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Med Sci (Paris). 2010 November; 26(11): 909–911.
Published online 2010 November 15. doi: 10.1051/medsci/20102611909.

Le typage transcriptomique en transplantation rénale : caractérisation de l’état du greffon

Maud Racapé,* Jean-Paul Soulillou, and Sophie Brouard

Inserm UMR 643, Centre Hospitalier Universitaire, Institut de transplantation et de recherche en transplantation, 44093 Nantes
Université de Nantes, Faculté de médecine, 44000 Nantes, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Lymphocytes B, immunologie, Analyse de profil d'expression de gènes, Survie du greffon, Humains, Transplantation rénale, physiologie, Transcription génétique, Tolérance à la transplantation, Résultat thérapeutique

 

Un objectif majeur en transplantation est d’induire chez les patients une tolérance du greffon en s’affranchissant des traitements immunosuppresseurs, responsables à long terme d’infections opportunistes [ 1], de désordres lymphoprolifératifs post-transplantation [ 2] ou de néphrotoxicité [ 3]. Alors que cette tolérance peut être induite relativement facilement dans différents modèles animaux [ 4], cet objectif semble beaucoup plus difficile à atteindre chez le primate non humain et chez l’homme [ 5]. Toutefois, des cas de tolérance existent en clinique, puisque 30 % des patients ayant reçu une transplantation de foie tolèrent le greffon après arrêt des traitements immunosuppresseurs [ 6]. Ce phénomène est aussi décrit en transplantation rénale, bien que certainement plus rare [ 7, 8]. La caractérisation par typage pangénomique d’échantillons (sang, urine, biopsie) provenant de ces patients peut aider à définir de nouveaux biomarqueurs pronostiques ou diagnostiques d’un état de tolérance. Elle a pour but d’identifier, parmi les patients sous traitement immunosuppresseur, ceux qui présentent ce profil de tolérance (ou à faible risque de rejet) et chez lesquels on pourrait envisager une diminution, voire un sevrage, de leur traitement immunosuppresseur [ 9]. Dans ce même objectif, le typage pangénomique des patients présentant des signes de rejet [ 10, 11] peut permettre d’ajouter une information supplémentaire sur l’état pathologique du greffon par rapport à des critères d’évaluation déjà existants tels que les définit la classification de Banff1 [ 12]. Ceci pourrait permettre d’identifier de nouveaux gènes, ou associations de gènes, caractérisant le rejet du greffon et ainsi définir la notion de risque chez des patients présentant une fonction stable de leur greffon sous traitement immunosuppresseur [ 13]. Ces études peuvent également aider à la compréhension des mécanismes de survie du greffon a long terme.

Les lymphocytes B : acteurs dans la tolérance au greffon

Des premiers travaux, menés par notre équipe en 2007, ont permis de mettre en évidence un groupe de 49 gènes spécifiques de l’état de tolérance opérationnelle [ 14]. Récemment, deux autres études collaboratives entre le réseau américain Immune tolerance network (ITN) [ 15] et le consortium européen Indice of tolerance (IOT) [ 16] ont également été publiées. Elles définissent des signatures moléculaires de la tolérance opérationnelle. Parmi les 25 patients tolérants américains, 20 sont appariés pour le HLA alors que les patients européens présentent tous un fort degré de disparité entre donneur et receveur, comme c’est également le cas dans notre étude princeps [14]. Cette différence semble être sans importance puisque le typage transcriptomique de ces deux cohortes de patients tolérants a montré dans les deux cas un enrichissement en gènes impliqués dans les voies de signalisation des lymphocytes B, et notre dernière étude [ 17] va également dans ce sens. Les trois articles montrent que ces signatures de gènes « B » sont corrélées à une augmentation du nombre de cellules B périphériques chez ces patients, ce que rapportait déjà une étude de Louis et al. en 2006 [ 18]. Parmi ces différentes signatures, une molécule émerge de toutes les analyses des différents groupes de gènes : l’antigène CD20 (MS4A1), spécifique des cellules B dans le sang [1416] et les urines des patients tolérants [15]. Nous avons caractérisé cette population B et montré qu’elle était principalement le reflet d’une augmentation du nombre de lymphocytes B mémoires activés et de cellules B transitionnelles CD19+CD1d+CD5+ correspondant à une population B régulatrice [ 19]. Enfin, cette signature de gènes « B » est associée à un profil inhibiteur de la population de cellules B, caractérisé par l’augmentation du ratio CD32a/CD32b (récepteurs des fragments Fc, FcgammaRIIA/ FcgammaRIIB) et l’expression de BANK1 (B cell scaffold protein with ankyrin repeats), cette dernière inhibant la voie AKT activée dans les cellules B via CD40 [ 20]. Les deux équipes américaine et européenne montrent également une augmentation du pourcentage de cellules B totales, naïves et transitionnelles chez ces patients tolérants par rapport aux patients ayant une fonction stable du greffon sous immunosuppression. La mesure du nombre de cellules B transitionnelles permet de classer correctement les patients tolérants des cohortes de l’ITN et du réseau IOT avec de très bonnes sensibilité et spécificité. Alors que Sagoo et al. [16] montrent que les cellules B des patients tolérants produisent plus de TGFβ (transforming growth factor β), les équipes de Newell [15] et de Pallier [17] rapportent une augmentation significative de l’IL10 (interleukine 10) produite par les cellules B transitionnelles et totales respectivement chez les patients tolérants comparés aux autres groupes.

Définition d’un score de risque de perte du greffon

L’équipe d’Einecke et al. a, d’autre part, identifié des biomarqueurs transcriptomiques prédictifs de l’état de rejet tardif survenant un an au moins après la transplantation [ 21]. Plusieurs travaux avaient précédemment recherché de tels marqueurs dans le sang [11, 22], les urines [13] ou la biopsie de rein [12, 23] à différents stades de rejet aigu ou chronique. L’originalité de l’étude d’Einecke et al. [21] réside dans le croisement de deux signatures de gènes : l’une associée au rejet et l’autre à la dysfonction du greffon, déterminées sur 105 biopsies. L’analyse a mis en évidence des gènes caractéristiques de lésion tissulaire, de remodelage de la matrice et de dédifférenciation épithéliale, communs à la dysfonction et au rejet, et qui excluaient les gènes reflétant une inflammation. Unscore de « risque de perte du greffon », basé sur les signatures identifiées, a été déterminé sur des biopsies réalisées plus d’un an après la transplantation : les gènes de cette signature sont en grande partie associés aux lésions tissulaires et au remodelage de la matrice. Ce score a été testé sur 48 biopsies indépendantes réalisées plus d’un an post-greffe : il permet de classer les greffons plus précisément que ne le font les caractéristiques cliniques et histologiques couramment utilisées telles que la protéinurie, le feuilletage des membranes basales des capillaires péritubulaires, la hyalinose artérielle, l’atrophie tubulaire, la fibrose interstitielle ou le taux de filtration glomérulaire. De manière intéressante, 60 % des biopsies testées avant ce délai de un an (période à laquelle existe un faible risque de rejet) ont un score élevé, reflétant un risque important de rejet. Cependant, chez 57 % de ces patients présentant un score élevé, aucun rejet irréversible n’a été observé durant la période de suivi. Ce score est donc un indicateur indépendant et objectif de la réponse du greffon à des lésions actives. Il est moins précis dans le cas de biopsies précoces à cette période les lésions, réversibles (rejet dépendant des cellules T, néphropathie à polyomavirus ou nécrose tubulaire aiguë), ne conduiront pas à une perte du transplant que dans le cas de biopsies tardives, pour lesquelles les lésions sont souvent irréversibles (dans le cadre d’un rejet chronique faisant intervenir des anticorps ou une glomérulonéphrite). La découverte de ces signatures de la tolérance et du rejet en transplantation rénale ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur la compréhension des phénomènes liés à la survie ou au rejet des greffons. Ces signatures, associées à d’autres critères d’évaluation classification de Banff ou score clinique [10, 24], pourraient permettre de déterminer un profil de risque chez des patients transplantés stables sous immuno suppression et offrir une voie prometteuse vers un suivi clinique personnalisé du patient.

 
Footnotes
1 La classification de Banff a été publiée en 1993, et remaniée à plusieurs reprises par la suite. Son but est de standardiser les paramètres morphologiques et cliniques qui établissent l’échelle de gravité d’un rejet, de façon à uniformiser les données publiées et permettre ainsi une collaboration internationale, en particulier dans le domaine des essais multicentriques de nouveaux immunosuppresseurs.
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