Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2010 January; 26(1): 95–97.
Published online 2010 January 15. doi: 10.1051/medsci/201026195.

Femmes influentes sous influence ?
Genre, milieu social et usages de substances psychoactives

Francois Beck,1,2* Stephane Legleye,3 Florence Maillochon,5 and Gael de Peretti4

1INPES/CERMES 3 - Équipe CESAMES, Centre de recherche Médecine, Sciences, Santé mentale et Société, Université Paris Descartes, EHESS, CNRS UMR 8211, Inserm U988
2INPES, 42, boulevard de la Libération, 93203 Saint-Denis, France
3Insee, Paris, France
4OFDT, Inserm, U669, Paris, F-75014, France
5CNRS UMR 8097, Centre Maurice Halbwachs, Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adolescent, Adulte, Niveau d'instruction, Femelle, France, épidémiologie, Santé mondiale, Humains, Relations interpersonnelles, Mâle, Abus de marijuana, Consommation de marijuana

 

L’usage de substances psychoactives est un comportement très masculin, à l’exception de la consommation de médicaments psychotropes. Les écarts entre les hommes et les femmes sont importants pour la consommation régulière d’alcool et de cannabis et plus réduits pour la consommation de tabac. Une analyse secondaire du Baromètre santé, enquête représentative de la population générale, menée auprès de 30 514 personnes, et réalisée en 2005 [ 1], a permis de montrer que les spécificités masculine et féminine devaient toutefois être modulées selon l’âge, le niveau d’instruction, le statut d’emploi et la catégorie socioprofessionnelle [ 2]. L’importante variabilité sociale des consommations de substances psychoactives invite en effet à faire du genre une question importante dans la compréhension de ces pratiques comme dans la conception des actions de prévention et de gestion des addictions.

Le Tableau I montre que les comportements varient nettement suivant le sexe mais aussi suivant les situations socioprofessionnelles et éducatives selon qu’on est homme ou femme. Toutefois, ces écarts parfois importants ne tiennent pas compte de l’âge qui est un des déterminants majeurs des usages étudiés. Aussi cette description doit-elle être complétée par une analyse qui propose des comparaisons entre situations en neutralisant cet effet de l’âge [2].

La consommation régulière d’alcool est associée au fait d’être actif pour les 18-25 ans et au chômage pour les plus de 25 ans. Mais le statut d’emploi semble avoir une plus grande incidence sur la manière de boire des hommes que sur celle des femmes. Après 25 ans, le chômage est, pour les hommes plus que pour les femmes, une situation qui entraîne une consommation plus régulière - pouvant aller plus souvent jusqu’à l’ivresse. L’élévation du niveau de diplôme et de la catégorie sociale rapproche la consommation régulière d’alcool des hommes et des femmes, se traduisant globalement par une diminution de la consommation régulière d’alcool pour les hommes et par une augmentation pour les femmes. L’ivresse, en revanche, est socialement partagée, mais diffère chez les hommes et les femmes, sauf dans les milieux favorisés : elle est ainsi plus fréquente chez les femmes titulaires d’un diplôme supérieur au baccalauréat que chez les autres femmes, sans que l’on observe de relation similaire parmi les hommes.

Le tabagisme quotidien est plus fréquent dans les milieux populaires ou défavorisés. Il est plus courant parmi les ouvriers que dans les autres catégories d’emploi. Toutefois, la catégorie sociale module différemment la consommation de tabac des hommes et des femmes : si les hommes de toutes les catégories sociales déclarent des consommations inférieures à celles des ouvriers, les artisanes, commerçantes et chefs d’entreprise consomment autant que les ouvrières. Au total, la consommation de tabac des catégories sociales les plus favorisées est donc à la fois faible et unisexe alors que celle des catégories sociales les moins favorisées est plus forte et plus masculine. Les écarts entre hommes et femmes plus faibles chez les jeunes sont confirmés par les données recueillies auprès d’adolescents : à 17 ans, 33,6 % des garçons fument quotidiennement, contre 32,3 % des filles [2].

Si l’écart de prévalence du tabagisme entre hommes et femmes se réduit, certaines formes d’usage restent distinctes, les fumeuses plus que les fumeurs se servent de leur tabagisme pour faire face au stress, à l’anxiété ou à une humeur dépressive [ 4]. Par ailleurs, parmi les facteurs responsables de la difficulté du sevrage tabagique, la prise de poids et l’apparition de troubles anxieux ou dépressifs s’avèrent deux fois plus fréquents parmi les femmes [ 5].

La consommation de cannabis est présente dans toutes les catégories sociales, même si l’élévation du niveau d’instruction scolaire va de pair avec un usage récent du cannabis plus fréquent. Toutefois, alors que ce phénomène est sensible dès la possession du baccalauréat parmi les femmes, il ne l’est qu’au niveau des études supérieures parmi les hommes, et reste d’ampleur plus modérée. Par ailleurs, l’élévation du niveau de diplôme va de pair avec une raréfaction des usagers réguliers parmi les hommes, alors que ce n’est pas le cas parmi les femmes. Le niveau d’instruction et surtout de la catégorie d’emploi contribue à rapprocher les comportements d’usage de cannabis des hommes et des femmes.

La consommation de médicaments psychotropes, qui constituent une catégorie à part compte tenu de leur usage majoritairement médicalisé, est surtout féminine. Elle varie avec le niveau d’instruction scolaire, le statut et la catégorie d’emploi. Le niveau d’étude modifie faiblement à la baisse la prise de psychotropes, le chômage l’augmente nettement. La catégorie des agriculteurs est de loin la moins consommatrice. Le chômage ou l’inactivité professionnelle (au-delà de 25 ans) augmente fortement la probabilité qu’ont les hommes de consommer des médicaments et moins celle des femmes.

La surconsommation féminine de médicaments psychotropes n’est pas une spécificité française [ 6]. Des études suggèrent qu’elle est fortement induite par une approche sexuée des problèmes de santé. Entre hommes et femmes, les troubles et les diagnostics diffèrent en effet fortement [ 7]. Des représentations sexuellement différenciées peuvent aussi expliquer cet écart : les médecins ont plus volontiers tendance à diagnostiquer chez les femmes une origine psychologique à certains désordres physiques, de même que les femmes investissent plus aisément le rôle de patient là où les hommes tenteraient volontiers de nier une souffrance psychologique ou de la gérer différemment, souvent en ayant recours à d’autres substances [ 8].

Explorer les recours aux différentes substances psychoactives suivant les situations sociales permet de nuancer le caractère masculin ou féminin de ces usages. Si les hommes semblent en consommer plus que les femmes, cette tendance peut varier suivant l’âge, le niveau d’éducation et le milieu social. Les modes de consommation apparaissent moins liés au sexe des individus qu’à leurs rôles sociaux. En effet, les rapports entre genre et vie professionnelle sont inégaux, comme le montrent par exemple les modifications de carrières lors des naissances des enfants, les femmes cherchant surtout à diminuer leur temps de travail et les hommes à en modifier les horaires [ 9].

L’élévation du milieu socioculturel s’accompagne pour les femmes d’un rapport plus étroit aux produits qui pourrait être une conséquence de leur émancipation. En effet, pour les femmes de milieux favorisés, un alignement de leur comportement sur celui des hommes signifie une augmentation de leur consommation : c’est le cas en particulier pour l’alcool [ 10], mais aussi pour le cannabis. Des données internationales suggèrent que ces observations ne sont pas propres à la France [ 11, 12]. Les différences de comportements entre hommes et femmes sont moins marquées dans les milieux favorisés que dans les milieux populaires, suggérant que la prévention, si elle a à gagner de la prise en compte du genre, ne peut se passer d’accorder une place centrale aux contextes sociaux de consommation.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Beck F, Guilbert P. Baromètres santé : un éclairage sur leur méthode et leur évolution. In Beck F, Guilbert P, Gautier A, eds. Baromètre santé 2005 : attitudes et comportements de santé. Saint-Denis : INPES, 2007 : 27–43.
2.
Beck F, Legleye S, Maillochon F, de Peretti G. Le rôle du milieu social dans les usages de substances psychoactives des hommes et des femmes. In : France portrait social, regards sur la parité. Paris : Insee, 2008 : 65–82.
3.
Beck F, Legleye S, Spilka S. Les drogues à 17 ans, évolutions, contextes d’usage et prises de risque. Tendances 2006 ; 49 : 1–4.
4.
Waldron I. Patterns and causes of gender differences in smoking. Social Science and Medicine 1991; 32 : 989–1005.
5.
Lagrue, G. Pourquoi l’arrêt du tabac est-il plus difficile chez la femme ? Le courrier des addictions 2004 : 6 : 51.
6.
Graham K, Vidal-Zeballos D. Analyses of use of tranquillizers and sleeping pills across five surveys of the same population (1985-1991) : The relationship with gender, age and use of other substances. Social Science and Medicine 1998; 46 : 381–95.
7.
Lovell A. État sur la surveillance dans le champ de la santé mentale, rapport final. Paris : Institut de veille sanitaire, 2004.
8.
Le Moigne P. « Anxiolytiques, hypnotiques : les facteurs sociaux de la consommation », Documents du groupement de recherche Psychotropes, politique et société, n° 1, 1999.
9.
Labie D. Famille et vie professionnelle : ce sont les femmes qui écopent. Med Sci (Paris) 2006; 22 : 1107–8.
10.
Beck F, De Peretti G, Legleye S. L’alcool donne-t-il un genre ? Travail, genre et sociétés 2006; 15 : 141–60.
11.
Bloomfield K, Allamani A, Beck F, et al. Gender, culture and alcohol problems. A multi-national study. Berlin : Charité Universitätsmedizin, Institute for Medical Informatics, Biometrics and Epidemiology, 2005.
12.
Roche AM, Deehan A. Women’s alcohol consumption : Emerging patterns, problems and public health implications. Drug and Alcohol Review 2002; 21 : 169–78.