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Med Sci (Paris). 2010 February; 26(2): 125–127.
Published online 2010 February 15. doi: 10.1051/medsci/2010262125.

Les polydnavirus : des virus qui pratiquent le transfert de gènes depuis 100 millions d’années

Catherine Dupuy,* Georges Periquet,* Annie Bézier,* and Jean-Michel Drezen*

Institut de recherche sur la biologie de l’insecte, UMR CNRS 6035, Université François Rabelais, Parc Grandmont, 37200 Tours, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Réplication de l'ADN, ADN circulaire, génétique, ADN viral, Évolution moléculaire, Interactions hôte-parasite, Larve, parasitologie, virologie, Étapes du cycle de vie, Papillons de nuit, Ovule

Les polydnavirus : des virus utilisés par des guêpes pour réussir leur parasitisme

Les virus sont définis comme des parasites intracellulaires obligatoires qui ont besoin d’une cellule hôte pour se multiplier. Mais dans le monde très divers des virus, il existe un cas très particulier, celui des polydnavirus (PDV) qui sont des symbiontes obligatoires de guêpes parasites. Les PDV sont des virus atypiques en raison de la singularité de leur cycle biologique et de la relation privilégiée qu’ils ont établie avec leurs hôtes : des guêpes parasitoïdes appartenant aux familles des ichneumonides et des braconides. Ces guêpes parasitoïdes pondent leurs œufs à l’intérieur d’un autre insecte hôte, la chenille d’un lépidoptère [ 1]. Après éclosion, les larves du parasitoïde se développent à l’intérieur de la chenille, puis juste avant leur métamorphose, sortent de la chenille et tissent des cocons dont émergeront les adultes (Figure 1). Le corps de l’hôte, bien que constituant l’apport nutritif exclusif du parasitoïde, est un environnement hostile. En effet, les insectes possèdent un système immunitaire dont l’une des fonctions consiste à former une gangue de cellules immunitaires autour d’un corps étranger, par exemple un œuf de parasitoïde non adapté à l’hôte, conduisant à sa destruction : c’est la réaction d’encapsulement [ 2]. Afin de contourner cette réponse immunitaire, certains parasitoïdes ont adopté la stratégie originale d’utiliser un virus - de type poly dnavirus - leur procurant l’aide nécessaire pour assurer le développement des larves parasites.

Une association mutualiste entre un virus et un eucaryote

Le cycle de ces virus est complètement atypique car il se déroule dans deux hôtes différents. Dans la guêpe parasitoïde, le génome viral est intégré au génome de la guêpe sous la forme d’un provirus (Figure 1). La réplication de l’ADN viral s’effectue uniquement chez les femelles parasitoïdes, à partir de la forme provirale intégrée, pour former plusieurs cercles d’ADN double brin qui sont inclus dans les particules virales en formation. Ces particules sont injectées dans la chenille hôte au moment de la ponte, puis les gènes contenus dans l’ADN des particules sont exprimés, entraînant l’inactivation des mécanismes de défense de l’hôte et la perturbation de son développement : la chenille parasitée n’effectue pas sa métamorphose et ne devient jamais un papillon. Les virus ne se répliquant pas dans la chenille parasitée, ils sont transmis verticalement à partir de la forme provirale intégrée. Cette relation entre la guêpe et le virus est l’un des rares exemples d’association mutualiste entre un virus et un eucaryote, outre celles décrites pour certains rétrovirus endogènes impliqués dans la formation des lacunes du placenta chez les primates [ 3].

Au sein de la famille des Polydnaviridae, deux genres ont été définis : les ichnovirus associés aux guêpes de la famille des Ichneumonidae, et les bracovirus présents chez les Braconidae. Les associations entre les guêpes braconides et leurs bracovirus ont été les plus étudiées. Plus de 17 500 espèces de guêpes braconides sont associées à un bracovirus. Elles sont classées en 6 sous-familles qui forment un groupe monophylétique appelé complexe microgastroïde dont l’ancêtre vivait il y a environ 100 millions d’années (Figure 2A). Cette monophylie suggère que les bracovirus actuels sont issus d’un virus ancêtre dont l’ADN s’est intégré dans le génome de la guêpe ancêtre [ 4]. Cet unique évènement d’intégration serait à l’origine de toutes les associations guêpes-bracovirus que nous connaissons actuellement.

Le génome des particules injectées ne possède pas de signature virale

Afin de comprendre l’origine et l’évolution des associations impliquant les guêpes braconides et leurs bracovirus, nous avons réalisé le séquençage et l’annotation du bracovirus CcBV hébergé par la guêpe Cotesia congregata.

Le génome contenu dans les particules virales injectées chez la chenille hôte possède une taille totale de 606 300 pb. C’est un génome composé de 32 cercles d’ADN double brin. Le génome de CcBV possède une faible densité de gènes (24 % de séquences codantes) dont la majorité possède un intron (69 %). Parmi les 165 gènes, près de la moitié ne présente aucune similitude avec des gènes préalablement décrits. L’autre moitié est constituée de gènes organisés en familles multigéniques codant pour des protéines qui ressemblent à des facteurs de virulence utilisés par des bactéries pathogènes ou des nématodes parasites pour réussir leur infection [ 5]. Cependant, de façon inattendue, ce génome est quasiment dépourvu de gènes homologues à des gènes viraux pouvant intervenir dans la réplication, ou coder pour les protéines de structure. Depuis ce premier travail d’annotation, d’autres génomes de bracovirus ont été séquencés et tous possèdent ces mêmes caractéristiques, très différentes de celles habituellement rencontrées dans les génomes de virus classiques [ 68].

Un nudivirus ancêtre à l’origine des bracovirus

La pauvreté en gènes viraux peut s’expliquer si l’on tient compte du cycle de ces virus qui ne se répliquent pas dans la chenille hôte parasitée, mais sont uniquement transmis au cours des générations de guêpes par transmission mendélienne. Les gènes impliqués dans la réplication n’ont donc pas besoin d’être présents dans le génome viral encapsidé dans les particules virales injectées dans la chenille. Afin de rechercher les gènes authentiquement viraux impliqués dans la production des particules virales et pouvant révéler la nature du virus ancêtre, deux approches ont été utilisées : (1) L’analyse du transcriptome des ovaires de guêpes répliquant le virus. (2) L’analyse des protéines constitutives des particules virales purifiées. Ces deux approches ont été réalisées sur deux guêpes phylogénétiquement éloignées, Cotesia congregata et Chelonus inanitus.

L’analyse transcriptomique nous a permis d’identifier 24 gènes homologues à des gènes de nudivirus, eux-mêmes apparentés aux baculovirus. Parmi ces gènes se trouvent notamment des gènes codant pour les sous-unités de l’ARN polymérase nudivirale, des gènes codant pour des protéines d’enveloppe et des protéines nécessaires à l’encapsidation des génomes viraux. Deux de ces gènes ont pu être isolés également dans 3 autres groupes de guêpes associées à des bracovirus (Cardiochilinae, Miracinae et Mendesellinae) (Figure 2A) confirmant la présence de la machinerie virale dans l’ensemble du complexe microgastroïde. De plus, des analyses complémentaires ont permis d’étudier l’organisation des gènes nudiviraux : 6 des gènes étudiés sont organisés en cluster et 6 autres sont dispersés dans le génome de la guêpe [ 9]. Enfin l’analyse protéique a permis de montrer que 20 protéines codées par ces gènes sont des composants des particules virales de bracovirus. Les gènes nudiviraux sont donc bien directement impliqués dans la production des particules de bracovirus.

Une nouvelle forme de virus : les virus intégrés à génome mosaïque

Ces résultats constituent des éléments concordants indiquant que les bracovirus actuels sont issus d’un nudivirus. De plus, la conservation de la machinerie nudivirale dans les différentes lignées de guêpes braconides associées à des virus confirme leur histoire évolutive commune. Toutes ces espèces de braconides dérivent d’un ancêtre commun, ayant intégré un virus de type nudivirus il y a environ 100 millions d’années. Le génome des bracovirus actuels est ainsi le résultat d’une longue co-évolution virus/guêpe conduisant à une organisation particulièrement originale. C’est en fait un génome bipartite qui réside dans le génome de la guêpe (Figure 2B), une partie est constitutée de gènes nudiviraux et produit les particules tandis que l’autre partie correspond à l’ADN des particules injectées dans l’hôte. Le génome inclus dans les particules virales ne porte plus de gènes viraux mais des gènes de guêpes dont la fonction actuelle est de produire dans l’hôte parasité des facteurs de virulence. À ce titre ces virus peuvent donc être considérés comme des pseudoparticules naturelles capables de transférer des gènes et dont la production présente de nombreuses analogies avec celle des vecteurs de thérapie génique.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

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