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Med Sci (Paris). 2011 June; 27(6-7): 605–613.
Published online 2011 July 1. doi: 10.1051/medsci/2011276012.

Une nouvelle zone de neurogenèse fonctionnelle
Les noyaux vestibulaires du tronc cérébral

Sophie Dutheil,1 Michel Lacour,1 and Brahim Tighilet1*

1UMR 6149, Neurosciences intégratives et adaptatives, pôle 3C : Comportement, cerveau, cognition, Centre de Saint-Charles, case B,3, place Victor Hugo13331Marseille Cedex 3, France
Corresponding author.
Le renouvellement des neurones dans le cerveau adulte

Au même titre que les cellules intestinales ou sanguines, de nouveaux neurones sont capables d’être générés tout au long de la vie au sein de leur tissu d’appartenance. Ainsi, contrairement au dogme érigé en 1928 par Ramon y Cajal1 : « Une fois le développement terminé, les sources de la croissance et de la régénération des axones et des dendrites sont taries de manière irrévocable. Dans le cerveau adulte, les voies nerveuses sont fixées et immuables : tout peut mourir, rien ne peut régénérer… », il est désormais communément admis qu’une fois le développement achevé, le cerveau ne se fige pas en une entité rigide. À l’âge adulte, le système nerveux central (SNC) reste un organe d’une extrême malléabilité qui s’adapte sans cesse à son environnement. De nombreux progéniteurs neuraux (nous utiliserons le terme progéniteur pour qualifier indifféremment les cellules souches neurales et leurs descendants immédiats) sont disséminés dans le SNC du mammifère adulte. Toutefois, à ce jour, seulement deux structures bien précises, la zone sous-granulaire du gyrus dentelé de l’hippocampe et la zone sous-ventriculaire qui borde les ventricules latéraux, renouvellent continuellement leur stock de neurones (Figure 1). Ces zones sont dites de neurogenèse car elles génèrent de nouveaux neurones [ 39]. La grande majorité d’entre eux survit et s’intègre ensuite dans des circuits neuronaux qui contribuent à la transmission de l’information dans le cerveau : tâches d’apprentissage, de mémorisation, d’orientation spatiale, ou encore de reconnaissance olfactive [ 1].

Par contraste, tout le reste du SNC est considéré comme étant non neurogène car les progéniteurs neuraux potentiellement présents sont maintenus dans un état de quiescence. L’environnement ne permet pas la prolifération, la survie et la différenciation cellulaires. Ainsi, des progéniteurs neuraux de la zone sous-granulaire ou de la zone sous-ventriculaire transplantés dans des zones non neurogènes meurent ou s’y différencient uniquement en cellules gliales [ 24]. En revanche, lorsque des progéniteurs provenant de n’importe quelle région du SNC sont transplantés dans des zones de neurogenèse, ils s’y différencient selon le type neuronal requis par le tissu hôte, neurones granulaires dans la zone sous-granulaire et interneurones dans la zone sous-ventriculaire [ 36]. Il apparaît donc que le devenir des progéniteurs neuraux au sein de leur tissu hôte est avant tout commandité par l’environnement extracellulaire, au détriment des paramètres intrinsèques aux cellules [7, 8]. De manière intéressante, les influences qui semblent s’opposer à la neurogenèse dans la quasi-totalité du SNC pourraient être ponctuellement mises entre parenthèses dans certaines conditions. En effet, de nombreux travaux chez le mammifère adulte ont révélé que des pathologies particulières (ischémie, scléroses multiples, chorée de Huntington, maladie d’Alzheimer) ou certaines lésions s’accompagnaient d’une neurogenèse réactionnelle dans des zones du SNC considérées jusque-là comme incapables de produire de nouveaux neurones [8, 9] (Figure 1). Sous l’influence de signaux spécifiques, un tissu considéré comme non neurogène peut donc s’affranchir des restrictions endogènes et permettre une prolifération cellulaire limitée dans le temps pour renouveler son stock neuronal local.

Naissance et intégration de nouveaux neurones dans les noyaux vestibulaires après lésion vestibulaire
Atteinte vestibulaire et compensation vestibulaire
Les fonctions vestibulaires sont assurées par des informations captées de manière symétrique par des récepteurs vestibulaires situés dans l’oreille interne : les canaux semicirculaires et les otolithes2. Ces deux types de récepteurs sont sensibles respectivement aux accélérations angulaires et linéaires (incluant le vecteur gravitaire). Les messages véhiculés par les nerfs vestibulaires convergent d’abord vers les noyaux vestibulaires, transitent par des relais thalamiques pour achever leur trajet dans un ensemble d’aires corticales (cortex vestibulaire pariéto-insulaire, aires 3a et 2v). Le traitement et l’intégration de ces signaux vestibulaires et d’autres signaux issus de modalités sensorielles différentes (proprioception et vision en particulier) gèrent le contrôle de la posture et de la locomotion, de la stabilisation du regard et de l’orientation spatiale. Une atteinte vestibulaire unilatérale résultant de lésions traumatiques, d’atteintes virales (névrite) ou encore d’hydrops (maladie de Ménière) engendre systématiquement une quadruple symptomatologie aussi bien chez l’homme que chez de nombreuses espèces. Ce syndrome comprend des désordres posturo-locomoteurs, oculomoteurs, végétatifs et cognitifs (Figure 2) dont l’expression diminue progressivement avec le temps grâce au phénomène de « compensation vestibulaire » [ 10]. Lorsque les désordres vestibulaires ne se compensent toutefois pas d’eux-mêmes et que les patients atteints de la maladie de Menière ne répondent pas aux traitements pharmacologiques, la pratique d’une neurectomie vestibulaire unilatérale3 (NVU) permet de les soulager définitivement de leurs crises vertigineuses.

Nos travaux de recherche sont consacrés depuis plusieurs années à la compensation vestibulaire qui représente un excellent modèle d’étude des phénomènes de plasticité post-lésionnelle dans le système nerveux central. Les déficits statiques observés au stade aigu d’une lésion vestibulaire (nystagmus oculaire4, inclinaison de la tête du côté lésé, asymétrie du tonus des muscles des membres, élargissement de la surface de sustentation, nausées) (Figure 2) résultent de l’asymétrie de l’activité électrique spontanée entre les noyaux vestibulaires (NV) homologues situés dans le tronc cérébral. En effet, consécutivement à l’atteinte vestibulaire, les NV ipsilatéraux à la lésion deviennent silencieux tandis que les NV controlatéraux conservent une activité électrique. Ce déséquilibre électrophysiologique qui se réajuste peu à peu avec une constante de temps variable selon les espèces est considéré comme le substrat neurophysiologique de la compensation vestibulaire [ 11, 12]. À l’inverse, les déficits dynamiques comme l’altération du gain du réflexe vestibulo-oculaire5 lors d’un mouvement de la tête du côté lésé ne sont pas compensés, ou seulement partiellement et avec une constante de temps plus longue [ 13].

Une partie des processus responsables de ce retour à l’équilibre électrophysiologique entre les NV ipsi- et controlatéraux a été attribuée à des mécanismes de neuroplasticité survenant dans les NV : réorganisations moléculaires et neurochimiques pré- et post-synaptiques, pousses neuritiques, réactions astrocytaires et microgliales, changement de sensibilité des récepteurs membranaires, régulation du nombre de récepteurs membranaires, libération de neuromédiateurs et de neurohormones [ 1419]. Le SNC fait donc preuve d’une extraordinaire capacité d’adaptation post-lésionnelle qui met en jeu un ensemble de mécanismes qui s’échelonnent à tous niveaux, du moléculaire au comportemental.

Induction d’une zone de neurogenèse après neurectomie vestibulaire unilatérale
Dans notre modèle expérimental de NVU chez le chat adulte (technique décrite dans l’encadré), de fortes augmentations du nombre de neurones exprimant les phénotypes GABAergique [ 20] et cholinergique [ 21] ont été observées dans les NV du côté ipsilatéral à la lésion. Ces résultats ont été interprétés comme reflétant des changements de phénotypes neuronaux concomitants de la régulation positive d’enzymes nécessaires à la synthèse de GABA et d’acétylcholine. Cependant, une nouvelle hypothèse a été avancée en 2002 avec la découverte de progéniteurs neuraux au niveau du plancher du IVe ventricule. En effet, si l’on administrait localement des facteurs de croissance, ces cellules devenaient capables de générer de nouveaux neurones in vivo [ 22]. De plus, une prolifération cellulaire consécutive à une vagotomie a été mise en évidence dans le complexe dorsal du vague, à proximité des NV [ 23]. Ces résultats nous ont conduits à postuler que l’accroissement du nombre de neurones GABAergiques et cholinergiques observé après NVU pouvait résulter d’une prolifération cellulaire.

Pour confirmer cette hypothèse, nous avons utilisé un marqueur des cellules en division : le bromodéoxyuridine (BrdU), un analogue de la thymidine qui s’incorpore dans l’ADN des cellules lors de la phase S du cycle cellulaire. Cet agent est généralement utilisé pour dater les nouvelles cellules et évaluer la prolifération cellulaire. Nous avons démontré l’existence d’une forte prolifération de cellules ayant incorporé le BrdU (BrdU+) uniquement dans les NV situés du côté de la lésion (Figures 3A et B), avec un pic culminant 3 jours après la lésion [ 24, 25]. Des travaux en cours indiquent également un pic d’expression de neurotrophines (brain-derived neurotrophic factor [BDNF] et nerve growth factor [NGF]), agents proneurogènes favorisant la survie et la différenciation cellulaires, après ce même délai post-lésionnel. L’étude de la cinétique des nouvelles cellules formées en fonction du temps post-lésionnel a indiqué qu’une majorité survivait au-delà d’un mois - la proportion variant selon les différents NV (60 à 70 % en moyenne). Certaines de ces cellules se sont différenciées en cellules gliales (astrocytes, microglie, voir Figure 3C et D ), confirmant la réaction gliale déjà décrite par d’autres auteurs chez le rat [14]. D’autres cellules BrdU+ exprimaient aussi le marqueur NeuN (neuronal nuclei) spécifique des neurones matures, mettant ainsi en évidence la différenciation des nouvelles cellules en neurones (Figure 3C). Ces résultats ont ainsi démontré pour la première fois la naissance de nouveaux neurones dans les NV désafférentés après une lésion vestibulaire chez l’animal adulte.

Nous avons par la suite caractérisé le phénotype de ces nouveaux neurones et trouvé qu’ils exprimaient la GAD67 (glutamic acid decarboxylase 67), enzyme de synthèse du GABA. Les données recueillies en microscopie confocale ont mis en évidence une colocalisation des deux marqueurs BrdU et GAD67 (Figure 3C) pour certains de ces neurones, démontrant l’existence d’une neurogenèse de type GABAergique dans les NV du côté de la lésion. Ce résultat est à rapprocher d’observations que nous avons faites antérieurement [20] montrant chez le chat une augmentation du nombre de neurones exprimant le GABA après NVU. De manière intéressante, nous n’avons pas observé de neurones cholinergiques parmi les cellules BrdU+. L’absence d’une neurogenèse cholinergique suggère que l’augmentation du nombre de neurones cholinergiques dans les NV désafférentés résulterait d’un changement de phénotype neuronal [21]. Ce résultat original témoigne vraisemblablement de l’importance du système GABAergique dans la compensation des déficits vestibulaires chez le mammifère adulte et signe l’existence de nouveaux mécanismes de plasticité adaptatifs post-lésionnels.

Origine des nouvelles cellules et contrôle de leur intégration fonctionnelle dans les noyaux vestibulaires

Les ventricules cérébraux hébergent des progéniteurs neuraux qui conserveraient au stade adulte leur capacité de proliférer et de se différencier en divers types neuronaux ou gliaux [4, 22]. Les NV, situés en bordure du IVe ventricule, pourraient donc héberger des progéniteurs neuraux quiescents puisque chez le mammifère adulte, en conditions physiologiques, aucune prolifération cellulaire spontanée ne survient dans cette zone cérébrale. Ces cellules produites dans les NV pourraient également provenir de cellules épendymaires ou endothéliales présentes en bordure du IVe ventricule ou encore de certains types d’astrocytes capables de se dédifférencier [ 26, 27]. Une autre piste se dessine également : des progéniteurs pourraient migrer de la zone sous-ventriculaire jusqu’aux NV, en se déplaçant éventuellement le long de vaisseaux sanguins [ 28, 29].

Nous avons mis en évidence que la section unilatérale du nerf vestibulaire convertit les NV en une zone neurogène. L’émergence de cette neurogenèse réactionnelle pourrait s’expliquer par la rupture de l’homéostasie du microenvironnement cellulaire occasionnant le recrutement d’une cascade de mécanismes de neuroplasticité proneurogènes. En effet, nous avons observé dans notre modèle expérimental que la section et la dégénérescence rapide du nerf vestibulaire produisaient dans les NV désafférentés une augmentation des cellules microgliales et des astrocytes [24, 25], une augmentation de l’efficacité des systèmes GABAergique, cholinergique et histaminergique [20, 21, 26], ainsi qu’une augmentation du nombre de neurones exprimant le BDNF, le NGF, la neurotrophine 3 (NT3) et leurs récepteurs à activité tyrosine kinase respectifs (TrkA, TrkB et TrkC) [ 18]. Dans une étude récente, nous avons également observé que les glucocorticoïdes, connus pour entraver la neurogenèse [27], étaient régulés négativement dans les NV après NVU [28]. Ces résultats sont à rapprocher de données de la littérature mentionnant le rôle de ces facteurs respectifs dans la modulation des différentes étapes de la neurogenèse, allant de la prolifération des cellules souches neurales jusqu’à leur différenciation et intégration dans des circuits neuronaux complexes [8, 2931]. D’autres facteurs actuellement en cours d’étude (facteurs de l’inflammation) également exprimés fortement dans les NV désafférentés [ 32] agiraient de concert pour promouvoir localement et ponctuellement un environnement neurogène dans les NV désafférentés.

Procédure chirurgicale de neurectomie vestibulaire unilatérale (NVU)

La section du nerf vestibulaire (nerf VIII, vestibulocochléaire) est réalisée sous microscope opératoire selon une approche rétrosigmoïde dans des conditions d’asepsie rigoureuse. Les animaux sont anesthésiés à l’aide d’une solution de kétamine dihydrochloride injectée en intramusculaire (20 mg/kg, Rhône Poulenc, Mérieux, France) et reçoivent une injection d’analgésique (Tolfédine, 0,5 ml, Vetoquinol, Lure, France). Une couverture chauffante permet de maintenir l’animal anesthésié à une température comprise entre 37 et 38°C. L’incision des tissus situés en arrière du pavillon auditif gauche permet l’accès à la bulla tympanique. La perforation de celle-ci à l’aide d’une fraise diamantée débouche sur l’oreille interne. La cavité labyrinthique est abordée par une ouverture creusée au-dessus des fenêtres ronde et ovale qui dévoile la VIIIe paire de nerfs crâniens. La section du nerf est pratiquée au niveau post-ganglionnaire où le nerf vestibulaire est séparé du nerf cochléaire, à mi-distance entre le ganglion de Scarpa et le tronc cérébral. Par la suite, le conduit auditif interne est obturé à l’aide de spongel cicatrisant et les tissus superficiels sont recousus. Les animaux sont placés sous antibiotiques pendant 6 jours et reçoivent des analgésiques pendant les 48 heures suivant la lésion. L’apparition du syndrome vestibulaire (symptômes oculomoteurs, posturaux et locomoteurs) au réveil de l’animal confirme cliniquement la réussite de la neurectomie vestibulaire unilatérale.

Neurogenèse des NV et restauration des fonctions posturo-locomotrices

La présence inattendue de cette neurogenèse secondaire dans les NV désafférentés nous a également conduits à nous interroger sur son rôle fonctionnel dans la restauration des fonctions vestibulaires. Pour répondre à cette question, nous avons utilisé un agent antimitotique : la cytosine-β-D arabinofuranoside (AraC) qui bloque la prolifération cellulaire dans les NV. Une solution d’AraC ou de chlorure de sodium a été administrée de manière continue dans le liquide céphalo-rachidien du IVe ventricule, en bordure des NV, durant 30 jours via une pompe osmotique Alzet à des chats ayant subi une NVU et chez des contrôles. Les conséquences cellulaires et comportementales du blocage de la neurogliogenèse par l’AraC ont été évaluées. Chez les animaux ayant reçu de l’AraC immédiatement après NVU (du 1er au 30e jour), l’activité mitotique a été totalement absente (diminution de cellules BrdU+de 99,66 % dans le NVM, 99,91 % dans le NVI, 99,77 % dans le NVL et 99,42 % dans le NVS, correspondant respectivement aux noyaux vestibulaires médian [NVM], inférieur [NVI], latéral [NVL] et supérieur [NVS]) et la restauration des fonctions posturale et locomotrice a été considérablement retardée (trois mois au lieu d’un mois chez les animaux témoins) (voir Figure 4A et B). Ces données témoignent de l’implication de la neurogenèse GABAergique et de l’astrogenèse dans les processus de restauration des fonctions posturo-locomotrices. Cependant des travaux complémentaires sont nécessaires pour affirmer le lien de causalité entre neurogenèse et compensation vestibulaire.

En revanche, la rapide récupération de la fonction oculomotrice (6 jours) n’a pas été altérée par l’infusion d’AraC. Ceci suggère que la compensation du nystagmus oculaire horizontal spontané reposerait sur d’autres mécanismes de plasticité, qui interviendraient temporellement en amont de la neurogenèse et la gliogenèse [25]. En adéquation avec cette hypothèse, les travaux d’une équipe de chercheurs néo-zélandais ont montré qu’après lésion vestibulaire unilatérale, l’infusion d’oligonucléotides antisens bloquant l’expression du BDNF (facteur favorisant entre autres la neurogenèse) chez la souris conduisait à un retard dans la compensation des déficits posturaux, sans incidence sur le nystagmus oculaire [ 33]. Dans une autre étude, l’infusion chronique d’antagonistes des récepteurs GABAA dans les NV désafférentés a modifié l’expression des symptômes posturaux chez le cochon d’Inde, sans altérer l’expression des symptômes oculomoteurs [ 34]. Ainsi la compensation des paramètres posturolocomoteurs et oculomoteurs serait gouvernée par des mécanismes de plasticité différents.

Le GABA : un acteur principal du retour à l’homéostasie des noyaux vestibulaires

La littérature sur la compensation vestibulaire mentionne depuis de nombreuses années l’importance du système GABAergique dans la restauration des fonctions vestibulaires [ 35]. Dans notre modèle de NVU, la présence d’une neurogenèse GABAergique fonctionnelle est un résultat original qui attribue au système GABAergique un rôle pivot dans la récupération des déficits survenant après atteinte vestibulaire. Le système GABAergique est en effet connu pour contribuer de manière importante au rééquilibrage de l’activité électrique entre les NV homologues [ 15]. Nous proposons que les nouveaux neurones GABAergiques appartenant aux NV désafférentés pourraient inhiber localement des neurones inhibiteurs, rehaussant ainsi l’excitabilité intrinsèque. Une autre hypothèse serait que des réorganisations du milieu extracellulaire puissent conduire à une réexpression ponctuelle de cotransporteurs de cations et de chlorures Na+ K+ 2Cl- de type 1 (NKCC1). En effet, dans les premiers stades du développement et suite à certaines lésions engendrant une neurogenèse réactionnelle chez l’adulte, le GABA peut avoir une action dépolarisante sur les cellules pourvues de récepteurs de type GABAA et de NKCC1 [ 36, 37]. Dans ces conditions particulières, la présence de NKCC1 à la surface des membranes neuronales conduit à une accumulation intracellulaire de Cl-. Par conséquent, l’ouverture d’un récepteur ionotropique GABAA induit une sortie d’ions Cl- créant ainsi un flux dépolarisant. Un tel phénomène pourrait ainsi se produire en réaction à la NVU et favoriser l’augmentation progressive de l’activité électrique des neurones des NV désafférentés au cours de la compensation vestibulaire.

Conclusions

Nos données originales et novatrices dans le domaine de la compensation vestibulaire pourraient offrir de nouvelles pistes en clinique humaine. Les différentes pathologies du système vestibulaire sont extrêmement invalidantes (vertiges, nausées, vomissements, pertes d’équilibre et de repères spatiaux). Comprendre comment le système nerveux central s’adapte et met en place une récupération comportementale après une lésion est un préalable au choix de traitements ciblés et efficaces, ainsi qu’à la mise en œuvre de meilleures procédures de réhabilitation.

Notre modèle expérimental, désafférentation vestibulaire induisant une neurogenèse fonctionnelle dans les noyaux vestibulaires du mammifère adulte, permet de déterminer les facteurs permettant à une zone cérébrale non neurogène de pouvoir ponctuellement produire de nouveaux neurones. Cependant, nous avons récemment démontré que la neurogenèse réactionnelle ne survenait qu’après désafférentation structurale et fonctionnelle des NV (NVU), alors qu’elle demeure inexistante après une désafférentation fonctionnelle plus progressive (labyrinthectomie : destruction chirurgicale des récepteurs labyrinthiques) [38]. La neurectomie vestibulaire reproduit des pathologies vestibulaires de survenue rapide (névrite vestibulaire, neurinome de l’acoustique, chirurgie du Ménière) tandis que la labyrinthectomie est plus proche d’un processus progressif de vieillissement des récepteurs vestibulaires périphériques, de leur lésion par traumatisme crânien ou de leur intoxication par des antibiotiques. Ainsi, il apparaît que les mécanismes de compensation vestibulaire dépendent étroitement de l’étiologie du trouble. Une meilleure connaissance de ces mécanismes permettrait de mieux cibler la pharmacologie et la rééducation fonctionnelle en pathologie vestibulaire.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Ramon y Cajal, S (1928). Degeneration and regeneration of the nervous system, vol. 2. New York, USA, Haffner Publishing Co, p. 750.
2 L’organe récepteur comprend des cellules ciliées dont les cils sont emprisonnés dans une substance gélatineuse contenant des petits cristaux appelés otolithes.
3 Il s’agit de la section du nerf vestibulaire.
4 Le nystagmus est un mouvement involontaire et saccadé du globe oculaire qui comprend deux composantes, une dérive lente et une secousse de rappel rapide. Il est défini par le sens de sa secousse rapide.
5 Le réflexe vestibulo-oculaire stabilise le regard, c’est-à-dire compense les mouvements de la tête pour permettre à l’homme ou à l’animal de voir clairement l’environnement dans lequel sa tête tourne. Pendant une rotation de la tête, le RVO imprime à l’œil une rotation d’amplitude et de vitesse égales mais de sens opposé à celle de la tête, de sorte que l’axe visuel est maintenu stable dans l’espace.
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