Amour et sexe
Quand les ciences s’en mêlent

Un peu, beaucoup, passionnément... En amour, chaque histoire est unique ! Mais toutes partagent une fascinante recette biologique : 100 milliards de neurones, cinq sens en émoi pour nourrir le désir, un cerveau qui fabrique des émotions et tente de garder le contrôle, des messagers chimiques qui secouent tout l’organisme pour le plaisir. Des arcanes du désir sexuel à la fabrication des sentiments, en passant par la quête du plaisir, comment se construisent nos comportements amoureux ? Et comment cette quête du bonheur peut aussi se transformer en véritable tourment ? De Roméo et Juliette aux récentes affaires, quels sont les mécanismes qui font basculer de la passion à l’obsession ? À l’approche de la Saint-Valentin, chercheurs en neurosciences, psychiatres et sociologues mènent l’enquête pour découvrir les secrets d’alcôve de notre cerveau

Dans le laboratoire de l’amour

Pourquoi lui ? Pourquoi elle ? Et comment se fabrique cette incroyable aventure à deux ? De l’embrasement des sens au désir, du plaisir à l’attachement, le plus vieux scénario du monde se joue sous le regard de la science.

Rétines et pupilles, les garçons ont les yeux qui brillent... chante Alain Souchon. Suffit-il d’un regard pour allumer la première étincelle ? La vision serait-elle le principal déclencheur du désir ? À en croire les anthropologues, les hommes, animaux arboricoles à l’origine, forts de leur talent à scruter l’horizon, seraient exercés à regarder d’un œil expert celui ou celle qui pourrait être le partenaire idéal pour assurer une belle descendance. Pour Desmond Morris, l’un des pères de l’éthologie humaine, le diamètre pupillaire est un bon indicateur de la naissance d’une relation amoureuse : deux personnes qui se rencontrent ressentent une stimulation réciproque si leurs pupilles se dilatent. Ce que semble confirmer l’expérience menée en 1997 par Arthur Aron, psychologue à l’université de l’État de New York. Le chercheur a instauré une conversation en tête-à-tête entre des hommes et des femmes qui ne se connaissaient pas mais sélectionnés sur leurs goûts et valeurs communs. Puis, il leur a demandé de se regarder plusieurs minutes dans les yeux. Et la séduction a opéré. Une majorité d’entre eux se sont sentis attirés par leur interlocuteur ! « Quiconque doit aimer aime à première vue », écrivait Shakespeare. Mais n’en déplaise à ce chantre des passions, la vision n’est pas la seule à entrer en ligne de compte : c’est l’importance de l’association du regard et du sentiment de proximité que met au jour cette expérience. Car, en pratique, rien n’est plus complexe que de chercher la note dominante dans cette partition des sens que constitue l’état amoureux.

Irrésistibles odeurs

S’agit-il d’un parfum, d’un timbre de voix, de la douceur d’une peau, du choix d’une parole ? La pluralité des situations et de l’histoire de chacun fait de chaque rencontre un événement unique. Mais qui emprunte toutefois les mêmes circuits biologiques : les stimuli sensoriels (odeurs, sons, images...) envoyés et perçus par l’un et l’autre des protagonistes traversent le cerveau, s’enrichissent du vécu et se transforment en émotions. « Dans ce contexte, les odeurs ont un pouvoir émotionnel supérieur à celui des autres stimuli sensoriels, relève Jean-Pierre RoyetJean-Pierre Royet
Unité 1028 Inserm/Lyon 1 Claude-Bernard
, neurobiologiste au Centre de recherche en neurosciences de Lyon.Après que les récepteurs situés dans les narines aient capté les molécules odorantes, l’information olfactive atteint en à peine deux neurones l’amygdale, une structure clef pour les émotions. Une diffusion aussi rapide n’est pas observée pour les autres sens où l’information doit transiter par le thalamus. L’information olfactive se projette ensuite directement sur l’hippocampe, impliqué dans la mémoire. Ces deux particularités anatomiques font que la mémoire émotionnelle des odeurs tient une place prépondérante comparée à celle des autres sens. »
Et à ce petit jeu, les femmes auraient une longueur d’avance selon Hanns Hatt, professeur de biologie cellulaire à l’université de la Ruhr à Bochum en Allemagne. « Des études montrent qu’elles sont plus nombreuses à reconnaître l’odeur de leur partenaire. La plupart ont déjà au moins une fois emprunté le pyjama de leur conjoint ou dormi avec pour se donner l’illusion de sa présence. Ce qui n’est pas le cas pour la plupart des hommes. » Cette sensibilité accrue du nez féminin pourrait être, selon lui, un héritage de l’évolution, « puisque qu’historiquement ce sont elles qui avaient la charge de nourrir les enfants et donc de flairer pour eux ce qui était comestible ou non ».
En tout état de cause, hommes et femmes se rejoignent sur un point : l’odeur de l’être aimé suscite en eux un sentiment de bien-être et de plaisir. Car si l’existence des phéromones humaines n’est pas avérée, il existe indubitablement une communication chimique entre les protagonistes. Les travaux menés par Ivanka Savic du département de Neurosciences de l’Institut Karolinska de Stockholm montrent une sensibilité ciblée de notre es pèce aux « odeurs sexuelles ». L’observation par tomographie par émission de positonsTomographie par émission de positons
Permet de visualiser en 3D la distribution de la radioactivité dans le corps humain et de mesurer l’activité métabolique des cellules grâce aux émissions de positons d’un traceur radioactif préalablement injecté.
révèle une activation directe de l’hypothalamus chez les femmes inhalant de l’androstadiénone, un dérivé de la testostérone, présent abondamment dans la sueur masculine. Et non chez les hommes soumis à la même expérience. À l’inverse, l’hypothalamus masculin s’active lors de l’inhalation de dérivés d’œstrogène, hormone féminine sécrétée lors de l’ovulation. La chercheuse suédoise a également relevé une augmentation de l’humeur positive des femmes qui avaient respiré de l’androstadiénone.
Cependant, cette attirance biologique ne suffit pas à établir une rencontre amoureuse. « L’environnement culturel est constitutif de notre physiologie, souligne le psychiatre Patrick Lemoine. Certains vont trouver inconcevable d’envisager une relation avec un fumeur, alors que pour d’autres, l’odeur du tabac peut évoquer un parfum familier. De la même façon, si des senteurs trop épicées peuvent indisposer les populations du nord de l’Europe, les grands mangeurs de laitages dégagent une odeur ressentie comme nauséabonde pour les Chinois traditionnels qui en consomment très peu. » Preuve que nos sens ne s’expriment pas seuls mais de concert avec nos structures cognitives, notamment notre mémoire.

De la sensation à l’émotion

Ainsi, nos capacités de langage peuvent modifier notre perception olfactive.« Les mots sont des catégorisateurs du plaisir, explique Moustafa BensafiMoustafa Bensafi
Unité 1028 Inserm/Lyon 1 Claude-Bernard
du Centre de recherche en neurosciences de Lyon. Plus on dispose de vocabulaire pour décrire les odeurs, plus on augmente notre champ de perception olfactive, et plus précisément celui des odeurs plaisantes. Nos recherches montrent que les odeurs désagréables sont traitées beaucoup plus rapidement et n’empruntent pas les mêmes circuits que les autres. » Voilà pourquoi, tant de « madeleines » proustiennes peuplent notre boîte à souvenirs.
Étroitement associé à l’odorat, le goût imprime aussi plus volontiers les stimuli agréables dans notre mémoire. L’offrande de nourriture n’est-elle pas souvent un prélude à la relation amoureuse ? Invitation au restaurant, chocolats et bonbons... « Le goût du sucré, tout particulièrement, souligne Patrick Lemoine, nous ramène au premier goût de l’enfance. Les mots doux des amoureux, leurs intonations (plus douces, plus aiguës, plus puériles), le baiser puisent, eux aussi, dans le registre de nos émotions infantiles. Et bien sûr, le toucher, sens premier auquel nous sommes confrontés in utero, dans la matrice maternelle. »
La portée d’une caresse, le bonheur d’entendre la voix aimée sont encore autant de champs d’exploration pour la science. Est-ce la trace imprimée, retrouvée, voire sublimée de nos premières expériences sensorielles qui construit notre attirance ? Pour les neurobiologistes, l’empreinte du lien natal et des plaisirs originels posent les jalons de nos envies.

Les chemins du désir

« Exprimer et ressentir des émotions nous aide à communiquer aux autres des indices qui peuvent aiguiller leurs interactions avec nous », affirme le célèbre neurologue américain Antonio Damasio, directeur de l’Institut pour l’étude neurologique de l’émotion et de la créativité de l’université de la Californie méridionale. N’est-ce pas le moteur de la séduction, mécanisme conscient ou inconscient qui régit les lois de la rencontre dans tout le règne animal ? Séduire vient du latin se ducere, qui signifie emmener à l’écart, soit emporter ailleurs... Et quel que soit l’habillage idéologique, sémantique, la séduction consiste en cette première approche qui vise la conquête de l’autre. Car l’état amoureux s’installe quand l’émotion est suivie du désir.
Cette recherche du plaisir et de la satisfaction est un mécanisme commun à tous les vertébrés pour garantir le maintien des espèces. « Le désir s’exprime par l’empressement plus ou moins grand à obtenir un objet et il se mesure à l’intensité du plaisir qu’il procure », avance le neurobiologiste Jean-Didier Vincent, auteur de La biologie des passions. C’est l’expérience du plaisir qui suscite de nouveaux désirs, c’est-à-dire l'espérance de nouvelles récompenses. Ce processus est attaché à une chaîne de neurones, « le circuit de la récompense » (ou « aires de l’euphorie »), qui chemine entre le cortex orbitofrontal et le système limbique (voir schéma p. 29), siège de nos émotions, et interagit avec les systèmes cognitifs et moteurs pour orienter nos comportements. Il fait battre la chamade à notre cœur à la perspective d’un rendez-vous galant, et littéralement donne « envie de l’autre ». De la sensation à l’émotion, la relation amoureuse se concrétise, sous le contrôle d’une escouade de messagers chimiques.

Les messagers de la passion

Au cœur du système : la dopamine, à la fois hormone et neurotransmetteur, que le cerveau libère en masse quand nous anticipons et quand nous ressentons du plaisir. À l’arrivée d’un signal annonçant une récompense, l’aire tegmentale ventrale s’active et libère un flot de dopamine qui traverse le striatum ventral, siège de l’érotisme et du désir. Elle arrose l’amygdale, agent de notre mémoire émotionnelle, le cortex préfrontal, maître de notre réflexion, et le noyau accumbens qui nous pousse à l’action (voir schéma p. 29). Nous sommes prêts à relever tous les défis : proposer un endroit tranquille pour prendre un dernier verre, avancer une main au dessus de la table... Pas faim, coupés du monde, nos pensées et nos agissements tournés vers une seule priorité. C’est l’œuvre de la sérotonine, régulatrice de nos humeurs, de l’appétit et du sommeil. Dans cette phase d’attente, le métabolisme se modifie, comme en témoigne indirectement l’augmentation de sa concentration dans le sang des amoureux... comme dans celui des personnes atteintes de troubles obsessionnels compulsifsTrouble obsessionnel compulsif
Trouble anxieux caractérisé par l’apparition récurrente de pensées liées ou non à une phobie
. Cette constatation effectuée par des biologistes italiens alimente, selon Luc MalletLuc Mallet
Unité 975 Inserm/Paris 6, Centre de recherche en neurosciences de la Pitié-Salpêtrière
du Centre de recherche de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, « l’hypothèse d’un rôle clé de la sérotonine dans le caractère obsessionnel de la passion amoureuse ». À savoir, qu’une fois le désir assouvi, le taux sanguin de sérotonine retrouve son niveau initial.
Lorsque les amoureux passent à l’acte, la gonadoréline, une hormone sécrétée par l’hypothalamus , prend le relais et stimule alors la production des hor mones sexuelles : testostérone chez l’homme, progestérone et œstrogène chez la femme. Tout l’organisme se mobilise au service du plaisir. Lorsqu’il est à son point culminant, l’hypothalamus (voir schéma p. 29) et le système limbique libèrent des endorphines, des hormones à l’effet euphorisant et apaisant comme celui de l’opium (et donc la morphine). Le moment choisi où se déverse dans le cerveau un afflux d’ocytocine. Cette hormone, connue pour provoquer les contractions de l’utérus lors de l’accouchement, active les circuits cérébraux de l’attachement. Elle emprunte le chemin de la dopamine au moment de l’orgasme pour associer au plaisir un élan de tendresse.
Avec le plaisir, la production de dopamine augmente, celle de sérotonine diminue. Et inversement, quand il s’estompe. « La bascule entre ces deux systèmes cérébraux, celui de la sérotonine et celui de la dopamine, rend le soupirant d’abord pétri d’amour, puis béatement satisfait », illustre Luc Mallet. Ce mécanisme, imprime aussi en mémoire les composantes du plaisir et renforce ainsi le « circuit de la récompense ». Une musique, un parfum ou la simple évocation d’un lieu, donneront envie de recommencer.

La mélodie du bonheur

Alors heureux ? Fussent quelques heures, quelques jours, ou plus si affinités, le cerveau des amoureux ne perçoit plus le monde de la même façon. Cette cascade d’émotions influent sur sa perception. Le plaisir peut littéralement changer notre vision des choses. Les chercheurs ont observé qu’une image émouvante entraîne une plus grande activation des aires visuelles cérébrales qu’une image « neutre ». Stéphanie DubalStéphanie Dubal
Unité 975 Inserm/Paris 6, Centre de recherche en neurosciences
du Centre Émotion à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, a commencé par étudier comment les personnes souffrant d’anhédonie, une diminution de la capacité à éprouver du plaisir, percevaient moins bien les contrastes des couleurs. Avec Kenneth KnoblauchKenneth Knoblauch
Unité 846 Inserm/Lyon 1-Claude-Bernard
de Institut cellule souche et cerveau à Lyon, elle a démontré comment « l’émotion augmente la perception des contrastes. Une amélioration qui peut atteindre 20 % ».
De la même façon, le sentiment amoureux serait un mécanisme antidouleur efficace. Selon les chercheurs de la faculté de médecine de l’université de Stanford aux États-Unis, la vue de l’être aimé pourrait réduire la souffrance éprouvée, aussi bien que des molécules antidouleurs classiques.
Plus largement, nous aurions une tendance à regarder d’un bon œil ceux que nous aimons. En 2000, Andreas Bartels et Semir Zeki, de l’University College London, ont établi la première cartographie du cerveau amoureux. Pour cela, ils ont passé au crible, grâce à l’imagerie par résonance magnétique, un groupe de personnes à qui on présentait une photo de l’être cher. Quatre zones impliquées dans le plaisir se sont manifestées : le cortex cingulaire, l’insula, le noyau caudé et le putamen (voir schéma p. 29), de même que des régions associées au circuit de la récompense. Alors qu’à l’inverse, les aires cérébrales de la pensée critique et des jugements négatifs se trouvaient désactivées. Preuve, s’il en faut, que l’amour rend aveugle !
Mais pour combien de temps ? Un instant, des semaines, des mois, des années ? En réalité, l’être humain est « programmé » pour aimer son partenaire trois ans, temps nécessaire pour qu’un enfant tienne debout, selon cer taines thèses. D’autres avancent qu’au bout de 300 jours le désir s’éteint. Les plus optimistes ne croient pas à sa longévité au-delà de sept ans… Progressivement, l’activité du cerveau reprend son cours normal, débarrassée de l’excitation de la période amoureuse. Mais cette désensibilisation ne condamne pas pour autant la durée du couple. Il reste l’ocytocine. Baisers, caresses, mais aussi dîners en amoureux, promenades romantiques ou simples moments d’intimité, d’échanges d’idées, de plaisir partagés, déclenchent la libération de cette hormone qui induit un sentiment de bien-être. Son action sur le renforcementRenforcement
Attaché au circuit de la récompense, le renforcement est un processus qui conduit à la répétition d’un comportement, un mécanisme, une clé de l’apprentissage, mais qui peut aussi induire une dépendance.
du lien a été découverte avec celle d’une autre hormone, la vasopressine, sur le campagnol des champs. Et elles semblent exercer un effet similaire sur l’homme. Les comportements amoureux peuvent s’installer dans la durée. Ils ne sont plus dans la dépendance, mais dans l’attachement. Un processus cérébral qui retourne à l’essentiel, transposant l’empreinte de la tendresse maternelle sur cette nouvelle et forte expérience émotionnelle. En 2004, Andreas Bartels et Semir Zeki, ont, cette fois, comparé les aires du cerveau humain impliquées dans l’amour passion et l’amour maternel. Beaucoup se re coupent et, surtout, plusieurs des aires activées sont riches en récepteurs de l’ocytocine ou de la vasopressine.
Est-ce assez pour faire d’Homo sapiens une espèce monogame ? Les anthropologues sont sceptiques. Le dimorphisme sexuel qui caractérise l’espèce humaine est un trait commun aux espèces polygames. Autrement dit, la fidélité serait essentiellement le produit d’une évolution culturelle. Une invention de notre cortex préfrontal ? Celui-là même qui nous permet de raisonner, de parler, d’évoluer. Ce cerveau qui a appris à offrir une chance à la petite brune impertinente face à la jolie grande blonde, au gringalet pétri d’humour face au superbe athlète. Et qui continue d’apprendre à aimer !

Betty Mamane

Quand on perd le contrôle

Le sexe ou la relation amoureuse peuvent conduire à l’addiction. Une vraie maladie, dont on parlait peu jusque-là en France, mais que certaines affaires ont mis en lumière et, plus récemment, le film Shame de Steve McQueen, sorti en salle en décembre 2011.

L’amour, une drogue douce ? Sans aucun doute. Quand deux amants se retrouvent, ils ressentent du bien-être sous l’effet de la dopamine. Mais quand ils se séparent, une sensation de manque les incite à se revoir. Rien de plus naturel... Si celle-ci ne se transforme pas en souffrance intolérable ou en besoin irrépressible. Comme le toxicomane ou l’alcoolique, le dépendant sexuel souffre d’une suractivation du système dopaminergique. À force de sollicitation, la libération de la dopamine ne s’accompagne plus du même effet de satisfaction. Il se retrouve alors dans un état de recherche permanent des situations qui peuvent lui procurer cette sensation.
«L’addiction sexuelle touche 6 % de la population sexuellement active, essentiellement des hommes, signale Florence Thibaut du service de psychiatrie du CHU de Rouen. Et contrairement aux idées reçues, elle n’est pas plus fréquente dans les milieux du pouvoir ou de l’argent. » Les symptômes ? La multiplication des conquêtes sexuelles ou des partenaires, le recours systématique à la prostitution, aux films et images pornographiques, la fréquentation abusive de sites web... À ne pas confondre avec une vie sexuelle très active. « Il s’agit d’un état pathologique, quand le besoin sexuel ou amoureux devient une priorité absolue. Il remplace tout et apparaît comme le seul moyen de lutter contre le stress et l’angoisse. Mais après un bref moment de soulagement, cette pratique renvoie une image encore plus désastreuse de soi et relance le processus. » Un autre indicateur de la maladie tient au temps consacré à cette activité. Selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV-TR) publié par l’Association américaine de psychiatrie, le fait de passer onze heures par semaine sur des sites pornographiques est un signe d’addiction sexuelle. « Le glissement se fait progressivement, à travers un comportement très ritualisé, témoigne Philippe BatelPhilippe Batel
Unité 894 Inserm/Paris 5, équipe Analyse phénotypique, développementale et génétique des comportements addictifs
, responsable de l’unité de traitement ambulatoire des maladies addictives à l’hôpital Beaujon de Clichy. Un vrai schéma de " chasse " peut se dessiner, mais au bout duquel le sentiment de satisfaction recherché disparaît, remplacé par un sentiment de crainte et de honte. » Autrement dit : Don Juan, Casanova et autres séducteurs impénitents s’inscrivent dans le même registre. Au bout d’un moment, le partenaire n’a plus d’importance, du moment que le rituel est respecté. Ces sex addicts guettent la moindre ouverture dans l’attitude de l’autre : un regard appuyé, un contact... « Ils agissent convaincus que l’autre partage leur désir, souligne le psychiatre addictologue. Ce qui est bien souvent le cas. Cependant, plus la dépendance est forte, plus le risque d’erreur de jugement est élevé. » D’autant que, comme dans toutes les addictions, le dépendant sexuel va devoir encore intensifier ses comportements pour trouver satisfaction. Et jusqu’à mettre en péril sa situation sociale et professionnelle ou enfreindre la loi : masturbation sur le lieu de travail, tentative de viol...

Une prise en charge difficile

Comment éviter d’en arriver là ? La question mobilise les chercheurs qui tentent d’en déterminer les causes de cette addiction. Celles-ci sont, sans doute, dans une grande proportion, psychologiques. « Ce sont pour beaucoup des personnes anxieuses, parfois dépressives et dont l’image de soi est dégradée, observe Florence Thibaut. On estime que près de la moitié d’entre eux ont subi un abus sexuel dans l’enfance. » Des explications neurobiologiques commencent aussi à se faire jour. « La sexualité résulte d’un équilibre entre les influences qui activent le comportement et celles qui l’inhibent et des atteintes cérébrales peuvent compromettre cet équilibre », remarque Serge Stoléru, psychiatre à la Maison de Solenn à Paris. La zone orbitofrontale médiane est activée chez les hypoactifs sexuels. Le noyau caudé (voir schéma p. 29) intervient, quant à lui, lorsqu’on réprime un geste ou un comportement. « Il s’active chez des hommes à qui l’on montre des images érotiques et à qui on demande de rester immobiles dans le scanner. »
On peut imaginer les conséquences possibles lorsque ces régions inhibitrices sont atteintes. « Des lésions du lobe temporal (tumeur ou suite à une intervention) peuvent induire une hypersexualité », confirme le chercheur. Du point de vue hormonal, d’autres hypothèses sont évoquées. Telle l’hypertestostéromanie, surproduction de testostérone, qui se manifeste notamment chez les sportifs consommateurs d’anabolisants. Ou encore les variations du taux de sérotonine dans le sang, que cer tains travaux (voir p. 27) associent au caractère obsédant du comportement sexuel.
En attendant, le traitement passe essentiellement par des thérapies cognitivo-comportementalesLes thérapies cognitivo-comportementales
Traitement des difficultés du patient dans « l’ici et maintenant » par des exercices pratiques centrés sur les symptômes observables au travers du comportement.
, avec parfois la prescription d’antidépresseurs. Mais encore faut-il que le malade révèle son état pour se faire soigner. « Le dépendant sexuel met souvent en place une double voire une triple vie pour dissimuler son addiction et c’est généralement, dans les situations extrêmes, quand il s’est mis en danger ou a été démasqué par son entourage, que s’instaure la prise en charge, regrette Patrick Dumonteix, psychanalyste spécialiste de l’addiction sexuelle. Écrasé par la honte et le sentiment que sa vie s’effondre, il peut s’enfoncer dans la dépression. » La difficulté reste que ces personnes en souffrance trouvent peu d’écoute auprès de leur médecin traitant, souvent peu formé et mal à l’aise pour aborder la sexualité. « Aucun des patients que je reçois ne m’a été adressé par un médecin généraliste », remarque le thérapeute (voir encadré). Mais les mentalités évoluent. « Le battage médiatique autour de cas célèbres a changé le regard que l’on porte sur cette maladie, et encourage des personnes qui en souffrent à se faire soigner », rassure Florence Thibaut.

Betty Mamane

Sexualité féminine : Le poids de la société

En dépit d’une évolution notable des pratiques sexuelles, un clivage demeure dans les représentations de la sexualité masculine et féminine. C’est l’une des révélations de l’enquête « Contexte de la sexualité en France », réalisée en 2006 sous la direction de Nathalie BajosNathalie Bajos
Unité 1018 Inserm/Paris 11, équipe Genre, santé sexuelle et reproductive
et Michel BozonMichel Bozon
Unité 1018 Inserm/Paris 11, équipe Genre, santé sexuelle et reproductive
du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif.

De l’amour à la santé

Ils vécurent heureux et… allongèrent leur l’espérance de vie !

Faire l’amour 3 fois par semaine vous fera paraître 10 ans de moins », affirme David Weeks, neuropsychologue du Royal Edinburgh Hospital. C’est la conclusion d’une vaste enquête publiée en 1998 que le chercheur écossais a menée auprès de 3 500 hommes et femmes européens et américains âgés de 20 à 104 ans et de tous les milieux sociaux. Leurs points communs : une activité sexuelle épanouie et le fait de paraître plus jeune que leur âge. Certains paraissant jusqu’à 12 ans de moins. Autre facteur déterminant : le fait de vivre en couple, et tout particulièrement avec une personne plus jeune pour les hommes. Quant aux relations sexuelles occasionnelles ou avec de multiples partenaires, elles ne semblent pas ralentir le processus de l’âge. Elles se révéleraient, au contraire, anxiogènes à terme.
Frédéric Saldmann, cardiologue et nutritionniste, recense, dans son dernier ouvrageLa vie et le temps, les nouveaux boucliers anti-âge, une pluralité de travaux qui établissent le lien entre sexualité et longévité. « Les facteurs de risques cardiovasculaires diminuent avec la fréquence des rapports sexuels dans des proportions de l’ordre de 50 % », explique-t-il. En sus de l’effort physique fourni, la relation amoureuse améliore la qualité du sommeil, réduit le stress et l’anxiété, grâce à la sécrétion d’endorphines, neurotransmetteurs sécrétés par l’hypophyse et l’hypothalamus. Ce calmant naturel en profite aussi en pas sant pour apaiser les douleurs dorsales ou les migraines. L’activité sexuelle favorise la sécrétion de testostérone, importante dans l’entretien de la masse musculaire : un rapport sexuel fait perdre environ 200 calories, soit l’équivalent de 20 minutes de course à pied.
La fréquence des rapports aurait, en outre, un effet protecteur contre certains cancers, « 21 éjaculations par mois diminue d’un tiers le risque de cancer de la prostate ». Le chiffre émane d’une étude américano-australienne portant sur 30 000 hommes. Explication : certains composés cancérigènes présents en faible proportion dans le sperme sont évacués lors de l’éjaculation. Quand elle n’a pas lieu, ils y restent concentrés. En résumé, les émissions de sperme participent au nettoyage régulier de la prostate. Quant aux femmes, les bienfaits de l’ocytocine les protégeraient contre le cancer du sein. À n’en pas douter, une vie amoureuse épanouie, à l’instar de tout ce qui dope notre moral, aura des répercussions positive sur notre santé.

Betty Mamane