Diabètes : Des thérapies d'avenir

Avec les 347 millions de personnes qui en souffrent dans le monde, le diabète est le mal du siècle. De type 2 ou de type 1, le nombre de cas ne cesse d’augmenter. Depuis la découverte de l’insuline en 1921, comment la prise en charge des malades a-t-elle évolué ? De quelles thérapies innovantes peuvent-ils déjà bénéficier ? Quelles sont les nouvelles stratégies envisagées pour enrayer ce que l’OMS considère comme l’épidémie du XXIe siècle ? Questions qui seront abordées à Paris, le 27 février 2013, lors de la 6e conférence mondiale sur le sujet. Nos chercheurs font le point.

Centre d'Investigation Clinique, CIC de Lille
Centre d'Investigation Clinique, CIC de Lille. Une jeune patiente apprend à surveiller son diabète avec un lecteur de glycémie par bandelettes à électrodes.
© Patrice Latron/Inserm
U859 Thérapie cellulaire du diabète - image 1
U859 Thérapie cellulaire du diabète. Après avoir été prélevés sur un donneur (ici) et isolés, les îlots de Langerhans sont administrés au receveur au cours d’une brève intervention par simple perfusion dans la veine du foie (image 1).
© Patrice Latron/Inserm
U859 Thérapie cellulaire du diabète - image 2
U859 Thérapie cellulaire du diabète. Après avoir été prélevés sur un donneur et isolés, les îlots de Langerhans sont administrés au receveur au cours d’une brève intervention par simple perfusion dans la veine du foie (image 2).
© Patrice Latron/Inserm
Greffe d'îlots de Langerhans - image 1
Greffe d'îlots de Langerhans. Après avoir été prélevés sur un donneur et isolés, les îlots de Langerhans, sont administrés au receveur au cours d’une brève intervention par simple perfusion dans la veine du foie (image 3).
© François Pattou/Inserm
Greffe d'îlots de Langerhans - image 2
Greffe d'îlots de Langerhans. Après avoir été prélevés sur un donneur et isolés, les îlots de Langerhans (ici), sont administrés au receveur au cours d’une brève intervention par simple perfusion dans la veine du foie (image 4).
© Auteur inconnu/Inserm
Montpellier, 25 octobre 2011. Un homme de 53 ans, Patrick Mas, entre dans un restaurant. Commande des lasagnes, les savoure sans restriction, «  et avec délectation  », puis rejoint son hôtel. Il y passe la meilleure nuit depuis longtemps, sans angoisse.
Cela ne vous semble pas extraordinaire ? Pourtant, il s’agit d’une première mondiale. En temps normal, Patrick aurait dû se piquer le doigt plusieurs fois pour y prélever une goutte de sang, afin d’en contrôler le taux de glucose grâce à une bandelette réactive, puis s’injecter de l’insuline pour essayer de maintenir une glycémie - concentration en glucose - normale. Et surtout, s’inquiéter d’une possible hypoglycémie qui pourrait le plonger dans le coma pendant la nuit. Car Patrick est diabétique. Plus précisément, il souffre du diabète de type 1, autrefois appelé diabète insulino-dépendant ou diabète juvénile. Sauf que ce soir-là, il était équipé d’un pancréas artificiel.
«  Le diabète de type 1 est une maladie auto-immune chronique au cours de laquelle les cellules b (bêta)Cellule bêta
Un des types cellulaires du pancréas, producteur d’insuline
– l’un des types de cellules endocrines du pancréas - sont détruites de façon sélective. Or, elles sont les seules de l’organisme à produire de l’insuline, une hormone essentielle à la régulation du taux de glucose dans le sang
», expliquent les diabétologues. Ce sucre constitue le carburant unique du cerveau et la source essentielle d’énergie pour les muscles lors d’un effort intense : les cellules en ont besoin pour fonctionner. Et c’est notre alimentation qui l’apporte. Circulant dans le sang, le glucose est ensuite capté par les cellules qui vont soit le consommer, soit le stocker. Lorsque tout fonctionne correctement, une augmentation de la glycémie, après les repas par exemple, active la libération d’insuline dans le sang. C’est le signal pour les cellules des tissus périphériques (foie, muscles, adipocytes) d’emmagasiner le sucre ! En son absence, le taux de glucose ne redescend pas, et c’est l’hyperglycémie… mortelle car elle provoque à terme une acidocétose qui survient lorsque les cellules, privées de glucose, utilisent une autre source d’énergie : les acides gras. Ce processus entraîne la libération de molécules qui s’accumulent de façon pathologique dans le sang et l’acidifie, conduisant à une perturbation du fonctionnement des cellules et au coma. D’ailleurs, jusqu’en 1921, date de la découverte de l’insuline, les diabétiques mouraient en quelques mois. En 1923, le prix Nobel de médecine viendra récompenser le médecin canadien Frederick Banting et le scientifique britannique John James Richard McLeod pour leur découverte. Ils partageront leur prix, avec, respectivement, l’étudiant Charles Best et le chimiste James Collip.

Du diagnostic à la technologie

«  Cliniquement, le diabète se manifeste par quatre symptômes : forte envie d’uriner (polyurie), soif excessive (polydipsie), perte de poids malgré un appétit féroce et fatigue  », explique Étienne LargerÉtienne Larger
Service de Diabétologie, Hôtel Dieu, Groupe Hospitalier Cochin-Hôtel Dieu-Broca, Paris
, diabétologue à l’Hôtel-Dieu, à Paris. En effet, les reins qui filtrent le glucose dans le sang sont débordés par la glycémie trop élevée : pour éviter une trop forte concentration en glucose dans les urines, l’organisme doit utiliser plus d’eau… Et pour remplacer ce plus grand volume d’eau perdu, le malade doit boire. «  C’est d’ailleurs l’observation de ce phénomène qui a donné son nom à la maladie : “  dia  ” signifie “ à travers ”, en grec, et “  baino  ”, “ passer ”. À l’époque, les Grecs avaient l’impression que l’eau ne faisait que traverser le corps, sans s’y arrêter  », souligne le diabétologue. Le diagnostic de diabète est établi lorsque la glycémie à jeun est égale ou supérieure à 1,26 g/l , à deux reprises, ou égale ou supérieure à 2 g/l à n'importe quel moment de la journée . En détériorant les vaisseaux sanguins et les nerfs, l’hyperglycémie augmente le risque de complications graves. «  Bien que les diabétiques puissent mourir de complications macrovasculaires, ce sont surtout les complications microvasculaires à long terme que l’on cherche à éviter  », explique Bart StaelsBart Staels
Unité 1011 Inserm/Institut Pasteur Lille - Université Lille 2 Droit et santé, Récepteurs nucléaires, maladies cardiovasculaires et diabète
, de l’unité Récepteurs nucléaires, maladies cardiovasculaires et diabète, à Lille. Les lésions de la rétine provoquées par le diabète sont, en effet, la première cause de cécité. L’atteinte rénale, qui conduit à une insuffisance chronique, nécessite le recours aux dialyses. Atteints de neuropathieNeuropathie
Altération des nerfs périphériques
, les patients perdent la sensibilité de l’extrémité des membres : des lésions aux pieds, non soignées car non détectées, conduisent parfois à l’amputation.
Dès la découverte de l’insuline, les injections de l’hormone vont sauver la vie de nombreux patients. Mais la maladie demeure invalidante, car il faut contrôler sa glycémie plusieurs fois par jour, calculer la dose d’insuline nécessaire, l’injecter… parfois jusqu’à 8 fois par jour !
« L’idée du pancréas artificiel remonte aux années 1970, les premières expériences en milieu hospitalier ont eu lieu simultanément en France, à Montpellier, aux États-Unis et en Allemagne » , explique Éric RenardÉric Renard
Unité 661 : Inserm/Université Montpellier 1/CNRS UMR 5203 - Université Montpellier 2, Institut de génomique fonctionnelle, équipe Déterminants et correction de la perte de sécrétions d’insuline dans le diabète et CIC 1001 pluri-thématique, hôpital Saint-Éloi, Montpellier
, diabétologue et directeur du centre d’investigation clinique de Montpellier. Mais seules les avancées technologiques (miniaturisation, mesure du glucose sous-cutané…) ont permis à son équipe, en collaboration avec des chercheurs des universités de Padoue et de Pavie (Italie) et celles de Virginie et de Californie (États-Unis), de mettre au point un système en boucle fermée qui automatise toutes ces étapes.
«  Le dispositif est composé d’un capteur inséré sous la peau, qui mesure en continu le taux de glucose. Les informations sont transmises à un système informatique contenu dans une sorte de smartphone. Un algorithme calcule alors automatiquement la dose d’insuline nécessaire et ajuste le débit de la pompe à insuline, également insérée sur l’abdomen.  » Alors que des essais de pancréas artificiel avaient déjà été tentés, la prouesse des équipes est d’avoir réussi à miniaturiser, et ainsi rendre ambulatoire, le système informatique. C’est grâce à cette miniaturisation que Patrick Mas, notre patient, a pu sortir pour essayer l’appareil. «  Il s’agissait d’un test de faisabilité , souligne le diabétologue. Nos collaborateurs de l’université de Padoue l’ont également mis en œuvre le même jour, avec le même succès.  » Fin 2012, ce sont 20 patients qui devraient avoir fait l’expérience d’une sortie d’un jour ! Et si tout se passe bien, plusieurs dizaines de volontaires expérimenteront l’équipement, chez eux, pendant plusieurs semaines, entre 2014 et 2015 ! «  Les parents d’enfants diabétiques, dont les nuits sont sources de stress, attendent la mise sur le marché de ce système avec impatience » , souligne Éric Renard. En effet, si la dose d’insuline injectée est trop forte, le malade risque l’hypoglycémie. Or, la nuit, elle peut passer inaperçue, et les parents, angoissés, vont se relever plusieurs fois pour vérifier que tout va bien. «  Les patients adultes, qui, de leur côté, n’osent pas s’injecter trop d’insuline, seront tout aussi rassurés par l’usage d’un tel appareil » , estime le professeur.

Le choix de la greffe

À côté du pancréas artificiel, la méthode la plus naturelle pour pallier le déficit en insuline serait de remplacer les cellules détruites. C’est l’option choisie par François PattouFrançois Pattou
Unité 859 Inserm - Université Lille 2 Droit et santé, Biothérapies du diabète
, chirurgien au CHRU de Lille et directeur de l’équipe Biothérapies du diabète. « Les cellules ß productrices d’insuline sont regroupées en amas - les îlots de Langerhans - du nom du biologiste allemand qui les a découverts - au sein du pancréas : il y en a environ 500 000, qui, tels les musiciens d’un orchestre symphonique, assurent une exquise régulation de la glycémie en s’adaptant en temps réel. Les injections d’insuline, même bien contrôlées, ne permettent pas d’obtenir la même qualité, raconte le chirurgien. Après la découverte de l’insuline, ce n’est que dans la seconde moitié du XXe siècle que les greffes prennent leur essor. Dans les années 1970, des travaux publiés dans la revue Science font état d’une greffe d’îlots de Langerhans dans le foie, couronnée de succès… chez le rat. Il faudra attendre les années 2000 pour que la technologie soit applicable à l’homme ! Ici, à Lille, nous avons commencé en 1998. Depuis, nous avons notamment amélioré les techniques d’isolement des îlots, et bénéficié de la mise au point de nouveaux traitements anti-rejet. » Pourquoi isoler les îlots et ne pas greffer le pancréas en entier ? « Parce qu’ils ne représentent qu’un volume comparable à celui contenu dans un dé à coudre, un peu comme des raisins dans une brioche : il est inutile de s’encombrer de tout le pancréas. » Surtout que celui-ci recèle des enzymes digestives qu’il ne faudrait pas libérer accidentellement dans le corps du patient !
Jusqu’ici, la greffe se faisait dans le foie, en injectant les cellules directement dans la veine porte qui se projette dans l’organe : «  Le foie est bien vascularisé et d’accès relativement aisé  », explique François Pattou. La technique s’est tellement développée que, dans certains pays, l’acte est pris en charge par l’assurance-maladie. Mais pas encore en France. «  Nous avons désormais des résultats à cinq ans après l’intervention, voire à huit ans : 80 % des greffons sont fonctionnels. La moitié des patients n’ont donc plus besoin de se faire des injections d’insuline !  Quand la greffe est optimale, il est impossible de distinguer les variations glycémiques du patient de celles d’une personne non diabétique !  »
Mais les incertitudes sur le traitement immunosuppresseur et le devenir au long cours de la greffe rendent les indications assez drastiques. «  Il se pose une vraie question bénéfice/risque » , souligne Marie-Christine Vantyghem, diabétologue de l'équipe. De plus, pour que le greffon soit suffisant, un patient doit recevoir les îlots prélevés sur trois donneurs en mort cérébrale. La liste d’attente peut donc être longue. Les malades qui sont en droit d’espérer bénéficier de cette thérapie cellulaire doivent avoir une longue histoire de diabète, ne plus ressentir les hypoglycémies et donc avoir plus de risques de tomber dans le coma.
Depuis peu, l’équipe teste un nouveau site d’injection inattendu : les muscles de l’avant-bras ! Et ça marche : les cellules greffées assurent leur fonction de régulation de la glycémie, l’insuline pouvant rejoindre la circulation sanguine tout comme si elle était sécrétée dans le pancréas. «  Cette localisation allie simplicité d’accès et bonne vascularisation. Surtout, cela nous permet d’observer les îlots grâce à un radiomarqueur spécifique, contrairement à ceux qui s’implantent dans le foie  », insiste François Pattou. La détection sélective des cellules est d’importance pour le chercheur : « Nous sommes à l’interface du laboratoire et de la clinique : les résultats de nos greffes nous fournissent des données exploitées en recherche… pour optimiser les greffes !  » Cinq patients ont déjà bénéficié de cette implantation originale d’îlots de Langerhans, après ablation de leur pancréas, avec un suivi de deux ans pour la première patiente.
Lorsque les symptômes du diabète de type 1 se manifestent, 70 à 90 % de la masse fonctionnelle des cellules b sont déjà détruits. « Ce qu’on sait du diabète de type 1, c’est qu’il s’agit d’une maladie auto-immune au cours de laquelle les lymphocytes T, des cellules du système immunitaire chargées de détruire normalement les cellules étrangères, reconnaissent, par erreur, les cellules ß, ce qui entraîne leur destruction. Mais, et c’est important, on ne connaît pas la nature des facteurs déclenchant cette perte de la tolérance aux antigènes des cellules ß », commente Roberto MalloneRoberto Mallone
Unité 986 Inserm - Université Paris Descartes, Immunologie et génétique du diabète de type 1, génétique multifactorielle en endocrinologie pédiatrique - équipe Avenir Immune staging and intervention in T1D
, de l'unité Immunologie et génétique du diabète de type 1, à Paris. Certes, il existe une prédisposition génétique, mais l’environnement joue à hauteur de 50 %, puisque parmi des jumeaux monozygotes, lorsque l’un des deux développe un diabète de type 1, l’autre a environ 50 % de risque d’en déclarer un aussi.

De l’importance de la géographie

Quels sont donc les facteurs environnementaux qui peuvent déclencher ou accélérer l’apparition du diabète de type 1 ? Les infections bactériennes pourraient-elles jouer un rôle ? Dans des travaux publiés il y a un an, Roberto Mallone et son équipe montrent que c'est le cas d’une mycobactérie. Mycobacterium avium paratuberculosis (MAP) provoque, chez le bétail, une maladie inflammatoire intestinale. Transmissible à l’homme principalement par le lait, l’infection à MAP est asymptomatique. Mais elle suscite une réponse immunitaire dirigée contre plusieurs protéines mycobactériennes. Or, l’une d’elles, MAP3865c, présente une homologie de séquence protéique avec ZnT8, une protéine transporteur de zinc exprimée par les cellules b pancréatiques. Pour son étude, le chercheur s’est intéressé aux diabétiques de type 1 vivant en Sardaigne. En effet, cette région affiche une prévalence importante de la maladie, en opposition avec le gradient nord-sud habituellement observé : les pays scandinaves sont plus touchés par le diabète de type 1 que le sud de l’Europe. Par ailleurs, les patients de l’île italienne présentent une forte contamination à MAP. Au cours de ses travaux, Roberto Mallone a ainsi mis en évidence que l’anticorps anti-MAP3865c reconnaît également la protéine ZnT8. «  Ce mécanisme de mimétisme moléculaire, au cours duquel une protéine des cellules  ß est confondue avec une protéine mycobactérienne, pourrait accélérer le développement du diabète de type 1 chez les personnes infectées par MAP  », conclut le chercheur.
Toujours dans l’unité Immunologie et génétique du diabète de type 1, Agnès LehuenAgnès Lehuen
Unité 986 Inserm - Université Paris Descartes, Immunologie et génétique du diabète de type 1, génétique multifactorielle en endocrinologie pédiatrique
décortique les processus moléculaires à l’œuvre au cours du diabète, avant le déclenchement de la maladie. Ses outils ? Des souris. Notamment les très utiles NOD, pour Non Obese Diabetic . Ces dernières développent spontanément un diabète de type 1, «  considéré comme très proche de la maladie humaine  ». Récemment, deux membres de son équipe, Julien Diana et Yannick Simoni, ont publié leurs travaux dans Nature Medicine. Ils mettent en lumière le rôle des cellules du système immunitaire inné dans le développement de la maladie (voir schéma), ce qui pourrait conduire à de nouvelles pistes thérapeutiques.
Ces résultats sont la suite de ceux de l’équipe, qui avait déjà montré qu’une infection, virale cette fois, pouvait protéger du diabète des souris NOD, par le biais des cellules NKTLymphocytes NKT
Lymphocyte T Natural Killer capables de reconnaître un antigène présenté par une molécule proche, mais différente, du CMH I
(lymphocytes T Natural Killer). Pourtant, une infection virale conduit généralement à la libération d’une molécule pro-inflammatoire, l’interféron  a . Suivant le mécanisme décrit par les auteurs, les lymphocytes T dirigés contre les cellules  b devraient aussi être stimulés. Sauf que dans le cas d’une infection virale, les cellules NKT produisent de l’interleukine-10 (IL-10). Et cette molécule a pour effet de rendre les cellules dendritiques tolérantes : en produisant un facteur de différenciation particulier, le TGF- b , elles transforment les lymphocytes T dirigés contre les îlots de Langerhans en lymphocytes T régulateurs, qui vont enrayer la possible réaction auto-immune.
« Une des pistes de traitement serait de disposer de molécules capables de stimuler les cellules NKT pour assurer une protection contre le déclenchement de la réaction auto-immune », explique Agnès Lehuen. Surtout que ces NKT sont très préservées d’une espèce à l’autre chez les mammifères et qu’elles ne présentent pas de polymorphisme. Leur étude chez la souris est donc facilement transposable chez l’homme.
Cependant, outre que ces approches moléculaires de la maladie restent très en amont des applications, il est difficile de conduire des essais pour tester des molécules sur le plan clinique, car la complexité des mécanismes et la finesse de leur régulation rend complexe le choix d’un traitement. «  Contrairement au cancer, où les patients n’ont malheureusement plus de choix thérapeutique, le calcul du bénéfice/risque pour des patients à risque de diabète est difficile à faire. Il est d’ailleurs ardu de trouver des financements  », regrette la chercheuse.
Pour étudier au mieux les interactions entre cellules ß et système immunitaire, Raphaël ScharfmannRaphaël Scharfmann
Unité 845 Inserm - Université Paris-Descartes, Centre de recherche Croissance et signalisation
, du Centre de recherche Croissance et signalisation, à Paris, a relevé le défi de créer des cellules ß pancréatiques humaines. Avec ses collaborateurs, il a introduit, dans un fragment de pancréas fœtal humain, un gène « immortalisant ». L’idée ingénieuse a été de le placer sous le contrôle d’un promoteur spécifique des cellules ß. Concrètement, bien que le gène en question puisse s’intégrer dans n’importe quelle cellule, il ne sera exprimé que dans les cellules ß, seules alors à bénéficier de l’immortalité. Ainsi, elles se multiplient à l’infini, sans mourir. Le tissu pancréatique est ensuite transplanté dans l’organisme d’une souris immunodéficiente, ce qui permet la différenciation et l’amplification des cellules ß matures. Après plusieurs mois, une tumeur se forme : les cellules qui la composent sont amplifiées en culture afin d’obtenir des lignées stables exprimant tous les gènes d’une cellule ß.
Peut-on espérer les greffer ? Et pallier ainsi le manque de donneurs ? Pour Raphaël Scharfmann, ce n’est pas l’objectif. « Le pancréas est une boîte noire, pour laquelle de nombreuses questions restent non résolues : quelles sont les personnes chez qui les cellules ß vont être détruites dans le cas du diabète de type 1 ? Comment protéger la masse fonctionnelle de ces précieuses cellules ? En réalité, nous connaissons mal la cellule ß humaine », insiste le chercheur. On ignore combien il y a de cellules ß chez un individu : une étude réalisée sur des pancréas prélevés sur des personnes décédées a montré que leur quantité pouvait varier d’un facteur 1 à 10 de l’une à l’autre ! Pour lui, on ne sait même pas si les cellules ß d'un centenaire sont les mêmes que celles de sa jeunesse ! C’est donc tout l’intérêt de ces lignées, source reproductible de cellules identiques que l’on peut étudier. EndoCells, la start-up créée par Raphaël Scharfmann et ses collaborateurs, Paul Czernichow et Philippe Ravassard, permet de distribuer ces cellules dans les laboratoires du monde entier, qui peuvent ainsi tester des traitements, que ce soit dans le cas du diabète de type 1 ou celui de type 2.
Dans cette lignée de cellules ß humaines
Dans cette lignée de cellules ß humaines, les noyaux sont colorés en bleu et l’insuline contenue dans les cellules est visualisée en rouge.
© Auteur inconnu/Unité 845 Inserm/UMRS975 CNRS /Inserm

Autres processus, autre diabète

Car n’oublions pas qu’à côté du diabète de type 1 au cours duquel les cellules ß sont détruites par le système immunitaire, celui de type 2 fait, lui aussi, des ravages. Il représente d’ailleurs environ 90 % des cas de diabète. Quelles sont leurs différences ? Elles sont nombreuses et pourtant, les recherches montrent que certains patients mélangent des caractéristiques des deux. Également déterminé par une glycémie élevé, le diabète de type 2 est, cependant, dû à d’autres mécanismes physiopathologiques : une défaillance relative de la production d’insuline et une sensibilité amoindrie des tissus périphériques (foie, muscles) à l’action de l’hormone.
Là où les injections d'insuline règlent tout, ou presque, dans le cas du type 1, ici, elles ne sont pas toujours la solution. Avant que la pathologie se déclare, la phase pré-diabétique peut durer des années. Les tissus périphériques ne répondant pas correctement à l'insuline, le pancréas en augmente sa production : la glycémie reste correcte. Mais les choses se gâtent quand le pancréas ne peut plus suivre !
Le premier traitement consiste à assurer un meilleur équilibre alimentaire et à faire de l'exercice. Car ce diabète de type 2 est fortement associé à l’obésité, à la réduction des dépenses énergétiques et au vieillissement. Sans compter une forte composante génétique.
Lorsque ces premières actions ne permettent pas de réduire la glycémie, tout un arsenal thérapeutique est à disposition des patients. Généralement utilisée en première intention, la metformine a pour but de diminuer la résistance des cellules à l'insuline. Son mécanisme d'action n'est pas très bien connu, mais elle inhibe également la production de glucose par le foie (néoglucogenèse). D'autres médicaments peuvent ensuite être associés. Qu'ils soient oraux ou injectables, leur objectif est de moduler les mécanismes d'activation de la cellule b par le glucose (voir schéma).
De leur côté, les sulfonylurées, médicaments oraux, bloquent les canaux potassiques ATP-dépendants, ce qui provoque la dépolarisation de la membrane des cellules ß, l'entrée de calcium et la sécrétion d'insuline. «  Ces médicaments provoquent de faç on puissante la sécrétion d’insuline mais agissent indépendamment du glucose  », précise Stéphane DalleStéphane Dalle
Unité 661 Inserm/Université Montpellier 2/CNRS UMR 5203 - Université Montpellier 1
, directeur de l’équipe Physiopathologie de la cellule ß pancréatique de l’Institut de génomique fonctionnelle, à Montpellier. L’autre piste est de potentialiser l’effet du glucose. C’est là qu’intervient le GLP-1, pour glucagon like peptide-1. Cette hormone, une incrétine, stimule en conditions normales la sécrétion d’insuline, inhibe celle du glucagon - l’hormone libérée par les cellules a du pancréas, à l’action inverse de celle de l’insuline -, ralentit l’évacuation du contenu de l’estomac et induit une sensation de satiété. Sa spécificité ? Elle est produite par les cellules L de l’intestin, situées dans l’iléon, et est rapidement dégradée par une enzyme, la dipeptidylpeptidase-4, (DPP-4). Le GLP-1 potentialise la sécrétion d’insuline en réponse au glucose. Les firmes pharmacologiques ont adopté deux stratégies : soit le développement d’analogues stables non dégradés du GLP-1, soit celui d’inhibiteurs de la DPP-4.
« La metformine reste la base du traitement médicamenteux du diabète de type 2 : avec les sulfonylurées, ce sont les médicaments les plus prescrits, explique le diabétologue parisien, Étienne Larger. Cependant les nouvelles classes médicamenteuses permettent de nouvelles combinaisons thérapeutiques et aident à la personnalisation des prescriptions, avec prise en compte des coûts et risques (prise de poids, hypoglycémie...). »
Avant de développer un diabète de type 2, le malade passe par plusieurs stades.
Avant de développer un diabète de type 2, le malade passe par plusieurs stades.
© Frédérique Koulikoff/Inserm

Décrypter les mécanismes

Dans la même logique que Raphaël Scharfmann, Stéphane Dalle et son équipe tentent de dresser le portrait d’une cellule ß pancréatique saine. « Une étape primordiale afin de développer des outils thérapeutiques qui viseraient à préserver ou restaurer la masse fonctionnelle des cellules ß pancréatiques, insiste-t-il. On ignore encore exactement les mécanismes qui conduisent à l’altération de la sécrétion d’insuline dans les stades précoces du diabète. Il nous faut donc approfondir nos connaissances sur les processus moléculaires et cellulaires qui contrôlent la fonction et la survie de ces cellules. »
Stéphane Dalle travaille sur des stratégies anti-inflammatoires. En effet, dans le cas du diabète de type 2, les adipocytes, cellules de stockage de la graisse, hypertrophiés à cause de l’excès de graisse, libéreraient des cytokines pro-inflammatoires, qui agissent sur les cellules ß. Ces dernières produiraient d'ailleurs elles-mêmes l'interleukine-1 b . Ces molécules ont un effet immédiat sur le système immunitaire : attirer des macrophages qui vont s’en prendre, à tort, aux cellules b , et les détruire. L'idée du chercheur ? Cibler une enzyme-kinase qui serait le point de convergence des différentes cytokines pro-inflammatoires pour l'inhiber. Son équipe aurait d’ailleurs mis la main sur un inhibiteur pharmacologique et envisage la création d’une start-up pour la développer et la commercialiser.
Un autre type de médicaments permet d’améliorer la sensibilité à l’insuline dans les tissus périphériques, il s’agit des thiazolidinediones (TZD). Ils activent ainsi spécifiquement un récepteur présent dans nos cellules : le PPARg. Comme tous les récepteurs nucléaires, celui-ci transmet des signaux permettant de moduler l’expression de gènes cibles. Ceux dont PPARg régulent l’expression sont impliqués dans le métabolisme des sucres et des graisses. Bart Staels et son équipe lilloise, décryptent, entre autres, les mécanismes moléculaires exacts de cette voie d’activation. Des recherches d’autant plus utiles que les TZD ont été suspendus du marché français par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). En cause, les risques cardiovasculaires que comporterait l’utilisation de la rosiglitazone et les effets éventuels sur le cancer de la vessie de l’autre type de TZD, la pioglitazone. Découpler les effets positifs de l’activation de PPARg de ses effets négatifs est donc un enjeu de taille. Avec son équipe, il a aussi mis en évidence le rôle d’un autre type de récepteur nucléaire : PPARß/d. Il a montré que son activation potentialise l’effet de la GLP-1, cette hormone sécrétée par les cellules L de l’intestin. Trouver des ligandsLigand
Molécule capable de reconnaître un récepteur et de l’activer en s’y fixant
capables de les activer sélectivement serait ainsi une nouvelle piste thérapeutique.

Une thérapie radicale

Cette GLP-1 qui revient régulièrement dans les stratégies innovantes serait justement à l’œuvre dans une autre thérapie du diabète : la chirurgie métabolique. L’idée ? Modifier l’anatomie digestive. Initialement, ces techniques avaient pour but de réduire l’apport alimentaire pour faire perdre du poids à des patients obèses. L’une d’elles, connue sous le nom de by-pass, consiste à court-circuiter l’estomac. Rapidement, les médecins se sont aperçus que, chez les patients obèses diabétiques, cette technique semblait offrir une rémission du diabète ! «  Et ce, avant même qu’il y ait perte de poids ! », souligne François Pattou. L’une des hypothèses pour expliquer cet effet tient au fait que, dans le cas du by-pass, les aliments arrivent directement dans l’intestin, où ils viennent stimuler la production des incrétines de façon différente que lors de l’absorption normale. Une autre explication fait intervenir le microbiote, l’ensemble des bactéries qui colonisent notre tube digestif : en modifiant le circuit du tube digestif, on modifie également les interactions. Aujourd’hui, un vaste essai clinique est en cours pour comparer l’effet du traitement chirurgical et celui des traitements par médicaments. Car si la diminution de la glycémie est réelle, l’acte chirurgical n’en demeure pas moins risqué.
Ainsi, de nombreuses pistes d’action pour contrer les diabètes sont étudiées par des chercheurs de multiples disciplines. Certaines semblent prometteuses, mais seront-elles suffisantes pour enrayer le fléau ? Réponse dans une dizaine d’années ?

Julie Coquart

U859 Thérapie cellulaire du diabète - 1
U859 Thérapie cellulaire du diabète. Dans la plate-forme de biothérapies de l’unité lilloise dirigée par François Pattou et Julie Kerr-Conte, les îlots de Langerhans sont isolés à partir des pancréas, puis analysés d’un point du vue génétique et histologique (image 1).
© Patrice Latron/Inserm
U859 Thérapie cellulaire du diabète - 2
U859 Thérapie cellulaire du diabète. Dans la plate-forme de biothérapies de l’unité lilloise dirigée par François Pattou et Julie Kerr-Conte, les îlots de Langerhans sont isolés à partir des pancréas, puis analysés d’un point du vue génétique et histologique (image 2).
© Patrice Latron/Inserm
U859 Thérapie cellulaire du diabète  - 3
U859 Thérapie cellulaire du diabète. Dans la plate-forme de biothérapies de l’unité lilloise dirigée par François Pattou et Julie Kerr-Conte, les îlots de Langerhans sont isolés à partir des pancréas, puis analysés d’un point du vue génétique et histologique (image 3).
© Patrice Latron/Inserm