Médecine de demain - NEUROLOGIE
La tête et les jambes

Le centre de recherche biomédicale Clinatec, à Grenoble, lancera en 2013 des essais cliniques afin de tester une interface cerveau-machine capable de rendre l’usage de leurs membres à des personnes paralysées.

Demain, sans doute, des patients tétraplégiques pourront marcher de nouveau. Comment ? Grâce à l’implantation dans leur cerveau de neuroprothèses capables d’enregistrer leur activité cérébrale et de la traduire en mouvement via un membre robotisé. Un objectif irréaliste ? Pas du tout. Un objectif audacieux auquel travaille Clinatec. D’ailleurs, les chercheurs de ce projet « Interface-cerveau-machine » ont récemment reçu le feu vert de l’Agence régionale de santé (ARS) pour tester ce dispositif sur des patients tétraplégiques volontaires. « L’innovation, c’est que nous proposons un dispositif complet, qui capte et envoie l’information cérébrale. Il sera placé sur le cortex, et non plus implanté dans le cerveau, ce que nous savons déjà faire mais qui pose des problèmes de réactions cicatricielles », explique François BergerFrançois Berger
Unité Inserm 836 - Université Joseph-Fournier, Grenoble Institut des neurosciences (GIN), groupe Nanomédecine et cerveau
, neuro-cancérologue et directeur de Clinatec.
À la base, il y a un constat. « Dans les déficits moteurs qui affectent l'usage des membres, comme à la suite d'un grave accident, les signaux neuronaux qui commandent aux jambes et aux bras de se mouvoir ne sont pas affectés. C'est souvent au niveau de la moelle épinière que la relation est rompue, la transmission à partir du cerveau vers les membres ne se fait plus. L'idée est donc de recréer cette communication tronquée : on appelle cela la suppléance fonctionnelle», explique le chercheur. C’est là qu’intervient l’implant cérébral. « Il mesure 4 à 5 cm et contient 64 électrodes. Nous avons validé chez l’homme un enrobage hermétique et biocompatible, afin d’être parfaitement toléré par les tissus cérébraux et afin de ne pas générer de fibrose réactionnelle à l'implant. »La taille de ce dispositif correspond à celle de la zone motrice, dans le cerveau, d'où partent les informations électriques pour commander les mouvements des membres. « Quand une personne pense à marcher ou à lever un bras, des réseaux neuronaux s’activent et nous pouvons les repérer grâce à différentes méthodes d’imagerie cérébrale fonctionnelle. L’idée est d’adapter au mieux l’implantation à la localisation de cette zone motrice chez chaque patient. »
Un système informatique prend ensuite le relais de la moelle épinière déficiente. « Le logiciel embarqué que nous avons mis au point décode quels mouvements se cachent derrière l’activité neuronale enregistrée. Pour établir ces corrélations, nous avons fait d’innombrables analyses chez le petit animal et le primate. Un travail énorme ! », commente François Berger. Les mouvements sont ensuite réalisés par un exosquelette, relié à ce logiciel embarqué. Encore en développement, ce dispositif de squelette externe sera composé de deux jambes et deux bras motorisés. «  Il sera unique au monde, assure le chercheur. L’objectif est de pouvoir l’intégrer le mieux possible au vivant, afin qu’il soit moins lourd, moins encombrant, et surtout moins visible. »Pour mesurer les progrès accomplis en la matière, les chercheurs parlent de degré de liberté, soit le nombre de possibilités de mouvements dans l’espace. La mobilité naturelle d’un membre est de 9 degrés. Actuellement et grâce à leurs recherches, les scientifiques sont parvenus à atteindre un degré de liberté de 3 à 4, ce qui permet de prendre un objet ou d’avancer un membre.
Des essais ont d’ores et déjà été menés chez l’animal. « Le degré de liberté que nous avons obtenu au cours de ces travaux justifie le passage à l’homme. Nous sommes aussi rassurés sur la biocompatibilité des matériaux que nous avons utilisés, qui auraient pu être à l'origine d'effets secondaires comme des fibroses ou des phénomènes inflammatoires. » D’ici le début des essais cliniques chez l’homme, prévus fin 2013, le dispositif sera réglé encore plus finement. « De récents travaux ont montré toute l’importance de l’apprentissage vis-à-vis de ces interfaces cerveau-machine : les patients devront “ apprendre ” à se servir de leur cerveau pour bouger leur exosquelette. À l’issue de quoi nous avons vraiment bon espoir que la mobilité des quatre membres soit retrouvée dans des proportions qui apporteront un réel bénéfice au quotidien », s'enthousiasme François Berger.
Si les tétraplégies figurent en haut de la liste des pathologies pouvant être ainsi prises en charge, la réhabilitation des personnes victimes d'accident vasculaire cérébral ou d'épilepsie pourrait aussi être concernée. À terme, de tels dispositifs pourraient également être adaptés à d'autres domaines que les déficiences motrices, comme la perte de parole.

Alice Bomboy