Médecine de demain - Pharmacogénomique et pharmacogénétique
En route vers les thérapies personnalisées

Mettre au point un traitement personnalisé pour chacun d’entre nous, en évitant les médicaments qui peuvent nous être nocifs, voilà tout l’espoir que suscitent ces deux disciplines. Objectifs déjà atteints dans le traitement de certains cancers.

Aux États-Unis, plusieurs études ont dénombré que près de 100 000 décès par an à l’hôpital sont imputables à la prise de médicaments. En France, les estimations oscillent entre 13 000 et 34 000 prescriptions fatales chaque année. Aucun chiffre officiel n’est réellement avancé, mais Philippe BeaunePhilippe Beaune
Unité 775 Inserm/Université Paris-Descartes, Bases moléculaires de la réponse aux xénobiotiques
du Centre universitaire des Saints-Pères confirme : « Les médicaments sont utiles, mais peuvent aussi avoir des revers : toxicité ainsi qu'absence ou limitation d’efficacité. » Pour chaque patient, la réponse à un médicament dépend de nombreux facteurs, notamment d’ordre génétique. Afin de les étudier, deux disciplines scientifiques ont vu le jour : la pharmacogénétique et la pharmacogénomique. Elles sont si récentes qu’ « il n’y a pas encore de consensus sur les termes », pointe David BrassatDavid Brassat
Unité 1043 Inserm/Université Toulouse III–Paul Sabatier
du Centre de physiopathologie de Toulouse-Purpan. Et Ivan BiècheIvan Bièche
Unité de pharmacogénomique du service de génétique de l’Institut Curie
de l’Institut Curie ironise : « La définition varie selon que le scientifique est généticien ou oncologue ! » Ce flou relatif mis à part, la pharmacogénétique s’emploie à étudier les liens entre l’ADN du patient et sa réponse aux médicaments. Tous les êtres humains ont en commun plus de 99 % de leur génome, la fraction restante intervient notamment dans notre réponse aux médicaments. Quant à la pharmacogénomique, elle se préoccupe de l’interaction entre les traitements et les mécanismes génétiques de la maladie. Dans les deux cas, l’objectif est de définir la thérapie la plus efficace tout en éliminant les risques sévères de toxicité, en fonction du profil génétique du patient ou de sa maladie. On parle alors de thérapie personnalisée.
Malgré leur jeunesse, la pharmacogénétique et la pharmacogénomique aident déjà à la mise en place de certains traitements. « Dans le cancer du côlon, explique Ivan Bièche, quand le patient a un déficit total en enzyme dihydropyrimidine déshydrogénase (DPD) – soit 0,1 à 0,2 % de la population - il y a un risque de toxicité sévère du traitement anti-cancer par 5-fluoro-uracile. » Autre exemple, toujours pour ce type de cancer : « Si le patient présente un polymorphisme génétiquePolymorphisme génétique
Un gène est dit polymorphe lorsqu’il en existe plusieurs variations au sein d’une même population.
qui génère un déficit en enzyme UGT1A1, il y a un risque important de toxicité lors de l’absorption d’irinotécan, un autre anticancéreux. 
» Par ailleurs, « la présence de l’antigène HLA-B5701 peut prédire une réaction toxique à l’abacavir, un traitement anti-VIH », ajoute Philippe Beaune. Dans ces trois cas, il est donc possible d’éviter l’administration d’un médicament qui ferait courir un trop grand risque à certains patients qui ont des caractéristiques génétiques particulières.
D’un autre côté, la pharmacogénétique et la pharmacogénomique peuvent permettre de déterminer l’inefficacité d’un produit sur un patient avant même de le lui administrer. Exemple : pour combattre le cancer du côlon, l’unique traitement était jusqu’à présent une chimiothérapie ciblant l’action des EGFR, des récepteurs du facteur de croissance épidermique qui interviennent dans la croissance de la tumeur. Désormais, avant toute prescription, un test pharmacogénomique de détection d’une mutation de l’oncogène K-ras, qui active anormalement les EGFR, est obligatoire. « S’il y a mutation, on ne donne pas le traitement classique (une chimiothérapie) car il n’aura pas d’effet, souligne Ivan Bièche. Cela concerne 40 % des cancers du côlon. » Ce type de tests permet ainsi d’éliminer un traitement inefficient et donc d’en prescrire un autre - une thérapie ciblée - sans perdre de temps. « L’objectif est la rationalisation et cela permet de faire un choix thérapeutique, au lieu d’un choix empirique », annonce David Brassat. Mais ils permettent également de réaliser de substantielles économies ! « Les thérapeutiques ciblées coûtent très cher, révèle Ivan Bièche. C’est pourquoi l’Institut national du cancer (Inca) a créé très rapidement des plateformes de tests pharmacogénomiques. Même si cela a aussi un coût, il est largement compensé par les économies engendrées. »
Le but ultime ? « Avoir le choix entre 5 ou 6 médicaments. Faire une prise de sang. Et afficher les taux de réponse du patient aux différentes traitements grâce à un logiciel, simple d’utilisation », présage David Brassat. Ce dernier a réuni une cohorte de 1 200 patients atteints de sclérose en plaques (SEP) qu’il va suivre pendant 5 ans afin de les classer répondeurs/non répondeurs à différents traitements. Le chercheur annonce que « 8 médicaments contre la SEP sont sur le point d’être commercialisés, 13 le seront dans les 5 prochaines années. La pharmacogénomique devrait aider à la prescription du meilleur d’entre eux pour chaque patient. » Ces thérapies ciblées, moins toxiques que les chimiothérapies classiques, permettront au malade d’avoir une qualité de vie nettement améliorée et une espérance de vie accrue.

Pascal Nguyên