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Med Sci (Paris). 2010 February; 26(2): 130–132.
Published online 2010 February 15. doi: 10.1051/medsci/2010262130.

Du nouveau dans la compréhension de la reprogrammation postméiotique du génome mâle

Sophie Rousseaux,1 Carlo Petosa,2 Christoph W. Müller,3 and Saadi Khochbin1*

1Inserm U823 , Université Joseph Fourier, Institut Albert Bonniot, Grenoble, F-38700 France
2Institut de biologie structurale Jean-Pierre Ebel, UMR 5075 CEA-CNRS-Université Joseph Fourier, 41, rue Jules Horowitz, 38027 Grenoble Cedex 1, France
3European molecular biology laboratory, Meyerhofstrasse 1, D-69117, Heidelberg, Allemagne
Corresponding author.

MeSH keywords: Acétylation, Animaux, Assemblage et désassemblage de la chromatine, physiologie, Génome, Haploïdie, Histone, métabolisme, Mâle, Méiose, Modèles moléculaires, Protéines nucléaires, Nucléosomes, ultrastructure

Réorganisation du génome des cellules haploïdes

La compaction extrême du génome mâle qui fait suite à la méiose est un phénomène très conservé chez les eucaryotes mais ses mécanismes moléculaires restent paradoxalement presque totalement inconnus [ 1]. Dans tous les organismes concernés, le but de ce processus est de préparer le génome à affronter un environnement nouveau et souvent inhospitalier. La spermatogenèse obéit parfaitement à cette règle et comporte une phase post-méiotique connue sous le nom de spermiogenèse durant laquelle la maturation des cellules haploïdes ou spermatides s’achève. Des réorganisations globales du génome se produisent lors de la différenciation des spermatides, caractérisées par le remplacement de la majorité des histones par de petites protéines basiques en deux vagues successives. Dans un premier temps, les histones sont remplacées par des protéines de transition (TP) qui, dans un deuxième temps, sont elles-mêmes remplacées par les protamines (Prm). Ces réorganisations génomiques sont en réalité plus complexes dans la mesure où des variants d’histone spécifiques des cellules spermatogéniques sont également massivement synthétisés durant les phases méiotiques et post-méiotiques et en particulier très tardivement, en même temps que les TP et les Prm, pour structurer des régions génomiques spécifiques [ 2, 3].

Bien que ces réorganisations génomiques soient de mieux en mieux caractérisées, les mécanismes moléculaires qui les contrôlent nous échappent complètement. Par exemple, nous ne savons pas comment les histones sont enlevées et remplacées ni ce qu’elles deviennent. Nous ne savons pas non plus comment les protéines basiques, notamment les TP, Prm et les variants d’histones, sont assemblés ni quelles sont les régions génomiques concernées. De plus, les histones étant absentes de la plupart des régions génomiques, il est important de savoir quels sont les éléments qui portent l’indispensable code épigénétique du génome mâle. Toutes ces questions fondamentales, ainsi que de nombreuses autres, restent actuellement sans réponse. Ainsi, les mécanismes qui dirigent la compaction post-méiotique du génome mâle peuvent être considérés comme une véritable boîte noire de la biologie moderne.

Hyperacétylation des histones, signal initiateur des réorganisations génomiques

Dans un grand nombre d’espèces, les premières analyses de la chromatine de cellules spermatogéniques ont mis en évidence l’occurrence d’une hyperacétylation globale affectant la chromatine [2]. Chez la souris et l’homme, une hyperacétylation couvrant pratiquement tout le génome se produit dès le début de l’élongation des spermatides et précède le remplacement des histones par les TP. De manière surprenante, cette hyperacétylation se propage dans tout le génome alors que l’activité transcriptionnelle générale cesse, créant ainsi une situation inhabituelle, en apparente contradiction avec le dogme établi du rôle activateur de la transcription de l’acétylation des histones dans les cellules somatiques [3].

Dans la mesure où cette hyperacétylation de la chromatine marque le début des grandes transitions structurales du génome haploïde, il est envisageable qu’elle joue un rôle déterminant dans ce processus. Suivant cette logique, les protéines à bromodomaine, module structural capable de reconnaître les lysines acétylées, apparaissent comme de très bons candidats susceptibles de contrôler les évènements qui dépendent de cette hyperacétylation. Nos investigations motivées par cette hypothèse ont permis d’identifier Brdt, une protéine à double bromodomaine d’expression spécifique dans les cellules spermatogéniques, comme un facteur capable de réorganiser spécifiquement la chromatine acétylée [ 4]. Les propriétés biochimiques remarquables de Brdt, qui s’est révélée capable d’induire une compaction spectaculaire de la chromatine acétylée, ont motivé des études supplémentaires visant à comprendre les bases structurales de sa fonction. Ces travaux ont apporté une information déterminante pour la compréhension des fonctions de ce facteur. Le premier bromodomaine de Brdt (BD1) interagit avec l’extrémité de l’histone H4 uniquement quand celle-ci est acétylée simultanément en deux positions précises : la lysine 5 et la lysine 8 (Figure 1). Le deuxième bromodomaine BD2, quant à lui, reconnaît l’extrémité amino-terminale de l’histone H3 portant une acétylation au niveau de sa lysine 18 [ 5].

La capacité du premier bromodomaine BD1 de Brdt à reconnaître spécifiquement la double acétylation de H4 au niveau de K5 et K8 constitue un élément important dans la compréhension des fonctions de cette protéine. En effet, selon le modèle « zip », l’hyperacétylation de l’histone H4 suit un ordre précis et l’acétylation des deux lysines K5 et K8 est indicative de la forme tétra-acétylée de H4 [ 6]. Selon ces données, Brdt n’entrerait en action que si H4 se trouve sous une forme hyperacétylée. Ainsi ce facteur peut distinguer la forme hyperacétylée de H4 des autres formes portant des combinaisons différentes de lysines acétylées, comme la forme de H4 acétylée au niveau de K5 et K12 lors de l’assemblage des nucléosomes. De manière remarquable, les conclusions de ces études structurales sur les propriétés du BD1 de Brdt ont été confirmées in vivo au cours d’une étude indépendante utilisant une approche FRET [ 7].

Tenant compte de l’ensemble de ces résultats, il est possible de prédire que Brdt devrait principalement agir dans les spermatides en élongation au moment où les formes hyperacétylées de H4 apparaissent massivement avant le remplacement des histones (Figure 2).

Ces prédictions concordent parfaitement avec le phénotype observé chez les souris qui expriment une protéine Brdt délétée de son BD1. Les données publiées montrent que les mâles homozygotes sont stériles avec des défauts majeurs touchant les spermatides, alors que toutes les étapes précédentes semblent se dérouler normalement [ 8]. Les analyses plus poussées de la spermatogenèse chez ces souris montrent que les anomalies apparaissent précisément lors des étapes qui suivent la vague d’hyperacétylation de la chromatine lors de l’élongation des spermatides (données non publiées).

Conclusions

La dissection structurale et fonctionnelle de Brdt a permis de montrer que la vague d’hyperacétylation de la chromatine a une fonction clé dans le déroulement de la spermiogenèse et désigne Brdt comme un acteur principal, capable de traduire cette hyperacétylation en une suite d’évènements indispensables pour la maturation des spermatides. D’autres recherches sont cependant nécessaires pour déterminer les conséquences de l’interaction de Brdt avec la chromatine hyperacétylée et de quelle manière les étapes qui suivent cette interaction sont contrôlées par Brdt.

Dans le contexte plus large du « code épigénétique », les données structurales obtenues sur Brdt ont révélé un nouveau mode de lecture du « code histone » et mis en évidence une action sur la chromatine strictement dépendante d’une combinaison précise de marques épigénétiques, et dans ce cas, de l’apparition de la forme hyperacétylée de H4.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

References
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