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Med Sci (Paris). 2010 January; 26(1): 22–25.
Published online 2010 January 15. doi: 10.1051/medsci/201026122.

Émergence des cancers basocellulaires
Influence déterminante des fibroblastes du derme ?

Alexandre Valin,1,2 Marie-Françoise Avril,3 and Thierry Magnaldo2*

1FRE 2939 CNRS Génomes et cancers, Institut Gustave Roussy, 39, rue Camille Desmoulins, 94805, Villejuif Cedex 05, France
2FRE 3086 CNRS, Instabilités génétiques, maladies rares et cancer, faculté de médecine, 28, avenue de Valombrose, 06102 Nice Cedex, France
3AP-HP, Hôpital Cochin, Université Paris 5, 75006 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Naevomatose basocellulaire, génétique, anatomopathologie, Différenciation cellulaire, Chimiokine CXCL12, physiologie, Derme, Facteur de croissance fibroblastique de type 7, Fibroblastes, enzymologie, Instabilité du génome, Protéines Hedgehog, Humains

 

Les processus biologiques essentiels comme le développement embryonnaire, le maintien et la réparation tissulaires, reposent sur un contrôle extrêmement précis des interactions entre les cellules épithéliales et leur environnement complexe composé des cellules endothéliales, des cellules effectrices de l’immunité, des macromolécules de la matrice extracellulaire (MEC) et des fibroblastes assurant la synthèse de cette MEC. La transformation maligne de la cellule épithéliale s’accompagne d’altérations dans la nature de ces interactions, qui favorisent la croissance et le caractère métastatique de la tumeur en modifiant ce microenvironnement [ 1].

Le carcinome basocellulaire (CBC) est un cancer de la peau ; il représente environ 80 % des cancers cutanés et est la tumeur humaine la plus fréquente. Dans la population générale, la survenue d’un CBC est très généralement limitée aux zones de la peau exposées au rayonnement solaire. Ce dernier contient des ultraviolets (UV) responsables de lésions de l’ADN dont la réplication accidentelle peut provoquer des mutations à l’origine de cancers [ 2]. Les kératinocytes de l’épiderme (compartiment superficiel de la peau) sont à l’origine des CBC ; avec les mélanocytes, les kératinocytes sont les cellules de l’organisme les plus exposées aux UV [ 14]. Les cellules de la partie sous-jacente de la peau (derme), notamment les fibroblastes, ne sont qu’exceptionnellement à l’origine de cancers induits par les UV [ 3]. En revanche, les fibroblastes jouent un rôle important dans le vieillissement cutané ainsi que dans la croissance des cellules tumorales et leur caractère envahissant.

Le syndrome de Gorlin

Le syndrome de Gorlin, ou nævomatose basocellulaire, est une pathologie génétique rare (environ 1/60 000 naissances) associée à une forte prédisposition au CBC et, chez environ 5 % des patients, au développement d’un médulloblastome. La maladie est transmise sur le mode autosomique et dominant. Elle peut être associée à des anomalies variables du développement (par exemple : côtes bifides ou surnuméraires, polysyndactylies). La survenue du premier CBC peut être observée dès l’adolescence chez le patient atteint de ce syndrome alors qu’elle apparaît en moyenne entre 60 et 65 ans dans la population générale. Ainsi, certains patients atteints de syndrome de Gorlin ont-ils, à 40 ans, souffert de plus d’une centaine de tumeurs. Le CBC n’est généralement pas une tumeur métastatique, mais sa multiplicité chez ces patients et parfois son agressivité locale posent des problèmes sérieux de prise en charge [ 4]. De façon très surprenante, environ 40 % des CBC développés par ces patients sont observés dans les zones cutanées couvertes [ 5], c’est-à-dire très peu ou pas exposées aux UV. Contrairement aux CBC sporadiques, le rayonnement UV ne constitue donc pas le facteur étiologique essentiel du CBC chez les patients porteurs d’un syndrome de Gorlin.

Bases moléculaires du syndrome de Gorlin : mutations du gène PATCHED

Les bases moléculaires du syndrome de Gorlin sont connues depuis 1996 avec l’identification de mutations germinales dans le gène PATCHED associées à la maladie [ 6, 7]. PATCHED code pour le récepteur de la protéine diffusible morphogène Sonic Hedgehog (SHH), orthologue humain de Hedgehog (Hh) identifiée chez la drosophile, et qui est essentielle à la polarisation des segments au cours du développement embryonnaire. En l’absence de son ligand, PATCHED réprime l’activation de la voie de signalisation en inhibant une protéine transmembranaire appelée SMOOTHENED (SMO). Dans les cellules cibles, la fixation de SHH à son récepteur libère l’activation de la voie dépendante de SMO et conduit à la transcription de gènes dont les produits sont impliqués dans le contrôle de l’équilibre entre différenciation et prolifération (notamment le facteur de transcription GLI1 et PATCHED) (Figure 1). Les nombreux mutants de drosophile et les pathologies humaines rares dus à la perte d’intégrité de la voie SHH soulignent son implication essentielle dans le contrôle des interactions tissulaires. Avec le syndrome de Gorlin, l’holoprosencéphalie1, (mutations dans SHH), les syndromes de Greig et de Pallister-Hall2 (mutations du facteur de transcription GLI3), constituent une famille de maladies génétiques du développement appelées « hedgehogopathies ».

PATCHED est un gène suppresseur de tumeurs

Dans les CBC de patients atteints de syndrome de Gorlin, la mutation germinale de PATCHED (présente dans toutes les cellules de l’organisme) est généralement associée à la perte du second allèle (perte d’hétérozygotie) par délétion d’une portion de la région chromosomique 9q.22 résultant en un génotype nullizygote (PATCHED −/−). Dans les CBC sporadiques, une « première » mutation somatique de PATCHED liée aux UV (généralement une mutation changeant un C pour un T) est aussi très généralement accompagnée de la perte du second allèle. Tous les CBC, sporadiques ou secondaires à un syndrome de Gorlin, montrent que la voie est anormalement activée puisque ses transcrits cibles GLI1 et PATCHED s’accumulent en grande quantité dans la tumeur [ 8]. Le contrôle harmonieux de la transduction du signal SHH est donc absolument essentiel à la protection des kératinocytes épidermiques contre le développement en CBC [ 15].

L’hypothèse du rôle déterminant des fibroblastes du stroma dans le développement des CBC

Compte tenu du rôle essentiel de l’exposition UV dans le développement du CBC sporadique, comment expliquer le développement de CBC dans des zones cutanées qui ne sont pas exposées aux rayons UV chez les patients atteints de syndrome de Gorlin ? Nous avons tenu compte de plusieurs éléments tirés des études du CBC sporadique : (1) le CBC est très rarement métastatique et l’invasion est locale ; (2) ex vivo, contrairement aux cellules de carcinomes spinocellulaires (SCC ; une tumeur épidermique également d’origine kératinocytaire mais susceptible de métastaser), les cellules de CBC ne se cultivent pas ; (3) dès 1961, des expériences de transplantation de CBC in vivo révélaient le rôle essentiel du stroma péritumoral, essentiellement constitué de fibroblastes, pour la survie et la croissance des cellules épithéliales de la tumeur [ 9]. L’ensemble de ces observations suggérait que le CBC est une tumeur peu plastique et très dépendante de son environnement stromal.

Nous avons donc exploré l’hypothèse selon laquelle les fibroblastes, population cellulaire majoritaire du stroma, pourraient jouer un rôle déterminant dans le développement des CBC, en particulier en territoire cutané non photo-exposé. Grâce à des techniques de génie tissulaire, nous avons réalisé des cultures organotypiques de « derme Gorlin » - ces conditions de culture ont pour but de reproduire l’architecture tridimensionnelle du derme - à partir desquelles nous avons analysé l’expression du génome des fibroblastes sains (provenant de zones cutanées non photo-exposées) chez six patients différents ayant un syndrome de Gorlin. Nous avons comparé le « transcriptome Gorlin » au transcriptome de trois souches de fibroblastes primaires témoins obtenues à partir de sujets sains et cultivées dans les mêmes conditions. Les analyses ont révélé un répertoire de 18 gènes dont les produits peuvent être impliqués dans le remaniement de la matrice extracellulaire, la régulation de la prolifération et de la différenciation kératinocytaires ou encore l’angiogenèse. De façon très surprenante, le répertoire des gènes exprimés de façon différentielle entre fibroblastes Gorlin et fibroblastes normaux (contrôles) est très similaire à celui des fibroblastes associés aux carcinomes sporadiques (carcinoma associated fibroblasts, CAF), déterminé après microdissection des tumeurs in vivo [ 10]. Ainsi, les ARN messagers des métalloprotéases matricielles MMP1 (collagénase I), et MMP3 (stromélysine) s’accumulent fortement (x 8,4 et x 26,8 respectivement) dans les fibroblastes de patients Gorlin par rapport aux fibroblastes contrôles. L’augmentation de la quantité des protéines correspondantes a été vérifiée. La surexpression de ces MMP, associée à la diminution de certains composants de la jonction dermo-épidermique (collagène 7A1, laminine A2) pourrait faciliter l’invasion du derme par des kératinocytes en dégradant la matrice extracellulaire et en fragilisant la membrane basale. Nos résultats ont aussi indiqué que les fibroblastes de patients Gorlin surexpriment les gènes CXCL12 (chemokine C-X-C motif, ligand 12) aussi nommé stromal derived factor (SDF1), FGF7 (keratinocyte growth factor) et ténascine C (TNC). De façon intéressante, la ténascine C est un substrat des MMP1 et 3. La ténascine C contient des motifs de type epidermal growth factor (EGF) libérés après clivage par ces MMP, et qui activent les récepteurs à l’EGF. Les produits de ces gènes sont connus pour stimuler la prolifération des kératinocytes, ce qui pourrait, dans un contexte matriciel favorable, contribuer à l’envahissement kératinocytaire du derme. Finalement, dans la mesure où prolifération et différenciation sont des processus mutuellement exclusifs dans les kératinocytes épidermiques, la surexpression de GREMLIN 1, un inhibiteur de la voie des bone morphogenic proteins (BMP, qui ont une activité qui favorise la différenciation), favorise probablement aussi le caractère « peu différencié/fortement prolifératif » des cellules tumorales du CBC. Dans leur ensemble, ces résultats indiquent qu’en l’absence de stress exogène la mutation d’un allèle de PATCHED dans les fibroblastes de patients suffit à leur conférer un phénotype péjoratif, très probablement impliqué dans la prolifération des kératinocytes épidermiques et l’invasion du derme [ 11]. Parallèlement, les données récentes obtenues par l’équipe de Frédéric de Sauvage ont montré que dans un grand nombre de tumeurs épithéliales l’activation de la voie SHH/PATCHED prend place dans le stroma en réponse aux cellules tumorales, ce qui pourrait promouvoir leurs capacités invasives [ 12]. Ces données confirment l’importance du rôle que pourraient jouer les fibroblastes de patients Gorlin dans le développement des CBC. D’une façon générale, le stroma apparaît donc aujourd’hui comme une nouvelle cible de traitements antitumoraux. La découverte d’une signature péjorative dans les fibroblastes de patients Gorlin, exprimée spontanément et sans stress génotoxique évident, suggère que la contribution du stroma est particulièrement importante dans ce syndrome. De plus, d’autres travaux du laboratoire ont révélé les capacités invasives des kératinocytes de patients Gorlin dans les cultures de peau organotypiques ex vivo comportant un épiderme Gorlin et un derme composé de fibroblastes témoins [ 13]. Tous ces résultats suscitent de nouvelles interrogations. Chez les patients atteints de CBC dans le contexte d’un syndrome de Gorlin, l’association des altérations des fibroblastes décrites ici à celles des kératinocytes est-elle suffisante pour générer une instabilité génétique puis un CBC en l’absence d’exposition aux UV (Figure 2) ? Sur le plan thérapeutique, l’importance du derme est-elle suffisamment grande pour qu’une pharmacologie capable de normaliser le transcriptome des fibroblastes suffise à limiter le développement des CBC chez ces patients ?

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Les auteurs remercient chaleureusement Mme Chevallier-Lagente, les docteurs Philippe Dessen, Vladimir Lazar, Stéphanie Barnay-Verdier, Thomas Robert, Hugue Ripoche, Florence Brellier, et l’Institut Gustave Roussy pour leur contribution et leur soutien.

La recherche a été soutenue par l’Institut national du cancer (INCa), l’Association pour la recherche sur le cancer, la Fondation de l’Avenir, la Société française de dermatologie, à qui nous adressons également nos plus sincères remerciements.

 
Footnotes
1 L’holoprosencéphalie (HPE) est une malformation cérébrale complexe résultant d’une division incomplète du prosencéphale, survenant entre le 18e et le 28e jour de vie embryonnaire et affectant à la fois le cerveau et la face. Les enfants ayant une HPE présentent de nombreux problèmes médicaux : retard de développement et difficultés d’alimentation, épilepsie, instabilité de la température, du rythme cardiaque et de la respiration, troubles endocriniens. Le traitement est symptomatique et palliatif. (source : orphanet)
2 Le syndrome de Greig (transmission autosomique dominante) associe un hypertélorisme, une macrocéphalie avec bosses frontales proéminentes et une polysyndactylie. D’autres signes moins fréquents de la maladie incluent des anomalies du système nerveux central (SNC), des hernies et des troubles cognitifs. Le syndrome de Pallister-Hall, décrit en 1980, associe principalement une polydactylie centrale ou post-axiale, des syndactylies et un hamartome hypothalamique. Des malformations viscérales sont fréquentes (source : orphanet)
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