I. Réglementation et marketing alimentaire

2017


ANALYSE

1-

Loi de santé publique du 9 août 2004 : messages sanitaires et marketing alimentaire

L’article L2133-1 qui a été inséré dans le Code de la santé publique par la loi de santé publique du 9 août 2004 énonce une obligation pour les annonceurs d’apposer un message sanitaire à tout message publicitaire pour des boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse ou des produits alimentaires manufacturés (tableau 1.Irenvoi vers).
Les annonceurs ne peuvent déroger à cette obligation qu’à condition de verser une contribution à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes1 ) afin de financer la réalisation et la diffusion d’actions d’information et d’éducation nutritionnelles, notamment dans les médias concernés et au travers d’actions locales2 . La majorité d’entre eux ont choisi d’apposer un message sanitaire plutôt que d’utiliser la possibilité de déroger à l’obligation par le versement d’une contribution à l’Inpes3 .

Tableau 1.I Article L2133-1 du Code de la santé publique

Créé par la Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 – art. 29 JORF 11 août 2004
Modifié par la Loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 – art. 133 JORF 31 décembre 2004 et
Ordonnance n° 2010-18 du 7 janvier 2010 – art. 3
Les messages publicitaires en faveur de boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse ou de produits alimentaires manufacturés doivent contenir une information à caractère sanitaire. Dans le cas des messages publicitaires télévisés ou radiodiffusés, cette obligation ne s’applique qu’aux messages émis et diffusés à partir du territoire français et reçus sur ce territoire. La même obligation d’information s’impose à toute promotion, destinée au public, par voie d’imprimés et de publications périodiques édités par les producteurs ou distributeurs de ces produits.
Les annonceurs et les promoteurs peuvent déroger à cette obligation sous réserve du versement d’une contribution dont le produit est affecté à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. Cette contribution est destinée à financer la réalisation et la diffusion d’actions d’information et d’éducation nutritionnelles, notamment dans les médias concernés ainsi qu’au travers d’actions locales. […]
Le fait générateur est constitué par la diffusion des messages publicitaires ou la mise à disposition des documents visés au premier alinéa. […]
Ce dispositif d’information du consommateur mis en place en France – et à ce jour unique au monde – pose de nombreuses questions auxquelles le présent rapport d’expertise s’attache à répondre. Ce premier chapitre analyse la portée de l’article L2133-1 avant de replacer cette disposition spécifique dans un contexte réglementaire plus large.

Champ d’application de l’article L2133-1 du Code de la santé publique

L’article L2133-1 du Code de la santé publique a pour objectif de limiter le pouvoir de séduction qu’exerce la publicité commerciale sur le consommateur en introduisant des informations non commerciales visant à lui rappeler l’importance d’un mode de vie sain. L’insertion de cet article unique dans le chapitre du Code de la santé publique intitulé « Alimentation, publicité et promotion » le confirme4 .
Comme le requiert l’article L2133-1, des textes d’application (le décret 2007-263 et un arrêté) ont suivi son adoption afin d’en permettre la mise en œuvre effective. Ils ont été publiés au Journal Officiel le 28 février 2007 et sont entrés en vigueur le 1er mars 20075 . Nous nous attacherons à définir la portée de ce dispositif en considérant brièvement tour à tour les produits et les médias concernés ; la variation des messages en fonction des médias, des publics et des produits en question ; leur mode d’apparition ; et l’exception relative – pour les messages publicitaires télévisés ou radiodiffusés – aux messages qui ne sont pas « émis et diffusés à partir du territoire français » ou « reçus sur ce territoire ». Cette analyse permettra d’en révéler les limites.

Un champ d’application large

Les produits visés par l’obligation de l’article L2133-1

L’article L2133-1 vise les messages publicitaires pour les boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse et les produits alimentaires manufacturés. La gamme de produits à laquelle il s’applique est donc large. Même si la notion de « produits alimentaires manufacturés » n’a pas été définie par un texte juridique, l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) l’interprète comme comprenant « l’ensemble des produits qui ont été préparés avec des ajouts ou ayant subi une transformation de leur substance. Ne seraient donc pas visés les produits non transformés (fruits, légumes, épices…), les produits juste découpés (viande fraîche, poissons…), les produits juste emballés (œufs en boîte, filet d’oranges, pot de miel…) ou encore les produits congelés, surgelés ou mis en conserve sans aucune adjonction hormis celle de l’eau »6 . La définition serait donc équivalente à celle de « produits transformés » inscrite dans l’article 2(1)(o) du règlement 852/2004 de l’Union européenne7 .
De même, les boissons ne sont visées que si elles contiennent des ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse. Par conséquent, les publicités pour du café, des tisanes, du thé, du lait ou des jus de fruits n’ont pas obligation d’être accompagnées du message sanitaire prévu à l’article L2133-1 du Code de la santé publique s’il n’y a aucune adjonction de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse.
Les préparations pour nourrisson qui entrent dans la définition de « produits manufacturés » sont, quant à elles, soumises à des règles spécifiques et ne peuvent faire l’objet de publicité que dans la presse écrite destinée aux professions de santé8 .
Les boissons alcoolisées sont également soumises à une réglementation particulière. L’article L3323-4 du Code de la santé publique requiert qu’elles soient assorties d’un message à caractère sanitaire précisant que « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé » et remplaçant le message sanitaire de l’article L2133-1.

Les médias visés par l’obligation de l’article L2133-1

Le premier paragraphe de l’article L2133-1 vise explicitement les messages publicitaires. La portée de cette disposition est d’autant plus large que l’arrêté qui en fixe les conditions d’application mentionne la télévision, le cinéma, la radio, les supports imprimés, et les services de communication au public en ligne.
L’article L2133-1 mentionne également « la promotion, destinée au public, par voie d’imprimés et de publications périodiques édités par les producteurs ou distributeurs de ces produits ». Cette précision souligne le fait que toute communication commerciale destinée au public, même si elle trouve son origine dans des publications des industriels de l’agroalimentaire – producteurs ou distributeurs – n’en est pas moins soumise à l’obligation d’être accompagnée d’un message sanitaire. Du point de vue du consommateur, une telle distinction n’aurait aucun sens ; il convient en effet de ne pas exempter les producteurs ou distributeurs de l’obligation d’apposer les messages sanitaires prévus pour les messages publicitaires au motif qu’ils auraient eux-mêmes produit le support leur permettant de promouvoir leurs produits auprès du public, plutôt que d’avoir eu recours à un annonceur indépendant. Seule la communication entre professionnels échappe donc à l’obligation d’être accompagnée d’un message sanitaire.

Variations des messages en fonction des produits, des médias et des publics concernés

Les messages sanitaires visés à l’article L2133-1 sont les suivants :
• « Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour » ;
• « Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière » ;
• « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé », et ;
• « Pour votre santé, évitez de grignoter entre les repas ».
Toutefois, l’arrêté du 27 février 2007 prévoit certaines variations selon les produits, les médias et les publics concernés. C’est notamment le cas pour les préparations à base de céréales, les aliments pour bébé9 , ainsi que les laits de suite10 .
Dans le cas des messages publicitaires diffusés à la radio, l’annonceur peut employer les quatre messages ci-dessus ou, à défaut, les messages suivants, légèrement plus courts et donc plus adaptés à ce média :
• « Pour votre santé, bougez plus » ;
• « Pour votre santé, limitez les aliments gras, salés, sucrés » et ;
• « Pour votre santé, évitez de grignoter ».
Pour les écrans publicitaires télédiffusés ou radiodiffusés encadrant les programmes jeunesse destinés aux enfants ou insérés dans ces programmes ainsi que les publicités insérées dans la presse destinée aux enfants, les mêmes messages sanitaires peuvent être formulés en utilisant le tutoiement ou être remplacés par les messages suivants :
• « Pour bien grandir, mange au moins cinq fruits et légumes par jour » ;
• « Pour être en forme, dépense-toi bien » ;
• « Pour bien grandir, ne mange pas trop gras, trop sucré, trop salé », et ;
• « Pour être en forme, évite de grignoter dans la journée ».
Il convient de noter que cette dernière disposition offre une possibilité aux annonceurs, sans pour autant poser d’obligation, d’adapter les messages au public principalement concerné afin d’accroître son implication et par conséquent l’efficacité des messages sanitaires.

Modes d’apparition des messages sanitaires

Les messages sanitaires doivent être présentés d’une manière aisément lisible ou audible, respectueuse de leur vocation de santé publique et clairement distinguable du message publicitaire ou promotionnel11 .
Au-delà de ces obligations générales qui s’appliquent à l’ensemble des messages sanitaires, les modalités d’apparition des messages varient en fonction des médias concernés. Pour les messages publicitaires diffusés à la télévision et au cinéma, les messages sanitaires doivent apparaître soit dans un bandeau fixe ou défilant maintenu pendant toute la durée d’émission des messages publicitaires et recouvrant au moins 7 % de la hauteur de l’écran, soit dans un écran suivant immédiatement les messages publicitaires12 . Un seul message sanitaire doit apparaître par film publicitaire. Comme l’a souligné l’ARPP, la notion d’espace réservé signifie que seul le message sanitaire y figure, à l’exclusion de tout autre élément (notamment logos, visuels ou textes associés à la marque). Ceci s’applique aux bandeaux comme à l’écran suivant immédiatement le message publicitaire13 . À la radio, les messages sanitaires sont diffusés immédiatement après les messages publicitaires14 .
Quant aux messages sanitaires accompagnant les messages publicitaires diffusés sur un support imprimé, ils doivent s’inscrire dans un espace horizontal réservé à ce texte, recouvrant au moins 7 % de la surface publicitaire. Au cas où plusieurs messages publicitaires apparaîtraient sur une même page, il est possible de n’apposer qu’un seul message sanitaire, dans un bandeau recouvrant au moins 7 % de la page. En outre, si des documents publicitaires ont été réalisés par un seul distributeur ou producteur, les messages sanitaires peuvent prendre la forme d’un texte d’éducation nutritionnelle présenté une seule fois sur le document, dont le texte est fixé par l’arrêté15 et qui recouvre au moins une demi-page16 . Enfin, les messages sanitaires accompagnant les messages publicitaires diffusés par voie de services de communication au public en ligne17 doivent apparaître en même temps que le message publicitaire et être accessibles lors de la consultation des messages publicitaires qu’ils accompagnent18 .
Le dispositif réglementaire en vigueur exige en outre que les messages sanitaires soient utilisés au sein de chaque campagne publicitaire de manière à garantir, par type de support publicitaire ou promotionnel, l’apparition régulière de chacun d’eux sur une quantité égale de messages publicitaires ou promotionnels, avec une marge de tolérance de plus ou moins 10 %19 . En d’autres termes, l’arrêté impose aux annonceurs d’assurer, pour chacune de leurs campagnes publicitaires, la rotation des messages sanitaires afin que chacun ait la même fréquence d’apparition et, notamment, pour le message relatif à l’activité physique. Celui-ci étant peut-être moins à même de permettre aux consommateurs de faire un lien direct entre la consommation du produit promu et le message sanitaire, il ne doit pas être rendu plus proéminent par une apparition plus fréquente que les trois autres.
Enfin, les messages sanitaires accompagnant des messages publicitaires diffusés à la télévision et au cinéma (si la durée du message le permet), sur un support imprimé ou par voie de services de communication au public en ligne doivent être complétés par la mention de l’adresse « www.mangerbouger.fr »20 .

Dans le cas des messages publicitaires télévisés ou radiodiffusés, une obligation qui ne s’applique qu’aux messages qui sont à la fois émis, diffusés et reçus sur le territoire français

Cette disposition interroge d’une part sur sa raison d’être et d’autre part sur sa portée qui est limitée aux messages publicitaires télévisés ou radiodiffusés, et ne s’applique donc pas aux autres médias visés par l’article L2133-1, et notamment le cinéma, les supports imprimés et les services de communication au public en ligne lorsque ces derniers proviennent de pays étrangers.
Les obligations des États membres de l’Union européenne, et notamment de la France, de se conformer au droit européen fournissent au moins un début d’explication. En vertu du principe de primauté21 , le droit de l’Union européenne prime sur les lois et règlements français22 . Par conséquent, le droit français doit être compatible avec les directives et règlements de l’Union européenne, et notamment ceux qui régissent les pratiques commerciales déloyales23 et la fourniture d’information aux consommateurs24 . Or, si la directive européenne sur les services médias audiovisuels autorise les États membres à imposer des obligations d’information comme les messages sanitaires de l’article L2133-1, elle leur permet de le faire uniquement pour les fournisseurs de services médias audiovisuels établis sur leur territoire, et pas pour ceux établis dans un autre État membre de l’Union européenne qui sont soumis à la loi de cet État plutôt qu’à la loi de l’État de réception25 . Par conséquent, si la France peut réglementer les messages audiovisuels émis et diffusés à partir du territoire français, elle ne peut pas imposer les obligations de l’article L2133-1 aux messages émis et diffusés à partir du territoire d’un autre État membre de l’Union européenne26 . La limite énoncée à l’article L2133-1 le reconnaît27 . Toutefois, la directive ne s’applique pas aux services radiodiffusés ; elle ne s’applique qu’aux services médias audiovisuels c’est-à-dire la télévision et les services similaires comme la vidéo sur demande. La France a donc choisi d’élargir aux services radiodiffusés le champ d’application de l’obligation qui pèse sur elle en vertu de la directive sur les services médias audiovisuels.
On peut également supposer que limiter l’obligation d’apposer un message sanitaire aux messages publicitaires reçus sur le territoire national vise à ne pas mettre les services de médias audiovisuels français diffusant leurs programmes à l’étranger dans une situation concurrentielle désavantageuse, en leur imposant de se conformer à des impératifs qu’eux seuls auraient à remplir dans le pays de réception du message.

Les limites du dispositif en vigueur

Malgré le champ d’application plutôt large de l’article L2133-1 du Code de la santé publique, de nombreuses formes de communication échappent à l’obligation d’apposer le message sanitaire. Nous nous arrêterons notamment sur les limites inhérentes à la notion même de « messages publicitaires » et sur l’exclusion implicite de la communication des marques, notamment par des pratiques de parrainage. En outre, certaines limites de l’article L2133-1 découlent davantage de sa mise en vigueur effective que de la définition de son champ d’application.

La publicité, une forme de communication commerciale parmi d’autres

L’article L2133-1 ne s’applique qu’aux « messages publicitaires », ce qui signifie a contrario que les autres formes de communications commerciales et autres techniques de marketing échappent à l’interdiction que cette disposition édicte. C’est notamment le cas de moyens de communication comme le placement de produit, qui consiste en l’insertion contre rémunération (ou autre contrepartie) d’un produit au sein d’un programme – et non pas entre deux programmes ou entre deux parties d’un même programme28 .
N’entrent pas non plus dans le champ d’application de l’article L2133-1 les informations commerciales diffusées par le biais de l’emballage des produits. Les consommateurs ne sont donc pas exposés aux messages sanitaires sur les lieux d’achat, en l’absence de publicité stricto sensu.

La communication commerciale pour les produits à l’exclusion de la communication des marques ?

L’article L2133-1 s’applique à la publicité pour les boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse et à celle pour des produits alimentaires manufacturés. Il ne s’applique pas à la publicité pour des marques agroalimentaires, même si ces dernières sont souvent connues du public en raison de leurs boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse ou de leurs produits alimentaires manufacturés. C’est notamment le cas des pages des sites Internet des producteurs de produits manufacturés qui ne font pas de publicité pour un produit particulier mais communiquent avec les consommateurs afin de les convaincre de consommer les produits qui composent leur gamme29 . De nombreuses entreprises du secteur agroalimentaire sont devenues des icônes, leurs logos étant connus dans le monde entier30 . Or, ces entreprises peuvent être fortement associées aux boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse ou aux produits alimentaires manufacturés qu’elles produisent et qui ont assuré leur notoriété auprès des consommateurs. Dès lors, est-il logique de ne pas exiger de ces entreprises que toute communication commerciale – que celle-ci soit relative à un de leurs produits particuliers ou à leur marque de manière plus générale – soit soumise à une obligation d’apposer les messages sanitaires prévus à l’article L2133-1 du Code de la santé publique31  ?
Examinons également le cas du parrainage (ou « sponsoring ») par le secteur agroalimentaire, comme dans le cas des évènements sportifs. Le secteur agroalimentaire est très fortement représenté parmi les parrains de tels évènements, surtout s’ils ont un retentissement international, comme les Jeux olympiques, la Coupe du monde de football ou la Coupe du monde de rugby.
C’est également le cas d’évènements sportifs comme le Tour de France ou les évènements organisés par la Fédération Française de Football. Le parrainage permet de toucher un très large public, ces évènements étant tous extrêmement populaires en France. Aussi le secteur agroalimentaire investit des sommes considérables dans le parrainage d’évènements sportifs32 . L’explication est double. D’une part, cette attitude permet au secteur agroalimentaire d’être perçu comme un partenaire à part entière dans la lutte contre l’obésité, en attirant l’attention sur l’importance de l’activité physique et en s’associant à des valeurs positives – de liberté et de fraternité, de bien-être, de dépassement de soi, de joies partagées lors de la célébration de victoires ou d’entraide lors de défaites – plutôt que sur la valeur nutritionnelle faible des aliments sur lesquels nombre de ces sponsors ont bâti leur réputation. D’autre part, le parrainage offre d’excellentes perspectives commerciales de retour sur investissement33 , en permettant notamment aux sponsors d’obtenir des contrats d’exclusivité extrêmement lucratifs34 Vu sous cet angle, le champ d’application de l’article L2133-1 du Code de la santé publique n’est peut-être pas aussi large qu’on pourrait le penser en première lecture.

De la loi à la pratique : l’application de l’article L2133-1 du Code de la santé publique

Au-delà de la portée même de l’article L2133-1, se pose aussi la question de sa mise en vigueur effective. Il convient de noter que les pages Facebook, sur lesquelles les entreprises agroalimentaires accroissent leur présence, contiennent de nombreuses communications commerciales, sans pour autant contenir le message sanitaire de l’article L2133-1 du Code de la santé publique. Pourtant, le pouvoir persuasif des « earned » médias35 – surtout lorsqu’ils sont combinés aux « paid et owned »36 médias, notamment dans le cadre de campagnes utilisant plusieurs moyens de communication en articulation (campagnes dites « intégrées » ou « à 360 degrés ») – est important (Gibs et Bruich, 2010renvoi vers). Il semblerait que l’article L2133-1 n’exclut pas de telles pratiques de son champ d’application. En effet, il impose l’apparition d’un message sanitaire avec tout message publicitaire en faveur de boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse ou de produits alimentaires manufacturés. Or, comme indiqué ci-dessus, l’arrêté d’application en date du 27 février 2007 confirme explicitement que « les services de communication au public en ligne » sont concernés par l’obligation posée par l’article. Cette interprétation est d’autant plus justifiée que la Cour de cassation a statué, dans une affaire relative à l’interprétation de la loi Evin qui réglemente strictement la publicité pour les produits du tabac et les boissons alcoolisées, que le fait qu’un message soit relayé par l’intervention d’un internaute à l’intention de son « réseau d’amis » ne lui fait pas perdre son caractère publicitaire37 .
Au-delà de la question de l’efficacité de ce dispositif – qui a constitué le principal objet de réflexion collective dans le cadre de la préparation du présent rapport – notre groupe d’experts s’interroge également sur le respect de certaines dispositions et sur la vérification de la mise en vigueur effective de l’article L2133-1 (et plus particulièrement de la disposition obligeant à alterner les messages), ce qui soulève la question de la poursuite et de la sanction de manquements éventuels.

Contexte réglementaire dans lequel l’article L2133-1 s’inscrit

Afin de mieux saisir l’importance de cette expertise collective, il convient de replacer la disposition de l’article L2133-1 dont elle évalue l’efficacité dans un contexte réglementaire plus large.

Le paradigme du consommateur bien informé

Le dispositif mis en place par l’article L2133-1 est une illustration du paradigme du consommateur bien informé. Il caractérise les droits de la consommation et ceux de la santé publique français et européens, et plus généralement les économies libérales38 . Parmi les moyens de prévention pour favoriser un comportement sain pour la santé, l’information du consommateur est privilégiée par le législateur européen et national. Il est à noter que cette approche est facile à mettre en œuvre et peu onéreuse. Ce dispositif est également perçu comme préservant la liberté de choix du consommateur et comme ayant plus de chance de ne pas constituer une restriction injustifiée aux échanges commerciaux (Weatherill, 2013renvoi vers).
Cette logique se retrouve au cœur de la politique nutritionnelle européenne, comme en témoigne le Livre blanc de la Commission européenne du 30 mai 2007Eqn. sur la nutrition, la surcharge pondérale et l’obésité : « Les connaissances, les préférences et les comportements des personnes, par exemple en matière de mode de vie et d’habitudes alimentaires, sont façonnés par l’environnement dans lequel elles évoluent. Il s’agit, d’une part, de l’accès à une information claire, cohérente et étayée par des éléments concrets qui permet de choisir un produit alimentaire et, d’autre part, de façon plus générale, de l’espace d’information, qui est à son tour déterminé par des facteurs culturels tels que la publicité et d’autres médias. […] La Commission s’emploie à améliorer ces deux domaines. L’étiquetage nutritionnel est un moyen de communiquer cette information aux consommateurs, qui peuvent alors faire un choix bénéfique pour leur santé lorsqu’ils achètent des produits alimentaires ou des boissons »39 .
L’article L2133-1 du Code de la santé publique français se fonde sur la même logique selon laquelle l’information des consommateurs leur permettrait de se prémunir contre les risques associés à des modes alimentaires peu sains. Si on aide les consommateurs à prendre conscience de l’importance d’opter pour des modes de vie sains en soulignant d’une part la nécessité de consommer des fruits et légumes et de pratiquer une activité physique régulière, et d’autre part les risques associés à une alimentation trop grasse, trop sucrée ou trop salée et au grignotage entre les repas, ces consommateurs informés devraient être davantage en mesure d’adopter un mode de vie favorable pour leur santé.
Dans le même temps, cette démarche ciblée sur l’information est peu contraignante pour les industriels par comparaison avec d’autres mesures comme les restrictions en matière de marketing alimentaire, consistant à limiter la communication commerciale pour certains produits (en fonction de leur profil nutritionnel), ou a fortiori les obligations de reformulation (comme par exemple l’interdiction des acides gras trans) qui touchent au contenu des produits-mêmes et non à leur promotion. La réglementation de l’information fait avant tout peser sur le consommateur la responsabilité de prendre soin de lui (et de ceux dont il est responsable) en se fondant sur l’information qui lui est fournie. Il ne peut feindre l’ignorance. Les attentes pesant sur le consommateur sont donc élevées : on s’attend à ce qu’il voit l’information fournie, qu’il la sélectionne en fonction de ce qui l’intéresse, qu’il la lise, qu’il la comprenne et qu’il agisse en fonction de ce que cette information lui indique et de l’importance qu’il lui accorde.
Cette logique suppose, toutefois, que l’information mise à sa disposition soit claire, suffisante et loyale ; d’où la multitude de règles relatives à l’information nutritionnelle. Toutefois, la préférence très explicite des autorités européennes et nationales pour l’information du consommateur ne devrait pas cacher le fait que d’autres mesures sont nécessaires afin de compléter le dispositif en vigueur et promouvoir une meilleure alimentation, ne serait-ce qu’en raison du rôle limité que l’information nutritionnelle joue dans les choix alimentaires.

S’assurer que l’information mise à la disposition du consommateur est claire et suffisante pour lui permettre de faire des choix éclairés

Une multitude de règles, d’origine française aussi bien qu’européenne, impose des obligations d’informer le consommateur sur les aliments qu’il achète (Friant-Perrot et Garde, 2013renvoi vers). En particulier, le règlement n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires (dit « règlement INCO ») complète le dispositif mis en place en France par l’article L2133-1 du Code de la santé publique ; celui-ci reconnaît l’importance de fournir au consommateur des informations nutritionnelles appropriées pour l’aider à faire des choix alimentaires avertis40 . La pertinence de l’information est établie en tenant compte des besoins des consommateurs tant au plan formel qu’au plan substantiel (Friant-Perrot et Garde, 2014renvoi vers).
L’information doit être claire et facile à comprendre, et elle doit permettre au consommateur de comparer les produits. Comme le fait l’article L2133-1, le règlement INCO insiste sur l’importance de fournir au consommateur des informations lisibles : « Des études montrent que la bonne lisibilité est un facteur déterminant de l’influence potentielle des mentions d’une étiquette sur leur public cible et qu’une information illisible sur le produit est une des principales causes de mécontentement des consommateurs vis-à-vis des étiquettes des denrées alimentaires. Il conviendrait par conséquent de mettre au point une approche globale afin de tenir compte de tous les aspects relatifs à la lisibilité, y compris la police de caractères, la couleur et le contraste. »41 . L’importance de la lisibilité est confirmée par la lettre de l’article L2133-1 du Code de la santé publique qui exige, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, que les messages sanitaires soient présentés d’une manière aisément lisible ou audible, respectueuse de leur vocation de santé publique et clairement distinguable du message publicitaire ou promotionnel42 .
Quant au contenu de l’information nutritionnelle, le règlement INCO exige qu’il soit complet pour faciliter des choix alimentaires sains43 . Il introduit notamment une obligation – entrée en vigueur en décembre 2016 – d’apposer une déclaration nutritionnelle sur toutes les denrées alimentaires préemballées44 . Préconisée par le Livre blanc de 2007 sur la nutrition45 , la déclaration nutritionnelle devra figurer dans le même champ visuel et indiquer la valeur énergétique et les nutriments obligatoires (la quantité de matières grasses, d’acides gras saturés, de glucides, de sucres, de protéines et de sel). La valeur énergétique et tous les nutriments obligatoires accompagnés le cas échéant de nutriments facultatifs (acides gras mono-insaturés, polyinsaturés, polyols, amidon, fibres alimentaires, vitamines et minéraux), seront exprimés pour 100 g/ml pour permettre au consommateur de comparer des produits similaires plus facilement46 . La déclaration nutritionnelle viendra donc compléter le dispositif législatif de l’article L2133-1 du Code de la santé publique en permettant d’accroître l’information mise à la disposition des consommateurs.

Information nutritionnelle, politique nutritionnelle et engagements internationaux

La question de l’efficacité réelle et des limites de l’information nutritionnelle dans les choix de consommation demeure. Est-elle suffisamment efficace comme outil de politique nutritionnelle ? Cette expertise s’attache à y répondre en évaluant notamment l’efficacité de l’article L2133-1 du Code de la santé publique. Quelles que soient les conclusions de ce rapport d’expertise, les pouvoirs publics devront explorer des voies complémentaires à la hauteur des enjeux en termes de santé publique. C’est ainsi que la question relative au rôle que pourrait jouer l’interdiction de promouvoir des produits alimentaires peu sains, notamment aux enfants, est récurrente aussi bien au niveau national qu’au niveau européen et international. Nous en faisons état de manière plus détaillée dans le deuxième chapitre de ce rapport d’expertise. À ce stade, nous nous contenterons de déterminer la place que l’Organisation mondiale de la santé (OMSrenvoi vers) fait à l’information nutritionnelle dans ses documents stratégiques portant sur la lutte contre le surpoids et l’obésité.
Afin de permettre aux États d’atteindre les cibles volontaires sur lesquelles ils se sont engagés d’ici à 202547 , le plan d’action mondial pour la lutte contre les maladies non transmissibles (MNT) 2013-2020 appelle les États à mettre en œuvre une série de mesures visant à promouvoir une alimentation saine48 . L’étiquetage nutritionnel est mentionné parmi ces mesures : les États se sont en effet engagés à « promouvoir l’étiquetage nutritionnel de tous les aliments préemballés, y compris ceux qui font l’objet d’allégations nutritionnelles ou de santé, selon les normes internationales et en particulier le Codex Alimentarius, mais sans s’y limiter ». Toutefois, l’étiquetage nutritionnel n’est qu’une des dix mesures préconisées par l’OMSrenvoi vers. Dans la mesure où les choix des consommateurs dépendent d’un ensemble de facteurs – l’information sur la valeur nutritionnelle ne représentant que l’un d’entre eux, il convient de mettre en œuvre des mesures qui reconnaîtront l’importance d’autres facteurs déterminant les choix de consommation comme le prix des aliments, leurs qualités gustatives ou la pression sociale. Ces mesures incluent notamment : l’ensemble des recommandations de l’OMS sur la commercialisation des aliments et des boissons non alcoolisées destinés aux enfants49  ; des mesures de reformulation ; des mesures favorisant l’offre et la disponibilité de produits alimentaires bons pour la santé dans tous les établissements publics, dont les écoles, les autres établissements de formation et les lieux de travail ; et d’engager une réflexion à l’échelle nationale sur un éventuel recours à des outils économiques, par exemple des taxes et des subventions afin de favoriser les comportements favorables à la santé, de faire baisser le prix des denrées alimentaires plus saines, d’en encourager la consommation et de détourner les consommateurs d’aliments moins bons pour la santé.

Conclusion

Comme souligné ci-dessus, la réglementation de l’information nutritionnelle soutient le consommateur qui souhaiterait adopter un mode de vie plus sain. Toutefois, les politiques nutritionnelles ne peuvent être efficaces que si elles sont fondées sur une approche plurisectorielle reflétant la multiplicité des causes du surpoids et de l’obésité. Par conséquent, il ne convient pas de sélectionner les causalités en mettant un accent disproportionné sur l’encadrement des conduites individuelles et sur la responsabilisation des consommateurs, notamment par le biais de la réglementation de l’information des consommateurs, à l’exclusion de tout autre domaine d’intervention juridique. L’information doit faire partie d’un ensemble cohérent de mesures complémentaires. C’est à cette condition seulement que les politiques publiques françaises et européennes seront à même de lutter durablement contre le surpoids, l’obésité et tout autre problème nutritionnel.

Références

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[2]Commission Européenne. Livre blanc du 30 mai 2007. Une stratégie européenne pour les problèmes de santé liés à la nutrition, la surcharge pondérale et l’obésité. COM(2007); 279 finalp. 56Retour vers
[3] Derieux E. Réseau social et publicité pour l’alcool. Revue Lamy Droit de l’immatériel. 2013; Retour vers
[4] Friant-Perrot M. Information et qualité des aliments : De l’étiquette à l’assiette, comment garantir au consommateur le choix de son alimentation ?. Collart Dutilleul F, ed., Penser une démocratie alimentaire. 1:Inida. 2013; 437Retour vers
[5] Friant-Perrot M, Garde A. La publicité alimentaire et la lutte contre l’obésité infantile en droit français et en droit anglais. Les Petites Affiches. 2011; 27Retour vers
[6] Friant-Perrot M, Garde A. From BSE to Obesity – EFSA’s Growing Role in the EU’s Nutrition Policy. In: Alemanno A, Gabbi S, editors. Foundations of EU Food Law and Policy : Ten Years of the European Food Safety Authority. Ashgate:2013; Retour vers
[7] Friant-Perrot M, Garde A. L’action de l’Union européenne dans la lutte contre l’obésité. Actes du colloque Louvain-la-Neuve, Anthémis. 2014; Retour vers
[8] Garde A. Freedom of commercial expression and the protection of public health in Europe. Cambridge Yearbook of European Legal Studies. 2010a; 225Retour vers
[9] Garde A. EU Law and Obesity Prevention. Kluwer Law International. 2010b; chapitre 5:Retour vers
[10] Garde A, Rigby N. Going for gold – should responsible governments raise the bar on sponsorship of the olympic games and other sporting events by food and beverage companies ?. Communications Law. 2012; 17:42Retour vers
[11] Garde A, Friant-Perrot M. The regulation of marketing practices for tobacco, alcoholic beverages and foods high in fat, sugar and salt – a highly fragmented landscape. In: Alemanno A, Garde A, editors. Regulating Lifestyle Risks in Europe : Tobacco, Alcohol and Unhealthy Diets. Cambridge University Press; 2015; 68Retour vers
[12] Gibs J, Bruich S. Advertising effectiveness : understanding the value of a social media impression. New York: In: The Nielsen Company, editors. 2010; Retour vers
[13] Jestaz P P. Les sources du droit. Connaissance du Droit. Dalloz, 2e édition. 2015; Retour vers
[14]OMS (Organisation Mondiale de la Santé).A framework for implementing the set of recommendations on the marketing of foods and non-alcoholic beverages to children; Genève:2012; Retour vers
[15] Tomlinson A. The commercialization of the Olympics : Cities, corporations, and the Olympic commodity. In: Young K, Wamsley KB, editors. The Global Olympics : Historical and Sociological Studies of the Modern Games (Research in the Sociology of Sport Vol. 3). JAI Press; 2005; 179Retour vers
[16] Weatherill S. EU Consumer Law and Policy. In: Edward Elgar, editors. 2013; 92Retour vers

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