Hepatites virales
Comprendre pour les combattre

Le 28 juillet prochain sera la journée mondiale contre les hépatites virales, date d’anniversaire de la naissance du professeur Baruch Samuel Blumberg, prix Nobel de médecine et découvreur du virus de l’hépatite B. Approfondir les connaissances sur ces virus constitue la première étape pour les combattre.

Ils sont cinq et provoquent un million de décès par an. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) consacre la journée du 28 juillet à promouvoir la lutte contre eux. Eux ? Les virus, A, B, C, D et E de l’hépatite, à l’origine d’infections et inflammations aiguës et chroniques du foie, susceptibles pour certains d’entraîner une cirrhose ou un cancer. Les plus virulents et les plus répandus : le VHB et le VHC (voir encadré). Comment les combat-on ? En premier lieu, en apprenant à les connaître.
Ainsi, lorsque le virus de l’hépatite C a été découvert en 1989, les patients étaient traités avec de l’interféron, une molécule inspirée d’une protéine produite naturellement par l’organisme et destinée à lutter contre les agressions virales. Avec un taux de guérison de… 6 % ! Mais dans les prochains mois, pensent les chercheurs, on pourra guérir plus de 90 % des malades grâce à l'arrivée de nouveaux médicaments ! Que s’est-il passé entre-temps ?«  Des recherches fondamentales ont été lancées et ont porté leurs fruits. Notamment celles menées en virologie, explique Jean-Michel PawlotskyJean-Michel Pawlotsky
Unité 955 Inserm - Université Créteil Paris-Est-Val-de-Marne
, responsable de l’équipe Physiopathologie et thérapeutique des hépatites virales chroniques, à l’Institut Mondor de recherche biomédicale. Des modèles – surtout cellulaires – ont été développés, le cycle du virus est désormais bien connu, et on a même accès à la structure en 3D des enzymes qui interviennent. »
«  Ces connaissances pointues permettent désormais d’inhiber toutes les étapes du cycle viral grâce à différentes classes de molécules », énumère le chercheur : inhibiteurs de protéase - enzyme qui brise les liaisons peptidiques des protéines -, inhibiteurs de polymérase - enzyme qui réplique l’information génomique virale - de type analogues nucléosidiquesAnalogue nucléosidique
Molécule semblable aux nucléosides qui constituent l’ADN, mais dont l’insertion dans un brin en stoppe la synthèse.
ou nucléotidiques ou inhibiteurs non nucléosidiques, inhibiteurs de la protéine virale NS5A au rôle déterminant dans la réponse aux traitements…
Un autre type d’agents thérapeutiques est également développé : ceux qui ciblent l’hôte directement. C’est le cas d’une toute nouvelle famille de molécules capables d’inhiber la cyclophiline A, une protéine produite par l’organisme et indispensable au virus. Cette stratégie mise au point par l’équipe de Jean-Michel Pawlotsky permettrait de bloquer la réplication du virus. Tout récemment, Thomas BaumertThomas Baumert
Unité 1110 Inserm - Université de Strasbourg
, directeur de l’unité Interactions virus-hôte et maladies hépatiques, à Strasbourg, a d’ailleurs été récompensé par le prix Galien1 pour sa découverte d’une protéine de l’hôte qui joue un rôle majeur pour l’entrée du virus dans les cellules.

Des stratégies adaptées

De leur côté, Stanislas PolStanislas Pol
Unité 1016 Inserm/CNRS - Université Paris-Descartes
et ses collaborateurs de l’Institut Cochin ont mis au point un modèle original : des tranches de foie humain adulte. D’une épaisseur de 350 micromètres, elles sont infectées par le VHC et cultivées dans un milieu nutritif oxygéné.«  Grâce à elles, nous étudions les mécanismes moléculaires qui interviennent au tout début de la phase d’infection  », explique le chercheur. L’enjeu est de taille, car le diagnostic d’une infection par le VHC est souvent tardif : les stades précoces de l’infection sont donc méconnus. Le modèle permet aussi de suivre l’efficacité des traitements antiviraux.
Pour l’hépatite B, dont le virus a été découvert dans les années 1970, les stratégies mises en place sont différentes.«  Il est très répandu et sa transmission est très facile  », rappelle Jean-Michel Pawlotsky. La réponse immune adaptative joue un rôle important dans la défense de l’organisme contre cet agresseur,«  c’est un combat à mort  ». La parade la plus efficace ? Le vaccin préventif.«  Dans certaines régions de Chine, la prévalencePrévalence
Nombre de cas enregistrés à un temps T
du VHB atteignait les 20 %. Depuis la mise en place du programme de vaccination à la naissance, elle est descendue au niveau de celle des pays occidentaux dans les couches les plus jeunes de la population. 
» Par ailleurs, le VHB ayant un mécanisme de réplication assez semblable à celui du VIH, certains antiviraux développés contre ce dernier, ou dérivés d’antirétrovirauxAntirétroviraux
Classe de médicaments utilisés pour le traitement des infections liées aux rétrovirus.
, se sont révélés très efficaces.
Traitements ultra-performants contre le VHC, vaccin efficace contre le VHB... pourquoi ces virus provoquent-ils alors cette épidémie silencieuse contre laquelle l’OMS appelle à combattre ? Justement, parce qu’elle est silencieuse. La première phase de l’atteinte est souvent asymptomatique et de nombreuses personnes infectées ignorent leur sérologie.«  On estime en France que 350 000 personnes sont touchées par le VHC. Parmi elles, 65 % seulement le savent. Au moins autant sont infectées par le VHB », rappelle Jean-Michel Pawlotsky.

Une politique de dépistage à revoir

Dépistage et prévention semblent ainsi les points faibles de la lutte. Patrizia CarrieriPatrizia Carrieri
Unité 912 Inserm/IRD - Aix-Marseille université, équipe Maladies transmissibles, systèmes de santé, société
de l’unité Sciences économiques et sociales de la santé et traitement de l’information médicale (Sesstim) souligne «  qu’il n’y a pas encore d’équité d’accès à la prévention de l’hépatite C car beaucoup de populations sont toujours exclues. Les prisons françaises, où la drogue circule aussi, souffrent actuellement non seulement d’un problème de surpopulation et de risque de contamination par l’hépatite C, mais, de plus, l’accès aux outils de prévention est déficitaire.  » Le dernier rapport sur l’hépatite C de la Commission mondiale pour la politique des drogues suggère qu’il serait souhaitable d’envisager de remplacer la criminalisation de l’usage de drogues par l’accès aux services de santé et des sanctions administratives. Augmenter l’accès aux traitements de substitution, via la délivrance de méthadone par le médecin généraliste (programme Méthaville de l’ANRS), ou encore envisager des salles d’injection supervisée pour ceux qui sont en échec avec le programme de substitution sont d’autres pistes de réflexion. «  De plus, souligne Sylvie Deuffic-BurbanSylvie Deuffic-Burban
Unité 995 Inserm - Université Lille 2 Droit et santé, Inflammation : mécanismes de régulation et interactions avec la nutrition et les candidoses et unité 738 Inserm, équipe Atip-Avenir Modélisation, aide à la décision et coût-efficacité en maladies infectieuses
, chercheur à l’Inserm, la modélisation de l’épidémie du VHC montre que l’impact des traitements pourrait être majoré en cas de dépistage et de prise en charge thérapeutique accrus des personnes infectées. Par ailleurs, les campagnes de dépistage des hépatites ne semblent plus efficaces. Certes, de nombreux tests sont effectués, mais peu sont positifs. Il faut donc mieux cibler les populations à risques. » L’Institut national de veille sanitaire a montré qu’il y avait deux pics de prévalence du VHC en 2004, chez les 40-49 ans et les 60-69 ans. «  Les États-Unis ont ainsi compris l’intérêt de cibler le dépistage des cohortes de population en fonction de leur âge.  ». C’est donc sur ces deux fronts que la lutte doit continuer.

Julie Coquart

Culture d’une tranche de foie humain
© Auteur inconnu/Unité 1016 Inserm/UMR 8104 CNRS/Inserm