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Med Sci (Paris). 2010 June; 26(6-7): 571–573.
Published online 2010 June 15. doi: 10.1051/medsci/2010266-7571.

Le « biofilm viral » : un nouveau mode de dissémination des virus ?

Maria-Isabel Thoulouze* and Andrés Alcover

Unité de biologie cellulaire des lymphocytes, Institut Pasteur, CNRS URA 1961, 28, rue du Docteur Roux, 75724 Paris Cedex 15, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Biofilms, Infections à HTLV-I, transmission, Virus T-lymphotrope humain de type 1, pathogénicité, Humains, Lymphocytes T, virologie, Maladies virales, Phénomènes physiologiques viraux, Virus

Différents modes de dissémination des virus

Les modalités de dissémination des virus sont encore aujourd’hui au centre de nombreuses études. À l’issue d’un cycle viral, des particules virales sont émises dans le milieu extracellulaire par la cellule infectée. Ces virions doivent alors atteindre la surface d’une nouvelle cellule cible pour réinitier un cycle réplicatif et se disséminer ainsi de proche en proche. Il était communément admis que pour la majorité des virus, agents infectieux ultrafiltrables par définition, des particules virales infectieuses « libres » étaient émises par les cellules infectées, diffusaient dans l’organisme et baignaient les tissus de l’hôte pour atteindre leurs cellules cibles portant les récepteurs viraux. Ce modèle, applicable à nombre de virus étudiés en laboratoire, fut néanmoins battu en brèche par différentes observations : (1) la transmission in vivo ou in vitro de certains virus nécessite l’inoculation de fractions biologiques contenant des cellules ; (2) l’isolement de particules virales à partir de fluides biologiques ou de surnageants de culture s’avère parfois impossible. Ainsi, il apparaît clairement que pour certains virus comme HTLV-1 (virus de la leucémie humaine à cellules T) [ 10], peu ou pas de virions « libres » sont relargués par les cellules infectées et que des contacts « physiques » entre cellule infectée et cellule cible sont nécessaires à la transmission des virus [ 1]. Ce type de dissémination virale mettant en jeu des contacts intercellulaires a soulevé de nombreuses questions : le virus utilise-il des jonctions intercellulaires préexistantes, les modifie-t-il ou induit-il la formation de nouvelles structures intercellulaires ? Quels mécanismes moléculaires permettent ce type de transmission, vraisemblablement propre à chaque virus et à chaque type cellulaire engagé ? Plus généralement, quelle est la nature du matériel viral infectieux transmis via ces contacts cellulaires ?

Transmission des rétrovirus lymphotropes humains par contact cellulaire : la synapse virologique

De manière surprenante, la transmission par contact cellulaire est récemment apparue comme le mécanisme de dissémination privilégié des rétrovirus lymphotropes humains, HTLV-1 [1] et VIH-1 (virus de l’immunodéficience acquise humaine de type 1) [ 2]. L’étude de HTLV- 1, dont la dissémination in vivo est strictement dépendante de contacts cellulaires, a permis d’apporter un éclairage nouveau sur les mécanismes de transmission entre lymphocytes T.

Un premier élément de réponse a été apporté il y a quelques années par la description de jonctions intercellulaires induites par HTLV-1, appelées « synapses virologiques » [ 3]. Ces jonctions, qui se forment entre un lymphocyte T infecté et un lymphocyte T cible, présentent des similitudes avec les synapses immunologiques qui se forment entre un lymphocyte T et une cellule présentatrice d’antigène. Les synapses viro-induites se caractérisent par la polarisation du lymphocyte T infecté et par l’accumulation à l’interface cellulaire de protéines virales (protéines de capside et d’enveloppe du rétrovirus) et de son récepteur cellulaire, ainsi que de diverses protéines cellulaires également engagées dans la synapse immune. Les synapses virologiques constituent donc un support privilégié pour le transfert viral entre lymphocytes T, et elles ont été décrites depuis pour d’autres virus, VIH-1 et HSV-1 (virus de l’herpès simplex de type 1). Des prolongements membranaires, filopodes et nanotubes, décrits plus récemment, faciliteraient également le transfert direct de matériel infectieux d’une cellule à l’autre [ 4, 5].

La nature du matériel viral infectieux transmis entre cellules restait en revanche mal définie. Il avait été proposé que des particules virales enveloppées pourraient être émises dans une poche synaptique formée à la jonction entre les cellules engagées [3, 6]. Dans ce modèle, les composants viraux préalablement stockés à l’intérieur de la cellule infectée seraient acheminés à l’interface cellulaire où la particule virale s’assemblerait et bourgeonnerait dans la poche synaptique pour atteindre directement la surface de la cellule cible, avec laquelle elle fusionnerait ou serait internalisée par d’autres mécanismes (Figure 1A). Le transfert de nucléocapsides virales nues, non enveloppées, était également envisagé au travers de contacts intimes entre les deux cellules. Dans ces deux modèles, le transfert de matériel infectieux pouvait s’effectuer à l’abri de tout contact avec les différentes composantes du système immunitaire.

Le « biofilm viral »

La caractérisation récente par notre laboratoire de « biofilms viraux » formés par HTLV-1 à la surface des lymphocytes T apporte des éléments nouveaux sur la nature du matériel infectieux transmis entre cellules et plus généralement sur les modalités de transmission virale de cellule à cellule [ 7]. Par l’utilisation de différentes techniques d’imagerie (microscopie confocale, microscopie électronique à balayage et microscopie électronique de transmission), nous avons révélé l’existence de structures infectieuses extracellulaires complexes adhérant à la surface des lymphocytes T de patients infectés par HTLV-1 (Figure 2). Ces biofilms viraux sont formés de particules virales infectieuses complètes (particules enveloppées) enchâssées dans une matrice sécrétée par la cellule productrice de virus. La matrice est composée de constituants de la matrice extracellulaire (héparane sulfates, collagène) et de protéines de pontage (galectine-3 et tétherine) qui permettent la cohésion et l’adhésion de ces structures à la surface cellulaire. Lors du contact entre la cellule productrice de virus et la cellule cible, le biofilm viral (particules virales et protéines cellulaires associées) adhère très rapidement à la surface de la cellule cible, « ponte » les surfaces des deux cellules engagées et se fractionne (Figure 1B). Il permet ainsi la transmission des particules virales qui fusionnent ensuite avec la membrane de la cellule cible. Ce biofilm viral est primordial pour la dissémination de HTLV-1 : son élimination de la surface de cellules infectées diminue de plus de 80 % la capacité infectieuse de ces cellules [7].

De manière remarquable, les structures infectieuses complexes décrites dans ce travail présentent de très fortes similitudes avec les biofilms développés par d’autres microbes, bactéries et levures. D’un point de vue fonctionnel, le biofilm viral, préformé à la surface des cellules infectées, est essentiel pour stocker le pathogène, en concentrer le pouvoir infectieux, et permettre sa dissémination lors de contacts entre cellules. D’un point de vue structural, la matrice associée aux particules virales infectieuses, potentiellement protectrice, est enrichie en protéines fortement glycosylées. Quant à sa composition moléculaire, le biofilm viral partage le sialyl lewisX et la galectine-3 avec certains biofilms bactériens [ 8, 9]. Néanmoins, à la différence de la matrice polyosidique composant les biofilms conventionnels et qui est majoritairement synthétisée par le microbe, la matrice du biofilm viral est composée de constituants de la cellule hôte dont la synthèse et l’organisation sont modulées par le virus. Ainsi, bien que formant une entité un peu à part dans le monde des microbes du fait de leur dépendance complète vis-à-vis du métabolisme intermédiaire de la cellule qu’ils parasitent, les virus peuvent eux aussi organiser des structures de type biofilm en dirigeant la synthèse de ses composants par la cellule hôte.

Le biofilm viral, nouveau mode de dissémination et nouvelle cible thérapeutique ?

La découverte d’un biofilm viral et de son rôle-clé dans la transmission de HTLV-1 permet de porter un regard nouveau sur les mécanismes de dissémination virale. Dans le cas de HTLV-1, ce type de structures, infectieuses, adhésives et se fractionnant au fil des contacts entre cellules, paraît particulièrement adapté à la dissémination de particules virales dans les zones de forte densité cellulaire, par exemple au sein des ganglions lymphatiques, site de dissémination du virus entre lymphocytes T, ou encore au niveau des muqueuses, site de pénétration du virus dans l’hôte.

De manière plus générale, ces observations soulignent le rôle de la matrice extracellulaire dans la dissémination des virus et soulèvent de nouvelles questions : d’autres virus induisent-ils la formation de biofilms ? Si tel est le cas, ces structures facilitent-elles toujours la dissémination du virus ou permettentelles dans certains contextes cellulaires l’enkystement des particules virales ? Les particules virales libres émises dans les milieux de culture et dans les liquides biologiques, ou même dans des aérosols, sont-elles également associées à et éventuellement protégées par la matrice extracellulaire viro-induite ? Pour les virus formant de tels biofilms, il serait intéressant de redessiner des stratégies thérapeutiques anti-virales qui viseraient non seulement le virus lui-même, mais la formation de ces biofilms viraux.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

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