d’une cassure de l’ADN. « C’est bien la preuve qu’il se passe quelque chose », affirme Ethel Moustacchi. De plus, dans certaines lignées cellulaires, les faibles doses protègent contre de plus fortes doses. En effet, après avoir irradié des cellules avec une faible dose de 0,02 Gy, des chercheurs les ont exposées, quelques heures plus tard, à une dose d’irradiation beaucoup plus forte, de 4 Gy. Ils ont observé une diminution notable de la fréquence de mutations et de transformations malignes par rapport à des cellules n’ayant pas reçu de faible dose d’irradiation auparavant. « Cette très faible dose va provoquer le réveil de certains gènes qui vont produire les protéines de réparation, explique la chercheuse émérite. L’effet pourrait être comparé à la mithridatisation, cette ingestion de doses croissantes d’un produit toxique afin d’acquérir une insensibilité ou une résistance à ce même élément. Mais dans le cas des radiations, si les cellules sont exposées bien plus tard aux fortes doses, l’effet protecteur disparaît. » L’existence de cette réaction est bien la preuve que les faibles doses ont un impact sur les cellules. « C’est un domaine qui mérite donc d’être mieux étudié », insiste Ethel Moustacchi.
De son côté, Bernard LopezBernard Lopez
Unité mixte UMR217 CEA/CNRS, Fontenay-aux-Roses
, chercheur au Laboratoire d’étude des mécanismes de la régulation et de la recombinaison génétique, s’intéresse à la réponse de cellules mises en contact de façon chronique avec des faibles doses de tritium, cet isotope radioactif de l’hydrogène, sous une forme chimique (la thymidine tritiée) qui a comme cible exclusive l’ADN. Bernard Lopez fait l’hypothèse « qu’aux plus faibles doses incorporées, les mécanismes de réparation ne sont pas activés. Comme si les cellules ne décelaient pas qu’elles étaient soumises à un stress, et donc n'y réagissaient pas : la conséquence est l’accumulation de mutations génétiques. » On pourrait donc penser que les plus faibles doses sont plus dangereuses que des doses moins faibles ou moyennes. Mais le chercheur attire l’attention sur les limites de ces résultats qui « sont obtenus sur des modèles de cellules cultivées en laboratoire et, que, par ailleurs, le tritium n’existe pas sur terre à l'état naturel, c’est un produit issu de l’activité humaine ». De son côté, dans ses études sur les kératinocytes de l’épiderme - cellules qui constituent la grande majorité de la couche superficielle de la peau -, l’équipe de Michèle Martin a constaté qu’une très faible dose de rayons gamma (10 mGy) provoque une réponse biologique très différente de celle induite par une dose moyenne (2 Gy). « La réponse à 10 mGy est spécifique, d’une part, par les gènes qui sont modulés et, d’autre part, par la cinétique de réponse dans le temps. Nous avons pu montrer que le facteur de transcription GATA3 était un des chefs d’orchestre de la réponse biologique des cellules de la peau à une faible dose. »
« De plus, à faibles doses, les éléments du microenvironnement comme l’état physiopathologique initial, la vascularisation ou le pH deviennent des facteurs de variabilités qu’il est nécessaire de prendre en compte dans l’analyse des résultats », ajoute Marie-Catherine VozeninMarie-Catherine Vozenin
Médecin chercheur à l’Institut Gustave-Roussy (Paris), Laboratoire UPRES EA 27-10 Radiosensibilité des tumeurs et tissus sains
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Un autre aspect des faibles doses est encore plus surprenant. En effet, lorsqu’on irradie une cellule, dans un milieu en contenant d’autres, à l’aide d’un faisceau très localisé, il peut se produire des effets à distance de la cellule qui a été ciblée. L’une des hypothèses considère que ce sont les dommages oxydatifs, c’est-à-dire causés par les dérivés réactifs de l’oxygène, qui se propagent, de la cellule touchée aux autres, via le milieu de culture.
Effet des radiations sur le corps humain Les effets déterministes (à droite) interviennent à coup sûr après une forte exposition. Contrairement à ceux recensés à gauche qui n'ont que des probabilités d'apparaître. (Voir l'infogrpahie sur le PDF)
Ⓒ Carole Fumat

Et les essais atomiques français ?

Les données recueillies lors d’essais atomiques atmosphériques effectués par les Français entre 1966 et 1974, à Mururoa et Fangataufa ont également été scrutées. Dans une étude de 1998, l’Agence internationale de l ’Énergie atomique concluait que la contamination résiduelle ne posait pas de problème de santé publique. « Mais il n’y avait pas eu de reconstitution des retombées auxquelles avaient été soumis les habitants durant les essais », explique Florent de VathaireFlorent de Vathaire
Unité 1018 Inserm/Paris 11, Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations
, responsable de l’équipe Épidémiologie des cancers à l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy. Après trois ans de démarche, le chercheur a montré que la mortalité par cancer de la thyroïde était plus importante pour les personnes exposées aux retombées comparée à celle des autres populations du Pacifique de même ethnie. Ainsi, le risque de cancer augmente en fonction de la dose de radiation reçue à la thyroïde avant 15 ans. L’obésité et, pour les femmes, le nombre d’enfants ont aussi leur importance. Pourquoi ? Parce qu’en cas d’obésité, la surface corporelle est plus grande, la thyroïde aussi : elle est donc plus touchée. Et pendant les grossesses, la thyroïde, productrice d’hormones, est plus active. Le chercheur attend toujours des données sur les cancers de la thyroïde dans l’est de la France. « Étant donné l’inquiétude que suscite l'accident de Tchernobyl, il est important de faire cette étude. Mais je ne pense pas que l’on constatera une augmentation de l’incidence de ce type de cancers. » Sur place, les données épidémiologiques liées à l’accident de la centrale ont mis en évidence un excès de 3 000 cancers de la thyroïde chez les enfants. Une conséquence inattendue car les bombes de Nagasaki et Hiroshima avaient, en plus des personnes tuées directement, surtout provoqué des leucémies. « On suppose que la population des alentours était carencée en iode, ce qui expliquerait que l’iode radioactif se soit fixé de façon très forte au niveau de la glande thyroïde », explique Ethel Moustacchi.

Du côté des centrales nucléaires

Jacqueline ClavelJacqueline Clavel
Unité 1018 Inserm/Paris 11, Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations
, responsable du Registre national des hémopathies malignes de l’enfant et directrice de l’équipe d’Épidémiologie environnementale des cancers, s’est penchée sur la surveillance des cancers des enfants vivant à proximité des centrales. « Alors que les premières études françaises menées de façon systématique n’ont pas montré d’augmentation du risque de leucémie à proximité des sites nucléaires civils, une étude allemande, elle, a indiqué un accroissement du risque de leucémies chez les enfants de moins de 5 ans qui vivent à moins de 5 km d’une centrale. » Un résultat qui relance les interrogations. « Mais, précise la chercheuse, ces études ne sont pas conçues pour étudier le risque de leucémie aux faibles doses de radiations ionisantes et elles ne peuvent être interprétées comme telles. L’augmentation constatée à proximité des centrales en Allemagne n’est apparemment pas reliée à un niveau d’exposition mais peut relever de facteurs associés qui restent à identifier. » La surveillance doit donc se poursuivre.
Par ailleurs, l’épidémiologiste a étudié la corrélation entre l’incidence de leucémie infantile et la radioactivité moyenne sur l’ensemble du territoire français : elle a alors mis en évidence une augmentation de l’incidence des leucémies myéloïdes (un type de cancer de la moelle osseuse) associée aux zones dont les concentrations moyennes de radon étaient plus élevées. Des résultats fondés sur des données obtenues par zone géographique et non par individu, et qui ne prennent pas en compte l’ensemble des périodes d’exposition. « Nous n’écartons pas du tout un risque faible lié au radon et nous poursuivons nos travaux en tentant d’affiner l’estimation individuelle des expositions reçues à différentes périodes de la vie. »

Au service de la santé

Au fil des années, la radioactivité s’est révélée comme un formidable outil au service de la médecine. Elle a d’abord permis de visualiser l’intérieur du corps humain, grâce à la radiographie. Puis, elle s’est affirmée comme une arme essentielle dans la lutte contre les cancers, grâce à la radiothérapie, qui devient de plus en plus précise et de plus en plus efficace.

En France, chaque année, sur les 320 000 patients à qui l’on diagnostique un cancer, environ 200 000 bénéficieront d’une radiothérapie. À l’échelle mondiale, ce chiffre monte à six millions ! «  On admet que la moitié des guérisons est due, en tout ou en partie, à la radiothérapie », précise Jean-Marc Cosset, radiothérapeute, responsable de l’Unité de curiethérapie à l’Institut Curie. Dans les pays industrialisés, une personne sur deux succombe au cancer qui lui a été diagnostiqué. Une proportion à mettre en perspective avec le fait que, sans traitement, le cancer tue quasiment à 100 %. « Depuis deux ou trois décennies, les progrès thérapeutiques ont fait chuter la mortalité des cancers de 70 à 50 %. En d’autres termes, ils ont permis d’augmenter le taux de guérison de 20 %. » Si le traitement de certains cancers, tels ceux du pancréas ou de l’œsophage, ou encore de certaines tumeurs cérébrales, n’a pas réellement bénéficié de ces progrès, d’autres ont vu leur pronostic s’améliorer grâce à eux. C’est le cas de la maladie de Hodgkin, un cancer des ganglions autrefois fatal, des tumeurs chez l’enfant ou encore de certaines leucémies. Ainsi, l’arsenal thérapeutique à disposition des cancérologues ne cesse de s’accroître. En utilisant les propriétés ionisantes des rayons, les radiothérapeutes attaquent les cellules tumorales, provoquant leur mort ou l’arrêt de leur prolifération. « Deux types de rayonnements sont principalement utilisés en radiothérapie, les photons et les électrons », rappelle Jean-Marc Cosset. Alors que les photons pénètrent à une dizaine de centimètres de profondeur, les électrons, eux, déposent toute leur énergie dans les premiers centimètres, épargnant ainsi les tissus plus profonds. Défi majeur auquel sont confrontés les radiothérapeutes : attaquer la tumeur, sans toucher aux tissus sains qui l’environnent. « Le plus gros problème du radiothérapeute, c’est que généralement, il y a un malade autour du cancer », aime ainsi à dire Jean-Marc Cosset à ses étudiants. L’idéal serait de « délivrer la dose tumoricide au cancer, à tout le cancer, rien qu’au cancer ». Depuis un siècle, l’évolution constante des techniques a ainsi permis d’améliorer ce qu’on appelle la balistique des rayons, c’est-à-dire, leur précision.

Des rayons X aux électrons

Le 28 décembre 1895, Wilhelm Conrad Röntgen photographie la main de sa femme en utilisant pour la première fois les rayons X qu’il vient de découvrir. Le cliché est célèbre, où l’on peut voir l’alliance qu’elle porte. L’idée d’utiliser ces rayons comme une arme contre le cancer s’impose très vite aux médecins. Dès l’année suivante, trois tumeurs sont irradiées pour la première fois.
Aujourd’hui, on distingue deux types de radiothérapie : la curiethérapie et la radiothérapie externe. La première, baptisée ainsi en hommage bien sûr au couple Curie, consiste à traiter les cancers avec des sources radioactives placées directement au contact de la tumeur ou implantées dans celle-ci. On parle de sources scellées. Les sels de radium furent d’abord utilisés pour traiter des affections dermatologiques non cancéreuses. On tentera ensuite d’utiliser le radon, ce gaz émis par le radium. Des petits tubes, remplis du gaz, sont implantés dans les tumeurs. Mais les calculs de dose sont loin d’être précis. Dans les années 1920, une collaboration entre les médecins de l’Institut Curie et des bijoutiers parisiens permettra la réalisation de nouveaux outils. Ces « orfèvres en la matière » vont ainsi fabriquer de petits tubes creux de platine iridié, dans lesquels le radium pourra être inséré. Très efficaces, ils seront cependant abandonnés, notamment à cause des risques encourus par le personnel pendant leur manipulation. La découverte des radioéléments artificiels lèvera cet obstacle : le radium est ainsi remplacé par le césium 137 et l’iridium 192. Par ailleurs, on dispose désormais d’une technique dite de « chargement différé ». En lieu et place des sources elles-mêmes, on introduit de petits contenants dans la tumeur, que l’on charge ensuite au moment opportun avec un fil radioactif miniaturisé : plus besoin de se presser pour les placer correctement. Dans le cas des cancers de l’utérus, on fait également appel à un « projecteur de source » connecté à des canules qui permettent d’envoyer les produits radioactifs à distance : le personnel est ainsi protégé et quand la source a réintégré son container de protection, les patientes peuvent recevoir la visite de leurs proches sans risque pour eux. Dans le cas du cancer de la prostate, on peut aussi avoir recours à des grains d’iode 125 implantés directement dans la tumeur. Ils n’irradient qu’à quelques millimètres, mais la précision avec laquelle ils sont positionnés, grâce aux techniques d’imagerie, en fait une arme efficace.
La radiothérapie externe moderne fait ses premiers pas, dans les années 1950-1960, avec les tubes à rayons X (émission de photons). Les appareils étaient à l’origine pourvus d’un orifice, le collimateur, par où sortait le rayonnement lorsqu’on amenait mécaniquement la source devant l’ouverture. « Mais leur pénétration était limitée, et surtout les bords des faisceaux de rayonnement étaient flous », rappelle Jean-Marc Cosset. Les organes sains situés à proximité risquaient donc d’être irradiés. Dans ces années surviennent simultanément deux révolutions technologiques : l’utilisation du cobalt radioactif (Co60) et les accélérateurs de particules linéaires. Les « bombes au cobalt » tomberont vite en désuétude : leur démantèlement suscitait des inquiétudes et les accélérateurs offraient une énergie beaucoup plus sophistiquée. Ainsi, les accélérateurs linéaires vont sortir gagnants de ce concours d’efficacité et de sécurité. Grâce à des ondes électromagnétiques, ils permettent d’accélérer les électrons qui seront utilisés directement pour traiter la tumeur, avec la possibilité de doser l’énergie qu’on leur confère, et donc leur profondeur de pénétration. Actuellement, 10 à 20 % des patients sont traités par électrons. L’ingéniosité de ces machines permet également de générer des photons X à partir de ces électrons accélérés.

Les tumeurs dans les collimateurs

Depuis, les techniques n’ont cessé de se perfectionner pour permettre un meilleur ciblage de la tumeur, une meilleure préservation des tissus voisins, ainsi qu’un meilleur confort du patient. Elles ont surtout bénéficié d’une troisième révolution technologique, liée au développement de l’informatique. La radiothérapie conformationnelle va progressivement être introduite, grâce aux techniques d’imagerie radiologique en 3D. Des logiciels permettent ainsi de visualiser la tumeur dans le corps en la faisant tourner sous tous les angles pour pouvoir l’examiner. D’autres s’assurent que la dose est bien distribuée là où on veut.
Afin de mettre en application la précision maintenant calculée par ordinateurs, les collimateurs se munissent de plusieurs lames, qui permettent d’obtenir des formes de faisceaux complexes. Enfin, grâce à la modulation d’intensité, on peut intervenir, en cours d’irradiation, sur l’énergie du faisceau, et donc la profondeur de pénétration. Ce qui permet d’irradier des volumes concaves, comme autour de la moelle épinière
La radiothérapie guidée par l’image permet de s’assurer, avant chaque séance, du positionnement exact des organes internes du patient. Enfin, les machines à tomothérapieLa tomothérapie
est une technique de radiothérapie guidée par l’image.
intègrent un accélérateur miniaturisé, un scanner et un collimateur multilames. Elles permettent de tourner autour du patient en « spirale », ce qui les rend particulièrement adaptées pour irradier les os du crâne sans toucher au cerveau. Ou encore pour atteindre uniquement les os, dans le cadre des greffes de moelle osseuse - la destruction totale des cellules leucémiques est en effet une étape nécessaire à la survie de la greffe.

L’avenir des protons

En parallèle des électrons et des photons, d’autres particules ont été expérimentées. C’est le cas des neutrons, dont l’utilisation s’est révélée décevante, malgré leur efficacité biologique jugée meilleure. Les protons ont, en revanche, le vent en poupe, grâce à leurs caractéristiques balistiques particulières : le dépôt de dose élevée se fait en fin de parcours, la diffusion latérale est faible et l’effet biologique est très supérieur aux faisceaux de photons et d’électrons. Ils sont indiqués dans le cas de petites tumeurs, comme celles de l’œil, et surtout dans le traitement des tumeurs de l’enfant et de l’adulte jeune. Deux centres en ont l’usage en France : celui d’Orsay, rattaché à l’Institut Curie et celui de Nice. Quant aux ions carbone, ils tardent à être mis en place en France. Ainsi, le projet Étoile, à Lyon, dirigé par Jacques Balosso, est en cours. Deux centres d’hadron- thérapie (ions carbone) sont implantés au Japon et un autre en Allemagne. Mais on leur reproche leur coût d’installations. Un argument que conteste Jacques Balosso, qui argue que « leur efficacité permet de réduire le nombre de séances ».

Accidents et complications

Mais les rayons provoquent bien des effets secondaires ? Rappelez-vous Épinal en 2004 et 2005. Sauf que ce qui s’est passé dans les Vosges, sans en minimiser les conséquences, était un accident. « Même quand le protocole de traitement et sa mise en œuvre sont excellents, il existe des effets secondaires. Et même des complications sont possibles car pour accroître le pourcentage de guérisons, on peut être amené à augmenter la dose, donc à prendre des risques », reconnaît Maurice Tubiana, éminent radiothérapeute, ancien directeur de l’Institut Gustave-Roussy, membre des académies des Sciences et de Médecine . La survenue des effets secondaires n’est pas automatique et leur ampleur dépend de plusieurs paramètres. Rougeurs cutanées, sécheresse buccale (cancers de la sphère ORL), irritation des muqueuses, troubles digestifs peuvent ainsi apparaître à des degrés divers au cours du traitement. Ils sont généralement réversibles. Quelles différences existe-t-il entre les complications et les accidents ? Jean-Marc Cosset rappelle que les complications surviennent généralement après l’irradiation. « Compte tenu de la difficulté de protéger totalement les tissus sains dans certaines situations, il existe presque toujours un risque de complications », admet-il. Ainsi, toute prescription de radiothérapie implique une évaluation préalable du rapport bénéfice/risque. « Le risque de complication est donc évalué, pesé pour chaque patient et il fait partie intégrante de la décision thérapeutique », insiste le radiothérapeute. À l’inverse, les accidents ne sont pas prévus dans le plan thérapeutique. Généralement, ils sont générés par une surdose accidentelle. Comment cela peut-il se produire alors que les machines sont de plus en plus sophistiquées et précises ? C’est justement à cause, en partie, de cette sophistication : elles sont de plus en plus complexes à manipuler. Ainsi, les surdosages survenus à Épinal sont dus à une confusion entre deux types d’appareils. Le simple oubli d’une case à cocher dans le logiciel entraîne des erreurs qui peuvent avoir des conséquences catastrophiques. « Cela montre aussi l’importance de la formation, souligne Maurice Tubiana. Lorsqu’un centre va être équipé d’une nouvelle machine, le personnel doit être formé. Non seulement par la théorie, mais aussi en passant 6 mois dans un lieu déjà équipé avec la même machine. »

N’atteindre que la tumeur

Les recherches se poursuivent pour optimiser les protocoles, augmenter leur efficacité et diminuer les effets secondaires, notamment en individualisant le traitement. « Nous cherchons à comprendre quelles voies de signalisation sont impliquées dans les réponses aux radiations et à identifier des agents pharmacologiques qui permettent de moduler la réponse en rendant la tumeur plus sensible ou les tissus sains plus résistants », explique Jean BourhisJean Bourhis
Unité 1030 /Paris 11, Radiothérapie moléculaire, Institut Gustave-Roussy
, responsable du laboratoire Radiothérapie moléculaire, à l’Institut Gustave-Roussy. Avec Marie-Catherine Vozenin, l’équipe est parvenue à mettre en évidence l’activation d’une voie de signalisation particulière, appelée Rho/ROCK/CTGF, qui conduit à la formation d’une fibroseUne fibrose
est le remplacement de tissus sains par des tissus cicatriciels.
intestinale. L'étude clinique de modulation de cette voie, par une molécule, la pravastatine, est en cours. Il s’agit de diminuer la fibrose sans modifier la réponse de la tumeur aux rayons. Le second axe d’études est centré sur la réparation de l’ADN et la recherche de facteurs interférant avec la régulation du complexeADN-PK, complexe majeur impliqué dans la radiosensibilité des cellules humaines.
De son côté, François ParisFrançois Paris
Unité 892 Inserm/Nantes, Centre régional de recherche en cancérologie, Institut de recherche thérapeutique
et son équipe se penchent sur l’endothélium, la couche des vaisseaux sanguins en contact avec le sang. « En général, on considère que les cellules irradiées meurent suite à des lésions de l’ADN du noyau. Or, l’histoire est plus compliquée. L’irradiation provoque aussi des dommages dans d’autres compartiments cellulaires », explique le chercheur, qui a montré que l’irradiation génère un lipide membranaire particulier, le céramide, à l’origine de la mort des cellules. Ainsi, il existe au moins deux voies conduisant à la disparition des cellules irradiées. L’espoir ? Les chercheurs pensent qu’elles agissent différemment dans les tissus selon qu’ils sont sains ou cancéreux. En bloquant la voie liée au céramide par un traitement associé à la radiothérapie, il deviendrait ainsi possible d’épargner les tissus sains tout en favorisant la mort des cellules cancéreuses ! « Nous avons testé une molécule chez la souris et sur des cellules humaines. Les résultats sont prometteurs, se réjouit François Paris. Cette molécule pourrait être envisagée à moyen terme pour optimiser certaines radiothérapies, comme celle de la prostate, ce qui permettrait d’augmenter les doses d’irradiation et de traiter le tissu tumoral plus efficacement.

Des différences individuelles

Par ailleurs, David AzriaDavid Azria
Professeur de cancérologie-radiothérapie à la faculté des sciences de Montpellier. Unité 896 Inserm/Montpellier 1, Institut de recherche en cancérologie de Montpellier
s’intéresse à la sensibilité individuelle de chacun aux rayonnements. « Les effets aigus, dits précoces, des radiations sont bien gérés, explique le radiobiologiste. S’ils apparaissent lors du traitement, on applique des soins locaux pour les estomper. De plus, ils sont souvent réversibles. Il n’en va pas de même avec les effets tardifs, qui arrivent entre 3 et 6 mois après les séances. Sauf cas exceptionnels, il est impossible de prévoir l’ampleur des effets tardifs (fibrose cutanée, fibrose pulmonaire, saignements rectaux, malformation du rectum) à partir de l’observation des effets aigus. Il faut donc intervenir très en amont pour les éviter. Soit par le développement des techniques, comme c’est le cas avec la radiothérapie conformationnelle par modulation d’intensité, soit par la biologie. Or, dans une même population traitée de manière homogène et évaluée par la même équipe, il existe des différences individuelles dans la radiosensibilité des tissus sains. L’identification d’une population à risque est donc primordiale. » Le chercheur a étudé différents polymorphismes nucléotidiquesLe polymorphisme nucléotidique
est, en génétique, la variation d’une seule paire de bases du génome, entre individus d’une même espèce.
et a mis au point un test basé sur le taux d’apoptose (une des voies de mort cellulaire) des lymphocytes, qui permet de prédire les risques. « On prélève 4 ml de sang, on irradie les cellules et on observe le taux d’apoptose des lymphocytes. Si le taux est élevé, on est quasiment certain que le patient ne développera pas de séquelles tardives. À l’inverse, si le taux est bas, cela montre qu’il faut être prudent », insiste le chercheur. Le traitement pourra être dans ce cas adapté, en réduisant au maximum l’exposition aux rayons. Pour les patients à faible risque, il sera plus aisé d’augmenter localement la dose afin d’obtenir un meilleur contrôle de l’évolution du cancer.
De son côté, Nicolas Foray traque la sensibilité individuelle par le biais de la réparation de l’ADN. Pour le chercheur, la radiosensibilité n’est pas pour autant liée au nombre de cassures double brin produites, mais au nombre de cassures double brin non réparées. « Les réactions tissulaires aiguës observées pendant ou après les traitements radio-chimiothérapiques anticancéreux touchent environ 10 % des patients et constituent un véritable problème de santé publique. Après une dizaine d’années d’études, nous avons mis en évidence un nouveau mode de réparation active dans les tissus sains qui peut venir seconder le mode de réparation principal. L’étude de la fonctionnalité de ces deux modes permet de prédire alors l’intégralité des cas de radio-chimiosensibilité rencontrés, ce qui n’était pas possible auparavant. Ainsi, nous proposons aujourd’hui des tests prédictifs de ces réactions à partir de prélèvements de peau comme ils sont pratiqués quotidiennement en dermatologie. Dans notre laboratoire, les cellules ainsi prélevées sont soumises au traitement anticancer effectué (ou prévu) et les dommages de l’ADN sont visualisés et quantifiés au sein même des noyaux des cellules par une technique de microscopie par immunofluorescence. Un diagnostic moléculaire et génétique peut être fourni au praticien moins d’un mois après le prélèvement. »
L’espoir donc que les effets néfastes de la radiothérapie, si indispensable à la survie de centaines de milliers de malades, s’estompent à terme.

Julie Coquart

Première radiographie
Première radiographie
Ⓒ Auteur inconnu/Inserm
Institut Curie-Département de Radiothérapie
Institut Curie-Département de Radiothérapie. Les logiciels permettent de reconstruire en 3D la tumeur ciblée et de calculer la dose nécessaire.
Ⓒ François Guénet/Inserm