Toutefois, les découvertes de chercheurs comme Janeway et al. ont contribué à attirer l’attention sur un autre facteur : les agents pathogènes de la flore intestinale [
4]. Le système immunitaire les détecte grâce à un petit nombre de récepteurs appelés « récepteurs de reconnaissance de motifs » (pattern recognition receptors ; PRR) [4,
5]. Il déclenche alors une réponse immunitaire innée afin de prévenir les infections. Au cours de la dernière décennie, la découverte des PRR a permis d’accélérer les recherches et de mieux comprendre l’étiologie des maladies inflammatoires du tube digestif.
Tout d’abord, les PRR du système immunitaire inné reconnaissent des « motifs moléculaires associés aux pathogènes » (pathogen-associated molecular patterns ; PAMP) sur les bactéries [4, 5]. Ces PAMP sont des molécules, parties de molécules ou polymères spécifiques de microorganismes, très conservés et facilement reconnaissables biochimiquement. Ils proviennent souvent des molécules de surface, par exemple des parties de l’enveloppe cellulaire bactérienne (comme les lipopolysaccharides [LPS] et les peptidoglycanes [PGN]) ou la flagelline, ou encore des acides nucléiques microbiens (comme les ARN viraux et les ADN bactériens) [5] (→).
(→) Voir la Nouvelle de F. Angelot
et al., page 31 de ce numéro
Récemment, plusieurs études génétiques ont démontré que des gènes codant pour des PRR peuvent augmenter la susceptibilité à la maladie de Crohn, quoique aucun d’eux ne soit ni nécessaire ni suffisant pour provoquer son apparition [
6]. Deux études indépendantes publiées en 2001 ont permis d’identifier un PRR comme premier gène de susceptibilité à la maladie de Crohn, NOD2 [
7,
8]. NOD2 (nucleotide-binding oligomerization domain containing 2) est essentiel à la fois pour la reconnaissance intracellulaire des bactéries pathogènes grâce à sa capacité d’identifier le dipeptide muramyl (MDP), ainsi que pour l’initiation de la réponse immunitaire innée [6]. Nous avons récemment identifié par une étude de gène candidat un nouveau facteur de susceptibilité de la maladie de Crohn : NALP3 (nacht domain-, leucine-rich repeat-, and pyrin domain-containing protein 3) ou cryopyrine. Cette protéine, codée par le gène NLRP3, appartient à la même famille des récepteurs de type NOD que NOD2 [
9,
11]. Elle est également un PRR important dans la reconnaissance intracellulaire bactérienne et, notamment, dans celle du MDP [9]. De plus, NALP3 contrôle la formation de l’« inflammasome », une plate-forme moléculaire participant à l’activation de la caspase-1 et à la transformation de pro-IL-1β en IL-1β [9]. Cette dernière et la caspase-1 sont deux molécules clés de l’inflammation. Il a été également démontré que les variations génétiques dans les régions de NOD2 et NLRP3 associées à la maladie de Crohn entraînent une diminution de fonction de NOD2 et d’expression de NALP3 [6, 9].
Il semble donc que la maladie de Crohn dépende, au moins en partie, d’une réponse immunitaire insuffisante contre des bactéries pathogènes intestinales mal identifiées par des PRR déficients, plutôt que d’une réponse excessive contre la muqueuse intestinale. Cette déficience de l’immunité innée pourrait résulter en un déficit de production de médiateurs inflammatoires ainsi qu’en un recrutement insuffisant de cellules immunitaires effectrices. Dès lors, la muqueuse serait incapable de résister à une infiltration bactérienne massive. La destruction tissulaire et l’inflammation augmenteraient alors la perméabilité de la barrière intestinale à tous les antigènes bactériens et alimentaires provenant du tube digestif. Cela entraînerait une activation du système immunitaire et une inflammation chronique permanentes. Ainsi, une destruction tissulaire mal réparée pourrait provoquer un remodelage tissulaire cicatriciel participant à l’expression clinique de la maladie de Crohn [2].
Une récente méta-analyse estime que les études d’association génétiques publiées et répliquées expliquent à peine plus de 20 % de la variance génétique observée chez les patients atteints de la maladie de Crohn [
10]. Ces études génétiques nous indiquent que l’apparition de la maladie de Crohn dépend en partie d’une déficience immunitaire contre des bactéries intestinales [6–10]. Une meilleure connaissance des PRR et autres récepteurs de l’environnement bactérien permettra d’élaborer de nouvelles stratégies préventives et thérapeutiques contre la maladie de Crohn.