I. Réglementation et marketing alimentaire
2017
2-
Mesures publiques et privées visant à restreindre l’exposition des enfants au marketing alimentaire
La réglementation française prévoit l’obligation pour les annonceurs d’insérer des messages sanitaires dans les publicités pour les produits alimentaires (obligation dont ils peuvent s’exonérer à condition de s’acquitter d’une taxe
1
Pour une présentation détaillée de la réglementation française sur les messages sanitaires dans les publicités, voir le chapitre 1 du présent rapport.
). Cependant, de nombreuses recherches ayant mis en évidence les effets du marketing sur les préférences alimentaires, notamment parmi les enfants (Hastings et coll., 2006

; Cairns et coll., 2009

), il peut paraître opportun d’adopter également des mesures visant à réduire l’exposition de ces derniers au marketing alimentaire. De telles mesures ont été adoptées dans de nombreux pays, tant à l’initiative des autorités publiques que des acteurs économiques.
Ce chapitre se propose d’examiner ces mesures, de nature très diverse, et d’analyser leur adéquation et leur efficacité au regard des pratiques évolutives des entreprises en matière de marketing. Ce chapitre est organisé en trois parties. Dans un premier temps, il décrira le contenu des divers types de mesures, d’origine publique ou privée, qui ont été adoptées dans différents pays en vue de réduire l’exposition des enfants au marketing et d’en limiter les effets. Si, parmi ces mesures, certaines visent spécifiquement les publicités en faveur des aliments et des boissons, d’autres – les premières à avoir été adoptées – visent indistinctement toutes les publicités s’adressant aux enfants. Ce chapitre s’interrogera ensuite sur la portée et les effets de ces mesures sur l’exposition des enfants au marketing alimentaire. Enfin, il pointera les limites que comportent aujourd’hui les études existantes, généralement centrées sur un type particulier de média ou de technique de marketing, pour saisir les stratégies multiformes des entreprises, qui réussissent souvent à contourner les mesures prises par les pouvoirs publics ou même leurs propres engagements en matière de marketing.
Quelles actions publiques et privées pour réduire l’exposition des enfants au marketing alimentaire ?
La mise sur agenda de la question de la régulation du marketing alimentaire à destination des enfants
La question de la régulation du marketing alimentaire à destination des enfants a été inscrite à l’agenda de nombreux gouvernements et organisations internationales. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a adopté en 2010, un ensemble de recommandations relatives au marketing des aliments et des boissons non alcoolisées à destination des enfants, préconisant notamment aux États d’adopter des politiques les plus globales possibles, couvrant l’ensemble des techniques de commercialisation et des médias employés pour influencer les enfants (OMS, 2010
2
Ces recommandations ont été adoptées à l’unanimité des États membres de l’OMS (dont la France) en mai 2010. Elles ont été réitérées dans le dernier rapport de l’OMS sur l’obésité infantile (WHO, 2016

).
). Une vingtaine de pays ont pris des mesures en ce sens, principalement en Europe, en Amérique du Nord, en Amérique du Sud et en Océanie (Hawkes et Lobstein, 2011

; Galbraith-Emami et Lobstein, 2013

)
3
. Ces mesures ont, le plus souvent, été adoptées à partir des années 2000, dans un contexte marqué par une montée des débats autour du développement de l’obésité, et plus particulièrement de l’obésité infantile (Gard et Wright, 2005

; Bossy, 2010

; Guthman, 2011

; Saguy, 2013

).
Toutefois, certains pays ont pris beaucoup plus tôt des mesures visant à protéger les enfants, jugés particulièrement vulnérables face à des publicités commerciales trop agressives. Celles-ci, qui incluent les publicités pour les produits alimentaires sans s’y restreindre, ont généralement été prises à partir des années 1970-1980, période marquée par une montée en puissance des mouvements consuméristes et des critiques des pratiques publicitaires (Laird, 1998

; Chatriot et coll., 2004

; Fletcher, 2008

). Elles consistaient souvent en de simples recommandations ou chartes volontaires, dont l’application était contrôlée par les acteurs du secteur audiovisuel eux-mêmes (Dagnaud, 2003

). Toutefois, certains États ont adopté des mesures contraignantes, comme le Québec et les Pays-Bas en 1980, suivis par la Suède et la Norvège au début des années 1990. Au Québec, les publicités commerciales destinées à des personnes de moins de treize ans ont été interdites dans l’ensemble des médias. De même, la Norvège a interdit toute publicité s’adressant spécifiquement aux enfants à la radio et à la télévision, ainsi que toute publicité durant les programmes audiovisuels destinés aux enfants. En Suède, le contenu des publicités télévisées ne doit pas attirer l’attention des enfants de moins de 12 ans, y compris dans les programmes disponibles à la demande (Lebel et coll., 2005

; Friant-Perrot et Garde, 2014

).
À partir du milieu des années 2000, certains pays ont adopté des mesures contraignantes visant à restreindre spécifiquement le marketing alimentaire à destination des enfants. Parmi les pays occidentaux, trois États ont adopté de telles mesures : la Grande-Bretagne, la Corée du Sud (2010) et l’Irlande (2013). Ces mesures sont de deux types. Les premières, adoptées en Grande-Bretagne et en Corée du Sud, visent à réduire l’exposition des enfants aux publicités pour des aliments de mauvaise qualité nutritionnelle
4
. Ces mesures, qui s’appliquent uniquement à la télévision, consistent à interdire les publicités pour de tels produits à certains moments de la journée. En Grande-Bretagne, les publicités pour les aliments de mauvaise qualité nutritionnelle sont interdites durant les programmes destinés aux enfants et adolescents (4-15 ans) ou vus plus particulièrement par eux (Boyland et coll., 2011

; Friant-Perrot et Garde, 2011

)
5
Les programmes vus plus particulièrement par les enfants et les adolescents sont ceux qui réalisent, parmi les personnes âgées de moins de 16 ans, une audience supérieure de 20 % à leur part au sein de la population britannique.
. En Corée du Sud, en revanche, elles sont interdites non seulement durant les programmes pour enfants et adolescents (4-18 ans), mais également sur tous les autres types de programmes télévisés diffusés entre 17 h 00 et 19 h 00 (Kim et coll., 2013

). Un deuxième type de mesures consiste à interdire l’emploi de certaines techniques de communication commerciale visant à attirer prioritairement l’attention des enfants. En Grande-Bretagne, l’emploi de personnages (de dessin animé par exemple) sous licence ou de célébrités populaires auprès des enfants et les offres promotionnelles (jouets, etc.) sont ainsi interdits dans les publicités diffusées au moment des programmes télévisés s’adressant aux enfants d’âge préscolaire ou en âge d’aller à l’école primaire. L’Irlande a adopté des mesures proches ciblant les enfants jusqu’à l’âge de 18 ans (Friant-Perrot et Garde, 2014

).
Au total, rares sont les pays à avoir adopté des mesures contraignantes en matière de marketing alimentaire. Les gouvernements ayant affiché leur détermination à lutter contre l’obésité infantile se sont généralement contentés de produire des recommandations à l’intention des acteurs privés (firmes agroalimentaires et médias), en les incitant à engager des actions volontaires pour réduire l’exposition des enfants au marketing alimentaire et à promouvoir des techniques commerciales moins agressives (promotions croisées, recours à des personnages de dessins animés, etc.).
Les engagements volontaires des entreprises
En réponse aux demandes qui leur ont été adressées, et pour éviter que les mesures contraignantes déjà adoptées par certains États ne se durcissent ou soient adoptées par d’autres gouvernements, un certain nombre d’entreprises agroalimentaires ont pris des engagements, individuels et/ou collectifs, pour encadrer les pratiques promotionnelles à destination des enfants.
Hawkes et Harris (2011

) ont recensé, sans être exhaustifs, treize engagements collectifs adoptés par des firmes agroalimentaires (chaînes de
fast-food incluses). Certains de ces engagements ont une portée internationale, comme l’
EU Pledge adopté en 2007, ou la
Global policy on marketing and advertising to children de l’
International Food and Beverage Alliance (IFBA
6
L’IFBA regroupe exclusivement des multinationales de l’agroalimentaire. Elle compte seulement 11 membres en 2015 (Coca-Cola, Ferrero, Mars, Mondelez International, Nestlé, PepsiCo, Unilever, etc.).
), en 2009. D’autres ont un périmètre exclusivement national comme la
Children’s Food and Beverage Advertising Initiative (CFBAI), lancée aux États-Unis en 2006
7
Pour une présentation des divers engagements collectifs signés par de grands groupes agroalimentaires aux États-Unis, voir Sharma et coll. (2010

).
. Ces engagements sont souvent le fait de grands groupes agroalimentaires : Hawkes et Harris notent ainsi que les treize engagements collectifs qu’ils ont répertoriés ont été signés par seulement cinquante-deux groupes différents, certains en ayant signé plusieurs (tableau 2.I

).
Certaines entreprises, conjointement ou non à leur adhésion à des engagements collectifs, ont également pris des engagements individuels en matière de marketing, comme Danone, Ferrero, McDonald’s, Campbell ou Heinz.
Il serait fastidieux de détailler ici le contenu de l’ensemble de ces engagements (voir l’encadré 2.I pour une présentation de la CFBAI et de l’
EU Pledge). Ayant souvent été initiés par des organisations liées entre elles, et signés par les mêmes acteurs, ces engagements présentent beaucoup de caractéristiques communes (Hawkes et Harris, 2011

). Ils visent presque tous les enfants de moins de 12 ans, en adoptant une définition restrictive du marketing à destination des enfants : sur treize engagements collectifs, dix considèrent qu’une publicité est destinée aux enfants si et seulement si ces derniers représentent plus de 50 % de l’audience du support considéré. Les différents types de médias sont inclus de manière variable : si tous les engagements signés comprennent les publicités télévisées, et presque tous, celles sur Internet, à la radio, dans la presse imprimée et dans les établissements scolaires, en revanche, les publicités sur les téléphones mobiles, les sites Internet des marques et les réseaux sociaux en ligne sont très rarement incluses. Quant aux publicités sur les lieux de vente, elles ne sont prises en compte dans aucun des engagements analysés. Plusieurs de ces engagements interdisent également à leurs signataires l’emploi de certaines techniques commerciales visant à susciter l’intérêt des enfants, comme les personnages de dessins animés ou le placement de produits dans des émissions télévisées ou au cinéma. Néanmoins, neuf des treize engagements analysés prévoient que les signataires ne sont tenus d’appliquer ces mesures que pour les produits ne satisfaisant pas certains critères nutritionnels définis de manière
ad hoc. Ces critères varient suivant les engagements, de sorte que certaines entreprises en ayant signé plusieurs appliquent des standards de qualité nutritionnelle différents suivant les marchés où elles sont implantées.
Tableau 2.I Groupes agroalimentaires ayant signé le plus grand nombre d’engagements collectifs (d’après Hawkes et Harris, 2011
)
Groupe
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Nombre d’engagements collectifs signés
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Coca-Cola
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11
|
PepsiCo
|
11
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Mars
|
9
|
Kellogg’s
|
9
|
Nestlé
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9
|
Unilever
|
9
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Kraft
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8
|
General Mills
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7
|
Encadré 2.I : Deux exemples d’engagements volontaires des entreprises : la CFBAI et l’EU Pledge
La Children’s Food and Beverage Advertising Initiative (CFBAI) a été lancée en 2006 par douze grands groupes agroalimentaires présents sur le marché américain (Burger King, Cadbury Adams, Campbell, Coca-Cola, General Mills, Hershey’s, Kellogg’s, Kraft Foods, McDonald’s, Mars, PepsiCo, Unilever). Mise en œuvre par le Council of Better Business Bureau (CBBB), une organisation patronale visant notamment à entretenir une relation de confiance entre les entreprises et les consommateurs, la CFBAI prévoit qu’au moins 50 % des publicités (télévision, radio, presse écrite et Internet) diffusées par les signataires en direction des enfants de moins de 12 ans doivent être « saines » ( healthy), c’est-à-dire promouvoir des pratiques alimentaires ou des modes de vie sains. Pour cela, une publicité doit soit promouvoir un produit défini comme « meilleur pour vous » ( better for you) suivant des critères nutritionnels fixés par chacun des signataires, soit inclure des messages encourageant l’activité physique ou de bonnes habitudes alimentaires, en conformité avec les recommandations nutritionnelles du gouvernement américain. En outre, les signataires s’engagent à recourir moins fréquemment à certaines techniques promotionnelles, telles que le placement de produits ou le recours à des personnages sous licence dans les publicités visant les enfants (sauf si elles sont « saines »), et à ne plus pratiquer de publicité dans les écoles primaires. Chacun des signataires définit lui-même suivant quels critères une publicité est destinée ou non aux enfants de moins de 12 ans et, de fait, ils ont adopté des critères très variables (CBBB, 2008  , p. 21). Les membres de la CFBAI (aujourd’hui au nombre de dix-sept) peuvent également prendre des engagements plus importants, comme l’ont fait trois firmes qui se sont engagées à ne plus pratiquer de publicité en direction des enfants de moins de 12 ans a.
L’EU Pledge a été initié par onze firmes (Burger King, Coca-Cola, Danone, Ferrero, General Mills, Kellogg’s, Kraft Foods, Mars, Nestlé, PepsiCo, Unilever) en 2007 et s’applique dans tous les États membres de l’Union européenne. Les signataires de l’EU Pledge s’engagent alors à ne plus faire de publicité (télévision, presse écrite et Internet) en direction des enfants de moins de 12 ans, sauf pour les produits considérés comme étant de bonne qualité nutritionnelle. Les signataires s’engagent également à ne plus faire de publicité pour leurs produits dans les écoles primaires. En 2014, il est décidé d’élargir la portée de l’EU Pledge à d’autres médias (radio, cinéma, téléphones mobiles, etc.) à partir de la fin 2016. En outre, l’EU Pledge prévoit depuis janvier 2015 des critères nutritionnels communs à tous les signataires, et une définition commune des publicités destinées aux enfants de moins de 12 ans : sont considérées comme telles toutes les publicités s’adressant à une audience comprenant au moins 35 % d’enfants âgés de moins de 12 ans. Comme pour la CFBAI, les signataires de l’EU Pledge (au nombre de 22 en 2015) ont la possibilité de prendre des engagements plus importantsb.
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Dans certains pays, les engagements des acteurs économiques, initiés sous l’impulsion des autorités publiques, ont fait l’objet d’une validation par l’État, comme au Danemark, en Espagne ou en France (voir l’encadré 2.II sur la charte du Conseil national de l’audiovisuel de 2009). Dans d’autres pays, ces engagements collectifs des firmes n’ont fait l’objet d’aucune validation de la part des autorités publiques, comme aux États-Unis ou en Australie (Hawkes et Lobstein, 2011

). Dans tous les cas, les entreprises ayant adhéré à des engagements collectifs conservent la possibilité de prendre des engagements plus stricts. Par exemple, certaines d’entre elles ont adopté une définition plus extensive des publicités destinées aux enfants, en y incluant toutes les publicités s’adressant à une audience comportant au moins 35 % – et non 50 % – d’enfants.
Encadré 2.II : Charte du Conseil supérieur de l’audiovisuel de 2009 en France
En France, suite à l’abandon d’une proposition de la ministre chargée de la Santé prévoyant d’interdire les publicités alimentaires durant les programmes télévisés destinés aux enfants – mesure qui était alors soutenue par l’UFC-Que choisir et plusieurs sociétés savantes a –, une « charte visant à promouvoir une alimentation et une activité physique favorables à la santé dans les programmes et les publicités diffusés à la télévision » a été adoptée sous l’égide du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) en 2009. Cette charte, signée par les principaux acteurs du secteur audiovisuel, l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA) et les ministres en charge de la Santé d’une part et de la Communication et de la Culture d’autre part, prévoit plusieurs engagements. En particulier, les acteurs de l’audiovisuel s’engagent à financer et à diffuser des émissions ou de courtes séquences « portant sur la bonne alimentation et l’activité physique » (CSA, 2010  , p. 5). Les chaînes de télévision et leurs régies publicitaires s’engagent également à accorder des tarifs préférentiels à l’Institut national de prévention et d’éducation à la santé (Inpes) pour la diffusion de ses campagnes nutritionnelles, ainsi qu’aux « campagnes collectives faisant la promotion des produits dont il convient d’augmenter la consommation » ( ibid., p. 11).
a Sur cet épisode, voir Boubal (2011  ).
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À travers ces mesures volontaires, certains acteurs économiques (principalement des firmes agroalimentaires, mais aussi des acteurs de l’audiovisuel) s’engagent à promouvoir des modes d’alimentation sains, voire à ne plus promouvoir certains de leurs produits dans certains médias ou à certains moments de la journée (notamment durant les programmes télévisés pour enfants). Ils multiplient ainsi les signes de bonne volonté à l’intention des gouvernements en place ou des associations de consommateurs, mais leur portée est limitée.
Des mesures aux effets généralement limités
Plusieurs études ont visé à documenter l’impact des mesures prises pour réduire l’exposition des enfants au marketing des industries agroalimentaires ou en limiter les effets, que ces mesures reposent exclusivement sur des engagements volontaires des entreprises ou sur des mesures contraignantes. Ces études ont généralement cherché à mesurer l’évolution de l’exposition des enfants à des publicités, le plus souvent télévisées, pour des produits de mauvaise qualité nutritionnelle.
Des engagements volontaires encore insuffisants
Un premier ensemble de travaux s’est intéressé aux engagements volontaires des entreprises, tels que la CFBAI ou l’
EU Pledge. Cherchant à évaluer l’impact de ces engagements sur l’exposition des enfants aux publicités promouvant des produits de mauvaise qualité nutritionnelle dans les pays anglophones, Galbraith-Emami et Lobstein (2013

) ont effectué une synthèse de 21 études publiées dans des revues académiques et de 11 rapports commandités par les autorités publiques (N = 4) ou les industriels (N = 7). Ils montrent qu’à l’exception des rapports réalisés à la demande des industries, tous ces travaux convergent pour montrer un impact très faible ou nul des mesures d’autorégulation sur l’exposition des enfants aux publicités alimentaires pour des produits de mauvaise qualité nutritionnelle.
Les études centrées sur des cas particuliers d’engagements volontaires d’entreprises corroborent ce constat, qu’il s’agisse de la CFBAI (Powell et coll., 2011

et 2013

), de la
Canadian Children’s Food Beverage Advertising Initiative (Potvin-Kent et coll., 2011

et 2014

) ou encore des divers engagements pris par des industriels et chaînes de
fast-food en Australie (Hebden et coll., 2011

; King et coll., 2011

et 2013

; Smithers et coll., 2013

). Pour certaines catégories de produits, la pression publicitaire a peut-être diminué fortement, mais les efforts réalisés par certaines entreprises ne se traduisent pas par une baisse significative sur l’ensemble des produits. Aux États-Unis, une étude a par exemple mesuré l’évolution de l’exposition des enfants aux publicités télévisées pour des produits de mauvaise qualité nutritionnelle entre 2003 et 2009 à partir des mesures d’audience effectuées par la société Nielsen (Powell et coll., 2011

). Cette étude, qui prend en compte l’ensemble des spots publicitaires vus par les enfants et pas seulement ceux diffusés durant les programmes pour enfants, montre une légère diminution de leur exposition à des publicités promouvant des produits de mauvaise qualité nutritionnelle. La baisse est plus forte pour les firmes membres de la CFBAI (et notamment pour les producteurs de sodas) que pour les autres firmes, certaines, notamment les chaînes de
fast-food, diffusant même davantage de publicités. Néanmoins, la part des produits de mauvaise qualité nutritionnelle dans les publicités télévisées vues par les enfants reste encore très élevée (86 % en 2009, contre 94 % en 2003). En outre, les diminutions observées ont commencé dès 2003, soit bien avant le lancement de la CFBAI (par exemple, la part des produits de mauvaise qualité nutritionnelle dans les publicités télévisées vues par les enfants était déjà passée de 94 % à 89 % entre 2003 et 2007), ce qui suggère que cet engagement a eu un effet d’entraînement très limité sur les pratiques des entreprises signataires. Une autre étude a examiné l’impact de la
Responsible Children’s Marketing Initiative (RCMI), lancée en janvier 2009 par une organisation représentant les industries agroalimentaires australiennes, sur l’exposition des enfants à des publicités télévisées pour des produits de mauvaise qualité nutritionnelle (King et coll., 2011

). À partir d’un échantillon de spots publicitaires diffusés sur trois chaînes hertziennes de Sidney en 2006, 2007 et 2009, les auteurs de l’étude montrent une diminution significative du nombre de publicités pour des aliments de mauvaise qualité nutritionnelle de la part des firmes ayant adhéré à la RCMI (il passe de 1,7 à 1,3 publicité par heure entre 2007 et 2009), contrairement aux autres (1,7 publicité par heure en 2007, et 1,8 en 2009). Néanmoins, cela ne s’est pas traduit par une diminution significative de l’exposition globale des enfants à de telles publicités, le nombre et le poids économique des firmes ayant adhéré à la RCMI étant trop faibles pour avoir un effet important sur l’ensemble du secteur agroalimentaire.
Différentes explications peuvent être avancées pour rendre compte du faible impact des engagements volontaires des entreprises sur l’exposition des enfants aux publicités alimentaires. En premier lieu, ces engagements ne concernent qu’un nombre limité d’entreprises, et donc qu’une partie des firmes susceptibles de promouvoir des aliments de mauvaise qualité nutritionnelle. En second lieu, ces engagements s’appuient généralement sur une définition restrictive du marketing à destination des enfants : ils n’incluent que les contenus visant spécifiquement les enfants, et non les contenus visant les adultes, les adolescents ou les familles dans leur ensemble. Par exemple, Ustjanauskas et coll. (2013

) ont montré que sur les 72 sites Internet les plus consultés par les enfants américains, seulement dix-neuf étaient vus par plus de 35 % d’enfants (soit le seuil retenu par plusieurs signataires de la CFBAI pour considérer qu’un site Internet était destiné aux enfants). Et sur les vingt sites Internet qui contenaient le plus de publicités, un seul était vu par plus de 35 % d’enfants. La très grande majorité des sites Internet pour enfants se situe donc en dehors du champ des engagements pris par les firmes signataires de la CFBAI. De même, Powell et coll. (2013

) ont montré que plus de la moitié des publicités alimentaires vues par les enfants à la télévision le sont durant des programmes non spécifiques, c’est-à-dire, suivant la définition retenue par plusieurs signataires de la CFBAI, vus par moins de 35 % d’enfants de moins de 12 ans.
En troisième lieu, les critères nutritionnels utilisés dans le cadre des engagements volontaires pour distinguer les produits de mauvaise qualité nutritionnelle de ceux qui peuvent continuer à être promus auprès des enfants semblent être souvent complaisants. Dans l’étude d’Ustjanauskas et coll. (2013

) sur les sites Internet pour enfants aux États-Unis, il apparaît que la quasi-totalité des produits promus par des firmes signataires de la CFBAI sont d’une mauvaise qualité nutritionnelle, et même en dessous de ceux des firmes non partenaires de la CFBAI. Brinsden et Lobstein (2013

), quant à eux, se sont intéressés aux nouveaux modèles de profils nutritionnels que les membres de la CFBAI et de l’
EU Pledge se sont engagés à appliquer, respectivement à partir de 2013 et de 2014. Leur étude les compare à des modèles conçus par des organes gouvernementaux, comme l’
Office of Communications (OfCom

) britannique ou l’
US Interagency Working Group (IWG), un groupe de travail commun à quatre administrations américaines. Elle montre que sur 178 aliments considérés comme nutritionnellement acceptables par la CFBAI en 2012, 103 seraient toujours considérés comme valides par le nouveau modèle du CFBAI, 73 par celui de l’
EU Pledge, et seulement 65 par celui de l’OfCom

et 25 par celui de l’IWG.
En quatrième lieu, la bonne application des engagements volontaires des entreprises semble parfois insuffisamment contrôlée – et de manière générale, leur non-respect n’est pas assorti de sanctions dissuasives. Roberts et coll. (2012

) ont ainsi constaté, en Australie, de nombreux cas de non-respect des engagements volontaires pris par les entreprises signataires en matière de publicité télévisée. Six entreprises ont diffusé au total 613 spots non conformes sur les quatre principales chaînes hertziennes australiennes entre le 1
er septembre et le 31 octobre 2010 sans être rappelées à l’ordre
8
La faible durée prise en compte par cette étude (seulement deux mois) en limite incontestablement la portée. L’étude ne dit pas si les entreprises concernées ont été rappelées à l’ordre par la suite et si elles ont finalement modifié leurs pratiques. Mais quand bien même ce serait le cas, ces firmes auront néanmoins réussi à diffuser leurs spots non conformes pendant une durée non négligeable, et sans subir de sanctions (financières, par exemple).
.
Enfin, en dernier lieu, il semble que certains engagements volontaires correspondaient à des pratiques déjà en vigueur au sein des entreprises signataires, ou s’inscrivaient dans la continuité de l’évolution de leurs pratiques en matière de marketing. Par exemple, Coca-Cola a pris l’engagement de ne plus diffuser de publicités auprès des enfants de moins de 12 ans dans le cadre de la CFBAI, mais il est à noter que l’essentiel des efforts de marketing des fabricants de boissons non alcoolisées en direction des jeunes vise les adolescents et non les jeunes enfants
9
Une étude de la
Federal Trade Commission américaine, citée par Hawkes et Harris (2011, p. 1411

), a montré que les adolescents ont représenté 96 % des dépenses de marketing engagées par ces entreprises en direction des jeunes aux États-Unis, contre 4 % pour les jeunes enfants en 2007.
.
La faible portée des mesures contraignantes
D’autres travaux ont cherché à analyser les effets des mesures contraignantes adoptées par certains États en vue de réduire l’exposition des enfants à des publicités promouvant des aliments de mauvaise qualité nutritionnelle. Les études réalisées sur la Grande-Bretagne (Boyland et coll., 2011

; Adams et coll., 2012

), premier pays à avoir interdit spécifiquement les publicités alimentaires durant les programmes pour enfants ou regardés plus spécifiquement par eux, concluent à un impact faible ou non significatif de ces mesures. Ainsi, dans une étude comparant le nombre de publicités télévisées promouvant des produits de mauvaise qualité nutritionnelle sur deux périodes (avant la réglementation de 2007 et après), Adams et coll. (2012

) montrent que l’exposition des enfants (4-15 ans) à de telles publicités est restée stable, et a même augmenté pour l’ensemble des téléspectateurs, et ce malgré une bonne application de la réglementation. Les auteurs de l’étude en tirent deux conclusions principales. En premier lieu, la réglementation ne couvre que les programmes vus par les enfants ou vus plus particulièrement par eux. Or, en valeur absolue, le nombre d’enfants regardant d’autres types de programmes peut être plus élevé, ce qui limite beaucoup la portée de la réglementation britannique. D’après un rapport de l’OfCom (2010

), 67 % des programmes télévisés que les enfants regardent, échappent ainsi à cette réglementation. En second lieu, les auteurs de l’étude font l’hypothèse que les annonceurs ont probablement cherché à compenser l’interdiction des publicités durant les programmes pour enfants ou vus plus particulièrement par eux en en diffusant davantage aux autres moments de la journée.
Des conclusions similaires peuvent être tirées des cas du Québec et de la Suède : dans ces deux pays, les enfants sont toujours exposés à de nombreuses publicités télévisées promouvant des produits de mauvaise qualité nutritionnelle, car les réglementations adoptées interdisent uniquement les publicités spécifiquement destinées aux enfants. Ainsi, confirmant les résultats de Lebel et coll. (2005

), Potvin-Kent et coll. (2012

) montrent que la majeure partie des publicités diffusées aux heures de grande écoute des enfants concernent des produits de mauvaise qualité nutritionnelle
10
Malgré un impact faible des mesures de restriction de la publicité sur l’exposition des enfants au marketing alimentaire, Dhar et Baylis (2011

), s’intéressant aux achats de produits de restauration rapide au Québec entre 1984 et 1992, ont estimé que ces mesures ont eu des effets significatifs sur les dépenses des ménages dans les chaînes de
fast-food : en comparant les dépenses des foyers anglophones, qui avaient moins de chances d’être influencés par l’interdiction (leurs membres regardant de préférence les programmes télévisés en anglais diffusés par des chaînes non québécoises), à celles des foyers francophones, elles ont estimé que sans ces mesures, les dépenses des foyers francophones en
fast-food auraient été supérieures de 12 % à leur niveau effectif.
. Kelly et coll. (2010

) montrent même que le nombre moyen de publicités de ce type auxquelles l’ensemble des téléspectateurs est exposé est plus élevé en Suède que dans des pays n’ayant pas adopté de mesures contraignantes, comme l’Italie ou l’Australie, que ce soit durant les heures de grande écoute pour les enfants ou non.
A contrario, une étude consacrée à la Corée du Sud montre un impact important des mesures adoptées dans ce pays en vue de réduire l’exposition des enfants aux publicités pour des aliments de mauvaise qualité nutritionnelle. Celles-ci ont notamment consisté à interdire toute publicité de ce type sur toutes les chaînes de télévision entre 17 h 00 et 19 h 00 (Kim et coll., 2013

). Comparant deux échantillons, l’un pour l’année 2009 et l’autre pour l’année 2010, année où la nouvelle réglementation est entrée en vigueur, les auteurs constatent une forte diminution du nombre de publicités pour les aliments de mauvaise qualité nutritionnelle, aussi bien entre 17 h 00 et 19 h 00 (- 81 %) que durant les autres moments de la journée (- 52 %). Ils notent également une baisse importante des dépenses publicitaires pour ce type d’aliments, tandis que les dépenses publicitaires pour les aliments de bonne qualité nutritionnelle ont augmenté. Au vu de l’ampleur des diminutions constatées, ces résultats doivent certainement être interprétés avec précaution. Certaines firmes ont pu, par exemple, modifier le contenu de leurs publicités de manière à ce que leurs produits apparaissent comme sains (par exemple, une chaîne de
fast-foods peut promouvoir des salades composées plutôt que des burgers). D’autres ont pu choisir de consacrer une part plus grande de leur budget publicitaire à d’autres médias non couverts par la réglementation (radio, Internet, etc.). Néanmoins, cette étude suggère que des mesures d’interdiction portant sur l’ensemble des programmes télévisés aux heures de grande écoute, tant pour les adultes que pour les enfants, sont susceptibles d’avoir un impact plus important sur l’exposition des enfants aux publicités alimentaires que celles portant uniquement sur les programmes pour enfants (ou vus plus particulièrement par eux) ou sur les publicités s’adressant spécifiquement aux enfants.
Des pratiques promotionnelles multiformes et évolutives
Les études académiques cherchant à évaluer l’impact des mesures contraignantes ou des engagements volontaires en matière de marketing alimentaire portent toujours sur un seul type de média (les publicités télévisées dans la grande majorité des cas). Faute d’étudier plusieurs médias simultanément, ou de se focaliser sur des entreprises précises et d’étudier leurs stratégies marketing d’ensemble, elles donnent rarement la possibilité de montrer d’éventuelles stratégies de déplacement de la part des entreprises, c’est-à-dire de stratégies consistant, pour une entreprise donnée, à réallouer ses investissements marketing sur des médias ou des contenus moins régulés. Néanmoins, plusieurs études suggèrent que ces pratiques ne sont pas rares. Ainsi, il a été observé, comme cela a déjà été indiqué plus haut, que la mise en place de la réglementation britannique sur les publicités alimentaires en 2008 avait conduit les firmes à diffuser davantage de publicités durant les plages horaires non visées par les mesures d’interdiction (Adams et coll., 2012

). Toujours au sujet du cas britannique, Boyland et coll. (2012

) ont montré que les personnages sous licence (par exemple des personnages de dessins animés de Walt Disney) ou les célébrités figurent toujours dans plus de la moitié des publicités alimentaires à la télévision en 2008. En effet, la réglementation britannique interdit l’emploi de personnages sous licence ou de célébrités particulièrement populaires auprès des enfants dans les publicités s’adressant aux enfants de moins de 12 ans. Dès lors, rien n’empêche les annonceurs de continuer à recourir à ces techniques promotionnelles si les publicités où elles sont employées visent tous les téléspectateurs et pas seulement les enfants ou, pour les publicités s’adressant prioritairement aux jeunes enfants, de recourir à des célébrités connues au-delà du seul public enfantin
11
En outre, la réglementation britannique n’interdit pas les personnages de marque, c’est-à-dire les personnages créés par les firmes agroalimentaires elles-mêmes (tels Toni le Tigre ou Ronald McDonald).
.
Quelques études suggèrent que les entreprises peuvent également contourner les engagements volontaires auxquels elles ont elles-mêmes souscrit (Harris et coll., 2010

; Speers et coll., 2011

). Par exemple, Speers et coll. (2011

) ont noté que si les signataires de la CFBAI se sont engagés à ne plus chercher activement à placer leurs produits durant les programmes télévisés s’adressant prioritairement aux enfants, rien ne leur interdit de le faire pour les autres programmes. Or, ces auteurs montrent que les treize firmes partenaires de la CFBAI en 2008 recourent fréquemment à la pratique du placement de produits durant les émissions télévisées de début de soirée (
prime time television programming). À elle-seule, Coca-Cola représente 70 % des occurrences de produits vus par les enfants durant ces émissions, suivie par PepsiCo (8 %). De manière générale, « les entreprises participant à la CFBAI sont significativement plus enclines à recourir au placement de produit et moins aux publicités télévisées que les autres entreprises » (Speers et coll., 2011

, p. 293). Autrement dit, les entreprises signataires de la CFBAI peuvent affirmer ne plus recourir au placement de produits durant les programmes télévisés pour enfants, voire s’engager à ne plus diffuser de publicités télévisées auprès des enfants (comme Coca-Cola) tout en recourant massivement au placement de produits durant les programmes télévisés s’adressant à tous les publics, vus également par un très grand nombre d’enfants
12
L’étude de Speers et coll.

n’étudiant pas les pratiques promotionnelles des entreprises sur plusieurs années consécutives (et notamment avant et après la mise en œuvre de la CFBAI), il n’est pas possible d’affirmer avec certitude que les firmes recourent ici à des stratégies de contournement ou de substitution. Une autre interprétation est possible : les firmes ont pu se contenter de faire des engagements qui ne faisaient que reproduire, à peu de choses près, les pratiques de marketing qui étaient déjà les leurs.
.
La littérature existante suggère ainsi qu’on assiste aujourd’hui à une évolution ou à une reconfiguration des stratégies de marketing des entreprises et non à une diminution de leurs efforts dans ce domaine. Aucune étude ne permet de documenter une diminution de l’exposition des enfants au marketing alimentaire à travers l’ensemble des médias existants. Ainsi, un nombre grandissant de travaux s’intéressent à Internet, qui fait l’objet d’investissements croissants des entreprises en matière de marketing. Pour certaines firmes, la diminution des investissements publicitaires à la télévision ou dans les autres médias « traditionnels » (radio, presse écrite) est sans doute largement compensée par le développement du marketing sur Internet : diffusion de publicités sur les sites Internet pour enfants, sites de marques alimentaires, publicités sur téléphones mobiles, emploi des réseaux sociaux, etc. (Montgomery et Chester, 2009

). Le secteur agroalimentaire n’échappe pas à cette évolution (Weber et coll., 2006

; Potvin-Kent et coll., 2013

; Ustjanauskas et coll., 2013

). Le recours simultané à plusieurs canaux de communication (qualifié également de « marketing intégré » ou de « stratégie 360 ° ») suggère ainsi que les mesures visant à limiter l’exposition des enfants au marketing alimentaire pour un petit nombre de médias, voire exclusivement pour la télévision (comme en Grande-Bretagne ou en Corée du Sud), sont largement insuffisantes et offrent aux entreprises de multiples possibilités de déplacements sur d’autres médias.
De surcroît, le recours à ces nouveaux médias s’accompagne souvent de pratiques déguisées de marketing, comme le marketing dit « viral » consistant à faire des consommateurs eux-mêmes les promoteurs de tel ou tel produit à travers les réseaux sociaux ou les jeux publicitaires (
advergames) en ligne mêlant divertissement et contenu publicitaire, fréquemment proposés sur les sites Internet de marques. S’intéressant aux sites Internet de marques alimentaires promus sur deux chaînes télévisées pour enfants, Culp et coll. (2010

) ont constaté que sur les dix-neuf sites ainsi identifiés, seize comprenaient des jeux en ligne. Au total, ces sites proposaient 247 jeux, chacun d’entre eux comportant en moyenne 7,5 occurrences de la marque (généralement le logo de la marque, ou encore des images des produits). Les auteurs suggèrent en outre que le caractère interactif de ces jeux fait que les enfants sont incités à rester plus longtemps en ligne, ce qui peut être à l’origine d’une exposition importante au marketing alimentaire.
D’autres travaux ont mis en évidence des stratégies plus subtiles, consistant à faire un usage stratégique des messages nutritionnels et à diffuser dans le même temps des messages contradictoires. Par exemple, Thomson (2011

) a réalisé une étude sémiologique très fouillée sur l’un des sites de marque alimentaire les plus populaires auprès des enfants américains, « Milsberry.com », détenu par General Mills qui produit notamment des céréales de petitdéjeuner
13
Ce site Internet, créé en 2004, a été fermé en 2010.
. Thomson montre que dans le jeu très sophistiqué proposé par ce site, General Mills affiche son adhésion aux recommandations nutritionnelles officielles tout en multipliant les messages qui les contredisent. Ainsi, le jeu comporte des messages insistant sur l’importance de manger de manière équilibrée et en quantités raisonnables, renvoyant au site de l’
US Departement of Agriculture, qui édite avec son homologue de la santé les
Dietary Guidelines for Americans. Toutefois, la mise en scène et le déroulement du jeu aboutissent à délivrer des messages contraires : par exemple, pour gagner des points et passer d’un niveau à l’autre, il faut consommer le plus grand nombre possible de bols de céréales de la marque (soit trente-huit bols représentant l’équivalent de 6 000 calories sur l’ensemble du jeu). Autrement dit, la logique même du jeu suggère des modèles de comportements alimentaires (
snacking et consommation en grandes quantités de produits de pauvre qualité nutritionnelle) peu conformes aux recommandations nutritionnelles officielles. D’autres travaux ont pointé des pratiques similaires à propos de l’emploi de messages nutritionnels dans des publicités télévisées aux États-Unis. En 1971, la
Federal Trade Commission a encouragé certains annonceurs à faire figurer dans leurs publicités télévisées des messages à double modalité (son et image) pour limiter les risques de tromperie ou d’incompréhension des consommateurs, et plus particulièrement des enfants. Dans le cas des publicités alimentaires, les fabricants de céréales de petit-déjeuner sont pratiquement les seuls à avoir employé de tels messages, présentant leurs produits comme faisant partie d’un petit-déjeuner équilibré. Néanmoins, non seulement les études qui ont été effectuées sur ces publicités (Wicks et coll., 2009

; Fosu et coll., 2013

) soulignent le fait que ces messages peuvent être mal compris (les céréales de petit-déjeuner devenant indispensables à un petit-déjeuner équilibré), mais elles montrent également que les spots publicitaires recourent généralement à des techniques de production (animations, effets sonores) qui peuvent avoir pour effet de détourner l’attention des téléspectateurs des messages nutritionnels eux-mêmes.
Autrement dit, les entreprises agroalimentaires peuvent effectuer un « travail de confusion » consistant à diffuser dans l’espace public des messages contradictoires (Auyero et Swistun, 2008

). Par exemple, elles peuvent afficher leurs adhésions aux recommandations nutritionnelles officielles et chercher ainsi à améliorer leur image auprès des consommateurs, des médias ou des pouvoirs publics, tout en continuant à commercialiser et promouvoir des produits de mauvaise qualité nutritionnelle. Au-delà des seules pratiques de marketing orientées en direction des consommateurs et plus particulièrement des enfants, on retrouve de telles stratégies au niveau des pratiques de relations publiques des entreprises. Certaines sociétés produisant des aliments de très mauvaise qualité nutritionnelle (barres chocolatées, sodas, etc.) participent ainsi à des programmes visant à lutter contre l’obésité infantile, comme le réseau Epode
14
Epode : Ensemble Prévenons l’Obésité Des Enfants.
(Bergeron et coll., 2011

). Plus généralement, les engagements volontaires en matière de marketing alimentaire, à la portée limitée, s’inscrivent dans ces stratégies de relations publiques des entreprises
15
Sur ce point, voir également la contribution de Marine Friant-Perrot à ce rapport.
.
Conclusion
Dans de nombreux pays, des mesures ont été adoptées en vue de restreindre le marketing alimentaire à destination des jeunes enfants, à l’initiative soit des autorités publiques, soit des industries agroalimentaires. Ces mesures visent principalement à réduire l’exposition des enfants au marketing alimentaire et/ou à en limiter les effets, en prohibant l’emploi de certaines techniques de communication commerciales. Leur extension est très variable, suivant les médias ou les techniques commerciales pris en compte, le caractère plus ou moins large des publics visés, et les critères employés en matière de qualité nutritionnelle des aliments. Enfin, qu’elles soient d’origine publique ou privée, la très grande majorité de ces mesures reposent sur des engagements volontaires des entreprises. Très rares sont les États à avoir mis en place des dispositifs contraignants, comme la Grande-Bretagne et la Corée du Sud.
La littérature existante montre que la quasi-totalité de ces mesures ont eu un impact très faible, voire nul, sur l’exposition des enfants au marketing des industries agroalimentaires. Cela s’explique par deux raisons principales. D’une part, ces mesures portent souvent sur un ensemble limité de médias (et même uniquement sur les programmes télévisés pour les rares réglementations contraignantes à avoir été adoptées). D’autre part, elles portent généralement exclusivement sur des contenus (programmes télévisés, magazines, etc.) destinés spécifiquement aux enfants, et non sur des contenus visant les adultes et les familles dans leur ensemble. Or, les contenus s’adressant à une population diversifiée (comme les programmes télévisés de début de soirée) peuvent être également vus par un très grand nombre d’enfants. L’extension insuffisante des mesures visant à restreindre le marketing alimentaire à destination des enfants favorise ainsi des stratégies de déplacement de la part des industriels, soit à l’intérieur d’un même média, soit d’un média à l’autre.
Néanmoins, les études existantes étant généralement focalisées sur un seul type de média (la télévision dans la grande majorité des cas), elles ne permettent pas de bien appréhender les stratégies marketing d’ensemble des entreprises et la manière dont elles investissent différents types de médias. Pour certaines firmes, la diminution des investissements publicitaires à la télévision ou dans les autres médias « traditionnels » (radio, presse écrite) est sans doute largement compensée par le développement du marketing sur Internet : diffusion de publicités sur les sites Internet pour enfants, sites de marques alimentaires, publicités sur téléphones mobiles, emploi des réseaux sociaux, etc. Le recours simultané à plusieurs canaux de communication suggère ainsi que les mesures visant à limiter l’exposition des enfants au marketing alimentaire pour un petit nombre de médias, voire exclusivement pour la télévision, sont largement insuffisantes et ne réduisent pas l’exposition, tout en offrant aux entreprises de multiples possibilités de déplacements sur d’autres médias.
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