Médecine de demain - Rééducation fonctionnelle
Des robots au lit du patient

Demain les robots aideront-ils les patients souffrant de déficits moteurs à retrouver l'usage de leurs membres ? Bien que leur efficacité fasse encore débat, les projets fleurissent dans les labos et une nouvelle génération de machines est en train de naître.

Bien calé sur son siège, M. M. pointe son bras vers un écran, où il doit attraper une pomme pour la déposer dans un caddie. Un geste pas si anodin que cela depuis qu’il se remet d’un accident vasculaire cérébral (AVC). « Au début je n’arrivais pas à tout accomplir, mais je sens que je m’améliore », confie-t-il. Sa progression, M. M. la doit en partie à l’Armeo Spring, un bras articulé qui le soutient et l’accompagne dans ses mouvements. Il peut ainsi enchaîner des exercices qui l’épuiseraient en temps normal, et dans lesquels sont simulées des situations du quotidien comme préparer un œuf au plat. L’Armeo Spring enregistre les mouvements du patient et traduit les efforts en résultats aisément identifiables à l’écran : l’œuf se casse sur la poêle, ou tombe sur le carrelage.
Voilà plus de dix ans que la rééducation mécanisée a fait son entrée dans le milieu médical et pourtant les kinésithérapeutes et les ergothérapeutes hésitent encore à s’y fier totalement. Cécile Latrobe supervise cette séance au sein du service de médecine physique et de réadaptation de l’hôpital Fernand-Widal à Paris : « Je réserve cet appareil aux patients qui ont déjà un peu récupéré, et en complément des séances classiques. » Pour cette ergothérapeute, l’objectif principal reste la rééducation fonctionnelle, celle qui aide le patient dans sa vie de tous les jours. « Avec ce robot, ils s’entraînent à faire des mouvements, mais cela reste très artificiel. » L’Armeo Spring, commercialisé par l'entreprise suisse Hocoma, propose en effet des situations inspirées du quotidien, mais un quotidien aplani par l’écran, où les mouvements du patient sont très rectilignes.

Une efficacité sous évaluation

De plus, difficile pour le moment d’évaluer l’efficacité de ces robots. « Les critères eux-mêmes ne font pas consensus », estime Agnès Roby-Brami, directrice de recherche Inserm à l’Institut de recherche des systèmes intelligents et de robotique (Isir)Isir
UMR 7222 CNRS/Université Pierre-et-Marie-Curie
. « On peut étudier un effet sur la capacité à développer une force, mais ce n’est pas cela qui va changer la vie des gens. La capacité fonctionnelle et le niveau du handicap sont également importants. » C’est pour remédier au flou de la littérature qu’Olivier Rémy-NérisOlivier Rémy-Néris
Unité 1101 Inserm/Université de Bretagne occidentale/Télécom Bretagne, Optimisation continue des actions thérapeutiques par l’intégration d’informations multimodales
, médecin au CHRU de Brest, coordonne une étude auprès d’une vingtaine d’hôpitaux afin de comparer les résultats de l’intervention du seul praticien avec ceux d’un robot lors de la récupération de la motricité du bras. Il souligne d’ores et déjà « l’intérêt pour le patient du travail de rééducation fait en autonomie, avec des exercices ludiques ». Les critères de participation à l’enquête sont sévères : seules 60 victimes d’AVC sur les 220 prévues ont été recrutées pour l’instant. Les résultats ne devraient pas être publiés avant trois ou quatre ans. D’ici là, le corps médical peut toujours s’appuyer sur les travaux d'Albert Lo (Providence Veterans Affairs Medical Center), publiés en 2010 dans The New England Journal of Medicine. Ils démontrent que la rééducation classique est aussi efficace que celle assistée par un robot... à nombre de mouvements équivalent. Dans la pratique, le médecin n’a pas le temps de procéder à autant de manipulations qu’un robot, et le patient se fatigue trop vite sans assistance robotique. Selon Julien Cau, qui dirige le projet Robot K chez la PME bretonne BA Systèmes, les robots présentent un autre avantage : « Le praticien n’a plus à se focaliser sur la manipulation du patient puisque la machine le fait pour lui. Il peut donc mieux échanger et dialoguer avec celui-ci. »

Un robot sans résistance

Depuis les premiers robots de rééducation de la marche (le Lokomat® mis au point par Hocoma et commercialisé depuis 2001) et du membre supérieur (le Manus, prototype issu en 1999 des laboratoires du Massachusetts Institute of Technology, commercialisé sous le nom Inmotion), les bases scientifiques ont évolué. « Des robots comme le Lokomat® ne font que répéter un pattern de mouvement “ idéal ” qui ne favorise pas l’autonomie du patient, précise Agnès Roby-Brami. Il vaut mieux le mettre dans une situation où il peut exercer son contrôle sur la direction des mouvements. Par ailleurs, les robots actuels ne sont pas adaptés à la rééducation de la proprioceptionProprioception
Ensemble des sensations qui permettent à un individu de conserver une posture et un équilibre, et qui relèvent de la perception de soi : sens de la gravité fourni par l’oreille interne, angle des articulations, réaction des appuis...
. »
C’est dans ce but que les chercheurs de l’Isir travaillent, en collaboration avec le CEA, sur le projet Brahma d’orthèse - un appareil qui compense l’insuffisance d’un membre - pour la rééducation robotique du bras. « On joue sur les résistances visqueuses, explique Agnès Roby-Brami, c’est-à-dire dépendantes de la vitesse. Si la coordination est mauvaise, le geste se fera mais plus difficilement, et le patient va naturellement modifier la configuration de son mouvement et développer des compensations pour rencontrer moins de résistance. » Pour cela, il faut pouvoir compter sur une orthèse totalement « transparente », c’est-à-dire qui n’oppose pas la moindre résistance.

Vers une « rééducation écologique »

C’est là qu’intervient ABLE issue du prototype Brahma, mise au point par une équipe du CEA à laquelle appartient Yvan Measson : « Dans une orthèse classique, l’effort, ou l’intention, de l’opérateur est mesurée via des capteurs d’effort spécifiques. Ces capteurs sont nécessaires car les actionneurs ne sont pas suffisamment transparents, c’est-à-dire qu’ils opposent à l’effort opérateur une réaction trop importante pour un mouvement fluide et agréable. ABLE repose sur une conception d’actionneurs très différente qui permet, par la commande des courants moteurs seule, de réaliser un équilibre d’effort quasi parfait. L’opérateur rompt cet équilibre par un effort très faible, mettant ainsi en mouvement l’orthèse vers un nouvel équilibre d’efforts. » L’autre grand défi fut la reproduction des mouvements complexes de l’épaule, ainsi que ceux de la pronosupination du radius et du cubitus, c’est-à-dire la rotation de l’avant-bras seul.
De son côté, BA Systèmes vient juste de décrocher un financement auprès du Fonds unique interministériel afin de construire le premier prototype de son Robot K, destiné à la rééducation de la marche, en collaboration avec l'équipe d'Yvan Measson. « C’est une base mobile, dotée de roues omnidirectionnelles, décrit Julien Cau. Un bras est fixé sur ce support, avec un harnais pour soutenir le patient et prévenir les chutes. Il s’agit d’une rééducation écologique, où les exercices permettent à la personne de gagner une autonomie dans son environnement quotidien. » BA Systèmes collabore par ailleurs avec le Centre de recherches en psychologie, cognition et communication de Rennes, qui travaille sur les problèmes d’acceptabilité du robot. Car il ne suffit pas de mettre au point de nouvelles machines collaboratives, encore faut-il qu’elles soient acceptées par les personnels soignants... et par les patients. Un défi de plus à relever pour les robots de rééducation.

Damien Coulomb