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Med Sci (Paris). 2011 March; 27(3): 278–279.
Published online 2011 March 30. doi: 10.1051/medsci/2011273278.

Cellules souches mésenchymateuses et régénération du tissu osseux

Frédéric Deschaseaux1*

1EFS Pyrénées-Méditerranée, Toulouse CNRS/UPS UMR5273 STROMALab - Inserm U1031, Toulouse, France
Corresponding author.
Formation du tissu osseux à partir des CSM

Le tissu osseux se forme lors de la squelettogenèse qui débute par la condensation de cellules mésenchymateuses. Puis selon le type d’os à construire, os long ou os plat, la formation osseuse progresse via deux mécanismes différents nommés ossification membranaire ou endochondrale. L’ossification membranaire se fait en une seule étape de différenciation directe des cellules condensées en ostéoblastes alors que l’ossification endochondrale se fait en deux étapes : la formation de cartilage précède la néo-ostéogenèse. Ces deux mécanismes s’appliquent aux cellules multipotentes, les CSM, qui donneront donc les cellules du cartilage (chondrocytes) et les cellules capables de synthétiser la matrice osseuse, les ostéoblastes (pour revue, voir [ 1]). Ces CSM sont visibles lors de la squelettogenèse en périphérie des structures condensantes (périchondrales ou ostéales). Cette capacité d’ossification endochondrale et membranaire est conservée tout au long de la vie d’un individu du stade fœtal au stade adulte, y compris chez le sujet même très âgé (bien qu’avec semble-t-il une moindre efficacité). Ainsi, il est possible d’utiliser les CSM comme cellules réparatrices dans certaines pathologies du tissu osseux comme l’ostéoporose (qu’elle soit liée à l’âge ou non), les défauts de consolidation après une fracture, les pertes importantes de substance osseuse (post-traumatique ou à la suite d’une exérèse tumorale), les maladies d’origine génétique comme l’ostéogenèse imparfaite (OI ou maladie des os de verre), les ostéonécroses, etc. Le but est donc de reconstituer un tissu osseux fonctionnel assurant pleinement ses différents rôles dans le métabolisme du calcium, le support d’organes et comme niche d’un certain nombre de cellules souches et progéniteurs adultes (cellules souches hématopoïétiques, progéniteurs endothéliaux, progéniteurs vasculaires).

Stratégies d’utilisation des CSM pour la reconstruction osseuse
Les atouts des CSM natives
Pour ce faire, il existe plusieurs approches qui dépendront de l’indication clinique. La première est une approche basée sur un tri (par cytométrie de flux ou colonnes magnétiques) direct de CSM à partir d’échantillons de moelle osseuse ou de tissu adipeux. Grâce à la connaissance d’un (ou plusieurs) marqueur moléculaire spécifiquement exprimé à la surface des membranes des CSM, il est possible de concevoir des billes magnétiques recouvertes d’anticorps monoclonaux dirigés contre ce marqueur. Les CSM pourraient alors être retenues (sélection positive) sur des colonnes apposées contre un aimant (ce principe est utilisé en hématologie pour trier des cellules souches hématopoïétiques CD34+ utilisées dans le traitement de certaines hémopathies). Cela permettrait d’obtenir des greffons très riches en CSM de type natif (contrairement aux CSM cultivées) qui pourraient être injectés aux patients à traiter. L’obstacle principal auquel se heurte cette démarche est le faible nombre de cellules obtenu après ces tris, ce qui peut sérieusement limiter leur utilisation en clinique humaine. En effet, on estime la fréquence des CSM à 1/105 cellules mononucléées dans la moelle osseuse chez l’adulte, donc très inférieure à la fréquence des cellules hématopoïétiques CD34+ que l’on utilise pour certaines greffes en hématologie [ 2]. Très récemment, des CSM natives ont été isolées chez la souris et transplantées dans des souris irradiées létalement. Contrairement aux CSM cultivées, les CSM natives ont repeuplé efficacement la moelle osseuse et le tissu adipeux. De plus, dans ces expériences, elles ont reconstitué les tissus même après plusieurs transplantations en série, ce qui prouve leur capacité d’autorenouvellement [ 3]. Ainsi, le faible nombre de CSM natives pourrait être compensé après transplantation par leur plus forte capacité régénérative. Mais il reste que les CSM natives sont encore peu connues et des laboratoires de recherche tentent actuellement de les caractériser très précisément. Il faut quand même noter que certains protocoles cliniques - notamment dans le retard de consolidation ou la pseudarthrose des os longs qui survient après une fracture - utilisent la moelle osseuse fraîche concentrée (donc débarrassée d’une bonne partie de son contenu en globules rouges). Concentrer la moelle osseuse revient à enrichir un peu un greffon en CSM natives ayant une capacité de réparation ostéogénique. Historiquement, Connolly en 1989 a montré chez l’animal une corrélation positive entre la capacité ostéogénique de la moelle osseuse et sa concentration cellulaire [ 4]. Healey (1990) et Connolly (1991) rapportaient des observations de consolidation de pseudarthroses induite par la seule injection de moelle osseuse autologue [ 5, 6]. Cette technique a été améliorée par Hernigou en 1997, qui a centrifugé la moelle osseuse prélevée et a réinjecté seulement la portion contenant les cellules nucléées. Dans un article publié en 2005, Hernigou démontrait que la consolidation d’une pseudarthrose était fonction du nombre de cellules ostéoprogénitrices injectées (sous-entendu les CSM natives) [ 7, 8]. Plus le nombre de colonies issues de CSM ou de CFU-F (colony forming unit-fibroblast) était élevé dans la moelle osseuse concentrée, plus important était le taux de consolidation des pseudarthroses. Cela démontre que les CSM natives, dont sont issues les CFU-f, peuvent être suffisamment concentrées par des techniques simples pour induire la guérison d’une pathologie de l’os.
Les atouts des CSM cultivées

Les CSM cultivées offrent plusieurs aouts : la population est pure et il est possible d’obtenir un très grand nombre de cellules dans des conditions sécurisées de grade clinique [ 9, 19] (→). Les expériences in vitro comme in vivo chez l’animal démontrent qu’elles sont capables de régénérer le tissu osseux seules ou accompagnées de supports biocompatibles [ 20] (→→).

(→) Voir l’article de L. Sensebé et P. Bourin, page 297 de ce numéro

(→→) Voir l’article de C. Vinatier et al., page 289 de ce numéro

Cependant, les études chez l’homme se font plus rares et une bonne partie étaient compassionnelles. Parmi les études, il faut retenir celle effectuée en plusieurs étapes par l’équipe d’Horwitz pour traiter des enfants atteints d’ostéogenèse imparfaite [ 10, 11]. Ces enfants ont d’abord été traités par injection de moelle osseuse allogénique puis ultérieurement par des CSM cultivées et génétiquement modifiées pour intégrer un gène rapporteur. À chaque traitement, des améliorations significatives du tableau clinique des patients ont été observées : augmentation de croissance, augmentation de la densité osseuse et diminution des fractures. Ce type de protocole a également été utilisé pour traiter un fœtus de 32 semaines atteint d’OI, les CSM allogéniques amplifiées ex vivo étant injectées in utero [ 12]. Cet enfant, à 2 ans, a une croissance similaire à celle d’un enfant sain de même âge.

Un élément qui doit être pris en compte est la dureté du tissu osseux. La perte, même partielle, de ce matériel doit être compensée par un apport de biomatériaux capables de servir de support aux cellules mais capables aussi de supporter certaines contraintes mécaniques. La perte de substance osseuse peut être compensée par l’ajout simultané de biomatériaux et de CSM cultivées, ou de cellules ostéoblastiques (issues de CSM dont la différenciation a été induite in vitro). Le premier essai chez l’homme a été réalisé chez trois patients ayant eu des pertes de substance osseuse à la suite de divers traumatismes. Des CSM autologues amplifiées in vitro ont été ajoutées à un biomatériau (hydroxyapatite) puis greffées, ce qui a permis aux patients une bonne reconstitution des membres atteints [ 13].

Cependant, il n’y a pas eu, dans cette étude, de témoins contrôles traités par le biomatériau seul, sans CSM. De façon similaire, des essais de reconstitution de mâchoire ont été tentés. Notamment, Warnke et al. ont confectionné un implant ostéorégénératif composé de CSM sur un support titane/hydroxyapatite imbibé de facteur ostéogénique recombinant humain BMP-7 (bone morphogenetic protein) [ 14]. Ce protocole est une résultante de la motivation des chirurgiens maxillo-faciaux à introduire ces nouvelles technologies dans leur pratique, notamment pour reconstruire la mâchoire, le tissu périodontal ou pour l’ostéoplastie de fentes palatines [ 15, 16].

Dans d’autres études, des CSM cultivées in vitro ont été utilisées pour combler des pertes de substances consécutives à des procédures d’allongement de membres ou de résection de tumeurs [ 17, 18]. Dans l’ensemble les résultats sont encourageants mais ils restent insuffisants, notamment dans la conduite d’essais rigoureux, ce qui rend difficile les analyses à court et à long terme. Le développement de protocoles cliniques associant CSM cultivées et biomatériaux un peu partout dans le monde, notamment en Europe, nous permettra sans doute de répondre à un certains nombre de questions et surtout contribuera à améliorer notre prise en charge des pathologies du tissu osseux.

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