Cerveau
Un robot malin comme un singe

Créer un robot capable d’apprendre et d’interagir seul avec l’être humain et le monde réel est aujourd’hui un véritable défi pour la robotique. Les chercheurs de l’Institut cellule souche et cerveau, en collaboration avec le CNRS, ont décidé de le relever en copiant le fonctionnent cérébral d’un singe dans un robot iCub.

Les travaux de Mehdi KhamassiMehdi Khamassi
CNRS UMR 7222, Université Pierre et Marie Curie
se situent à mi- chemin entre l’informatique et la neurobiologie. Ce jeune chercheur de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (ISIR-CNRS) à Paris reproduit sur des robots le fonctionnement des neurones humains. « Nous élaborons des modèles informatiques de réseaux de neurones communiquant entre eux et qui symbolisent différentes parties du cerveau interconnectées anatomiquement. Ces réseaux correspondent à des fonctions mathématiques qui traitent l’information envoyée par les autres neurones au travers de la synapse, qui représente une force de transmission de l’information modifiable par apprentissage. C’est bien sûr une simplification du fonctionnement du neurone, qui est d’une très grande complexité. Mais elle se révèle pertinente lorsque l’on veut comprendre le lien entre l’activité neurale et les séquences de comportements que peuvent réaliser les êtres vivants. » Grâce à ces modèles informatiques qui correspondent ainsi à une réalité bio logique, les chercheurs parviennent à recréer certaines fonctions du cerveau, dont une qui demeurait jusqu’alors l’apanage du vivant : l’apprentissage.
En collaboration avec Peter Dominey et Emmanuel ProcykPeter Dominey et Emmanuel Procyk
unité 846 Inserm/Lyon-1 Claude-Bernard
de l’Institut cellule souche et cerveau, Mehdi Khamassi a rendu un robot iCub capable de s’adapter à différentes situations, y compris celles qu’il n’a jamais rencontrées. En se fondant sur sa neurophysiologie et sa neuroanatomie, ils ont construit un modèle mathématique qui calque le fonctionnement cérébral du singe, et plus particulièrement les interactions entre deux zones du cerveau impliquées dans l’apprentissage : le cortex latéral préfrontal et le cortex cingulaire antérieur. Pourquoi le singe ? Lointain cousin de l’homme, ce primate est comme lui particulièrement doué pour apprendre et s’adapter aux changements de l’environnement.
Une fois le modèle informatique téléchargé dans le petit robot, celui-ci est ensuite soumis à un exercice habituellement destiné au singe : choisir, parmi 4 cubes posés sur une table, celui qui a un cercle sur sa face cachée, symbolisant l’obtention d’une récompense. Après plusieurs réponses correctes, l’expérimentateur masque de façon inattendue les cubes avec un tableau et change leur position. Le robot commence par faire des erreurs puis doit à nouveau rechercher le cube convoité. Pour réussir ce test, il lui faut intégrer que la présence du tableau engendre un changement systématique de position des cubes et qu’il doit donc à nouveau les ex plorer pour trouver le bon. Résultat : les performances et les données neurophysiologiques de l’androïde sont comparables à celles d’un singe. « Le programme informatique dont nous avons doté l’iCub lui permet de progresser à chaque erreur. Après plusieurs essais, sans avoir besoin de comprendre symboliquement la règle du jeu, il a pu adapter ses réponses de façon pertinente, décrit Mehdi Khamassi. De plus, l’activité du réseau de neurones modélisé contrôlant iCub a reproduit certains profils d’activité mesurés dans un vrai cerveau pendant la réalisation de cette même tâche. Ceci permet ainsi d’en formaliser plus clairement la fonction. »
Au-delà de l’exploit technologique, ces travaux pourraient permettre d’expliquer les défaillances de notre cerveau, comme certaines maladies neurodégénératives. « Comprendre le fonctionnement du cerveau en condition normale, grâce aux modèles informatiques que nous avons mis au point, est une étape essentielle pour comprendre ses dégénérescences en condition pathologique, souligne le chercheur. Nous étudions donc actuellement quelles altérations du modèle permettent de reproduire les mêmes déficits comportementaux que des patients parkinsoniens. »

Gaël Esteve

iCub
Le robo iCub. Le robot iCub, en pleine séance d’apprentissage
Ⓒ Patrice Latron/Inserm