II. Effets des messages nutritionnels

2017


ANALYSE

5-

Apports du marketing social pour les campagnes de prévention nutritionnelle

Devant la montée de l’épidémie de l’obésité et ses conséquences sur la santé de la population, les pouvoirs publics des différents pays ont été amenés à chercher des moyens d’inciter les individus et les familles à adopter des comportements alimentaires plus « vertueux ». L’influence de la publicité pour des produits alimentaires de faible qualité nutritionnelle a notamment été questionnée par de nombreux programmes de recherche (Adachi-Meija et coll., 2011renvoi vers ; Adams et coll., 2012renvoi vers ; Chandon et Wansink, 2012renvoi vers) et a conduit un certain nombre de pays, notamment en Amérique du Sud (Équateur, Chili, Pérou), en Europe (de nombreux pays de l’Union Européenne, Norvège), au Canada et en Asie (Corée du Sud) à mettre en place des mesures visant à restreindre cette influence (WCRF International Nourishing Framework, 2015renvoi vers).
Ces incitations peuvent prendre de nombreuses formes dont les campagnes d’information pour le grand public. L’accès à une information sur les qualités nutritionnelles des produits alimentaires qui soit objective et non biaisée par des motivations commerciales est apparu comme un levier majeur pour inciter à des changements de comportements et pour contrecarrer l’influence du marketing des industriels agroalimentaires. Cependant, l’accès aux connaissances et la conscience des facteurs de risque pour la santé ne sont pas suffisants pour changer les comportements, et l’incitation à adopter des habitudes de vie favorables à la santé reste complexe.
Dès les années 1970, les outils et méthodes inspirés du marketing commercial ont été appliqués (marketing social) afin d’optimiser les campagnes de prévention notamment en matière de prévention du tabagisme et de consommation d’alcool, mais aussi pour influencer les comportements nutritionnels.
Différents critères d’efficacité ont été définis à partir des études d’évaluation des actions de marketing social, et ces critères constituent des pistes de réflexion pour améliorer l’efficacité des campagnes publiques.

Mécanismes publicitaires et effet de la publicité sur les attitudes et comportements des consommateurs

Mécanismes de persuasion du marketing

Pour les entreprises, le marketing n’a pas pour fonction première d’informer le consommateur ; l’information n’est qu’un moyen de parvenir à une réaction comportementale d’achat et/ou de consommation de ce dernier. Dans le raisonnement économique, on peut distinguer une vision « informative » et « persuasive » de la publicité (Soler, 2014renvoi vers), la première supposant un déficit d’information sur le marché et la seconde ayant pour objectif une stratégie de différenciation et de fidélisation aux marques. Dans un marché mature comme le marché alimentaire français, la problématique marketing de la communication des entreprises agroalimentaires repose essentiellement sur la persuasion, alors que le message informatif vise plutôt la notoriété, ou bien l’apprentissage d’une consommation relativement nouvelle ou complexe. Dans ce dernier cas, ce n’est pas forcément la télévision qui sera le média le plus performant comparé à la presse ou à Internet, qui permettent de véhiculer un message plus cognitif et plus complexe. Le message persuasif va quant à lui viser l’image de la marque et l’attitude ou le changement d’attitude de la cible, comme antécédent de l’intention d’achat et du comportement d’achat. Miller (1980renvoi vers) définit la persuasion dans le cadre de « situations où le comportement a été modifié par le moyen de transactions symboliques (message) qui sont parfois mais pas systématiquement liées à des forces (indirectement) coercitives et qui font appel à la logique et aux émotions des personnes persuadées ».
En marketing et en psychologie cognitive, on a beaucoup étudié la persuasion dans son lien avec le changement d’attitude ou de comportement espéré chez le consommateur. Dans un premier temps, les recherches ont mis en évidence le rôle du traitement cognitif de l’information pour ensuite y intégrer les réactions affectives donnant lieu à des modèles duaux (Elaboration Likelihood Model ou ELM de Petty et Cacioppo, 1986renvoi vers ; Heuristic/Systematic Model de Chaiken, 1980renvoi vers). Le modèle ELM de Petty et Cacioppo distingue deux types de traitement d’une communication persuasive, en fonction de la motivation à traiter l’information, le traitement central et le traitement périphérique. Le traitement central requiert plus de temps et d’effort pour évaluer le message, alors que la route périphérique est rapide et demande peu d’effort car elle utilise facilement des heuristiques et des associations déjà en mémoire pour émettre un jugement sur le message. Les théories intégratrices (Meyers-Levy et Malaviya, 1999renvoi vers) incluent en plus des voies cognitive et affective, l’imitation et les interactions sociales ainsi que les automatismes et les comportements conditionnés comme voies additionnelles de persuasion. Ainsi, tout être humain est exposé à d’innombrables tentatives persuasives et lui-même se prête à ce jeu consciemment ou non.
Les mécanismes de persuasion sont donc complexes, le but étant d’infléchir favorablement et durablement les attentes à l’égard d’une offre, et de nombreuses variables y contribuent : variables situationnelles et contextuelles, telles que l’humeur ou la voie de traitement du message empruntée par l’individu à un moment donné, ainsi que des variables individuelles, en particulier l’implication pour la catégorie de produits, et encore les variables d’exécution du message, qui vont peser sur sa réception. De manière générale, on considère que les publicités télévisées sont reçues dans un contexte de faible implication, dans lequel le traitement périphérique, qui ne nécessite pas un traitement cognitif évaluatif du message sera favorisé, sauf implication du consommateur. Cette influence implicite est de mieux en mieux connue et par exemple, la théorie du simple effet d’exposition (mere exposure effect) prévoit que la simple exposition à un logo, même jusque-là inconnu, peut conduire à une préférence (Zajonc, 1980renvoi vers) (cf. chapitre « Niveaux d’attention, processus cognitifs et influence des messages sanitaires dans les publicités alimentaires »). D’un point de vue théorique, le concept de réseau d’associations d’une marque (Aaker et Biel, 1993renvoi vers) explique comment le marketing, à travers toutes les communications envoyées par cette marque, telles que la publicité mais aussi le packaging et tous les outils du « marketing mix1  », cherche à ce que les consommateurs construisent un réseau d’associations à cette marque dont ils se serviront automatiquement pour concevoir leur expérience de consommation avec elle. La théorie de l’apprentissage social (Ferraro et coll., 2008renvoi vers) prévoit que des enfants qui ont été soumis continuellement à des messages publicitaires vantant le plaisir associé à la consommation d’aliments à forte densité énergétique peuvent développer des préférences et des comportements à long terme sans en être forcément conscients (Harris et Graf, 2012renvoi vers).
Cependant, les consommateurs ne sont pas des réceptacles purement passifs des messages que le marketing leur adresse. De leur immersion dans le monde de la communication persuasive commerciale naît une connaissance intuitive des techniques qui augmentent les chances de persuader. C’est ce que Friestad et Wright (1994renvoi vers) nomment le Persuasion Knowledge, qui se construit sur la base d’expériences vécues et permet au consommateur de s’appuyer sur cette connaissance pour traiter les messages reçus. Le modèle des métacognitions (ou modèle PKM pour Persuasion Knowledge Model) a mis en évidence l’importance des pensées que les consommateurs ont au sujet du marché et de la consommation (Friestad et Wright, 1994renvoi vers) dans leur traitement des essais de persuasion des entreprises et dans leur résistance ou pas à cette persuasion. Pour Friestad et Wright, une publicité procède, du côté de l’émetteur marketing, d’une connaissance du sujet, de la connaissance des techniques de persuasion et d’une connaissance de la cible. Mais le récepteur – le consommateur – va recevoir cette publicité à travers le prisme de ce qu’il sait ou croit savoir du sujet, des techniques de persuasion et de l’entreprise émettrice. Toutes ces pensées vont intervenir dans le traitement du message et l’amener à y réagir, soit positivement, soit s’il perçoit de manière forte la tentative de persuasion, à y résister. Le PKM permet donc de conceptualiser une réception des messages plus riche et plus complexe que les modèles classiques de la communication entre un émetteur et un récepteur passif. Il offre de ce fait un cadre d’analyse particulièrement intéressant pour expliquer le phénomène de résistance au marché en général et à la communication publicitaire en particulier. Cependant, il reste un modèle concernant l’élaboration cognitive d’un traitement du message, et ne prend pas en compte l’influence automatique que la publicité peut avoir sur les attitudes, les croyances et les comportements.

Effet de la publicité sur les attitudes, les croyances et les comportements alimentaires

De nombreux rapports ont été rédigés notamment à la demande des institutions nationales ou internationales, reposant sur des méta-analyses effectuées pour cerner l’influence de la publicité sur le développement de l’obésité, en particulier chez les enfants et les jeunes. La publicité des produits alimentaires et ses effets sur les enfants ont été particulièrement étudiés, en raison des inquiétudes relatives à l’obésité infantile.
Citons par exemple, la synthèse de la littérature réalisée en 2003 par Hastings et coll., puis mise à jour à plusieurs reprises (Hastings et coll., 2003renvoi vers et 2006renvoi vers ; Cairns et coll., 2009renvoi vers et 2013renvoi vers). Les auteurs concluent que, au Royaume-Uni, les publicités alimentaires ont un effet significatif à la fois sur les préférences, les comportements d’achats et la consommation alimentaire des enfants. Cet effet est indépendant de celui des autres facteurs (familles, pairs…) et opère aussi bien au niveau des marques que des catégories de produits. Autrement dit, la publicité affecte non seulement le choix d’une marque mais aussi la consommation totale de la catégorie de produits à laquelle appartient la marque.
Cependant, pour Livingstone (2006renvoi vers), de nombreux travaux font état de corrélations et non de causalité, et la prise en compte de facteurs confondants n’est pas toujours bien assurée.
À ce sujet, l’analyse de Soler (2014renvoi vers) souligne « … qu’une position de consensus a été proposée par Livingstone (2006renvoi vers), proche des conclusions d’autres auteurs comme Cairns et coll. (2013renvoi versrenvoi vers). On peut la résumer de la façon suivante : le niveau de preuve disponible dans les travaux conduits depuis de nombreuses années tend à établir que la publicité alimentaire a un effet causal significatif sur les préférences alimentaires, sur les connaissances nutritionnelles et sur les comportements alimentaires des enfants ; mais cet effet est modeste et son expression est modulée par d’autres facteurs d’influence que sont les comportements alimentaires des parents, les pressions des pairs, ou le niveau d’activité physique. ».
Il poursuit : « Si l’on admet un tel effet causal significatif bien que modeste, il apparaît légitime de s’interroger sur l’intérêt d’une régulation de la publicité comme levier d’action possible de prévention nutritionnelle. Des effets modestes au niveau individuel peuvent en effet se traduire par des impacts non négligeables en santé publique ».
Concernant la question des mesures visant à restreindre l’exposition des enfants au marketing alimentaire, elle est traitée dans le chapitre intitulé « Mesures publiques et privées visant à restreindre l’exposition des enfants au marketing alimentaire » du présent rapport.
D’autres pistes d’amélioration peuvent être envisagées, notamment au regard de l’importante littérature concernant l’approche du marketing social pour promouvoir auprès des populations générale ou à risque une meilleure alimentation et une plus grande activité physique.

Recours au marketing social pour l’amélioration de la communication nutritionnelle et de santé

On attribue généralement l’introduction du terme « marketing social » à Kotler et Zaltman (1971renvoi vers, p. 5), qui le définissent comme « la conception, l’amélioration et le contrôle de programmes destinés à influencer l’acceptabilité d’idées sociales, et prenant en compte le produit, le prix, la communication, la distribution et la recherche en marketing ». À la suite de cet article, le marketing a donc dépassé ses frontières traditionnelles (les entreprises de biens et de services) pour inclure dans son champ d’analyse et d’action les pouvoirs publics, les institutions et les associations. Les techniques utilisées en marketing commercial pour analyser, mettre en œvre et évaluer des programmes ont été appliquées à des programmes destinés à modifier le comportement d’individus ciblés dans le but d’un meilleur bienêtre pour eux-mêmes et pour la société. La conception, la conduite et le contrôle de programmes de santé publique ont été très vite l’un des domaines d’application du marketing social (Lefebvre et Flora, 1988renvoi vers ; Cheng et coll., 2011renvoi vers). Dans le domaine de l’alimentation, Block et coll. (2011renvoi vers) ont poursuivi cette approche en proposant de passer du paradigme « Food as health » au paradigme « Food as well-being », qui permet une vision plus holistique.
Le marketing social se caractérise par un cadre de réflexion et d’action planifié et systématique, qui repose sur les principes et techniques du marketing pour développer des programmes, services ou produits qui bénéficient à une population générale ou ciblée (Bryant et coll., 2011renvoi vers). L’idée générale en est que si le marketing des entreprises peut influencer des comportements (comme une alimentation trop riche en aliments gras et sucrés), alors le marketing social peut, en employant des méthodes similaires, influencer des comportements plus vertueux et meilleurs pour la santé des individus.
Le marketing social se distingue donc des autres actions de santé publique qui peuvent être mises en place, comme des campagnes d’éducation ou l’adoption d’une législation. Les avantages du marketing social sont d’apporter des théories et des preuves fondées sur des pratiques marketing efficaces, et d’être déjà utilisé dans de nombreux domaines de santé publique, comme la nutrition, la lutte contre l’obésité, la consommation d’alcool, le tabagisme, l’activité physique.

Caractéristiques d’une intervention de marketing social

Afin de faciliter le développement de programmes s’appuyant sur le marketing social, Andreasen a proposé en 2002 d’expliciter les critères qui permettent de distinguer l’originalité du marketing social par rapport à d’autres formes d’intervention de santé publique, comme l’information du public ou la communication publicitaire. Les concepts du marketing commercial sont repris et appliqués, afin de mettre au jour 6 critères qui depuis sont largement considérés comme représentatifs d’une action de marketing social :
• l’orientation du consommateur comprenant un objectif comportemental (il ne s’agit pas seulement d’éduquer ou d’informer) ;
• la notion d’échange, qui implique de raisonner en termes de valeur (bénéfices et sacrifices) de l’offre ;
• la segmentation et le ciblage pour savoir quelle population la campagne veut toucher ;
• la prise en compte de la concurrence (contre quelles pressions faut-il se positionner ?) ;
• une déclinaison de la stratégie par les éléments du marketing mix, à l’instar des « 4 P » (produit, prix, place [distribution] et promotion [communication]) du marketing classique ;
• et enfin, la mise en place d’un système d’information et de contrôle afin d’évaluer les résultats obtenus (Andreasen, 2002renvoi vers).
Ces critères ne sont pas toujours entièrement appliqués dans les interventions de santé publique mais permettent, notamment pour les méta-analyses, de repérer celles qui sont réellement fondées sur les principes et techniques du marketing social.

Évaluation des résultats obtenus par le marketing social

De nombreux programmes de marketing social ont été mis en place depuis les années 1970, suscitant autant d’articles de recherche consacrés à l’efficacité d’une campagne en particulier. Dans des domaines variés, des actions ont été créditées de résultats certains, comme par exemple l’augmentation durable de la marche pour des populations pauvres afro-américaines (Wilson et coll., 2015renvoi vers), ou la perte de poids et le changement des consommations alimentaires (campagne durant quatre ans en Alabama combinant des interactions hebdomadaires de l’équipe avec les participants et des outils sur Internet ; Forbus et Snyder, 2013renvoi vers).
Des méta-analyses ont cherché des preuves scientifiques de l’efficacité de ces programmes, en se fondant généralement sur les critères définis par Andreasen (2002renvoi vers). Certaines méta-analyses ont noté, à l’instar de celles portant sur les effets de la publicité alimentaire (voir plus haut), qu’en l’absence d’une explicitation précise des objectifs de la campagne de marketing social, il est difficile d’en évaluer l’effet. Ainsi, dans leur revue systématique portant sur les interventions pour la prévention de l’alcoolisme, Janssen et coll. (2013renvoi vers), à partir de 274 études extraites des bases PubMed, PsychInfo, Cochrane and Scopus, ne trouvent que 6 études correspondant strictement à leurs critères d’inclusion (respecter au moins un des principes du marketing social). Sur ces 6 études appliquant les techniques du marketing social sur les attitudes et/ou les comportements relatifs à l’alcool, les auteurs déplorent l’impossibilité d’établir un effet reconnu en raison des faiblesses dues au manque de groupe de contrôle, de taux de réponse et de biais méthodologiques.
Pourtant, d’autres méta-analyses aboutissent à des preuves d’efficacité sur les attitudes et sur les comportements. McDermott et coll. (2006renvoi vers) ont analysé 31 études portant sur des interventions en matière de nutrition et correspondant aux critères du marketing social. Neuf étaient des interventions dans des établissements scolaires, 5 étaient d’autres formes d’intervention auprès de jeunes, 2 étaient des interventions auprès de familles, 3 des interventions auprès des fidèles d’une église, 5 des interventions sur d’autres communautés et 7 d’autres types variés d’intervention. Les résultats publiés ont montré que ces interventions avaient eu une forte influence sur les comportements et les connaissances nutritionnels, ainsi que sur des variables psychographiques comme l’auto-efficacité et la perception des bénéfices d’une alimentation plus saine. Les effets étaient moindres, mais néanmoins modérés sur les changements alimentaires, et enfin assez limités sur les conséquences physiologiques liées à l’alimentation, telles que la pression artérielle, l’IMC ou le cholestérol. Ce dernier résultat était toutefois attendu tant il est difficile d’avoir un effet sur ce type de conséquences.
Carins et Rundle-Thiele (2013renvoi vers) se sont également intéressées aux interventions du marketing social en matière d’alimentation. Trente-quatre études empiriques (dont la grande majorité ciblait des enfants) ont été analysées pour examiner leur efficacité sur l’amélioration des comportements alimentaires. Celles qui correspondaient à tous les critères du marketing social ont obtenu des changements comportementaux significativement supérieurs à celles qui ne comprenaient qu’un dispositif publicitaire.
Enfin, des critiques ont été émises concernant l’efficacité mais aussi la pertinence même du marketing social. L’efficacité requiert la mise en œuvre de tous les critères du marketing social, en particulier la réflexion stratégique concernant les cibles et les actions à mener (Deshpande et coll., 2015renvoi vers), ce qui peut renchérir les coûts de la campagne. Pour parvenir à une évaluation rigoureuse de l’efficacité des campagnes, les méthodologies et procédures doivent être améliorées (Janssen et coll., 2013renvoi vers). Le recours plus fréquent à des modèles théoriques permettrait de guider les choix d’action et de mieux évaluer les interventions (Luca et Suggs, 2013renvoi vers). De manière plus radicale, des critiques se sont élevées concernant l’emphase du marketing social sur les changements individuels, en mettant en avant les causes environnementales et sociales qui pèsent sur les comportements des populations défavorisées (Langford et Panter-Brick, 2013renvoi vers) et la nécessité de les comprendre préalablement par des enquêtes qualitatives.

Apports du marketing social aux actions publiques en faveur de l’amélioration de l’alimentation et de l’accroissement de l’activité physique

Au final, après plusieurs décennies d’interventions fondées sur les principes du marketing social afin d’améliorer l’alimentation et l’activité physique, et l’analyse de la littérature qui leur est consacrée, on peut retenir un certain nombre de points susceptibles d’améliorer l’efficacité des actions publiques en matière de nutrition et d’activité physique en France.
En particulier, les critères d’Andreasen (2002renvoi vers) – focus sur le consommateur, importance de l’échange, segmentation et ciblage, concurrence, marketing mix et contrôle – permettent de dresser un ensemble de 6 points clefs qui sont susceptibles de peser sur les conditions de succès de l’intervention (Mc Dermott et coll., 2006renvoi vers) :
1. L’évaluation formative préalable : la recherche sur les comportements, attitudes et croyances des consommateurs a pour objectif d’identifier la cible qui doit être touchée, ses besoins et ses caractéristiques en termes psychographiques et sociodémographiques. Plusieurs auteurs indiquent l’intérêt de combiner des méthodes quantitatives avec des méthodes qualitatives (focus groups, entretiens) pour comprendre les besoins et les demandes des groupes cibles, leurs motivations et freins à adopter le comportement recherché (Scott et Higgins, 2012renvoi vers ; Wilson et coll., 2013renvoi vers ; Wills et coll., 2014renvoi vers). Cette évaluation formative est cruciale pour suggérer des actions pertinentes auprès de la cible. Les éléments d’intervention sont à pré-tester sur un échantillon de cette cible avant une diffusion plus large.
2. Cette évaluation formative permet de considérer les variables de segmentation qui sont pertinentes pour sélectionner le ou les groupes ciblés par l’intervention. La stratégie d’action peut alors être adaptée au segment retenu.
3. Le changement comportemental attendu : toute stratégie devrait commencer par définir cet objectif de changement en termes mesurables. En matière de recommandations nutritionnelles, l’intervention devra définir les objectifs de changement de comportement de la cible, mais aussi les objectifs complémentaires de connaissance et de changement d’attitude. Cette partie est cruciale pour une évaluation ultérieure de l’efficacité de la campagne. Cette évaluation peut permettre aux pouvoirs publics de piloter de manière plus efficace leurs actions de santé.
4. L’échange : la connaissance de la cible est essentielle pour considérer ce qui peut motiver les individus ou le groupe cibles à s’engager volontairement dans un changement de comportement, et le bénéfice qu’ils en retirent. Ce bénéfice peut être tangible (par exemple un dédommagement pour sa participation à un programme d’action ou pour ses efforts de changements comportementaux) ou intangible (la satisfaction personnelle, le sentiment accru d’auto-efficacité), mais doit toujours être considéré au regard des sacrifices consentis par le changement préconisé (par exemple, la marche au lieu d’un transport motorisé représente un sacrifice en termes de temps, d’effort physique, de confort ; quel bénéfice procure-t-elle ?). La question de la valeur de l’expérience de consommation (Holbrook, 1999), un concept important du marketing classique, peut être transposée en marketing social pour mieux définir la valeur perçue que l’intervention propose à la cible.
5. En se référant au marketing classique, il est également recommandé de prendre en compte les pressions qui s’exercent sur les consommateurs, souvent plus attrayantes que le comportement que le marketing social cherche à obtenir. Une analyse concurrentielle de l’offre alimentaire peut permettre de déterminer ce qui est disponible ou pas dans l’environnement de la cible en termes de repas à forte densité énergétique, d’influences économiques et socioculturelles, de pression publicitaire, et d’en déduire les efforts qui doivent être faits pour abaisser certaines de ces pressions (Carins et Rundle-Thiele, 2013renvoi vers).
6. Marketing mix : une action fondée sur le marketing social ne se résume pas à la seule variable de communication, mais doit aussi se décliner autour de l’offre, du prix, de la disponibilité (mise à disposition, points de contacts, personnel au contact de la cible tout au long de l’intervention…).
Afin de déterminer les facteurs clés de succès d’une campagne de marketing social, Aschemann-Witzel et coll. (2012renvoi vers) se sont plus spécifiquement penchés sur les cas réussis du marketing des entreprises alimentaires (n’incluant pas le marché français). Les auteurs préconisent de s’en inspirer pour accroître l’efficacité des actions de communication d’une campagne :
• une connaissance approfondie des données relatives au sujet et à la nutrition, aux insights consommateurs2 et aux tendances émergentes ;
• le recours à l’émotion, comme l’humour, pour obtenir un engagement émotionnel plus fort de la cible ; la simplicité et la naturalité sont souvent mises en avant ;
• l’utilisation de personnalités, ou de témoignages de pairs, pour construire la confiance et la crédibilité du message ;
• la mise en avant de valeurs communes partagées avec la cible ;
• à côté de la télévision, jouer la complémentarité des médias (approche « 360° ») ;
• encourager l’action du consommateur en facilitant sa capacité à comprendre le message et sa motivation à agir.
De manière complémentaire, Free et coll. (2013renvoi vers) et Fry et Neff (2009renvoi vers) indiquent qu’en particulier chez les adolescents, le recours à des messages personnalisés, réguliers et courts envoyés via des appareils mobiles est positivement associé à une amélioration de l’alimentation et de l’activité physique. La publicité reste incontournable pour accroître la notoriété auprès d’une cible large, mais l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication a le potentiel d’apporter une communication mieux ciblée et plus incitative. Eux aussi insistent sur les critères mis au jour par la recherche en marketing social pour qu’une campagne soit efficace : la compréhension préalable du comportement de la cible et le pré-test des messages ; l’utilisation de modèles théoriques pour justifier la campagne ; la sélection de médias puissants auprès de la cible ; l’évaluation périodique de la campagne afin d’en évaluer l’efficacité et de la faire évoluer.

Conclusion

L’utilisation des principes et techniques du marketing social dans de nombreuses campagnes de promotion de santé publique offre un certain nombre de points clefs qui peuvent déboucher sur des améliorations de l’efficacité des campagnes de communication santé menées en France. Il s’avère que la seule information du public peut être insuffisante à changer les comportements et que des stratégies multiformes d’actions combinées, après avoir défini une cible et un objectif mesurable, peuvent offrir des conditions d’efficacité plus grandes.
Au final, le marketing social permet de suggérer les recommandations suivantes :
• engager des recherches pour mieux comprendre les besoins et les motivations des personnes visées afin d’affiner l’objectif des messages ;
• en tirer une segmentation de la population afin de développer des campagnes spécifiques pour chaque sous-groupe, au niveau de leur message et leurs supports ; de nombreux travaux ont porté sur des actions ciblées vers des communautés précises, avec des résultats obtenus probants (Keller et coll., 2012renvoi vers ; Withall et coll., 2012renvoi vers ; Subitha et coll., 2013renvoi vers ; Bryant et coll., 2014renvoi vers) ;
• tenir compte du seuil minimum d’exposition en dessous duquel un message a peu de chance d’avoir un impact mais aussi du phénomène de saturation qui entraîne l’indifférence voire le rejet ;
• jouer de la complémentarité des médias afin de communiquer de manière plus ciblée, voire individuelle (nouveaux outils digitaux) ;
• intégrer que l’information seule ne suffit pas à modifier des comportements, il faut aussi donner aux personnes la motivation à le faire, en particulier par des actions sur le terrain ;
• valoriser des comportements « vertueux » pour indiquer les avantages à changer ses habitudes.
En tout état de cause, la recherche formative doit veiller à mieux comprendre les motivations et freins des consommateurs et prévenir des éventuels effets non intentionnels ou de contournement qui peuvent au final amoindrir les effets recherchés d’une campagne, comme par exemple le développement d’une résistance à la communication de santé, qui a pu être observée pour les publicités incitant à l’arrêt du tabac (Mourre et Gurviez, 2015renvoi vers).
À long terme, des interventions ciblées ayant comme objectif de permettre aux consommateurs de déchiffrer les intentions de persuasion de la communication commerciale sont une des recommandations du marketing social afin de favoriser une plus grande autonomie dans leurs choix alimentaires (Block et coll., 2011renvoi vers).

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