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Med Sci (Paris). 2010 August; 26(8-9): 701–703.
Published online 2010 August 15. doi: 10.1051/medsci/2010268-9701.

Génétique et amélioration d’Artemisia annua L. pour une production durable d’antipaludiques à base d’artémisinine

Vincent Segura*

Centre for novel agricultural products, Department of biology, University of York, York YO10 5YW, Royaume-Uni
Adresse actuelle : UR 588, Amélioration génétique et physiologie forestières, INRA Orléans, 2163, avenue de la Pomme de pin, CS 40001 Ardon, 45075 Orléans Cedex 2, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Antipaludiques, isolement et purification, usage thérapeutique, Artemisia annua, génétique, physiologie, Artémisinines, Humains, Paludisme, traitement médicamenteux, Locus de caractère quantitatif

L’artémisinine : une molécule efficace dans le traitement du paludisme

Le paludisme est un fléau majeur qui tue plus d’un million de personnes par an dans le monde. Le parasite responsable de cette maladie, Plasmodium falciparum, ayant développé des résistances envers la plupart des médicaments traditionnellement utilisés comme la chloroquine, les associations médicamenteuses comportant de l’artémisinine (ACT, Artemisinin combination therapies) sont actuellement considérées comme les seuls traitements efficaces par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [ 1]. Elles sont toujours préconisées malgré l’identification récente au Cambodge d’une résistance du parasite vis-à-vis de l’artémisinine [ 2]. L’artémisinine est naturellement produite par l’espèce Artemisia annua L. de la famille des Astéracées. Malgré l’utilisation depuis des millénaires en médecine traditionnelle chinoise de cette plante sous forme d’extraits, l’identification de l’artémisinine comme principe actif remonte seulement à une trentaine d’années. Il s’agit d’un sesquiterpène synthétisé au sein de groupes de cellules spécialisées, les trichomes glandulaires, situés principalement sur les feuilles d’Artemisia annua (Figure 1) [ 3]. Cependant, la molécule demeure très coûteuse car les plantes utilisées pour la production d’artémisinine présentent de très faibles rendements. En effet, la découverte relativement récente de l’intérêt d’Artemisia annua dans la lutte contre le paludisme explique que peu d’améliorations aient été apportées, les graines étant généralement récoltées par les fermiers de façon empirique à partir de plantes sauvages. Une alternative, en cours de développement, serait la production d’artémisinine par des bactéries transgéniques [ 4] qui devrait permettre d’augmenter significativement le nombre d’ACT. Toutefois, la demande est telle que la production agricole d’Artemisia annua s’avère aussi être indispensable. Dans cette optique, l’amélioration génétique de cette espèce constitue une voie prometteuse pour augmenter le rendement en artémisinine, compte tenu des progrès généralement réalisés sur les espèces végétales lors de leur domestication [ 5]. C’est l’objectif principal du projet « Artemisia » subventionné par la fondation Bill et Melinda Gates et développé depuis 2006 par le centre pour les nouveaux produits agricoles de l’Université de York au Royaume-Uni [ 6]. Une publication récente dans la revue Science fait état des principales avancées de ce projet qui permettent d’envisager une production significativement plus importante d’artémisinine dans un futur proche [ 7]. La stratégie mise en œuvre, les principaux résultats de cette publication ainsi que leur importance pour la lutte contre le paludisme sont développés ci-dessous.

« Artemisia » : un projet d’amélioration génétique d’Artemisia annua
Sélection génétique basée sur l’acquisition de caractères
Le moteur du progrès génétique étant la variabilité, la stratégie développée par le projet « Artemisia » a consisté à s’appuyer conjointement sur la variabilité naturelle et la variabilité induite par mutagenèse pour identifier des plantes à rendement élevé en artémisinine afin de créer de nouvelles variétés (Figure 2). L’espèce Artemisia annua se reproduit majoritairement par fécondation croisée. Les individus qui la composent sont généralement très hétérozygotes, ce qui explique la grande variabilité des populations issues de leurs croisements. C’est le cas de la variété Artemis, l’hybride F1 qui a actuellement le meilleur rendement et est développé par Mediplant (Conthey, Suisse). Celle-ci a logiquement constitué la population de départ pour le projet Artemisia : à partir de cette variété ont été établies d’une part une population mutante obtenue par traitement chimique et autofécondation, et d’autre part une population de cartographie génétique comprenant 242 génotypes.

Afin de développer des outils moléculaires, des feuilles et fleurs d’Artemis, ainsi que des plantes provenant de populations traditionnellement cultivées en Afrique et en Asie du Sud-Est (populations M et U), ont été collectées pour construire des banques d’ADN complémentaire (ADNc). Des séquences de type EST (expressed sequence tag) ont été produites à partir de ces banques par pyroséquençage et leur analyse bio-informatique (alignements et comparaisons) a permis d’identifier plus de 100 000 polymorphismes de séquences. À partir de ces polymorphismes, près de 800 marqueurs moléculaires ont été sélectionnés. L’analyse de leur ségrégation dans la population de cartographie a permis d’établir les deux premières cartes génétiques de l’espèce Artemisia annua, chacune correspondant aux parents d’Artemis. La population de cartographie a également fait l’objet d’une évaluation phénotypique dans différents environnements afin d’analyser la variabilité génétique de caractères pouvant avoir un impact sur le rendement final en artémisinine. Les caractères ciblés étaient la croissance et l’architecture de la plante, la morphologie foliaire, la densité de trichomes sur les feuilles et la concentration en artémisinine dans les feuilles. L’analyse des données a montré d’une part que ces caractères étaient transmissibles héréditairement, c’est-à-dire qu’une part relativement importante de leur variation est d’origine génétique, et d’autre part qu’ils n’étaient pas tous corrélés. Cela démontre qu’il est possible d’améliorer le rendement global en artémisinine en ciblant la sélection sur ces caractères cibles. Cependant, la sélection génétique basée sur l’acquisition de caractères demeure coûteuse et relativement longue puisqu’elle requiert l’évaluation de nombreuses plantes dans de multiples dispositifs expérimentaux.

Confrontations des données phénotypiques aux cartes génétiques
L’utilisation de marqueurs moléculaires pour la sélection permet en partie de pallier ces contraintes via l’évaluation indirecte de plantes en laboratoire. Pour cela, il est nécessaire au préalable d’identifier des marqueurs permettant de prédire la valeur des caractères cibles parce qu’ils sont localisés à proximité des régions génomiques impliquées dans leur variation (QTL, quantitative trait loci). Nous avons donc confronté les données phénotypiques aux cartes génétiques, et des QTL stables en fonction de l’environnement ont été identifiés, qui sont prédictifs de la masse fraîche des plantes, de la surface foliaire, de l’architecture des plantes et de la concentration en artémisinine dans les feuilles. Un de ces QTL, corrélé à la concentration en artémisinine, a par ailleurs pu être validé dans la population mutante. En effet, l’analyse de la ségrégation de marqueurs moléculaires chez des individus mutants sélectionnés pour leur rendement en artémisinine a révélé une très forte distorsion en faveur de l’allèle agissant positivement sur la concentration en artémisinine dans la région génomique de ce QTL. Cette validation démontre que le phénotypage a permis de sélectionner de façon efficace des individus à rendement élevé mais aussi et surtout que les marqueurs moléculaires témoignent de cette sélection et sont de fait des outils puissants pour identifier des individus élites.

Afin de créer de nouvelles variétés, un plan de croisements entre les individus à haut rendement en artémisinine précédemment identifiés a d’ores et déjà été mis en œuvre. Parmi les descendances issues de ces croisements, certaines présentent des rendements en artémisinine 30 à 60 % plus élevés que celui d’Artemis. D’autres croisements en cours d’établissement pourront aussi bénéficier des outils moléculaires développés dans cette étude pour l’identification de descendances encore plus performantes.

Les descendances ainsi sélectionnées feront ensuite l’objet d’évaluations dans les futures zones de production (Afrique et Asie) afin de confirmer leur haut rendement dans ces conditions climatiques particulières et ainsi de fournir de nouvelles variétés à l’horizon 2011. Celles-ci seront exploitées directement dans les zones touchées par le paludisme où elles permettront une production accrue d’artémisinine.

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
World Malaria Report 2008, World Health Organisation. http://apps.who.int/malaria/wmr2008/malaria2008.pdf .
2.
Dondorp AM, Nosten F, Poravuth Y, et al. Artemisinin resistance in Plasmodium falciparum malaria. N EnglJ Med 2009 ; 361 : 455-67.
3.
Covello PS, Teoh KH, Polichuk DR, et al. Functional genomics and the biosynthesis of artémisinine. Phytochemistry 2007 ; 68 : 1864-71.
4.
Ro DK, Paradise EM, Ouellet M, et al. Production of the antimalarial drug precursor artemisinic acid in engineered yeast. Nature 2006 ; 440 : 940-3.
5.
Doebley JF, Gaut BS, Smith BD. The molecular genetics of crop domestication. Cell 2006 ; 127 : 1309-21.
6.
http://www.york.ac.uk/org/cnap/artemisiaproject/
7.
Graham IA, Besser K, Blumer S, et al. The genetic map of Artemisia annua L. identifies loci affecting yield of the antimalarial drug artemisinin. Science 2010 ; 327 : 328-31.