Agir sur les comportements nutritionnels :
Réglementation, marketing et influence des communications de santé

2017


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Synthèse
Le dispositif consistant à insérer des informations à caractère sanitaire sur les publicités (bandeaux) est spécifique à la France. Il n’existe quasiment pas de données portant sur son évaluation en termes d’efficacité sur les comportements nutritionnels. La démarche mise en œuvre dans le cadre de cette expertise a consisté, d’une part à replacer ce dispositif dans le contexte réglementaire de la consommation et de la santé publique ainsi que dans celui de la protection des enfants vis-à-vis du marketing alimentaire, et d’autre part à rechercher des pistes d’amélioration des messages accompagnant les publicités.
Pour pallier le manque de données sur l’efficacité des bandeaux, divers travaux ont été pris en compte : les études d’impact de campagnes de prévention nutritionnelle diffusées par les médias de masse, les méthodes inspirées d’autres secteurs (économie, marketing) et enfin les approches et modèles issus de la psychologie, des sciences du comportement et des sciences de l’information et de la communication.

L’obligation d’accompagner les publicités par des messages sanitaires en France repose sur le paradigme du consommateur responsable

L’article L2133-1 qui a été inséré dans le Code de la santé publique par la Loi de santé publique du 9 août 2004 dont les dispositions ont été complétées par décret (2007) énonce une obligation pour les annonceurs d’apposer un message sanitaire à tout message publicitaire pour des boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse, ou des produits alimentaires manufacturés. Les annonceurs qui dérogent à cette obligation doivent verser une contribution affectée à l’Inpes1 .
Les messages sanitaires visés à l’article L2133-1 sont les suivants :
• « Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour » ;
• « Pour votre santé, pratiquez une activité physique régulière » ;
• « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé » ;
• « Pour votre santé, évitez de grignoter entre les repas ».
Dans le cas de messages publicitaires diffusés à la radio, l’annonceur peut employer les quatre messages ci-dessus ou, à défaut, les messages suivants, légèrement plus courts :
• « Pour votre santé, bougez plus » ;
• « Pour votre santé, limitez les aliments gras, salés, sucrés » ;
• « Pour votre santé, évitez de grignoter ».
Pour les écrans publicitaires télédiffusés ou radiodiffusés encadrant les programmes jeunesse destinés aux enfants ou insérés dans ces programmes et pour les publicités insérées dans la presse destinée aux enfants, les mêmes messages sanitaires peuvent être formulés en utilisant le tutoiement ou remplacés par les messages suivants :
• « Pour bien grandir, mange au moins cinq fruits et légumes par jour » ;
• « Pour être en forme, dépense-toi bien » ;
• « Pour bien grandir, ne mange pas trop gras, trop sucré, trop salé » ;
• « Pour être en forme, évite de grignoter dans la journée ».
Au-delà de cette obligation, les modalités d’apparition des messages varient en fonction des médias concernés. À la télévision et au cinéma, les messages sanitaires doivent apparaître soit dans un bandeau fixe ou défilant maintenu pendant toute la durée d’émission des publicités concernées et recouvrant au moins 7 % de la hauteur de l’écran, soit dans un écran suivant immédiatement ces publicités.
À la radio, les messages sanitaires sont diffusés immédiatement après les publicités. Quant à ceux accompagnant les publicités diffusées sur un support imprimé, ils doivent s’inscrire dans un espace horizontal réservé à ce texte et recouvrant au moins 7 % de la surface publicitaire. Au cas où plusieurs messages publicitaires apparaîtraient sur une même page, il est possible de n’apposer qu’un seul message sanitaire, dans un bandeau recouvrant au moins 7 % de la page.
Le dispositif réglementaire en vigueur exige en outre que les messages sanitaires soient utilisés au sein de chaque campagne publicitaire de manière à garantir, par type de support publicitaire ou promotionnel, l’apparition régulière de chacun d’eux sur une quantité égale de messages publicitaires ou promotionnels, avec une marge de tolérance de plus ou moins 10 %. En d’autres termes, l’arrêté impose aux annonceurs d’assurer la rotation des messages pour chacune de leurs campagnes publicitaires, afin qu’ils apparaissent aussi fréquemment les uns que les autres et, notamment, que le message relatif à l’activité physique – qui est peut-être moins à même de permettre aux consommateurs de faire un lien direct entre la consommation du produit promu et le message sanitaire – ne soit pas rendu plus proéminent par une apparition plus fréquente que les trois autres.
Les messages sanitaires accompagnant des publicités diffusées à la télévision et au cinéma (si la durée du message le permet), sur un support imprimé ou par voie de services de communication au public en ligne doivent être complétés par la mention de l’adresse « www.mangerbouger.fr ».
Enfin, le dispositif ne s’applique qu’aux publicités émises et diffusées à partir du territoire français et reçues sur ce territoire.
Malgré le champ d’application plutôt large de l’article L2133-1, de nombreuses formes de promotion échappent à l’obligation d’apposer le message sanitaire qu’il requiert. Il ne s’applique pas par exemple aux techniques promotionnelles comme le placement de produit, qui consiste en l’insertion contre rémunération (ou autre contrepartie) d’un produit au sein d’un programme.
N’entrent pas non plus dans le champ d’application de l’article L2133-1 du Code de la santé publique :
• les informations commerciales diffusées par le biais de l’emballage des produits ou les imprimés distribués avec les produits tels des « cadeaux », des coupons ou des dépliants. Les consommateurs ne sont donc pas exposés au message nutritionnel sur le lieu d’achat, en l’absence de publicité ;
• la publicité institutionnelle pour des marques agroalimentaires, même si celles-ci sont souvent connues du public pour leurs boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse ou leurs produits alimentaires manufacturés ;
• le parrainage (sponsoring) par le secteur agroalimentaire ;
• les pages Facebook ou d’autres réseaux sociaux sur lesquelles les entreprises agroalimentaires accroissent leur présence et qui contiennent de nombreuses communications commerciales.
Le dispositif mis en place par l’article L2133-1 est une illustration du paradigme du consommateur bien informé qui caractérise les économies libérales et se trouve au cœur du droit de la consommation et de la santé publique français et européen. Il se fonde sur la logique selon laquelle l’information des consommateurs leur permettrait de se prémunir contre les risques associés à un régime alimentaire peu sain.
L’information est un outil privilégié par le législateur car il est peu onéreux et facile à mettre en œuvre. Le dispositif mis en place par l’article L2133-1 est peu contraignant pour les industriels par rapport à d’autres mesures comme les restrictions au marketing alimentaire, qui limiteraient la liberté des industriels de promouvoir certains de leurs produits (en fonction de leur profil nutritionnel) ou, a fortiori les obligations de reformulation (comme par exemple l’interdiction des acides gras trans) qui touchent aux produits eux-mêmes plutôt qu’à leur promotion. Aussi la majorité des annonceurs a choisi d’apposer un message sanitaire plutôt que d’utiliser la possibilité de déroger à l’obligation par le versement d’une contribution financière à l’Inpes.
La réglementation de l’information fait avant tout peser sur le consommateur la responsabilité de prendre soin de lui (et de ceux dont il est responsable) en se fondant sur l’information qui lui est fournie.
La logique de ce dispositif suppose, toutefois, que l’information mise à sa disposition soit claire, suffisante et loyale. Il est nécessaire de réviser et compléter le dispositif en vigueur et de promouvoir une meilleure alimentation, ne serait-ce qu’en raison du rôle limité que l’information nutritionnelle joue dans les choix alimentaires. En effet, le caractère plurifactoriel de l’obésité requiert une intervention multisectorielle des pouvoirs publics afin de changer durablement l’environnement obésogène dans lequel les consommateurs sont amenés à effectuer leurs choix alimentaires. La réglementation de l’information nutritionnelle doit donc être complétée par un ensemble d’autres mesures, et notamment des restrictions à la promotion ou publicité des produits alimentaires peu sains aux enfants, afin d’être réellement efficace.

Les mesures adoptées par certains États en vue de limiter l’exposition des enfants au marketing alimentaire ont un faible impact

La réglementation française, qui prévoit l’obligation pour les annonceurs d’insérer des messages sanitaires dans les publicités pour les produits alimentaires, s’inscrit dans une gamme d’actions supposées réduire l’exposition des enfants au marketing alimentaire ou, du moins, en tempérer les effets. De telles mesures ont été adoptées dans de nombreux pays, tant à l’initiative des autorités publiques que des acteurs économiques. Généralement, les gouvernements ont produit des recommandations à l’intention des acteurs privés en les incitant à engager des actions volontaires pour réduire l’exposition des enfants au marketing alimentaire et à promouvoir des techniques commerciales moins agressives. Certains ont adopté des mesures visant à protéger les enfants de la pression publicitaire dès les années 1970-1980 (Québec, Suède, Norvège…). Mais il a fallu attendre le milieu des années 2000 pour que certains États adoptent des mesures contraignantes visant à restreindre spécifiquement le marketing alimentaire à destination des enfants. Jusqu’à présent, ces mesures ont été de deux types. Les premières visent à réduire l’exposition des enfants aux publicités pour des aliments de mauvaise qualité nutritionnelle2 . S’appliquant uniquement à la télévision, elles consistent à interdire les publicités pour de tels produits à certains moments de la journée (Grande-Bretagne, Corée du Sud). Un deuxième type de mesures consiste à interdire l’emploi de certaines techniques de communication commerciale (Grande-Bretagne, Irlande).
Des travaux ont cherché à analyser les effets des mesures contraignantes adoptées par certains États en vue de réduire l’exposition des enfants à des publicités promouvant des aliments de mauvaise qualité nutritionnelle. Les travaux réalisés en Grande-Bretagne montrent que l’exposition des enfants à de telles publicités est restée stable, et a même augmenté pour l’ensemble des téléspectateurs, et ce malgré une bonne application de la réglementation. En effet, la réglementation ne couvre que les programmes destinés aux enfants ou vus plus particulièrement par eux. Or, en valeur absolue, le nombre d’enfants regardant d’autres types de programmes peut être plus élevé, ce qui limite beaucoup la portée de la réglementation britannique. Certains auteurs font l’hypothèse que les annonceurs ont cherché à compenser l’interdiction des publicités durant les programmes pour enfants ou vus plus particulièrement par eux en en diffusant davantage aux autres moments de la journée. A contrario, le cas de la Corée du Sud suggère que des mesures d’interdiction portant sur l’ensemble des programmes télévisés aux heures de grande écoute, tant pour les adultes que pour les enfants, sont susceptibles d’avoir un impact plus important sur l’exposition des enfants aux publicités alimentaires que celles portant uniquement sur les programmes pour enfants (ou vus plus particulièrement par eux) ou sur les publicités s’adressant spécifiquement aux enfants.
En réponse aux demandes qui leur ont été adressées, un certain nombre d’entreprises agroalimentaires ont pris des engagements à titre individuel et/ou collectif, pour encadrer les pratiques promotionnelles à destination des enfants. Certains de ces engagements ont une portée internationale, et ils sont souvent le fait de grands groupes agroalimentaires. Bien que divers, ils présentent beaucoup de caractéristiques communes : ils adoptent une définition restrictive du marketing à destination des enfants ; les différents types de médias sont inclus de manière variable ; et très souvent, les signataires ne sont tenus d’appliquer ces mesures que pour les produits ne satisfaisant pas certains critères nutritionnels définis de manière ad hoc. Selon les pays, ces engagements ont été validés, ou non, par les autorités publiques. Dans tous les cas, les entreprises ayant adhéré à des engagements collectifs conservent la possibilité de prendre des engagements plus stricts.
Les travaux qui ont analysé l’impact de ces engagements convergent pour montrer un impact très faible ou nul sur l’exposition des enfants aux publicités alimentaires pour des produits de mauvaise qualité nutritionnelle. Pour certaines catégories de produits, la diminution de la pression publicitaire a pu être forte, mais les efforts réalisés par certaines entreprises ne se traduisent pas par une baisse significative sur le plan global. Différentes hypothèses ont été avancées dans ces études pour rendre compte de ce résultat : ces engagements ne concernent qu’un nombre limité d’entreprises, ils s’appuient généralement sur une définition restrictive du marketing à destination des enfants, les critères nutritionnels utilisés pour distinguer les produits de mauvaise qualité nutritionnelle de ceux qui peuvent continuer à être promus auprès des enfants seraient souvent complaisants, la bonne application des engagements volontaires des entreprises serait parfois insuffisamment contrôlée – et de manière générale, leur non-respect n’est pas assorti de sanctions dissuasives. Enfin, il est possible que les engagements volontaires correspondent à des pratiques déjà en vigueur au sein des entreprises signataires, ou s’inscrivent dans la continuité de l’évolution de leurs pratiques en matière de marketing.
Les études académiques cherchant à évaluer l’impact des mesures contraignantes ou des engagements volontaires en matière de marketing alimentaire présentent encore, à l’heure actuelle, d’importantes limites. En particulier, elles portent toujours sur un seul type de média (la télévision dans la grande majorité des cas). Faute d’étudier plusieurs médias simultanément, ou de se focaliser sur des entreprises précises et d’étudier leurs stratégies marketing dans leur ensemble, elles donnent rarement la possibilité de mettre en évidence d’éventuelles stratégies de contournement ou de déplacement de la part des entreprises. Or, plusieurs études suggèrent que ces pratiques existent. La littérature indique qu’on assiste aujourd’hui à une évolution ou à une reconfiguration des stratégies de marketing des entreprises et non à une diminution de leurs efforts dans ce domaine. Pour certaines firmes, la diminution des investissements publicitaires à la télévision ou dans les autres médias « traditionnels » (radio, presse écrite) peut être largement compensée par le développement du marketing sur Internet : diffusion de publicités sur les sites Internet pour enfants, sites de marques alimentaires, publicités sur téléphones mobiles, emploi des réseaux sociaux, etc. Le recours simultané à plusieurs canaux de communication suggère ainsi que les mesures visant à limiter l’exposition des enfants au marketing alimentaire pour un petit nombre de médias, voire exclusivement pour la télévision, sont largement insuffisantes, et offrent aux entreprises de multiples possibilités de contournements ou de déplacements sur d’autres médias.

Les études d’évaluation des campagnes médiatiques de prévention nutritionnelle permettent de dégager des critères d’efficacité

L’impact sur les comportements du dispositif de messages sanitaires sur les publicités n’a pas été évalué. Une enquête a montré de bons résultats en termes de mémorisation des messages, d’attitude, mais la plupart des articles soulignent des problèmes de compréhension de ces messages. Les études qualitatives montrent que les enfants s’approprient les messages, mais il n’y a pas toujours de changement de comportements. Finalement, une recherche expérimentale montre des effets inattendus des messages sanitaires tant au niveau implicite que comportemental : le produit alimentaire annoncé est perçu moins négativement d’un point de vue implicite en présence du message sanitaire qu’en son absence. Le choix alimentaire est aussi influencé par le message sanitaire : en présence du message sanitaire, les participants choisissent plus une récompense hédonique (crème glacée) qu’en absence du message.
Pour tenir compte du manque de recherches sur l’efficacité des messages sanitaires sur les comportements, les études d’efficacité des campagnes de promotion de l’activité physique et d’une alimentation équilibrée dissociées de la publicité alimentaire ont été analysées.
De nombreux articles ont comparé l’efficacité des différents médias pour la promotion de l’activité physique. Des revues systématiques récentes montrent que les interventions ont des effets variables selon le type de média utilisé. Les campagnes diffusées sur les médias de masse sont considérées efficaces pour augmenter le niveau d’activité physique des populations cibles, à condition d’être associées à d’autres actions au sein de la communauté. Par exemple, les interventions sur l’environnement afin de le rendre plus accessible, sûr, attractif et convenable pour l’activité physique (aménagement des rues et de clubs de gym à l’extérieur, utilisation de « points of decision prompts »3 pour favoriser l’utilisation des escaliers) se montrent efficaces pour changer le comportement des individus.
L’efficacité des campagnes de promotion de l’activité physique utilisant uniquement les médias de masse varie selon la cible choisie : les résultats sont mitigés en termes de comportement quand elles ciblent uniquement les enfants et plus positifs quand elles ciblent des adultes.
Par ailleurs, des interventions personnalisées avec un nombre important de contacts seraient associées à une meilleure efficacité. Ainsi, concernant la promotion d’une alimentation équilibrée, plusieurs études montrent un impact sur les comportements alimentaires et la perte de poids de SMS personnalisés. Une méta-analyse sur l’efficacité des interventions personnalisées basées sur le web pour promouvoir des comportements de santé montre une amélioration en comparaison avec le groupe contrôle. Elles sont plus efficaces quand elles ciblent la population générale et non des groupes spécifiques.
Les études d’efficacité des campagnes associant la promotion d’une alimentation équilibrée et de l’activité physique simultanément utilisant les médias de masse montrent des résultats positifs pour les mesures de rappel (mémorisation de la campagne), mais une absence de changement comportemental aussi bien pour l’alimentation que pour l’activité physique.
L’analyse de la littérature sur les conditions d’efficacité des messages de santé en direction des enfants montre que la promotion de l’activité physique auprès des enfants est favorisée quand des interventions ludiques (Wii) sont mises en place et quand elles soulignent les risques. Pour la promotion de l’alimentation équilibrée, les messages doivent être adaptés à la cible en utilisant des personnages appréciés ou en travaillant la pertinence du message.
La forme du message est importante : les messages graphiques et illustrés sont plus efficaces que les messages verbaux, abstraits ou chiffrés. Finalement, les messages personnalisés sont préférables et les messages émotionnels fonctionnent mieux que les messages plus rationnels. En ce qui concerne la crédibilité de la source, une source crédible (comme le gouvernement ou les professionnels de santé) est plus efficace pour influencer les intentions de comportement qu’une source peu crédible (comme les médias) et ces effets sont plus importants parmi les individus les moins impliqués.
De façon générale, les recommandations alimentaires doivent être simples, compréhensibles, spécifiques et faciles à mettre en application. Le format court, coloré et illustré est préconisé. Il faut éviter l’utilisation des messages contradictoires et la surcharge de recommandations.

Différentes approches inspirées de l’économie ou du marketing social donnent des pistes pour modifier les comportements alimentaires

Mesure coût-efficacité

Ne pas se nourrir de façon équilibrée est une source de coûts importants infligés à la société (2 000 milliards de dollars américains en 2012 d’après une estimation de McKinsey Global Institute) à travers la prise en charge des pathologies induites (coûts directs et indirects), la réduction potentielle de productivité de l’individu touché et de son entourage, la disparition prématurée de l’individu, etc. La réduction de ces coûts est l’objectif des diverses campagnes de prévention nutritionnelle. La difficulté majeure est d’évaluer l’efficacité de ces politiques.
Le principe de l’efficacité économique se traduit par la mesure et la comparaison des coûts et bénéfices d’une action dans un contexte spécifique en lien avec des hypothèses sur les comportements des individus prenant des décisions. Une intervention peut être considérée comme efficace économiquement si elle se traduit par une augmentation du bien-être général. Cette augmentation a lieu si les bénéfices (gains potentiels) sont supérieurs aux coûts (pertes potentielles), ou dans le cadre d’une approche marginaliste, si la variation des gains est supérieure à la variation des pertes. Cette approche marginaliste est la plus adaptée dans les questions d’évaluation de politiques de prévention. L’intérêt repose par conséquent sur le bénéfice net de l’action envisagée ou mise en œuvre.
Concernant l’alimentation, l’intervention publique peut être conduite sur le marché (lieu de rencontre de l’offre des producteurs et de la demande des consommateurs) en le régulant à travers des taxes ou subventions ciblant certains produits, ou hors marché (en agissant directement sur les préférences alimentaires) comme les campagnes d’information nutritionnelle.
Les études qui ont mesuré l’efficacité économique, exprimée à travers le coût par année de vie gagnée ajustée par la qualité (QALY : Quality Adjusted Life Year), de campagnes d’information nutritionnelle indiquent de bonnes performances en termes de coût-utilité, c’est-à-dire que les années de vie gagnées ne coûtent pas trop cher, par rapport à des interventions plus ciblées.
La comparaison entre une baisse de la TVA sur les fruits et légumes, des bons d’achats pour les ménages les plus pauvres ou une campagne d’information montre que cette dernière stratégie coûte moins cher mais a un impact limité sur les années de vie sauvées.
Concernant la consommation de produits gras, sucrés, salés, des politiques de taxes peuvent être plus coût-efficaces que des campagnes d’information.
Concernant l’impact sur l’obésité des enfants d’une réduction des publicités pour les produits denses en énergie à la télévision, durant les horaires où sont diffusées des émissions pour enfants (matin et après-midi), une évaluation montre un coût de 3,70 dollars australiens par DALY (Disability Adjusted Life Year : années de vie en invalidité ajustée) évitées. Cette politique est alors considérée comme dominante en termes d’efficacité, en raison du gain de santé et des coûts évités. Cependant, si nous incluons la perte de revenus publicitaires et la réduction de la vente des produits ciblés (sans substitution), le coût par DALY est de 50 000 dollars australiens.
D’une façon générale, l’évaluation des campagnes nutritionnelles connaît de nombreuses limites notamment méthodologiques, les outils de l’évaluation économique élaborés pour les soins et les prises en charge médicaux n’étant pas nécessairement adaptés pour les interventions nutritionnelles.

Économie comportementale

L’économie standard se fonde sur le postulat que les individus sont rationnels, au sens qu’ils sont pleinement informés de l’ensemble des conséquences de leurs actes. L’économie comportementale, en proposant d’associer économie et psychologie dans les mécanismes de décision, permet d’aborder les décisions alimentaires sous un angle moins standard, c’est-à-dire ne réagissant pas uniquement aux politiques fiscales (taxes et subventions) et aux campagnes informationnelles.
L’objectif des politiques publiques en termes d’alimentation est de favoriser la consommation des « bons produits » et de restreindre celle des « mauvais produits ». Les actions comportementales pouvant modifier les décisions alimentaires des individus sont celles portant sur l’information et sur les efforts à produire en relation avec l’acquisition des aliments.
Les informations nutritionnelles semblent avoir des effets sur les comportements des consommateurs, mais elles peuvent être mises à mal par d’autres paramètres (un goût peu ou pas apprécié du produit, une information qui vient en contradiction). Les effets observés peuvent parfois être nuls ou contradictoires notamment en ce qui concerne certains nutriments (sel, sucre, calories inutiles).
Selon l’hypothèse de l’économie comportementale, l’individu est paresseux (préfère généralement l’option la plus simple ou celle proposée par défaut), a des comportements moutonniers (il est plus simple de suivre les décisions des autres), est impulsif (préfère les plaisirs immédiats). Ses décisions dépendent de la façon dont elles sont présentées, et le contexte de décision a une grande influence sur ses comportements. De plus, des biais perceptuels liés par exemple à la taille des assiettes et des verres, font que les individus connaissent mal les quantités qu’ils ingèrent.
Une autre démarche consiste à intégrer des actions non-informationnelles basées sur les biais perceptuels afin de faciliter les prises de décisions (« nudges »). Ces actions recouvrent les dispositifs favorisant le pré-engagement, l’utilisation d’options par défaut et le détournement de signaux négatifs. Dans ce cadre, les mesures mises en œuvre visent à modifier l’environnement plutôt qu’à communiquer de l’information.
Des exemples d’intervention permettent d’identifier des leviers significatifs, environnementaux (modification de la décoration d’un restaurant, déplacement du bar à salade dans une cantine scolaire) et comportementaux (produits gras et sucrés payables en monnaie plutôt qu’avec la carte de paiement du restaurant).
Au total, les éléments informationnels interviennent sur la qualité perçue des aliments, certaines interventions sur l’environnement de consommation impliquent une appétence spécifique pour certains aliments (à travers la décoration du lieu par exemple), et les autres interventions sur l’environnement (déplacement de rayons, mise en avant de produits, introductions de difficultés supplémentaires) vont agir sur le coût ressenti à travers les efforts augmentés ou diminués.
L’information est le levier le plus largement utilisé, les leviers environnementaux ne sont testés que depuis peu. Il est encore nécessaire d’évaluer à différents niveaux, du laboratoire aux environnements naturels, les effets des différents dispositifs et de leurs combinaisons afin de retenir les interventions qui seraient les plus efficaces au regard de leurs coûts.
Certains auteurs soulignent que les politiques publiques inspirées par l’économie comportementale comportent des risques (notamment vis-à-vis des libertés individuelles) et donc ne doivent pas se substituer aux politiques publiques standards mais venir les renforcer.

Marketing social

Dès les années 1970, le marketing social s’est développé en appliquant les outils et méthodes inspirés du marketing commercial afin d’optimiser les campagnes de prévention notamment en matière de prévention du tabagisme et de consommation d’alcool, mais aussi pour influencer les comportements nutritionnels.
Le marketing social se caractérise par un cadre de réflexion et d’action planifié et systématique, qui repose sur les principes et techniques du marketing pour développer des programmes, services ou produits qui bénéficient à une population générale ou ciblée. L’idée générale en est que si le marketing des entreprises peut influencer des comportements, alors le marketing social peut, en employant des méthodes similaires, influencer des comportements plus vertueux et meilleurs pour la santé des individus.
Différents critères d’efficacité ont été définis à partir des études d’évaluation des actions de marketing social, ils constituent des pistes de réflexion pour améliorer l’efficacité des campagnes publiques :
• engager des recherches pour mieux comprendre les besoins et les motivations des personnes visées afin d’affiner l’objectif des messages sanitaires ;
• en tirer une segmentation de la population afin de développer des campagnes spécifiques pour chaque sous-groupe, par leur message et leurs supports ;
• le recours aux émotions, suscitées par exemple par l’humour, pour obtenir un engagement émotionnel plus fort de la cible ;
• l’utilisation de personnalités, ou de témoignages de pairs, pour construire la confiance et la crédibilité du message ;
• la mise en avant de valeurs communes partagées avec la cible ;
• à côté de la télévision, jouer la complémentarité des médias afin de communiquer de manière plus ciblée, voire individuelle (nouveaux outils digitaux, approche « 360° ») ;
• encourager l’action du consommateur en facilitant sa capacité à comprendre le message et sa motivation à agir ;
• tenir compte du seuil minimum d’exposition en dessous duquel un message a peu de chance d’avoir un impact mais aussi du phénomène de saturation qui entraîne l’indifférence voire le rejet ;
• valoriser des comportements « vertueux » pour indiquer les avantages à changer ses habitudes.

La réception des messages nutritionnels dépend du niveau d’attention du récepteur

D’après les « modèles duaux » de la communication persuasive et notamment de l’influence de la publicité commerciale, deux types de processus sont mis en œuvre lors de la réception de messages : une voie des influences non conscientes et une voie des influences suite à des traitements propositionnels (conscients). L’orientation vers une voie ou une autre dépend du niveau d’attention et des ressources cognitives allouées par le récepteur à la mention sanitaire.
Lorsque le récepteur n’alloue pas ou très peu de ressources attentionnelles à la mention sanitaire, c’est la voie des influences non conscientes qui se développe, les récepteurs ne pouvant pas verbaliser les informations perçues et/ou les principaux traitements que leur système cognitif met en œuvre. Dans la vie quotidienne, il semble que ce soit la voie la plus fréquemment suivie. En effet, si d’une manière générale, les récepteurs allouent peu d’attention à la publicité, ils vont sans doute en allouer encore moins à une mention subalterne au sein des messages publicitaires. Deux cas se présentent alors.
Dans le premier cas, celui d’une perception non consciente, le modèle de la « fluidité perceptive » explique que si le récepteur a plusieurs contacts sensoriels avec le stimulus (par exemple le logotype d’une marque entrant dans le champ visuel périphérique), sa forme est automatiquement stockée en mémoire, sans qu’il en ait conscience. Lorsqu’il est de nouveau en contact avec la marque, le système perceptif « infraconscient » la « reconnaît » et la traite beaucoup plus rapidement. Ce serait un effet de fluidité perceptive qui provoquerait une vague sensation de familiarité avec la marque. Ces processus conduisent à produire des cognitions (attributs ou croyances) et des jugements affectifs favorables à la marque.
Dans le deuxième cas, lorsque les stimuli sur les messages (par exemple une marque) sont entrevus rapidement et aussitôt oubliés, quelques courtes expositions (durant par exemple trois secondes) peuvent laisser pendant plusieurs semaines – voire mois – des traces en mémoire implicite. Ces traces seront ensuite utilisées par le système cognitif pour former des jugements souvent favorables aux stimuli.
Entrevus rapidement et aussitôt oubliés, les images et les mots dans les publicités agiraient de manière différente : les images auraient des effets affectifs et incitatifs à l’achat plus marqués ; les mots auraient des effets sémantiques plus forts, notamment dans la construction de l’image de la marque. Un processus impliquant de la « fluidité conceptuelle » permettrait alors d’activer automatiquement des éléments sémantiques liés en mémoire implicite avec la marque.
Lorsque le niveau d’attention allouée aux mentions sanitaires est plus élevé, la voie conduisant aux influences est alors constituée de traitements propositionnels (donc « conscients »). Cette seconde voie conduit les récepteurs à produire du sens à la suite des traitements du contenu des messages sanitaires. Ils mettent ensuite en route des processus plus ou moins élaborés qui les conduiront à changer ou non leur attitude, leurs cognitions ou leurs comportements en lien avec l’alimentation et les activités physiques.
La rhétorique des messages sanitaires est importante à ce niveau. Dans les messages actuellement diffusés, le cadrage est plutôt positif. Cependant, on peut se demander si le but de santé visé est important pour tous les récepteurs. Le mode impératif (« mangez », « bougez ») fonctionnerait surtout auprès des personnes impliquées par le thème.
Enfin, certaines recommandations figurant dans les messages sanitaires actuels sont ambiguës, par exemple, qu’est-ce qu’une activité physique régulière ? Que signifie exactement : ne pas manger « trop gras », « trop sucré » ou « trop salé » ? Que veut dire précisément « bien se dépenser » ?
Par ailleurs, afin de mesurer l’attention aux messages sanitaires dans les publicités, une étude exploratoire utilisant un système oculométrique (eye tracker) a été menée en parallèle de cette expertise collective. Cette étude a porté sur un échantillon de convenance de 51 participants. Elle montre que les participants exposés à des messages sanitaires insérés dans les publicités télévisées pour des produits alimentaires n’y prêtent que très peu ou pas attention. Pendant les 20 secondes de durée d’une publicité, les messages sanitaires ont été regardés à peine une demi-seconde en moyenne et un quart des participants n’a prêté aucune attention au message (aucune fixation sur le message). La partie centrale des messages véhiculant les différentes recommandations sanitaires n’a été examinée que pendant un quart de seconde en moyenne et plus d’un tiers des participants ne l’a aucunement considérée.
Les résultats montrent que, en moyenne, l’attention portée au message sanitaire inséré dans la première publicité est plus importante que celle portée au message sanitaire inséré dans la troisième ou la quatrième publicité alimentaire. Ces résultats, qui restent à confirmer, pourraient refléter un comportement de détection puis d’évitement du message sanitaire par le consommateur.

Les représentations du risque modulent l’impact des messages sanitaires

Parmi les paramètres liés aux messages dont l’impact a été analysé, l’utilisation de la peur pour sensibiliser à un risque peut entraîner des réactions défensives conduisant à la résistance à la persuasion, au maintien des comportements à risque car elle induit des stratégies de gestion de l’émotion comme la minimisation de la menace. Des études ont montré qu’un message qui présente un risque pour la santé doit aussi donner une recommandation efficace et mettre en avant les capacités de l’individu à réaliser cette recommandation (auto-efficacité) pour permettre le changement.
Un certain inconfort psychologique, voire de la peur, apparaît lorsque le récepteur traite un message où il est question de risques (de menaces ou de dangers) importants pour sa santé et lorsqu’il estime qu’ils sont pertinents pour lui. Deux types de réponses se mettent en place : le contrôle des risques et le contrôle des émotions négatives. Si l’efficacité perçue (« je peux facilement lutter contre ce danger ») est plus forte que la menace perçue, le sujet suit la voie du contrôle des risques et est motivé pour s’en protéger. Il accepte le message et change son intention comportementale. Si la menace perçue est plus forte que l’efficacité (« c’est grave et je ne peux rien faire »), une peur plus ou moins intense est souvent ressentie. C’est la deuxième voie qui est alors suivie, de manière généralement irrépressible, celle du contrôle de la peur. Le sujet rejette le message et résiste à la persuasion.
Il développe alors souvent différents types de stratégies pour éliminer sa peur, appelées stratégies de coping, comme le déni (« ce n’est pas avec 10 kilos en trop que je vais mourir »), le fatalisme (« il faut bien mourir de quelque chose »), la réactance (« ils veulent supprimer ma liberté de manger ce que je veux, je vais les ignorer »), l’évitement défensif (« c’est trop effrayant, je ne vais plus y penser ») ou de l’optimiste comparatif (la personne croit que les autres sont plus vulnérables au risque qu’elle-même).
Ainsi d’après le modèle de Witte, les appels à la peur dans les messages sanitaires motivent le changement d’attitude, d’intentions et de comportement, lorsqu’ils sont accompagnés de messages montrant l’efficacité des recommandations. Les sujets doivent se sentir capables de réaliser les recommandations (fort sentiment d’auto-efficacité). Cependant, les appels à la peur doivent être utilisés avec prudence, étant donné qu’ils peuvent avoir un effet « boomerang », si le public-cible ne s’estime pas capable d’écarter la menace.
Les résultats expérimentaux mettent en évidence que les messages avec un cadrage négatif (montrer les conséquences négatives) sont plus efficaces lorsque les personnes considèrent leurs conduites comme risquées. Lorsque les personnes sont faiblement intéressées et faiblement impliquées, le cadrage positif (montrer les conséquences positives) est plus efficace.
En matière de persuasion, l’important n’est pas tant le risque objectif lui-même mais les représentations que les récepteurs en ont. Ainsi, les campagnes de lutte contre les risques ont d’autant plus de chances d’être efficientes si elles sont construites après avoir mené des enquêtes sur les représentations, valeurs et identités sociales des différentes cibles.
Lorsque les récepteurs ont peu de connaissance des risques et/ou considèrent qu’ils sont peu pertinents pour eux, certaines recherches montrent les effets positifs de figures de rhétorique consistant à davantage les interpeller et les impliquer (par exemple : « ça vous concerne »).

La communication santé doit tenir compte du phénomène de résistance au changement de comportement

Conçues dans le but de prédire et d’expliquer le comportement social, différentes théories (par exemple : l’action raisonnée, l’action planifiée) ont mis en évidence plusieurs prédicteurs du comportement : l’attitude, les normes subjectives, le contrôle comportemental perçu, l’intention, etc.
Plusieurs concepts psychologiques sont désormais identifiés dans la littérature comme participant à la résistance au changement, par exemple : l’optimisme comparatif, le faux consensus, le rôle des habitudes, l’implication, l’engagement comportemental, l’identité, les croyances et les représentations sociales d’un groupe donné.
Certaines théories et modèles théoriques ont été précisément élaborés afin de mieux comprendre les conditions susceptibles de participer à une persuasion et un changement (d’intention et de comportement) efficace.
On distingue 5 principaux modèles du changement et de la résistance au changement issus de la littérature en psychologie sociale expérimentale :
• le modèle de la réception-acceptation (Reception-Yielding Model). La persuasion est vue ici comme un processus long et complexe nécessitant le passage par douze étapes (de l’exposition au message à la solidification post-comportementale), influencé cependant par des dispositions personnelles et des facteurs contextuels ;
• le modèle ELM (Elaboration Likelihood Model) ou modèle de probabilité d’élaboration. Les individus exposés à une communication persuasive peuvent modifier leurs attitudes à l’égard du sujet traité en empruntant deux formes de traitement de l’information : une voie centrale (importance des arguments du message) ou une voie périphérique (traitement superficiel de l’information). Le choix de la voie empruntée lors du traitement d’un message persuasif est déterminé notamment par l’importance du sujet traité aux yeux de l’individu. Dans ce sens, le modèle du Traitement-Heuristique de l’information offre aussi des éléments concernant la formation et la modification des attitudes sous influence persuasive ;
• le modèle AMIE (Activation Model of Information Exposure). L’attention et le traitement de l’information sont déterminés par l’éveil affectif et le besoin de cognition ;
• le modèle LC4MP (Limited Capacity Model of Motivated Mediated Message Processing) part du principe que les individus allouent des ressources cognitives limitées lorsqu’ils traitent un message médiatique. Cette allocation de ressources dépendrait de la motivation à traiter l’information, elle-même déterminée par les niveaux de valence et d’éveil issus lors de la lecture du message ;
• le modèle RIM (Reflective-Impulsive System). Dans le domaine de l’exposition à l’information publicitaire, on dénombre quatre niveaux permettant aux individus d’acquérir, de se représenter et d’encoder cette information (l’analyse pré-attentionnelle, l’attention focale, la compréhension, l’élaboration du raisonnement).
La prise en compte de la considération envers les conséquences futures par les individus, de la perspective temporelle, ainsi que de leurs aspects normatifs semble un élément important dans la construction de messages persuasifs efficaces.
D’autres modèles explicatifs de la résistance au changement ont servi de support à des campagnes santé :
• le modèle des narrations utilise des formes de communication narratives incluant les actions éducatives, le journalisme, la littérature, les témoignages et le storytelling ;
• la Social Cognitive Theory ou théorie de l’apprentissage social suppose que le comportement est influencé à la fois par l’auto-efficacité (confiance en ses capacités à réaliser un comportement), les buts fixés, les attentes de résultats suite à un comportement particulier, les forces environnementales (facteurs physiques, sociaux, culturels) ;
• le modèle transthéorique suppose que les individus progresseraient selon différents stades avant d’atteindre celui du changement. Ainsi, l’adoption du comportement de prévention ou de dépistage est-elle l’aboutissement d’une procédure comprenant cinq étapes définies à partir du comportement antérieur de l’individu et de ses intentions futures.
Certains modèles insistent sur l’importance de l’attitude qui peut être implicite ou explicite, automatique ou prenant en compte l’information disponible, ou encore faire appel aux métacognitions (modèle de l’attitude duelle, modèle métacognitif MCM, modèle MODE).
Une notion importante à prendre en compte pour l’élaboration d’action de prévention santé est la résistance au changement. Si le comportement mis en cause par la campagne de prévention fait partie de l’image de soi (par exemple : fumer pour un adolescent), il sera difficile à modifier car cela remet en cause l’identité de la cible. Pour contourner cette résistance, la source doit notamment adopter un style rassurant et conciliant. Certains processus ou concepts participant à la résistance à la persuasion comme antécédents ou conséquences sont identifiés dans la littérature : par exemple, habitudes, engagement comportemental, réactance, générer une contre-argumentation, soutenir son attitude initiale, décrédibiliser la source du message, générer des affects négatifs envers la source et/ou les arguments contre-attitudinaux, s’exposer sélectivement à l’information, la validation sociale de sa propre attitude, la confiance ou sur confiance en ses dires, l’optimisme comparatif, le faux consensus.
Parmi les techniques susceptibles de contourner ces effets de la résistance au changement, la théorie de l’auto-affirmation permet de rehausser l’estime de soi et de réagir moins défensivement aux informations.
Les recherches effectuées sur le concept de communication engageante mettent en évidence l’importance à mentionner le fait que la décision de changer ou non provient uniquement du récepteur lui-même qui a donc la liberté de changer ou non ses comportements.
Avec comme objectif d’orienter les comportements sans prescrire, les sciences du comportement fournissent des techniques expérimentées dans le cadre de la consommation de fruits et légumes :
• l’hypocrisie induite consiste par exemple à demander aux personnes de trouver des arguments en faveur d’une alimentation saine puis se remémorer les fois où ils n’ont pas consommé sainement ;
• l’implémentation des intentions et le contraste mental : il s’agit de demander à un individu de réfléchir et d’expliquer où, quand et comment il compte réaliser le comportement attendu ;
• l’influence normative s’appuie sur l’exposition à un message normatif c’est-à-dire recommandant un comportement présenté comme majoritairement approuvé par autrui ;
• la technique de l’auto-prophétie consiste à demander à un individu de prédire s’il réalisera ou pas un comportement donné.

Le cadrage des messages aurait un impact sur l’adoption de comportements de santé

Trois grandes théories du fonctionnement psychologique de l’individu sont utilisées actuellement comme cadres de référence dans le domaine de la prévention et la promotion santé (théorie des perspectives ou Prospect Theory, théorie du focus de régulation ou Regulatory Focus Theory, théorie du conditionnement évaluatif ou Evaluative Conditioning Theory). Elles fournissent un cadre de réflexion pertinent quant à l’efficacité des campagnes d’information à visée préventive en abordant les deux versants de toute communication en prévention santé : le versant cognitif avec la question de la mobilisation des ressources (cognitives, attentionnelles) de l’individu pour traiter le message sanitaire et le versant émotionnel avec la question du ressenti de l’individu qui réagit aux caractéristiques de la situation de persuasion et aux propriétés du message véhiculé.
Appliquée au domaine de la communication en santé, la théorie des perspectives ou Prospect Theory permet de distinguer deux types de situation : celles consistant à s’engager dans des mesures jugées peu risquées dites de protection (par exemple, se mettre de la crème solaire pour prévenir l’apparition de problèmes cutanés lors d’une exposition au soleil) pour lesquelles le message est plus classiquement cadré sur le gain et celles consistant à entreprendre des comportements jugés plus risqués dits de détection (par exemple, mammographie) pour lesquelles le message est cadré sur la perte (« si vous ne passez pas une mammographie, vous prenez le risque qu’une anomalie ne soit pas détectée »).
Les études qui ont mesuré les effets du cadrage sur les attitudes et les intentions montrent que les messages ciblés « gain » (qui mettent en avant les avantages à s’engager dans ces comportements de prévention) sont significativement plus persuasifs que les messages focalisés sur les « pertes » (qui mettent l’accent sur les inconvénients à ne pas s’y plier). Toutefois, cette différence ne semble pas apparaître systématiquement pour tous les thèmes de santé. D’autres éléments sont notamment à prendre en compte pour mieux comprendre les comportements de l’individu, à savoir : l’évaluation qu’il fait de la force du lien entre la conduite préconisée et l’évitement de la survenue d’une conséquence/maladie, la difficulté de mise en œuvre du comportement préconisé (se brosser les dents tous les jours ne peut pas être comparé au sevrage tabagique), l’émotion suscitée ou encore le caractère normatif du comportement souvent encouragé par l’entourage (norme sociale).
Les deux types de messages (cadrés « gain » ou « perte ») peuvent également être associés à des informations de valence positive ou négative (« sachez que la probabilité de survivre à un cancer est de 2/3 » versus « sachez que la probabilité de mourir d’un cancer est de 1 sur 3 »), ce qui complexifie l’effet du cadrage.
S’agissant des mesures comportementales, une méta-analyse récente rapporte que les messages cadrés « gain » sont nettement plus convaincants que les messages cadrés « perte » pour la promotion de comportements de santé, notamment pour trois problématiques que sont le sevrage tabagique, la prévention du cancer de la peau et la promotion de l’activité physique.
La théorie du focus de régulation ou Regulatory Focus Theory met l’accent sur les différences interindividuelles quant au fonctionnement motivationnel qui permettrait d’expliquer l’hétérogénéité des effets du cadrage du message. Selon cette théorie, il convient d’établir une distinction entre deux styles cognitifs, l’un plus favorable à la prise de risques (style promotion) selon lequel les individus recherchent l’avancement, la réussite, tandis que l’autre est plus tourné vers la sécurité, le respect des règles afin d’éviter toutes conséquences négatives (style prévention). Tout individu qui doit réaliser une tâche s’orienterait spontanément vers des stratégies (risquées versus sécuritaires) qui sont à l’image de son style cognitif dit « chronique » puisqu’instauré au fil de ses expériences personnelles.
Selon certains auteurs, lorsque l’individu est exposé à un message sanitaire dont les caractéristiques correspondent à son style cognitif, cela engendre chez lui un ressenti positif. Parce que le comportement préconisé est de fait coloré positivement, en découlent des attitudes positives vis-à-vis des recommandations. Une revue systématique récente menée sur 30 études montre que favoriser l’adéquation du cadrage du message au style cognitif de l’individu en optimise l’efficacité. Des auteurs suggèrent que les annonceurs devraient concevoir au moins deux types de messages : des messages qui font écho au mode de fonctionnement « promotion » et des messages qui font écho au mode de fonctionnement « prévention » afin de favoriser l’adhésion de tous les individus.
En outre, un ensemble de travaux a par ailleurs montré qu’un style cognitif peut être temporairement induit chez un individu, alors même que ce style n’est pas compatible avec son mode de fonctionnement chronique. Les procédures d’induction consistent en l’utilisation de messages verbaux ou plus simplement de stimuli visuels (forme, couleur) qui amorcent explicitement ou implicitement un mode de fonctionnement motivationnel.
Au total, si l’importance du cadrage du message sanitaire est démontrée, son efficacité dans le temps reste à évaluer à plus long terme que ne le font les études menées jusqu’à présent.
Aussi l’utilisation du cadrage doit être précédée de pré-tests contrôlés, surtout pour l’utilisation d’un cadrage négatif qui présente des risques importants de stigmatisation.

Le recours à des émotions positives favoriserait l’adhésion aux recommandations

Sachant que les émotions de l’individu sont potentiellement un levier à considérer pour engendrer de « bonnes associations » en mémoire, associations qui pourraient influencer l’individu dans ses comportements, la théorie du conditionnement évaluatif ou Evaluative Conditioning Theory considère que l’évaluation d’un stimulus initialement neutre (par exemple un produit) est sensible au stimulus affectif (positif ou négatif) auquel il est associé.
Par exemple, des études ont montré que les attitudes implicites de personnes envers les produits alcoolisés apparaissent plus négatives lorsque ces produits étaient associés à des photographies négatives. Ces études rapportent également une réduction de leur consommation dans la semaine qui a suivi l’expérimentation. De même, des participants soumis à des mesures (attitudes et comportements) avant et après l’exposition à une phase de conditionnement évaluatif pour laquelle les produits de type « snack » à fort apport calorique sont associés à des photographies montrant les conséquences négatives de leur consommation excessive, modifient leurs attitudes implicites vis-à-vis de ces produits, et les choix de consommation qui en découlent.
Par ailleurs, dans le domaine de la prévention santé, le recours aux émotions positives, notamment via l’introduction d’informations humoristiques, reste pour l’instant marginal alors même qu’il est très fréquent dans le domaine commercial et qu’il est adapté à l’adulte comme à l’enfant. Appliqué à la communication en santé, l’humour présente pourtant plusieurs effets positifs : il augmente spontanément l’attention portée aux messages ; il facilite leur mémorisation ; il favorise l’adhésion des individus qui présentent des attitudes plus positives envers les recommandations ; il diminue le recours aux stratégies de contre-argumentation. Des travaux ont montré que les émotions positives ressenties en présence d’humour contrebalancent les émotions négatives que véhicule toute campagne de prévention santé, réduisent les réactions de rejet qui en découlent et évitent la survenue d’un effet boomerang qui consisterait en un renforcement du comportement incriminé chez l’individu.
La recherche publicitaire a également montré l’intérêt qu’il y a à utiliser des figures de rhétorique ludique permettant de faire davantage mémoriser certains messages en activant de façon répétée la boucle phonologique (« la petite voix avec laquelle on se parle dans sa tête ») (par exemple la fameuse formule « un verre ça va, trois verres bonjour les dégâts »).
Le contexte émotionnel positif de diffusion des messages de prévention gagne à être considéré, qu’il soit lié au recours à l’humour ou s’appuie sur l’utilisation de programmes divertissants (séries télévisées), et ce d’autant plus qu’il offre des pistes prometteuses à explorer pour améliorer la communication en santé.

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