Cerveau
Quand le désir devient contagieux

Du jouet de notre copain d’enfance à la voiture du voisin… Nous convoitons ce que les autres désirent ! À l’origine de ce comportement très commun ? Des mécanismes cérébraux enfin identifiés qui aident à mieux comprendre l’apprentissage des enfants.

Plus les gens s’intéressent à un objet, plus il devient désirable ! » Dès les années 1960, le philosophe français René Girard décrit ce phénomène de « désir mimétique ». Mais jusqu’à présent, il avait fait l’objet de peu de travaux scientifiques. Pour comprendre les mécanismes cérébraux qui en sont à l’origine, l’équipe de Mathias Pessiglione, au Centre de recherche de l’Institut du Cerveau et de la moelle épinière à Paris, a imaginé un test : 116 jeunes adultes ont visionné, pendant près d’une heure, 240 vidéos présentant différents types d’objets (aliments, vêtements, accessoires…). Dans certaines, ils étaient convoités, dans d’autres non. Le même bonbon pouvait apparaître simplement posé sur une table dans l’un des petits films et saisi par une main dans un autre. Après chaque vidéo, les participants devaient noter la désirabilité de chaque objet entre 1 et 10. Résultats : les éléments désirés par d’autres ont obtenu les meilleures notes, ce qui confirme la notion de « désir mimétique ». Grâce à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), les chercheurs ont alors observé l’activité cérébrale de 19 participants. Ils ont pu montrer l’activation de la zone appelée « système des neurones miroirs », qui réagit lorsqu’on fait un geste ou que l’on voit quelqu’un le faire, et celle du « système cérébral des valeurs », qui indique que nous aimons un objet.
« Ces activations étaient déjà connues, mais nous avons découvert un phénomène nouveau : le système des neurones miroirs stimule le système cérébral des valeurs, souligne Maël LebretonMaël Lebreton
UMR-S 975 Inserm/Université Pierre-et-Marie-Curie, équipe Motivation, cerveau et comportement
, qui a réalisé les travaux. Donc le fait d’observer une personne voulant se procurer un objet augmente son propre désir pour celui-ci. C’est l’interaction entre ces deux systèmes qui explique que ce désir est “ contagieux ” ou “ mimétique ” ». Grâce à ce mécanisme non verbal, les jeunes enfants peuvent apprendre si un objet est « intéressant » pour eux ou pas, simplement en observant les autres, sans s’exposer aux éventuels risques de l’expérimenter par eux-mêmes… Et ainsi laisser de côté, par exemple, les aliments non comestibles ou au goût désagréable, ou encore les objets dangereux.« Mais l’inconvénient de ce mimétisme, c’est qu’il incite à aller vers les mêmes objets que les autres, même s’ils se trompent. Cet “effet de masse” peut aussi entraîner rivalité et conflit, puisque tout le monde désire la même chose », tempère Maël Lebreton.
Un défaut de communication entre ces deux systèmes cérébraux pourrait expliquer la difficulté à partager les désirs des autres, et donc certains problèmes de sociabilité, chez des enfants autistes par exemple… Pour le démontrer, l’équipe de Mathias Pessiglione mène actuellement des travaux avec la collaboration de Baudouin Forgeot d’Arc du Centre d’excellence des troubles envahissants de l’Université de Montréal. Affaire à suivre donc…

Isabelle Gonse