Médecine de demain - Ingénierie tissulaire
L’imprimante du vivant

Imprimer des cellules comme une page de texte, modeler des tissus vivants et des biomatériaux en 3D… La réalité rejoint la fiction avec le bioprinting. À la clé : une source (inépuisable) d’échantillons destinés aux tests pharmacologiques et toxicologiques, sans compter une chirurgie sur mesure pour reconstruire in vivo des organes endommagés !

Bioprinting *. Prototype de bioimprimante laser
© UMR 1026 Inserm/Bioingénierie Tissulaire/Inserm
Imaginez un grand brûlé, dont le nouvel épiderme serait imprimé à même la plaie plutôt que de lui greffer une nouvelle peau... C’est une des promesses du bioprinting. Entendez : l’impression de tissus vivants ! Le principe est le même que celui des imprimantes de bureau, si ce n’est qu’en lieu et place de l’encre, ce sont des cellules en suspension qui sont envoyées sur le support et dessinent couche après couche un tissu, voire un organe entier ! Jusque-là, les réussites en ingénierie tissulaire, regroupant les techniques de fabrication de tissus vivants, étaient limitées à des structures simples, à l’instar des strates de la peau, qui impliquent très peu de matériaux et de cellules différents.« Le bioprinting ouvre la porte à la production de structures beaucoup plus complexes », s’enthousiasme Fabien GuillemotFabien Guillemot
Unité 1026 Inserm - Université Bordeaux-Segalen
de l’unité de bioingénierie tissulaire (BioTis) à Bordeaux.« Grâce à cet outil, nous pouvons déposer des couches successives de matière. Cela nous permet d’organiser dans les trois dimensions les différents éléments, que ce soient les cellules souchesCellule souche
Cellule indifférenciée qui peut devenir une cellule de n’importe quel type de tissu ou d’organe.
, celles qui se différencient et celles qui ne se différencient pas, les matrices extracellulairesMatrice extracellulaire
Structure complexe composée de macromolécules qui remplissent les espaces entre les cellules, et qui facilitent leur adhésion et leur organisation en tissus
, mais aussi des facteurs de croissance, etc. L’idée est de recréer dans l’espace des motifs favorables à la morphogenèse - processus par lequel se développent les formes d’un tissu, d’un organe ou de l’organisme - et à la réparation tissulaire
. »

La technique du Lego®

Une des clés de cette morphogenèse est la distance entre les cellules : elles doivent être suffisamment proches l’une de l’autre pour communiquer et fonctionner comme un tissu.« Elles sont sensibles à leur microenvironnement, dont les dimensions n’excèdent pas quelques centaines de microns, explique le chercheur. Avec cette technologie, nous essayons donc de recréer ces milieux favorables aux interactions cellulaires : plutôt que de synthétiser une structure volumineuse d’un coup, nous imprimons ces petits éléments doués d’auto-assemblage, nous les multiplions et nous les agençons les uns par rapport aux autres pour échafauder la structure finale comme on empile des Lego®.  »
En impression classique comme en bioprinting, la recette qui permet d’obtenir un parfait rendu est la même : la densité (le nombre de cellules par goutte) et la résolution (le nombre de gouttes par unité de longueur) doivent être optimales. Différentes techniques ont été testées : jet d’encre (une adaptation de nos imprimantes de bureau) ou bioextrusion (fonctionnant comme un pousse-seringue piloté par ordinateur). Celles-ci ne permettent cependant pas d’allier une bonne densité et une bonne résolution d’impression : une quantité importante de cellules par goutte peut par exemple être imprimée, mais le nombre de gouttes imprimées sur la longueur n’est pas suffisant, ou inversement. Le meilleur compromis est offert par d’autres techniques émergentes qui focalisent aujourd’hui l’attention des chercheurs.

Le laser plutôt que le jet d'encre !

Au Massachusetts Institute of Technology, les Américains ont opté pour une impression qui génère des jets de cellules grâce à une onde acoustique. À BioTis, l’équipe de Fabien Guillemot a misé sur un procédé qui utilise une impulsion laser.« Nous travaillons depuis 2006 sur cette technologie et c’est pour nous le meilleur compromis. Le contrôle de l’énergie des impulsions laser permet d’obtenir des conditions d’éjection non délétères pour les cellules. Nous pouvons imprimer des encres qui contiennent des concentrations très élevées de cellules qui peuvent communiquer entre elles. La résolution est donc parfaitement adaptée à la fabrication de tissus biologiques. Ce n’est pas le cas par exemple avec le jet d’encre, qui emploie des suspensions cellulaires très diluées. » Autre intérêt d’utiliser des impulsions laser : elles permettent de contrôler les conditions d’atterrissage des cellules ! L’étape est, en effet, critique : si la vitesse du jet est trop élevée, l’impact peut leur être fatal. Avec le laser, les tests sont concluants, tous les types cellulaires résistent bien à l’impression.
Les chercheurs maîtrisent d’ores et déjà l’impression de cellules et de biomatériaux, comme le collagène, essentiel à l’architecture d’un tissu. L’étape suivante est la construction de tissus similaires à ceux de notre organisme. Entre autres travaux, la synthèse du tissu osseux et la génération de son réseau vasculaire est un des grands enjeux de l’ingénierie tissulaire exploré à BioTis. En effet, pour faire un tissu épais, tel qu’un os, il faut que toutes les cellules soient très proches de ce réseau, à seulement quelques centaines de microns. Grâce aux performances du bioprinting, les chercheurs sont convaincus que cette technologie pourra répondre à ce défi.
Autre challenge relevé au laboratoire bordelais : imprimer des tissus in vitro, mais aussi in vivo !« Aujourd’hui, on sait fabriquer des éléments tissulaires in vitro et les implanter dans des petits animaux, comme les souris, pour étudier la reconstruction des tissus dans l’organisme. On envisage aussi d’imprimer directement dans l’animal ! », assure Fabien Guillemot. Grâce à ce nouveau type de chirurgie assistée par ordinateur, des médecins pourraient prendre des photos du défaut tissulaire par imagerie médicale, le modéliser sur ordinateur et reconstruire directement le tissu sur la peau grâce à l’impression des propres cellules du patient ! Dans le cas des grands brûlés par exemple, l’intérêt est double : les contacts contaminants sont minimisés et les gestes gagnent en précision.
Dispositif de bioimpression « multiconstituants » : jusqu'à 5 types cellulaires différents peuvent être imprimés simultanément
© UMR 1026 Inserm/Bioingénierie Tissulaire/Inserm

Produire des tissus

En 2010, l’équipe avait déposé un brevet sur les reconstructions in vitro et in vivo par bioprinting. L’an prochain, une start-up devrait aussi voir le jour. Son objectif ? Proposer des échantillons tissulaires produits par cette technologie et destinés à réaliser des tests pharmacologiques et toxicologiques.« C’est, à mon sens, la principale application qu’auront, dans un premier temps, les produits de l’ingénierie tissulaire. Concernant les applications cliniques, l’ensemble de la chaîne de production, ni même les modèles économiques, ne sont encore bien établis, et cela pourrait prendre encore quelques années », estime le scientifique. La règlementation européenne REACh, qui contrôle l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, devrait aussi doper le devenir du bioprinting : dès juillet 2013, il sera interdit d’évaluer des molécules cosmétologiques sur des animaux. D’où l’intérêt des modèles alternatifs de tissus fournis par l’impression biologique.

Alice Bomboy

Bioprinting - 1 24 h après impression, les cellules endothéliales commencent à s'organiser, en fonction de la distance initiale entre les gouttes.
© UMR 1026 Inserm/Bioingénierie Tissulaire/Inserm
Bioprinting - 2 24 h après impression, les cellules endothéliales commencent à s'organiser, en fonction de la distance initiale entre les gouttes.
© UMR 1026 Inserm/Bioingénierie Tissulaire/Inserm